Les vrais principes sur la prédication, ou Manière d'annoncer avec fruit la parole de Dieu. Tome 1 / par M. l'abbé J.-X. Vêtu,... (2025)

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Titre : Les vrais principes sur la prédication, ou Manière d'annoncer avec fruit la parole de Dieu. Tome 1 / par M. l'abbé J.-X. Vêtu,...

Auteur : Vêtu, Jean-Xavier (Chanoine). Auteur du texte

Éditeur : impr. de Simonnot-Carion (Dijon)

Date d'édition : 1839

Notice d'ensemble : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb31567941c

Type : monographie imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : 3 vol. (6-XIV-511, 785 p. ) ; in-8

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Description : Collection numérique : Fonds régional : Bourgogne

Description : Contient une table des matières

Description : Avec mode texte

Droits : Consultable en ligne

Droits : Public domain

Identifiant : ark:/12148/bpt6k64861937

Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, X-33032

Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France

Date de mise en ligne : 24/04/2013

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LES. VRAIS PRINCIPES

1 SUR LA PRÉDICATION,

ou

Manière d'annoncer avec fruit la parole de Dieu, PAR M. l'abbé J.-X. VÈTU, Chanoine honoraire, ancien vicaire-général de Dijon.

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0 TOME PREHIER.

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ÏS)E<2r<S)W 3 Chez POPELAIN, libraire, place Saipt-Jean ; — BONNEFOND-DUMOULIN. libraire, rue des Forges, no 22; Et aux principales LIBRAIRIES ECCLÉSIASTIQUES de Paris et de Lyon.

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LES VRAIS PKINCIPES SVR LA PRÉDICATION

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MANIÈRE D AKNOr.C.F.R AVEC FRTLT

_la fayote ht Wxeu,

.1'.:

I^V*' ji -E/iNyi. L'ABBÉ J.-X. VETU, ^.VwcuNi.VV'icairt; -» £ éWraî et Chanoinu honoraire île Dijon : •' „ * v et de Paris.

i < Trois l. in-So, - prix 9 fr., Tt,,cd : 1 I)r 1 x 9 X >, I ^J0t par envoi direct, 7 f.

Paris, chez les princisiffiiii liibrairesj, ET CHEZ LES URSULINES, RUE CIIANOINFSSE 2.

Près Nolrc-Dame.

Une partie du produit de la vente est destinée it rœuvre intéressante du PLACEMENT DES DOMESTIQUES, dirigée par les URSDLINES établies à Paris.

En s'adressant directement à la Communauté, on évitera une augmentation dans le prix (*).

(*) Les DAMES URSULIKES reçoivent volontiers pour les employer dans leurs Etablissements, selon leur aptitude, les sujets peu aisés qui ont de la piété et une vertu solide. MM. les Ecclésiastiques qui connaîtraient de telles personnes, qui désirent vivre dans une communauté , soit cotnmes sœurs, si elles ont de la vocation, soit seulement comme agrégées internes, sont priés de les adresser à Madame la Supérieure, qui les occupera dans l'enseignement, si elles ont de l'instruction, ou dans d'autres œuvres, si elles n'ont pas fait d'études.

En tout cas si elles offrent des garanties suŒsantlillS et produisent de bonnes recommandations de leurs pasteurs, elles seyant

APPROBATION ET RECOMMANDATION VI MONSEIGNEUR L'hVtyUE Dr ULJOtf.

NOTW avons lu avec attention l'ouvrage intitulé: LES VRAIS PRINCIPES SUR LA PRÉDICATION , par M. J.- X. VÊTU , chanoine honoraire et ancien vicaire-général de Dijon.

Tout, dans cet ouvrage, nous a paru bon et recoramandable. L'auteur y a réuni les préceptes et les conseils des maîtres de l'art, et il a su coordonner ces matières de manière à en faire un corps complet de doctrines aussi utiles que sûres. Nous avons remarqué surtout l'esprit de loi, la pensée éminemment chrétienne et sacerdotale qui ont dirigé ce travail, et nous ne pouvons que désirer qu'ils inspirent et dirigent les ecclésiastiques , pour lesquels il a été entrepris.

Il me semble que le Prêtre qui se conformera aux préceptes oratoires et aux conseils consciencieux, renfermés dans cet ouvrage ne pourra qu'en tirer un grand avantage pour l'exercice de son ministère.

Dans cette pensée , nous le recommandons vivement à tous nos collaborateurs ; tous peuvent en profiter.

Le but de l'auteur sera atteint, et le ministère de la parole sainte en sera plus utilement rempli.

t FRANÇOIS , ÉvtQUE DE DIJON.

Dijon, 27 mars 1840.

APPROBATION DE M. MOREh, vicaire-gÉkkral de paiîis.

MONSIEUR L' ABBÉ, Je ne vous ai pas remercié de suite du présent que vous m'avez fait, parce que je voulais auparavant

touioèrs assurée. d'être placées convenablement en ville. Les gages à Paris sont de'.} à 400 fr., selon l'aptitude des sujets.

Madame la Supérieure des Ursulines tient lieu de mère aux Domestiques qui sont fidèles à fréquenter la maison et qui se conduisent bien. Elle leur ofïre un appui et des conseils qui let' ai tient] à se préserver des dangers de la capilale.

APPROBATION DE M, MOREL, VICAlïlE-GEStRAL DE PA11IS.

..MONSIEUR L'ABBÉ, Je ne vous ai pas remercié de suite du présent que vous m'avez fait, parce que je voulais auparavant prendre connaissance de votre ouvrage. J'en porte le même jugement que Monseigneur votre Evêque. Que les jeunes pi4édiéatëurs_le lisent sous les yeux de Dieu, et ils apprendront à traiter convenablement sa parole.

Puissent-ils être dociles aux ayertissémens excellens que vous donnez et aux bonnes règles que vous rappelez !

Je suis, etc.

MOREL, V.-G.-C.

Paris, 29 avril 1840.

APPROBATION DE Mgr. DE VIUECOU&T, lSVÊyUE DE LA ROCHELLE.

MONSIEUR L' ABBÉ, L'esprit de foi, -de piété, de zèle et d'orthodoxie régnent partout dans voire ouvrage. Les règles en sont pleines de sagesse; le style en est pur, orné , clair, noble quoique sans prétention. La lecture en est géné- ralement attachante , les exemples en sont bien choisis et d'un heureux à-propos. Les réflexions constamment justes attestent, avec la prudence de l'auteur, l'attention qu'il a eu de s'aider de l'expérience et des leçons des grands maîtres.

En vous lisant, on s'associe à vos pensées et à vos désirs, ou plutôt aux pensées et aux désirs de l'Eglise dont vous êtes l'organe ; on vous bénit quand, au nom de l'Evangile, vous flétrissez un genre d'éloquence que la sainteté dé la chaire, plus encore que la saine

raison, réprouve. C'est ce que j'ai cru pouvoir dire en toute vérité à la louange de votre li vre.

Je ne puis que bénir le Ciel de l'emploi que vous faites de vos moments de loisir. Puissent tous les fecclésiastiques n'avoir en vue, comme vous, que la gloire de Dieu et l'honneur de la sainte Eglise !

Agréez, etc.

t CLÉMENT, ÉvtQUE DE LA ROCHELLE.

La Roclielle., le, juillet. 18Ío.

r;ÜtPlli@ffir;Ü U@ ne ItFf/r. le Cardinal de Monaïtl s ARCHEVÊQUE DE LYON-, Nous avons examiné le livre intitulé : Les VnAis PRINCIPES SUR LA PRÉDICATION, par M. l'abbé VÉTU, ancien vicaire-général de Dijon. Cet ouvrage sera très utile au clergé eu lui transmettant les bonnes traditions sur la manière d'instruire les peuples, et en l'éloignant du mauvais goût qui tend à s'introduire dans les chaires chrétiennes.

Nous désirons que les jeunes ecclésiastiques lisent ce livre et qu'ils mettent en pratique les sages conseils qu'ils y trouveront.

t L.-J.-M. CARDINAL DE BONALD, Archevêque de Lyon.

Lyop, le 2.1 février i8j4-

prendre connaissance de votre ouvrage. J'en porte le même jugement que Monseigneur votre Evèque. Que les jeunes prédicateurs le lisent sous les yeux de Dieu, et ils apprendront à traiter convenablement sa parole.

Puissent-ils être dociles aux avertissemens excellens que vous donnez et aux bonnes règles que vous rappelez !

Je suis, etc.

MOREL, v.-«.-c.

Paris, le ay avril 1840.

APPROBATION DE Mgr. DE VIIXECOURT, ÉVÈQUE DE LA ROCHELLE.

MONSIEUR L'ABBÉ, L'esprit de foi, de piété, de zèle et d'orthodoxie règnent partout dans votre ouvrage. Les règles en sont pleines de sagesse ; le style en est pur, orné, clair, noble quoique sans prétention. La lecture en est généralement attachante, les exemples en sont bien choisis et d'un heureux à-propos. Les réflexions constamment iustes attestent, avec la prudence de l'auteur, l'attention qu'il a eu de s'aider de l'expérience et des leçons des grands maîtres.

En vous lisant, on s'associe à vos pensées et à vos désirs , ou plutôt aux pensées et aux désirs de l'Eglise dont vous êtes l'organe; on vous bénit quand, au nom de l'Evangile, vous flétrissez un genre d'éloquence que la sainteté de la chaire, plus encore que la saine raison, réprouve. C'est ce que j'ai cru pouvoir dire en toute vérité à la louange de votre livre.

Je ne puis que bénir le Ciel de l'emploi que vous faites de vos moments de loisir. Puissent tous les ecclésiastiques n'avoir en vue, comme vous, que la gloire de Dieu et l'honneur de la sainte Eglise !

Agréez, etc. @

t CLÉMENT, ÉVÊQPE DE LA ROCHELLE.

La Rochelle, icl juillet i8 ÍI.

ii@æ'a" De Rgr. le Curilinnl tle JSonttitl, ARCHEVEQUE DE LYON.

Nous avons examiné le livre intitulé : Lzs VRAIS PRINCIPES SUR LA PRÉDICATION, par M. l'abbé VÉTU, ancien vicaire-général de Dijon. Cet ouvrage sera très utile au clergé en lui transmettant les bonnes traditions sur la manière d'instruire les peuples, et en l'éloignant du mauvais goût qui tend à s'introduire dans les chaires chrétiennes.

Nous désirons que les jeunes ecclésiastiques lisent oie livre et qu'ils mettent en pratique les sages conseils qu'ils y trouveront.

t L.-J .-M. CARDINAL DE BONALD, Jrchevêque de Lyoll, Lyon, le 23 février 18H.

On trouve à la même adresse, les Ouvrages suivants du même Auteur, qui se vendent au profit des bonnes œuvres dirigées par les Ursulmes.

RÈGLE DE VIE POUR UN PRETRE, Un vol. in-18(de 215 pages), 75 c.

OBSERVATIONS CRITIQUES Sut (a £ °oujeteuccJ "du cJl.acozdoute, Brochure in-8" (de 60 pages), 75 c.

Suite lies Observations erifitgwe» Sur les Conférences du R. P. Lacordaire, Brochure in-8° (de 32 pages), 5o c.

LES VRAIS PRINCIPES a SUR

LA PRÉDICATION.

Prix des 9 vol. lirocliés» : Il Cr.

LES VRAIS PRINCIPES

SUR

LA PRÉDICATION,

ou

Manière d'annoncer avec fruit la parole de Dieu, PAR M. L'ABBÉ J.-X. VÈTU, Chanoine honoraire, ancien vicaire-général de Dijon.

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TOME PREIIIER.

Quand vous enseignerez dans l'église, n'excitez point les applaudissemens, mais les gémissemens du peuple. Que les larmes de vos auditeurs soient vos louanges. ( SAINT JÉRÔME NÉPOTIEN. )

3M JTOM S IMPRIMERIE DE SIMONNOT-CARION.

1839.

propriété bt r2lut?ur»

DÉDICACE.

21 5aiitt ~)M~ A eân.rM$tÓme J

ARCHEVÊQUE DE CONSTANTINOPLE ET DOCTEUR DE L'EGLISE.

jeeUJke §>comu^ f eà/ a -t'ouJ ^tie^e werti^M<e l" Âomma^ c/cm auv-ra^e c/eà £ m,e a defe?ic/re> :r a ntamô&mr c/ed Cre/Ylte VOtld cw&z< zU hén rriM Ml

jÆaa?ue eâi a/mwiicmî/ la ficvra/e de ^Dcen. Vod ùjmno^ùeJé dMCr/WH Mu..téijlt7}Z/ IGjltde". vûtéi wv-ez /w<de' da docùwie a/v-ec a.tttcPnI de ~/Y.~ y W ¡tare ue de^o~rce ef~ de/o^-ocence; -VOtld n aw-ezsfiom/ connu cefâe ferii* dence de âi dair ut' edf dï ojftOd c~' a âù dœ^^d-edÂreôùMme^J. <^ £ a j(f/loM*e de PZJwu SÇ te dalu; ded a/med, ù&Ù o-nf eùeded deuù wiohded de -u&ù?<e o o i t dutte. v-l6mtd-t7'e ¡idde -Vr/t!d Cl/V(}Z/ awnoTice ac(/z> ^trcwidâ cowme, at/IX - - ^leUfô ted oraoled dvumd; voad n I)ez ^iom/ dùtm^tie, dcmd -vod a^ecUortd,

(1) Nolite conformari huic seculo. ( ROM., xn , 2. )

fiiiL/dcm/ du ^aâ/de, & -j%cAe du fiauwe. 37auteà lM ameâ ovif été ^irecceiùïeJ a vod ¡haJ'ce fi" dk d<m/~ ùouùed -racAeCeed au j/ina> du zkvnjcp duvi ^Dteu. <yéufj-c dù^icu-e a - lM ¡heuj'k Icvrlared ^<u& lM ;et(tk CWRTLTEED, V-0tM av-ev mon= ùre, datM k ded- du c^déon/^ 27aurud, ù meme xè/e yu. n= crle.

fykctmie de -vatre dévauemen/ ~-*

aaœ>' màe^efa de âi Ûbe/upuM, VOtM

avez; corMoirtme votre d-amùe car-rtè^e daâtà ied fi/fwaUowJ SÇ dmJ /eocd *ë eàS amJtj c MI ;ar âi < rt1 d un âm^ martyre, file

Plléu voulu/ -recoinfie^ide?" votJ xel; ccmnne i lavcuf -reOryhMM-e' ce lui du dcmîi^recwUew de Qéàiueg'U1-- J Fe vackt cweœy tU juvp= Ien/ Mmùe dand don cau/ra^e jZour cwwionce?" la veriùe, Z ffîroué/ence VOtM dedtmaif a ébJ fiowr led/wecâcaùewy catAohjpued, im tjféo* Yl;/anr en delecm ffî-rotectewr. en jta;roled SÇ Mb œuvres, DOVWU dam/ ffîaal, SÇ Mic&rcÂatzf dur ded âraced, conune il avatl marole lui^ne^ne dm" celled de don di/um vdéalfov, v-aud n axv<e<2y fiam/ duwi led az>e?n= e/m oraùemu mondamd; v-O'm nom -rcyrell(j?fa

ùou^oiwy le C'¡zadf:etvr éia^um/ (i le S^un/ce deé otôobeuu cêteheuâCJ.

én ajiprecmf li'omma^e ^ae^e vaUd fuj de ce l/viv, daignez/, * Cjtcout) SC()'-' 1 alùeiw tOUd utta; a ^uc il edf deàtwie la ^race de ne (Aercler, cowvme witâ, ftt.-e 0téu SÇ lmùé?<ef deà amedj z, 1,1

yu cfv/ed æv-otr a/mionce atta7 auâreJ IGv!e ou la Bonite itouverte du d<alu/, cl ne doÚml jtad etlaY= l y med r^rau/ued. 0emtMuiez/ jtour , daored, l::mactt tude da/M<4 l,zcco/m^il^&?nen/ de

(1) CHRYSOSTOME signifie bouche d'or. On a donné ce nom à ce saint à cause de son éloquence.

fmy c/ev-owJj fa ^K^iaùce/nc& dcvrti feo efireiwed, fa, fvrud&nce eù ëI-wrto-ui feàjfirtf de cAcvnùe e £ dwuon, t jlu dranl f&f eu¡zk en eÁ cAanf d eœemfife, lù meriùeûtf ùowf defe. cAdiu^I/ àoih-iî.

J.-X. ilctu.

AVERTISSEMENT.

Nous ne manquons pas de bons ouvrages sur la prédication ; mais les uns sont déjà anciens et ne répondent plus aux besoins du temps ; les autres ne traitent que quelques parties de l'éloquence de la chaire et négligent tout le reste, ou bien ne sont que des recueils de pièces qui ont les mêmes inconvéniens. Parmi les ouvrages modernes, celui du cardinal Maury est le plus en réputation ; son Essai sur VÉloquence de la chaire est cependant loin de satisfaire les vœux du clergé : on peut dire qu'il n'est pas assez ecclésiastique. L'auteur y parle un peu trop souvent a l'orateur chrétien de sa gloire et de sa renommée. Nous ne

connaissons pas de livre, sur cette matière, qui puisse faire plus de mal a un jeune prêtre, parce que les maximes académiques, que l'auteur goûtait un peu trop, s'y trouvent mêlées aux bons préceptes.

Aucun de ces ouvrages, sans en excepter ce dernier, ne présente un traité complet qui renferme toutes les parties de l'éloquence de la chaire avec une étendue suffisante. Tous contiennent d'excellentes choses dont on peut profiter pour la perfection de l'art oratoire; mais il fallait, pour rendre ces choses plus généralement utiles, les extraire, les réunir et les lier pour en former un corps méthodique Ae préceptes sur la prédication ; c'est ce que nous avons entrepris de faire. Notre travail n'est cependant pas une simple compilation. Aux extraits des auteurs nous avons ajouté nos propres réflexions ; et ce que nous n'avons pas trouvé dans nos devanciers, nous avons essayé de le composer, laissant a d'autres plus habiles le soin de perfectionner ce que nous n'avons

fait qu'ébaucher ou indiquer. Usant du droit commun a tous les écrivains, nous avons modifié, abrégé ou étendu nos emprunts selon qu'il convenait a notre but ; nous avons adapté aux circonstances actuelles ce qui ne s'y rapportait pas. Aux préceptes nous avons joint de nombreux exemples pris dans les meilleurs modèles. Aux principes généraux , qu'on trouve assez communément dans tous les auteurs, nous avons eu soin d'ajouter des détails qui aideront a en faire l'application

Aux leçons des plus célèbres maîtres de l'éloquence, nous joignons celles des saints et des hommes apostoliques ; nous faisons connaître leurs sentimens et nous citons leurs exemples. Les bénédictions que Dieu a répandues sur leurs travaux font assez voir que l'Esprit-Saint les dirigeait. Ce serait une folie de croire qu'on peut mieux faire qu'eux. Ils ont atteint le but principal de la prédication, qui est la conversion des ames.

Devons-nous chercher autre chose? Leurs

maximes sont le fruit d'une longue expérience dans le saint ministère. Ce serait une témérité que de vouloir leur opposer celles d'un monde frivole qui ne connaît rien dans les choses de Dieu. Ils sont nos maîtres ; suivons leurs pas et nous arriverons aux mêmes résultats, c'est-à-dire qu'en sauvant nos frères nous nous sauverons nous-mêmes, au lieu qu'en écoutant ceux qui ont l'esprit du siècle, nous ne convertirons personne, et nous perdrons nos ames.

Nous n'avons rien négligé pour rendre notre travail utile aux orateurs qui débutent dans la carrière de la prédication. Puissent nos efforts contribuer a conserver les bonnes traditions de la chaire et les vrais principes sur la manière d'annoncer avec fruit la parole de Dieu!

X JU. jD. <6.

PLAN GÉNÉRAL DE L'OUVRAGE.

TOME PREMIER.

CHAPITRE Ier. De l'éloquence en général.

— II. De l'éloquence de la chaire.

— III. De la science nécessaire à l'orateur sacré.

— IV. Des vertus du prédicateur.

— V. Des différens objets, et des différentes formes et circonstances de la prédication.

— VI. Du discours sacré et de ses différentes parties.

TOME SECOND.

CHAPITRE VII. De l'instruction, et des moyens oratoires d'éclairer et de frapper les esprits.

— VIII. Des sentimens, et des moyens oratoires d'émouvoir et de toucher les cœurs.

— IX. Du style oratoire.

— X. De la composition.

— XI. De la mémoire.

— XII. De l'action oratoire.

LES VRAIS PRINCIPES

SUR

LA PRÉDICATION,

ou

MANIÈRE D'ANNONCER AVEC FRUIT LA PAROLE DE DIEU.

"*"'

CHAPITRE PREMIER.

DE L'ÉLOQUENCE EN GÉNÉRAL.

1. La parole a été donnée à l'homme pour exprimer ses pensées et manifester ses sentimens. Ils peuvent être exprimés d'une manière simple et inculte, ou avec art et selon les règles de la littérature.

2. C'est ce qui fait qu'on distingue deux sortes de discours : le discours inculte et le discours cultivé. Un homme qui n'a point reçu d'éducation ne parlera pas comme un homme qui a fait de bonnes études. Un sauvage ne s'exprimera pas comme un homme civilisé.

But de la parole.

Il y a deux sortes de discours : l'inculte et le cultivé.

3. Les pensées et les sentimens peuvent être exprimés avec plus ou moins de force, plus ou moins de perfection, selon les dispositions naturelles, selon les connaissances et le talent de ceux qui parlent. Quand on exprime ses pensées d'une manière faible, désagréable ou vicieuse, on ne produit point d'effet. Quand, au contraire, on parle avec force, avec convenance et agrément, on frappe les esprits, on remue les cœurs et on obtient de grands résultats.

Dans ce dernier cas, on est éloquent; on ne l'est nullement dans le premier. Ainsi, l'éloquence est le talent de convaincre et de persuader, ou, en d'autres termes, la faculté d'agir sur les esprits et sur les cœurs par la parole.

4. Voulez-vous savoir, ditM. Pérennès (1), si un orateur a été réellement éloquent : c'est en

(1) Principes de littérature mis en harmonie avec la morale chrétienne. 1837. 1 vol. in-8°. L'apparition de cet ouvrage, dans le temps où nous sommes, fait voir que les traditions du bon goût ne sont pas perdues en France. Il est donc encore des littérateurs judicieux qui savent lutter contre le torrent du mauvais genre, loin de s'y laisser entraîner ! C'est avec une vraie satisfaction que nous avons parcouru les pages éloquentes où M. Pérennès, en traitant sa matière , le fait avec un talent si remarquable , qu'on

Ce que c'est que l'éloquence.

Marques de l'éloquence.

vous-même que vous en trouverez l'indice le plus sûr. Si vous êtes demeuré froid en l'écoutant ; si vous vous êtes trouvé assez calme pour vous occuper de son élocution et de son geste; si, après l'avoir entendu, vous n'éprouvez en vous que le plaisir que laisse une musique agréable, tenez pour certain que cet orateur n'avait pas le génie de l'éloquence, et qu'il manquait de la partie essentielle de son art. Mais si, pendant qu'il parlait, vous vous êtes senti profondément remué ; si, uniquement frappé des choses qu'il exprimait, vous n'avez pas eu le loisir de songer à sa diction ; s'il vous a entraîné, tout palpitant, dans sa course; si, à mesure qu'il parlait, la lumière de la vérité a brillé à vos yeux ; si votre imagination s'est en-

peut dire qu'en donnant la leçon ses paroles mêmes sont un modèle.

Nous n'avons pu concevoir dans un auteur si estimable la phrase suivante de la page 80 : « Comme « la médisance est l'occupation ordinaire de la so« ciété, on doit s'étudier à l'aiguiser, à l'envelopper « d'une forme louangeuse pour la rendre plus at« trayante, à la voiler sous un mot obscur ou équi« voque, pour ménager le plaisir de la deviner. Il Il nous semble qu'elle n'est guère en harmonie avec la morale chrétienne.

flammée, si votre cœur s'est attendri, si votre poitrine oppressée a laissé échapper des soupirs et des sanglots, si des larmes involontaires ont humecté vos yeux, oh ! soyez-en sûr, cet homme avait reçu de la nature cette puissance secrète qui subjugue les esprits et les cœurs.

5. Comme on distingue deux sortes de discours, on distingue aussi deux sortes d'éloquence : l'éloquence naturelle ou inculte, et l'éloquence cultivée. La première vient de la nature, la seconde vient de l'art, ou plutôt est dirigée et perfectionnée par l'art; car l'art ne donnerait pas l'éloquence à celui qui n'y aurait pas des dispositions naturelles.

6. On peut donner pour exemples d'une éloquence inculte le discours des députés Scythes, reprochant énergiquement à Alexandre son ambition démesurée, et celui du paysan du Danube, parlant au milieu du sénat romain, avec l'austère franchise d'un homme qui croit n'avoir rien à dissimuler, parce que sa cause est juste.

7. Les productions oratoires d'un homme dont l'esprit est cultivé ne sont plus seulement le résultat, d'une inspiration soudaine et d'une émotion subite, mais aussi le fruit d'une longue à

Il y a deux sortes d'éloquence.

Exemples de l'éloquence inculte ou naturelle.

De l'éloquence cultivée.

méditation. La pensée naît d'abord dans l'esprit par l'étude et la réflexion. Elle s'élabore par degré dans l'intelligence, les facultés s'échauffent et s'animent. Bientôt les idées et les sentimens se produisent au-dehors. Les expressions sont encore incomplettes et confuses ; mais peu à peu elles se perfectionnent, les mots se choisissent et s'arrangent, et les phrases se mesurent avec art. On ne marche plus au hasard, on se propose un but, on calcule les moyens les plus sûrs d'y atteindre ; on se trace d'avance un plan où sont habilement coordonnées toutes les parties du sujet qu'on veut traiter. On profite de l'expérience de ceux qui ont précédé pour éviter leurs défauts et reproduire leurs beautés.

Alors les ouvrages de l'esprit portent ce caractère de simplicité et ce naturel qui appartiennent au premier âge des peuples, et l'éloquence devient un art qui a, comme tous les autres, sa théorie et ses règles.

8. Quand l'éloquence est portée à sa perfection et qu'on sait profiter des circonstances, elle produit des effets merveilleux. C'est ce que l'histoire nous atteste. Chez les Grecs, Périclès ose entreprendre de gouverner le peuple athénien, ce peuple impatient de tout joug, et que

Dos effets dfi l'éloquence.

Périclès

des armées n avaient pu conquérir; sans autre force que l'éloquence, il soumet au frein la nation la plus remuante et la plus jalouse de ses droits qui fut jamais; et, malgré les envieux, malgré l'ombrageuse susceptibilité de ses concitoyens, il règne plus de trente ans dans "Athènes, et ne résigne qu'en mourant la souveraine puissance.

9. Plus tard , le roi de Macédoine, l'ambitieux Philippe, veut envahir la Grèce divisée par des dissensions intestines. La Grèce était à lui sans résistance, s'il ne s'était rencontré dans Athènes un homme qui déconcerta ses projets.

Cet homme c'est Démosthènes. Les Athéniens sont endormis au sein des plaisirs; Démosthènes les réveille avec sa voix forte et tonnante.

Il les réveille au bruit des chaînes que leur prépare Philippe, dont il dévoile les ruses et l'ambition démesurée. Évoquant les souvenirs glorieux de leurs ancêtres, il appelle aux armes tous les citoyens qui accourent à sa voix, et, tout émus encore de ses paroles, vont mourir pour la patrie dans les plaines de Chéronée.

10. A Rome, l'éloquence n'obtient pas de moins beaux triomphes. César, devenu, par le combat de Pharsale, maître suprême de

Démosthènes.

ciéroft.

l'empire, tient entre ses mains le sort d'un grand nombre de citoyens. On vient lui dénoncer Ligarius comme ayant porté les armes contre lui et comme ayant été un de ses ennemis les plus acharnés. César a prêté l'oreille à la délation. Il a condamné Ligarius; la sentence est écrite, elle est irrévocable. Cependant Cicéron se présente pour défendre l'accusé.

César consent à écouter l'orateur; mais il se promet de ne lui rien céder; il se tient en garde contre ses artifices, bien décidé à leur opposer l'arrêt immuable d'une inflexible volonté. Cicéron prend la parole, et César, séduit par le charme de sa diction harmonieuse, s'abandonne au plaisir de l'entendre et de l'admirer. Bientôt l'émotion pénètre jusqu'à l'ame.

Cicéron a fait l'éloge de la clémence, il a peint le plaisir de pardonner. César se sent troublé à ces accens ; son noble cœur s'attendrit ; une larme vient humecter ses paupières; sa sévérité est désarmée; la sentence lui tombe des mains; c'en est fait, Ligarius est absous. L'éloquence l'a sauvé,

l'éloquence a triomphé du maître du monde.

11. Sous le règne de Théodose, les habitans d'Antioche, accablés d'impôts exorbitans, se soulèvent, et, dans leur colère, brisent les sta-

LY'vf'quc Fia vien.

tues de l'empereur et de son épouse. Théodose, en apprenant cet attentat, s'irrite et prépare un terrible châtiment. Les habitans d'Antioche sont consternés et saisis de crainte. Flavien, leur évêque, instruit par saint Jean-Chrysostôme, veut essayer de fléchir le courroux de l'empereur. Malgré sa vieillesse avancée, ses infirmités et ses souffrances, il part pour Constantinople au milieu de l'hiver. Il se rend au palais de Théodose; et là, triste, les yeux en pleurs, la tête voilée comme un coupable, il attend l'arrivée du prince. L'empereur paraît, et le vieillard alors, faisant parler ses gémissemens et ses largies, peint la terreur et le repentir de la ville. Il propose au prince l'exemple d'un Dieu qui prie pour ses bourreaux. Théo dose est attendri ; il pleure avec le vénérable pontife, et accorde la grace des coupables.

(Voyez la harangue de l'évêque Flavien dans le chap. VIII).

12. Lorsque Massillon prêcha pour la première fois son sermon du petit nombre des élus, au moment où, interrogeant ses auditeurs sur l'état présent de leur conscience, il montra le ciel ouvert sur leurs têtes et Jésus-Christ descendant au milieu de sa gloire pour juger les,

Massillon.

hommes, un transport de saisissement s'empara de tout l'auditoire; presque tout le monde se leva à moitié par un mouvement involontaire; le murmure d'acclamation et de surprise fut si fort, qu'il troubla l'orateur, et ce trouble ne servit- qu'à augmenter le pathétique de ce morceau (on le trouvera dans le chap. VII). Voilà les magnifiques triomphes qu'obtient l'éloquence. Est-il étonnant, après cela, qu'elle ail excité l'admiration des hommes et qu'on lui ait attribué des prodiges? (M. PÉRENNÈS).

13. L'éloquence est dans les choses plutôt que dans la langue et dans le style. L'élégance et la ; pureté de la diction ne sont pas l'éloquence ; elles n'en sont que l'écorce.

14. Le but de l'éloquence est de persuader la vérité et la vertu. C'est l'art d'instruire et de persuader les hommes en les portant au bien pour leur bonheur. C'est là son usage légitime.

S'en servir pour autre chose, c'est la détourner de sa fin. Un sophiste, un homme pervers peuvent employer l'éloquence pour persuader l'erreur et l'injustice ; mais cet usage est un abus.

Il en est de l'éloquence comme de la musique et de la poésie, qui ne furent inventées que pour exprimer les passions nobles et les inspirer par

L'éloqucnce est dans les choses plutôt que dans le style.

But de l'élo quence.

le plaisir et les charmes de l'harmonie ; mais les hommes, qui abusent de tout, les employèrent pour exprimer les passions dangereuses et pour les inspirer.

15. C'est aussi abuser de l'éloquence que de se proposer pour fin les ornemens qu'elle n'emploie que comme des moyens. Il ne faut pas, dit Fénélon, faire à l'éloquence le tort de penser qu'elle n'est qu'un art frivole, dont un déclamateur se sert pour imposer à la faible imagination de la multitude et pour trafiquer de la parole. C'est un art très-sérieux, qui est destiné à instruire, à réprimer les passions, à corriger les mœurs, à soutenir les lois, à diriger les délibérations publiques, à rendre les hommes bons et heureux. Plus un déclamateur ferait d'efforts pour m'éblouir par les prestiges de son discours, plus je me révolterais contre sa vanité. Son empressement pour faire admirer son esprit me paraîtrait le rendre indigne de toute admiration. Je cherche un homme sérieux qui parle pour moi et non pour lui ; qui veuille mon salut et non sa vaine gloire. L'homme digne d'être écouté est celui qui ne se sert de la parole que pour la pensée, et de la pensée que pour la vérité et la vertu. Rien n'est plus mé-

Des déclamaLeurs. - Léloquence n'est pas un art frivole.

prisable qu'un parleur de métier, qui fait de ses paroles ce qu'un charlatan fait de ses remèdes.

16. Pour faire sentir la différence qu'il y a entre un déclamateur et un véritable orateur, faisons un parallèle entre Isocrate et Démos-

thènes. Le premier est un froid orateur, qui n'a songé qu'à polir ses pensées et qu'à donner de l'harmonie à ses paroles; il n'a qu'une idée basse de l'éloquence, et il l'a presque toute mise dans l'arrangement des mots : un homme qui a employé, selon les uns, dix ans, et selon les autres, quinze, à ajuster les périodes de son panégyrique, qui est un discours sur les besoins de la Grèce, était d'un secours bien faible et bien lent pour la république contre les entreprises du roi de Perse.

Démosthènes parlait bien autrement contre Philippe. On ne voit dans Isocrate que des discours fleuris et efféminés, que des périodes faites avec un travail infini pour amuser l'oreille, pendant que Démosthènes émeut, échauffe et entraîne les cœurs : il est trop vivement touché des intérêts de sa patrie pour s'amuser à tous les jeux d'esprit d'Isocrate ; c'est un raisonnement serré et pressant ; ce sont des sentimens

Parallèle d'Isocrate et de Démosthènes.

généreux d'une ame qui ne conçoit rien que de grand ; c'est un discours qui croît et se fortifie à chaque parole par des raisons nouvelles; c'est un enchaînement de figures hardies et touchantes : vous ne sauriez le lire sans voir qu'il porte la république dans le fond de son cœur ; c'est la nature qui parle elle-même dans les transports; l'art y est si bien achevé, qu'il n'y paraît point; rien n'égala jamais sa rapidité et sa véhémence. Ecoutez-le et jugez.

Voici un passage de ses Philippiques : « 0 Athéniens, ne croyez pas que Philippe « soit comme une divinité à laquelle la fortune « soit attachée. Parmi les hommes qui parais« sent dévoués à ses intérêts, il y en a qui le cc haïssent, qui le craignent, qui en sont en« vieux. mais toutes ces choses demeurent « comme ensevelies par votre lenteur et votre « négligence. Voyez , ô Athéniens, en quel « état vous êtes réduits ! Ce méchant homme « est parvenu jusqu'au point de ne plus vous « laisser le choix entre la vigilance et l'inaction.

« Il vous menace; il parle, dit-on, avec arro« gance ; il ne peut plus se contenter de ce qu'il « a conquis sur vous. Il étend de plus en plus « chaque jour ses projets pour vous subjuguer;

« il vous tend des pièges de tous les côtés, tandis « que vous êtes sans cesse en arrière et sans « mouvement. Quand est-ce donc, ô Athéniens, « que vous ferez ce qu'il faut faire? Quand est« ce que nous verrons quelque chose de vous ?

« Quand est-ce que la nécessité vous y détermi« nera ? Mais que faut-il croire de ce qui se fait « actuellement? Ma pensée est qu'il n'y a pour « des hommes libres aucune plus pressante « nécessité que celle qui résulte de la honte « d'avoir mal conduit ses propres affaires. Vou« lez-vous achever de perdre votre temps?

« Chacun ira-t-il encore çà et là dans la place « publique, faisant cette question : N'y a-t-il a aucune nouvelle ? Eh ! que peut-il y avoir de « plus nouveau que de voir un homme de « Macédoine qui dompte les Athéniens, et qui « gouverne toute la Grèce? Philippe est mort, « dit quelqu'un. Non, dit un autre, il n'est que « malade. Eh ! que vous importe, puisque, s'il « n'était plus, vous vous feriez bientôt un autre cc Philippe ? » Voilà le bon sens qui parle sans autre ornement que sa force. Il rend la vérité sensible à tout le peuple; il le réveille, il le pique, il lui montre l'abîme ouvert. Tout est dit pour le salut commun. Aucun mot n'est

pour l'orateur. Tout instruit et touche. Rien ne brille. (FÉNÉLON).

17. A force de réfléchir sur les ouvrages consacrés par une admiration universelle, de les comparer entre eux, d'observer le rapport des procédés employés par les auteurs avec les effets qu'ils produisent et avec les besoins moraux et intellectuels de l'homme, on est arrivé à distinguer nettement les défauts et les beautés littéraires, et à constater les moyens généraux d'exciter dans l'ame divers genres d'émotion.

Le nombre de ces observations s'augmentant à mesure que les termes de comparaison devenaient plus nombreux, on en a formé enfin un ensemble complet de règles qui sont comme le code de l'éloquence.

18. Les règles ont pour objet de prévenir et de redresser les erreurs du goût. Car, il faut le dire, la raison développée des peuples civilisés est, en littérature, un guide moins sûr que l'instinct des peuples primitifs. Les conventions sociales, la mode, la satiété, le caprice, la dépravation des mœurs peuvent fausser le goût public. On a vu applaudir, dans certains siècles, des choses fausses, affectées, bizarres, monstrueuses. Les règles sont comme une voix per-

Origine des rè.

gles.

leur usage.

manente qui avertit le génie de ses erreurs, et qui rappelle le goût public, quand il s'égare, aux grands principes du vrai et du beau.

19. Il est facile, en considérant les principales règles de l'éloquence, de montrer qu'elles ne sont que le langage du bon sens éclairé par l'expérience. Pour le faire sentir, bornons-nous à un petit nombre d'exemples pris au hasard.

Que recommandent Cicéron et Quintilien à l'orateur? De n'aborder la tribune qu'après de fortes études, de longues méditations et de patiens exercices ; d'y apporter une ame élevée et sensible, un esprit enrichi de vastes connaissances , une mémoire sûre, un organe flexible et sonore. Ils lui recommandent encore de commencer son discours d'un ton simple, modeste et bienveillant ; d'exposer son sujet avec précision et clarté; d'enchaîner ses preuves dans l'ordre le plus lumineux ; de graduer ses moyens de manière à augmenter peu à peu l'intérêt du discours et l'émotion des auditeurs; d'être réellement ému pour émouvoir les autres, et d'achever, si le sujet le comporte, par des mouvemens passionnés ; de faire entrer dans les cœurs la persuasion à laquelle une insinuation habile a déjà frayé la route. Que recom-

Elles sont la voix du bon sens.

mandent Horace et Boileau aux poètes ? De ne composer qu'autant qu'ils ont reçu du ciel un talent naturel, une aptitude spéciale ; de fortifier leur génie par la lecture et la méditation des bons écrivains de l'antiquité, parce qu'une raison saine et éclairée est le principe et la source de l'art d'écrire; de rejeter dans l'invention le bizarre et le monstrueux, pour s'attacher au vrai et au beau, qui plaisent partout et dans tous les temps ; de mettre chaque chose à sa place, et d'enchaîner par l'unité les différentes parties de la composition; de soutenir l'attention du lecteur par une variété attrayante ; de s'exprimer avec une précision correcte et une élégance harmonieuse; de rejeter les mots - surannés et ceux qui n'ont pas encore la sanction de l'usage; de donner de l'intérêt, de la vivacité et de la vraisemblance aux récits; de faire accorder les actions des personnages avec leur âge, leur condition, leur caractère. Y a-til de l'arbitraire dans ces règles ? Ne sont-elles pas évidemment de tous les temps et de tous les lieux, et tout homme qui compose n'est-il pas tenu de s'y conformer?

20. Il faut avouer que, parmi les zélateurs des règles, quelques-uns, par leurs vues étroites

Bornes de l'usage des règles.

et leur sévérité exagérée, ont décrédité la cause qu'ils défendaient. Ils n'ont pas assez considéré que les règles n'étaient pas des chaînes pour le génie, mais des guides qui, en rendant sa marche plus sûre, ne devaient pas la rendre moins libre. A force de commenter Aristote, et de s'affubler, pour ainsi dire, de son manteau pour régenter les auteurs , ils sont parvenus à rendre ridicule un des plus beaux génies de l'antiquité. Ces critiques minutieux, outre le tort d'avoir souvent mal entendu le texte du philosophe grec, ont eu celui de s'attacher à la lettre de ses préceptes, sans en pénétrer l'esprit. Ils n'ont pas voulu voir qu'il y a entre la littérature ancienne et la littérature moderne des différences dont il faut tenir compte dans l'application des règles, et qu'il est certains cas exceptionnels où les règles mêmes fléchissent en faveur du génie, et où, comme à la guerre, le succès justifie l'audace. « La principale rè« gle, a dit Racine, est de plaire et de toucher ; « les autres ne sont faites que pour arriver à cette première. » Le sévère Boileau lui-même a dit en parlant des règles : Quelquefois dans sa course un esprit vigoureux, Trop resserré par l'art, sort des règles prescrites , Et de l'art même apprend à franchir leurs limites.

On voit que ces deux grands maîtres ont fait une assez large part à la liberté dn génie. Quand il y a, dit La Harpe, tel ordre de beauté qu'on ne peut atteindre qu'en commettant telle faute, quel est alors le calcul de la raison et du goût ?

C'est de voir si les beautés sont de nature à faire oublier la faute, et, dans ce cas, il n'y a pas à balancer.

21. Loin d'arrêter l'essor du talent, les règles l'obligent, par les difficultés qu'elles lui opposent, à déployer toutes ses forces, sans se laisser entraîner dans des écarts stériles, et à présenter ce mélange heureux de puissance et de goût qui plaît tant à l'esprit. Le coursier dressé n'en est pas moins beau sous le frein qui le guide. Le joug que les règles imposent n'est autre que celui de la raison et du goût, et tout orateur raisonnable doit s'y soumettre. Si Shakespeare, pour lequel on a aujourd'hui tant d'engouement, avait connu les règles de la littérature comme Corneille, Racine, Lafontaine et Fénélon; s'il avait médité comme eux les chefs-d'œuvre de l'antiquité, il eût évité ces inégalités choquantes , ces bizarreries , ces grossièretés qui déparent ses plus beaux ouvrages, et son génie, long-temps inconnu ou

Les règles arrêtent les écarts du génie et le dirigent.

contesté parmi nous, en eùt brillé d'un éclat plus vif et plus durable. Mais ces fautes, que l'on pardonne à un auteur qui vécut dans un siècle à demi-barbare, ne sauraient être tolérées chez une nation délicate et polie. Les œuvres de l'esprit doivent avoir un degré d'élégance et de politesse proportionné aux lumières et aux mœurs du siècle où elles se produisent, et ce serait faire injure à la raison et au goût de notre époque que d'aller chercher aujourd'hui des modèles dans des temps barbares (M. PÉRENNÈS).

22. Si, pour être éloquent avec perfection, le talent ne suffit pas sans les règles, on peut dire aussi que ce serait en vain qu'on étudierait les ( règles pour être éloquent, si l'on manquait de talent. A quoi sert de connaître la théorie de l'éloquence, si l'on est incapable d'en profiter ?

Ceux qui ont excellé dans la littérature avaient certainement, avant de se livrer à l'étude des règles et des modèles, des dispositions naturelles pour s'exprimer avec force et élégance.

Les règles n'ont fait que diriger et perfectionner leur génie. D'où vient que, malgré la multitude des préceptes et des bons modèles, on voit aujourd'hui tant d'écrivains et d orateurs médiocres , sinon parce que le grand nombre

Les règles , sans le talent, ne suffisent pas pour être eloquent.

veulent écrire et parler en dépit de la nature qui ne leur a point accordé le don de l'expression ou celui de la parole ?

23. Cependant, pour ne pas exagérer, il faut avouer que, dans le cas même où l'on n'aurait pas de dispositions pour l'éloquence, la

connaissance des règles ne serait pas inutile.

D'ailleurs, il y a des personnes qui, ayant des dispositions, ne sont pas appelées à les développer et à les perfectionner. La connaissance des règles sert à tous, même à ceux qui n'ont pas de talent. Elles forment leur goût et les mettent à même de bien juger les productions de l'esprit et les discours des orateurs. On voit toujours plus loin quon ne peut aller, et Von juge mieux qu on ne peutfaire. C'est une jouissance, pour celui qui connaît les règles d'un art, de savoir apprécier les bons ouvrages et de sentir leurs beautés.

24. Rien n'est plus important que de se bien former le goût. Sans cela on court risque de prendre dans les auteurs ce qu'il y a de moins bon et d'imiter leurs défauts. On admire ce qui est à reprendre et on critique ce qui est à louer.

25. Il y a dans l'art, dit La Bruyère, un point de perfection comme de bonté ou de ma-

La connaissance des règles est utile à tous.

Nécessité de se bien former le goût.

On dispute des goûts avec fondement.

turité dans la nature : celui qui le sent et qui l'aime a le goût parfait ; celui qui ne le sent pas, et qui aime en deçà ou au-delà, a le goût défectueux. Il y a donc un bon et un mauvais goût, et l'on dispute des goûts avec fondement.

Comme il y a beaucoup plus de vivacité que de goût parmi les hommes, il y a aussi très-peu d'hommes dont l'esprit soit accompagné d'un goût sûr et d'une critique judicieuse. On ne réfléchit pas assez avant de louer ou de blâmer, et la critique écoute bien plus souvent l'opinion et le goût dominant du siècle que les vrais principes et la saine raison. Il faut du calme pour bien sentir, et de l'attention pour bien juger. Ce n'est pas une petite affaire que de se garantir des influences extérieures qui faussent le goût et égarent le jugement, surtout dans certaines époques et dans certaines positions. Il est bien difficile d'écouter le pur bon sens et d'entendre la vérité, quand l'opinion, l'éducation ou l'autorité des maîtres et des auteurs renommés les contredisent.

26. Le goût en général est le sentiment du beau et du vrai (1). Il est dans l'ordre intellec-

(1) Le goût, dit M. Pérennès, que nous ne faisons qu'analyser dans ce qui suit, est une faculté

Définition du goût littéraire.

tuel ce que la conscience est dans l'ordre moral. Le goût littéraire est la faculté de sentir, de discerner et d'apprécier les beautés et les défauts des ouvrages de l'esprit. Il y a beaucoup d'analogie entre ce goût intellectuel et le goût physique par lequel nous distinguons la saveur de nos alimens, et cette métaphore se trouve dans presque toutes les langues. Le goût de l'ame, comme celui du corps, reçoit de ce qui est bon un sentiment de plaisir, et il rejette comme lui avec soulèvement ce qui est mauvais. Il y a des gourmets qui reconnaissent promptement le mélange de deux liqueurs ; de même, l'homme d'un goût exercé verra d'un coup d'œil le mélange de deux styles ; il verra un défaut à côté d'un agrément.

27. Le goût physique d'un homme bien

mixte, composée à la fois de jugement et dcsentiment, C'est la faculté de sentir, de discerner et d'apprécier les beautés et les défauts d'un ouvrage. Celui qui a dit que le goût est la connaissance du vrai et du beau a donc donné une définition incomplète : en effet, il ne suffit pas, pour avoir du goût, de voir les beautés d'un ouvrage ; il faut encore les sentir et en être touché. Si l'esprit est juge du vrai , c'est au sentiment qu'il appartient surtout d'apprécier le beau , le sublime et le pathétique.

Du goût dépravé.

portant et bien constitue se fait connaître au plaisir qu'il trouve dans les mets simples et salubres. Lorsqu'on choisit de préférence les alimens qui répugnent aux autres hommes, le goût est dépravé, et c'est une espèce de maladie. De même, dans les arts, la marque d'un bon esprit est d'aimer le simple, le naturel.

Celui qui ne se plaît qu'aux ornemens recherchés , aux sujets qui révoltent les esprits bien faits ; qui préfère le burlesque au noble, le précieux et l'affecté au simple, celui-là a un

mauvais goût. C'est une maladie de l'esprit.

28. Malgré les traits individuels qui distinguent les écrivains selon leur génie, leur nation et leur siècle, ils ont néanmoins quelque chose de commun qui plaît généralement. Des pensées vraies, grandes et morales, des sentimens tendres ou sublimes, des images nobles ou gracieuses, des mouvemens profonds ou pathétiques , des expressions justes, claires et harmonieuses, plaisent dans tous les temps et dans tous les lieux. Un ouvrage dans lequel se trouveront unis l'ordre à la variété, la vérité à la décence, la force à la délicatesse et la raison à l'harmonie, ne peut manquer d'être généralement goûté. Qu'est-ce qui a assuré chez tant

La conformité aux principes communs du vrai et du beau est la règle du goût.

de nations, et depuis tant de siècles, le glorieux succès de l'Iliade, de l'Enéide, et de tous ces grands ouvrages dont s'honore l'antiquité, sinon leur conformité à ce goût universel, qui n'est autre chose que le sentiment et la connaissance du vrai et du beau ?

29. Les écrivains ne sont pas toujours égarés par leur propre faiblesse et par leur incapacité. Souvent ils sont entraînés par le torrent de leur siècle : car le goût, qui a ses époques de développement et de perfection chez un peuple, a aussi ses âges de dépérissement et de décadence.

30. Différentescauses peuvent contribuer à cet obscurcissement intellectuel. La première se trouve dans la nature des choses humaines,

qui ne peuvent rester long-temps au même point, et dans le mouvement incessant des esprits, qui veulent avancer toujours dans les routes ouvertes. Une longue culture amène nécessairement une sorte de raffinement qui est le commencement de la décadence. Peu à peu on se dégoûte de ce qui est simple ; on recherche ce qui est ingénieux et piquant : les grands traits de chaque matière ayant été saisis par les premiers venus, on se jette sur des détails moins

Causes de la dépravation du goût.

I>« CAUSE.

L'instabilité des choses humaines.

heureux. Comme on est obligé souvent de dire des choses déjà exprimées, on songe à les dire d'une manière neuve et originale. Le style devient plus travaillé, plus recherché, et la littérature perd cette première fleur de naturel et de simplicité qui en faisait le mérite.

31. « Le goût, dit Voltaire, peut se gâter chez une nation. Ce malheur arrive d'ordi- naire après les siècles de perfection. Les artistes, craignant d'être imitateurs, cherchent des routes écartées ; ils s'éloignent de la belle nature que leurs prédécesseurs ont suivie : il y a du mérite dans leurs efforts; ce mérite couvre leurs défauts ; le public, amoureux de nouveautés, court après eux ; il s'en dégoûte bientôt, et il en paraît d'autres qui font de nouveaux efforts pour plaire : ils s'éloignent de la nature encore plus que les premiers : le goût se perd ; on est entouré de nouveautés, qui sont rapidement effacées les unes par les autres ; le public ne sait plus où il en est, et il regrette en vain le siècle du bon goût, qui ne peut plus revenir; c'est un dépôt que quelques bons esprits conservent alors loin de la foule. »

32. Une cause de décadence littéraire, dont Voltaire ne parle pas, c'est l'esprit philosophi-

Le goÙt peut se gàler chez une nation.

2mc CAliSE. L'esprit philosophique.

que, ou plutôt l'abus de cet esprit. Lorsqu'on veut tout soumettre au calcul et à la froide raison, le génie languit et l'imagination perd ses ailes. Lorsqu'un froid scepticisme et un sensualisme grossier occupent toutes les ames; lorsqu'on ne croit plus à la vie future et à l'invisible; quand, sous l'influence d'un matérialisme abject, la vie perd ses mystères, la mort ses profondeurs, et l'homme ses divins pressentimens d'immortalité, alors la poésie se dessèche et se glace ; adieu les grandes pensées et les nobles mouvemens de l'ame ! adieu l'inspiration et l'enthousiasme ! L'artiste reste enchaîné dans la matière, et le souffle de Pygmalion ne peut plus animer ses œuvres.

33. Une autre cause qui peut aussi devenir funeste aux arts, c'est la satiété qui naît de la multiplicité même des jouissances intellectuelles.

Un exercice continuel de notre sensibilité sur des objets du même genre aiguise d'abord nos goûts ; mais bientôt il les use , et finit par les émousser. L'ame se lasse de ses plaisirs, comme elle s'endort sur ses peines ; et lorsque les arts sont parvenus à leur plus haut degré de charme, les jouissances qu'ils donnent, si elles sont trop communes, s'attiédissent et n'ont

3>"e CAUSE.

La saticlé.

plus aucun attrait. Dans la Grèce, où la tragédie était réservée pour les grandes fêtes, le goût d'une belle simplicité pouvait se conserver toujours; mais, dans un pays où depuis deux cents ans le même genre de spectacle se reproduit sans cesse, où une habitude journalière en a rendu tous les moyens familiers, tous les tableaux présens, est-il possible que le goût conserve encore quelque vivacité, à moins qu'il ne varie, et que l'art ne change avec lui ! Or, cette variation continuelle , quand on a trouvé le beau, ne peut que précipiter la décadence.

34. Parmi les causes de la corruption du goût, il faut encore mettre au premier rang l'incrédulité, dont nous avons déjà dit quelque chose, et la dépravation des mœurs. Les époques où les sociétés, dominées par un esprit de vertige et de désordre, se soulèvent contre toutes les autorités, et brisent le frein des bienséances, des mœurs et des lois, sont toujours des temps de décadence intellectuelle.

Quand les vérités religieuses sont méconnues , il est difficile que les vérités littéraires soient respectées, et le goût du beau survit rarement à l'amour du bien. On voit alors de jeunes et

4»'o CAUSE.

L'incrédulité el la dépravation des mœurs.

audacieux écrivains, enveloppant dans le même mépris l'exemple des anciens, l'autorité des règles et le jugement des bons esprits, se livrer sans scrupule à tous les caprices d'une imagination déréglée, et se consoler, par les applaudissemens de la foule, des reproches sévères que leur adresse une critique impartiale.

Aveugles, qui ne voient pas que, dans les temps de désordre surtout, le grand nombre n'a pas toujours raison en matière de goût. Il est sans doute certaines beautés que la foule sentira vivement; mais les convenances et les finesses de l'art lui échapperont, et elle pourra donner son approbation à de mauvais ouvrages.

Toutes les voix qui applaudissent ne doivent pas être comptées, et un auteur en garde contre l'orgueil trouverait de quoi s'humilier dans ses plus grands succès. Les uns ne louent un bon ouvrage que pour ce qu'il a de moins estimable, et même pour ses défauts; d'autres ne sont que des échos, et plusieurs, enfin, ne louent que pour se faire honneur et se donner un air d'intelligence et de capacité. D'ailleurs, n'est-on pas toujours sûr d'obtenir les suffrages de la multitude, en flattant ses sentimens et ses préjugés, comme le font quelques écrivains?

A ce rôle honteux qui avilit l'art, à ces lâches complaisances, à ces adulations sans pudeur , prodiguées aux plus ignobles passions, opposez la noble constance, la ferme intégrité de ces écrivains consciencieux qui ne faillirent pas à la mission du génie, qui est de devancer et d'éclairer la multitude, et non de la suivre et

de ramper sur ses traces.

35. M. de Boulogne fait les mêmes réflexions dans son Discours sur la décadence de l'loquence en France. Ce que nous apprennent

l'expérience de tous les temps et l'histoire de tous les peuples , c'est, dit-il, que les talens et l'art d'écrire sont soumis nécessairement au caractère national, à l'esprit dominant du siècle, à l'influence des doctrines et des mœurs régnantes; c'est que la perfection de la littérature a toujours suivi la perfection de l'ordre social, et que, quand celui-ci déchoit et dégénère, l'autre également se dégrade et se détériore ; c'est que, partout où le luxe corrompt les mœurs, les mœurs aussi à leur tour corrompent les discours, et que la même cause qui avilit les sentimens affaiblit aussi le langage ; c'est que , quand la religion est attaquée, le génie lui-même est attaqué dans sa source et dans son prin-

Réllexions de M. de Boulogne sur le même sujet.

cipe, et que, partout où elle a été méprisée, les peuples en ont été punis par la barbarie ; c'est que l'art de bien écrire tient radicalement à l'art de bien penser, et que, partout où il n'y a plus de bases sûres dans les croyances et dans les opinions, il n'y en a plus dans le style ni dans le langage ; c'est enfin que, plus un siècle penche vers la philosophie, vers l'esprit raisonneur et l'amour des systèmes, plus le génie baisse et plus le talent s'appauvrit. Ainsi, avec les beaux jours de leur gloire et de leurs vertus, Athènes et Rome perdirent leurs grands poètes et leurs grands orateurs. L'esprit raisonneur enfanta les sophistes , et après les sophistes suivirent les rhéteurs et les déclamateurs. Ainsi l'a voulu la nature, ou plutôt la Providence ; et rien sans doute n'est plus digne d'elle, que de mettre une telle harmonie et une telle connexion entre les lumières de l'esprit et les affections de l'ame, que celles-ci ne -puissent se dérégler, sans que les autres ne pâlissent et ne finissent par s'obscurcir; et c'est ainsi qu'elle punit la corruption et l'impiété d'un siècle par la perte des lettres , et la mort des vertus par celle des talens.

36. Nous pouvons maintenant expliquer la décadence fatale de notre gloire littéraire. Qu'est

Le défaut de principes fixes est la cause de

devenu, entre nos mains, cet héritage magnifique que nous a légué le grand siècle, et quel fruit en avons-nous retiré? Quel vent brûlant a desséché le sol de notre littérature et l'a frappé de stérilité ? Et à quoi donc attribuer cette honteuse médiocrité à laquelle notre siècle, tout superbe qu'il est, se trouve condamné? Ce ne sont plus les lumières qui lui manquent; car, s'il faut en croire ses vanteries, jamais notre horizon n'a été plus resplendissant de clartés.

Ce n'est point son asservissement aux préjugés vulgaires qui paralyse ses efforts et l'arrête dans ses élans ; jamais il ne s'en est plus affranchi, et il n'a plus secoué ce qu'il appelait ses chaînes.

Ce n'est pas défaut d'indépendance et de liberté dans les opinions; jamais les écrivains n'ont éprouvé moins d'entraves, et jamais il ne leur a été permis de s'émanciper davantage. Ce qui nous manque, ce sont les maximes fixes et invariables de la religion. Il n'y a plus de règle dans les ouvrages, parce qu'il n'y en a plus dans les principes. La philosophie a corrompu les maximes, les maximes ont corrompu les mœurs, les mœurs ont corrompu les discours. Voilà la triste gradation par laquelle nous avons passé, et qui nous a conduits à cette fausse position

l'état actuel de la littérature.

littéraire, politique et morale où nous sommesaujourd'hui placés; de sorte qu'à travers cette triple anarchie, et ces déviations de tout genre, et cette confusion de toutes les idées, et ce déplacement de toutes les bornes, lancés dans ce chaos de règles sans application et dans ce labyrinthe de routes sans issue, tous les esprits vont au .hasard, incertains de leur but comme de leurs moyens, et les talens eux-mêmes ne peuvent plus se retrouver et ne savent plus se reconnaître.

37. L'éloquence ne soutint sa gloire parmi nous que jusqu'à la mort du grand roi. A cette époque la corruption publique commença la dégradation littéraire. L'esprit philosophique et académique la continuèrent. Elle fut consommée par l'esprit révolutionnaire.

38. Ce fut surtout vers le milieu du dix-huitième siècle que, le mal empirant d'une manière bien sensible, l'éclipsé du goût devint presque

totale, et que sonna, pour ainsi dire, l'heure de la puissance des ténèbres. C'est de cette époque que date, à proprement parler, l'ère philosophique, ou, comme l'appellent certains écrivains de nos jours, l'ère des idées, c'est-àdire le règne de cet esprit systématique et rai-

Histoire de la littérature moderne, depuis Louis XIV jusqu'à la révolution.

Première époque de la décadence de la littérature en France.

sonneur, qui prend le doute pour l'autorité, le calcul pour la sagesse, l'exaltation pour le talent; et qui, après avoir anatomisé la pensée, voulait encore anatomiser le langage. C'est alors que le siècle commença à marcher, c'està-dire à s'éloigner du grand chemin, à prendre les routes écartées (dût-il s'y égarer et nous y perdre avec lui), et à courir après la nouveauté, idole de ces esprits vains et superbes, qui se croient éclairés parce qu'ils sont inquiets, et forts parce qu'ils sont ardens, passionnés et enthousiastes.

39. C'est à peu près à cette époque que l'Académie française, dégénérant de l'esprit de sa première institution, devint un tribunal philosophique qui entreprit de commander à l'opinion, de maîtriser la direction des esprits, et de dispenser souverainement les renommées et les talens, les faveurs mêmes de la fortune. 0 heureux temps pour les philosophes, où seuls ils possédaient la clef du temple de la gloire, et où, enfans gâtés des rois assez bons ou assez aveugles pour engraisser des factieux et des ingrats, ils étaient sûrs d'être fêtés et enrichis pendant leur vie, et célébrés encore après leur mort !

40. Le premier arrêt de ce tribunal domi-

Domination de l'esprit académique.

Sous prétexte d'émanciper le

: nateur, et même tyrannique, fut d'émanciper le talent, de l'affranchir des règles ordinaires, et de proscrire l'imitation comme une servitude. L'école du dix-septième siècle fut décriée , nos plus beaux chefs-d'œuvre dépréciés; Racine fut sacrifié à Voltaire; Bossuet ne fut plus qu'un déclamateur, Boileau un poète sans verve, le grand Rousseau un mince versificateur. Les dieux du jour effacèrent tout ; et ces fiers législateurs, craignant d'être copistes, abandonnèrent tous nos anciens modèles, dans la folle persuasion qu'ils devaient être neufs en langage comme ils l'étaient en politique et en morale, et qu'en s'éloignant des opinions reçues ils devaient aussi se frayer de nouvelles routes pour bien écrire et bien parler.

41. En vain le bon sens leur disait-il quY/mter n'est pas copier, et que bien commun serait l'esprit qui ne voudrait avoir rien de commun avec les autres ; en vain le législateur du Parnasse leur disait-il qu'il n'y a plus de nouvelles découvertes à faire en littérature ; en vain la raison leur avait-elle dit, avant lui, que les arts ont leurs limites naturelles qu'on ne saurait franchir sans tout confondre; qu'autant l'esprit d'invention est utile dans les sciences, autant il

talent, il proscril l'imitation comme une servitude.

Justification de l'imitation.

est fatal aux lettres ; qu'on peut faire des découvertes en chimie, en astronomie et en géométrie, mais qu'on n'en fait point dans l'éloquence , dont tous les secrets sont connus, et qu'il n'y en a point d'autres que celui d'étudier nos grands maîtres, dont tout l'art est de cacher celui qu'ils emploient, et de suivre en tout la belle nature. En vain leur montrait-on que , s'il est possible d'être plus éloquent que Bossuet et Fénélon, ce sera toujours en les imitant comme ils ont eux-mêmes imité les anciens ; que même leur grande gloire est qu'on ne puisse les surpasser qu'en les imitant, et en ne devant ainsi qu'à eux-mêmes l'honneur insigne de faire mieux qu'eux. Tous les arrêts de la raison disparurent devant ceux des nouveaux maîtres de la littérature, et les écrivains à leurs ordres n'hésitèrent pas à croire que l'on pouvait mieux faire encore que la nature, le propre du génie étant d'inventer, et non d'imiter. Ils se persuadèrent, à force de penser, que si le cœur ne change point, et s'il est toujours mu par les mêmes passions, ils pouvaient aller à lui par de nouveaux chemins; que ce n'était point au siècle des lumières à recevoir la loi, mais à la faire. Ils firent donc la loi : de nouvelles poéti-

ques parurent, et la même révolution qui se faisait dans les idées se fit aussi dans la manière de les rendre.

42. L'amour des innovations et la manie des réformes produisirent le néologisnze) genre de locution que les bons écrivains dédaignèrent toujours. Les mots changèrent de signification, et furent en perpétuelle dissonance avec les choses. Avec l'esprit analytique et raisonneur se perdit l'art d'intéresser par les graces ou de toucher le cœur par le sentiment. La fausse profondeur prit la place de la netteté et de ce naturel qui est la première qualité du style. Je ne sais quel ton d'oracle, digne du langage des Sybilles, ne fit plus de la raison et de la vérité qu'une science occulte, et des maximes les plus communes que des énigmes et des hiéroglyphes aussi pénibles à écrire que difficiles à comprendre. La finesse ne fut plus que de l'artifice.

On prit le boursoufflé pour le sublime, le bizarre pour l'original. Alors s'accréditèrent à la fois et le ton dogmatique, et la morgue doctrina le , et le langage sentencieux, et les déclamations hyperboliques, et les locutions ambitieuses, pour chercher avant tout, non le sens, mais l'effet; et ces grands mots pour peindre de

Du néologisme et des autres défauts analogues.

petites choses , et ce dégoût pour tout ce qui est simple, signe le plus certain de la décadence du goùt; et ce mépris du sens commun, preuve la plus incontestable de l'appauvrissement de l'esprit.

43. L'esprit d'anarchie vint achever ce que le parti philosophique avait commencé. A force de courir après des illusions et de rêver le beau idéal, on n'a dû rencontrer que le beau chimérique; et, comme on ne faisait plus de la société qu'un roman qui n'a existé nulle part, on ne devait plus faire de la littérature qu'un roman qui n'a existé dans aucun temps. Aussi, c'est à la suite de la révolution que nous est arrivé ce genre de folie qu'on appelle genre ronzantique;) lequel n'a pu que dépraver le goût en corrompant les règles , et devenir ainsi une des causes de notre décadence littéraire. Les romantiques ne veulent plus rien de classique , ou ne veulent de classique que ce qui n'a jusqu'ici appartenu à aucune classe de littérateurs ; et, ne rougissant pas de faire divorce avec les anciens, comme les faiseurs de révolutions renient leurs ancêtres, ils se font gloire de leur nouveauté et un titre de leur inexpérience. Faux esprits, qui croient créer parce qu'ils inventent, ou inven-

Influence de l'esprit révolutionnaire sur la littérature.

Du romantique.

ter, parce qu'ils suivent une route inconnue avant eux : oubliant ainsi que les lettres, comme les nations, ont à conserver leurs traditions héréditaires, et que, sans ces traditions vénérées, les unes et les autres ne peuvent que s'abâtardir. Aussi le genre romantique n'est-il qu'un genre bâtard, qui n'offense pas moins le bon sens que le bon goût. Le grand siècle ne le connut jamais; il l'eût repoussé avec dédain : on n'en trouve aucune trace dans ses écrivains, et il ne pouvait naitre que dans un siècle de fantasmagorie , où il n'y a plus rien de fixe et de certain dans les croyances littéraires comme dans les croyances religieuses, qui aventure tout dans les arts comme dans les lois, et ne fait plus guère qu'un problème de la poétique comme de la morale (M. DE BOULOGNE).

44. Le romantique n'est qu'un pathos inintelligible , un vain cliquetis de mots sans idées, ressource de la médiocrité; les romantiques feignent un enthousiasme qu'ils n'ont pas.

Tout leur génie consiste à violer les règles, à confondre tous les genres, à outrer la nature, à se livrer aux élans désordonnés d'une pensée sans direction et sans but. C'est un genre de composition qui manque de vérité dans la pein-

Idée du romantique.

ture des mœurs, et dans lequel l'exagération des sentimens s'unit d'ordinaire à l'invraisemblance 1 des événemens.

45. En jetant un coup d'œil sur les œuvres des écrivains de l'école nouvelle, dit M. Péren- i nés, on est frappé d'une certaine couleur de style qui leur est commune, et qui ne se trouve pas dans les ouvrages de nos grands maîtres. Leurs poésies ont des traits frappans de ressemblance avec celles qui ont été composées sous le ciel brumeux du Nord. Même vague dans les idées, mêmes indécisions dans les formes et dans l'harmonie ; ce n'est pas la grace et la beauté qu'ils cherchent, mais l'énergie et la sublimité qu'ils n'atteignent pas toujours. Leurs images, ordinairement tristes et sombres, semblent empruntées à une nature froide et stérile, ou du moins à des saisons, à des heures, à des objets qui ont quelque chose de mélancolique. C'est le vent qui gémit, la feuille qui tombe emportée par l'aquilon, le météore qui brille dans les airs, le feu-follet qui voltige au-dessus des marais, le torrent qui mugit, la nuit qui s'avance, les étoiles qui scintillent dans les cieux , la lune qui s'élève à l'horizon, le phare qui brille sur le rivage au

Couleur commune des écrivains romantiques.

milieu de la tempête , le navire qui flotte sur les mers, l'algue marine ballottée par les vents et les ondes; ce sont des monastères, des châteaux, des souterrains, des églises gothiques où veille la lampe mystérieuse, des ruines tapissées de lierre et de mousse, et habitées par la chauvesouris et le hibou. C'est enfin la cloche rustique qui se balance dans les airs, la voix du désert qui gémit, ou celle de l'ouragan qui gronde.

46. Les sentimens exprimés par les romantiques sont presque toujours douloureux et mélancoliques ; leur muse est la muse de la rêverie ; ils aiment à exprimer les émotions intimes de l'ame, les vagues regrets, les souvenirs et les pressentimens. Ils poussent une plainte continuelle sur le sort de l'homme ; ils gémissent sur la fuite du temps, sur le vide des plaisirs de la terre, sur toutes les déceptions de la vie ; ils appellent un bien idéal que l'homme rêve toujours et qu'il n'atteint jamais ici-bas; ils méditent sur la destinée humaine ; ils interrogent le berceau et la tombe, et cherchent à percer le mystère de l'autre vie.

47. Le merveilleux qu'ils emploient n'a pas moins de rapport avec la poésie du Nord et là mythologie Scandinave. Les faunes, les syl-

Leur genre est ordinairement sombre.

Ils imitent les écrivains du Nord.

vains, les nymphes, les muses et les graces sont bannis de leurs vers ; mais on y voit figurer les géants, les nains, les fantômes , les démons, les lutins, les sorcières et les fées.

Leur imagination aime à peindre les scènes funèbres, et à s'occuper des puissances malfaisantes. Enfin ils affectionnent particulièrement tout ce merveilleux du moyen-âge, et ces superstitions populaires qui ont beaucoup de rapport avec la mythologie des peuples du Nord. Ils n'imitent ni les Grecs ni les Latins; mais ils imitent Ossian, Shakespeare, Young, Schiller, Goëte, Byron et autres auteurs du même genre. Ils n'empruntent pas aux beaux siècles de la littérature, mais ils empruntent à des siècles dégénérés. Ils prennent leurs modèles dans les littératures anglaise et allemande. Aux défauts et aux vices littéraires de leurs dévanciers, ils ajoutent leurs propres travers. On trouve dans leurs écrits des néologismes, des constructions forcées, de bizarres alliances de mots, des acceptions étranges de termes, des images incohérentes, des sentimens exagérés. Ils rabaissent l'art littéraire jusqu'à l'imitation d'une nature triviale et vulgaire ; ils torturent la langue et expriment

des idées vagues et confuses, sans précision et sans harmonie. Triste image de la situation des esprits après une révolution qui a tout bouleversé dans l'ordre de la littérature, aussi bien que dans celui de la religion et de la politique.

48. Non, il n'y a plus de règles ni de principes dans la littérature actuelle. A part quelques écrivains qui ont conservé les bonnes traditions, où trouverez-vous dans les livres qui sont aujourd'hui en possession de la vogue cette raison judicieuse et éclairée , qui dirige ses conceptions vers un but unique, qui coordonne d'après un plan arrêté les diverses parties d'une composition, et en fait un tout harmonieux et régulier? Où trouverez-vous cette force calme, qui se modère elle-même, qui gradue habilement ses moyens et les fait tous converger vers une impression unique et profonde ? Où trouverez-vous cette sainte dignité du talent, qui pense que le pouvoir de créer ne lui a été donné que pour réveiller dans l'esprit et le cœur des hommes de nobles idées et des sentimens généreux ? Où trouverezvous , enfin, ce sentiment exquis des bienséances, qui n'admet dans les œuvres littéraires

Délire do la littérature actuelle.

rien qui puisse blesser la décence et faire rougir la pudeur? L'affectation, l'invraisemblance, la bizarrerie, l'immoralité ont envahi tous les genres. Là où vous espériez trouver une œuvre de conscience et d'étude, vous ne rencontrez le plus souvent qu'une production hâtive et désordonnée, dont les diverses parties se heurtent plutôt qu'elles ne s'assemblent, et à laquelle le hasard semble avoir présidé. Telle pièce qui a été vantée dans les journaux , ne peut se lire en bonne compagnie. Il est tel roman dont le titre seul révolte. Au théâtre , le mélodrame, avec son sanglant et hideux cortège, a remplacé les chefs-d'œuvre des Racine et des Corneille. Ce sont les mœurs de la dernière classe du peuple que l'on se plaît à reproduire ; c'est dans les hôpitaux, les prisons, les bagnes, et jusque sur l'échafaud, qu'on va chercher des sujets de drames. Enfin, nos auteurs semblent saisis d'un vertige qui les fait courir après le laid avec autant d'amour qu'on en montrait autrefois pour le beau, et la critique elle-même semble avoir perdu les traditions du bon goût.

49. Cependant des règles qui ont dans tous les temps obtenu l'assentiment général sont

Folie de sïicartcr des règles.

évidemment la voie de la raison et de la vérité.

Prétendre aujourd'hui s'en affranchir, n'est-ce pas s'inscrire en faux contre le témoignage de tous les siècles, et préférer son opinion individuelle et son jugement isolé à l'opinion et au jugement de tous les hommes qui ont fait honneur à l'humanité par la puissance de leur génie et l'étendue de leur intelligence ? Encore, si ceux qui ont recueilli les lois qui régissent les productions de l'esprit avaient été uniquement des hommes de spéculation; s'ils étaient demeurés totalement étrangers à la pratique de l'art, on pourrait soupçonner d'erreur quelques-uns de leurs jugemens. Mais comment récuser l'autorité d'Horace, de Vida, de Boileau, en matière de poésie ; celle de Cicéron, de Longin, de Quintilien, de Fénélon, en matière d'éloquence ? Ces illustres écrivains ne joignaient-ils pas l'exemple au précepte, et n'appuyaient-ils pas de leur propre expérience les observations qu'ils avaient faites sur les œuvres de leurs devanciers ?

50. Il ne faut pas croire que les règles aient été inventées et qu'elles soient sorties un beau jour de la tête d'un philosophe ou d'un rhéteur.

Les génies incultes, qui dans les premiers âges

Les règles n'ont pas été inventées.

s'abandonnaient à une inspiration soudaine, les observaient par un merveilleux instinct, comme les anciens sages pratiquaient l'équité sans connaître la loi écrite. Les règles n'ont pas été faites par les hommes ; elles sont essentielles comme les lois morales : on n'a fait que les apercevoir et en constater l'existence.

51. Malgré le triste état de notre littérature, gardons-nous toutefois d'en désespérer. Comme

un malade qui, dans un accès de fièvre, demande capricieusement un mets inusité, qu'il repousserait s'il se portait bien, dans la crise intellectuelle où nous nous trouvons, nous recherchons les productions bizarres et extraordinaires. Mais le bizarre n'a pour lui que la nouveauté, et la nouveauté est de toutes les fleurs celle qui est le plus vîte fanée. Attendons un jour encore, et le laid, dépouillé de ce vernis qui le déguise, apparaîtra dans toute sa difformité. Après diverses tentatives et des essais plus ou moins .malheureux, on reviendra à ces principes essentiels qui sont aujourd'hui contestés, et l'on brisera avec mépris la honteuse idole qu'on avait encensée dans un moment de délire, pour s'attacher au beau et au vrai, dont les attraits sont impérissables.

Il faut espérer qu'on reviendra au bon goût.

52. C'est par l'éducation bien dirigée qu'on pourra ramener en France le bon goût littéraire ; c'est en écartant de la jeunesse les exemples contagieux qui l'environnent; c'est en l'abreuvant aux sources les plus pures de l'antiquité et en la nourrissant des plus saines doctrines, qu'on pourra lui conserver cette rectitude d'esprit et cette délicatesse de goût qui ne se plaisent qu'à ce qui est vrai et à ce qui est beau. Mais un moyen plus efficace encore, c'est de lui donner des habitudes morales et de la former à l'amour de l'ordre et du devoir ; car les erreurs de l'esprit ont souvent leur principe dans les déréglemens du cœur ; et la religion, qui est une source de vertus, en est aussi une de vérité et de bon goût (M. PÉRENNÈS ).

L'éducation bien dirigée est le moyen de ramener le bon goût littéraire en France.

CHAPITRE II.

DE L'ÉLOQUENCE DE LA CHAIRE.

1. Si jamais il y eut sur la terre une grande et utile institution, dit M. de Boulogne, c'est sans doute celle de la chaire chrétienne, de ce ministère de la parole, dont la religion seule nous a donné l'exemple. Quel plus grand véhicule et pour les talens et pour les vertus ! quel plus bel art que celui qui sanctifie le génie et fait ainsi remonter vers le ciel les lumières et les talens qui en descendent! quel plus sublime emploi que celui de partager avec Dieu même l'empire des cœurs et d'ajouterà l'onction de sa grace par celle des discours ! l'onction ! vraie création du genre apostolique, dont lui seul a fourni le modèle. Non, ce n'est pas ici cette éloquence des anciens, fille de la liberté et de la licence , compagne de la sédition, qui, au jugement de Tacite , ne vivait que d'agitation, ne se plaisait que dans le trouble, dont la gfierre était le pre-

Grandeur du ministère de la chaire.

mier besoin et dont la paix était la mort. C'est cette fille du sentiment et de l'amour, qui, loin d'exalter les passions, travaille à les calmer et à les vaincre ; qui, bien loin de réveiller les haines, n'a pour but que de réveiller les consciences , et, au lieu de chercher dans la guerre son premier élément, fait de la douce paix sa plus belle conquête. Ce n'est point cette éloquence judiciaire, qui, bornée dans ses intérêts, dans ses formes, dans ses moyens, dans ses ressources , dans ses causes et dans ses sujets, l'est également dans son vol ; qui, n'ayant qu'une autorité circonscrite, n'a qu'une hauteur limitée , tracée en quelque sorte par le texte strict, inanimé de la loi; et qui, souvent forcée de se contenir pour l'intérêt même de la justice, ne peut guère imprimer un grand mouvement à la pensée. L'éloquence de la chaire n'a que des sujets sublimes à traiter, des intérêts infinis à défendre, de grands devoirs à inculquer, des décrets éternels à annoncer ; elle ouvre ainsi à l'orateur un horizon sans bornes, où il peut déployer tour à tour le pathétique et le terrible, le sombre et le touchant, et s'élever des formes le0 plus simples aux aspects les plus magnifiques. Ce n'est point cette éloquence théâtrale

et dramatique, qui n'a que des pleurs factices à arracher et de faux sentimens à peindre. Le personnage de l'orateur sacré est aussi saint que celui qui l'envoie, et son rôle aussi vrai que la doctrine qu'il annonce. Ce n'est point ici un sage ni un dissertateur qui discute dans son école l'art de bien vivre, sans vrai moyen pour ranimer la froideur ou vaincre la résistance : c'est un père, c'est un ami qui porte avec lui tout ce qui frappe l'imagination ou réveille le sentiment. Tout parle pour lui, jusqu'au lieu où il se fait entendre, jusqu'aux autels qu'il invoque , jusqu'aux tombeaux qu'il a sous ses pieds. Si, pour être éloquent, il faut avoir autorité , qui peut donc l'être davantage que l'orateur sacré parlant au nom du ciel d'où descend tout empire, voyant disparaître devant lui toutes les conditions comme toutes les gloires, élevant ainsi l'art de la parole à toute sa hauteur et lui imprimant toute son énergie ? Quel ministère remplacera jamais un pareil ministère ?

quelles lois ou quels livres pourront jamais y suppléer ? Qui oserait donc contester l'immense supériorité de la morale prêchée sur la morale écrite ? et, si la parole est la plus noble faculté de l'homme , le plus beau présent qu'il ait reçu

du ciel, n'est-ce pas lorsqu'elle est destinée à produire ce que la raison toute seule ne peut opérer, et à devenir l'interprète de celui qui est la raison même, et la raison de tout ?

Mais si le ministère de la parole est grand par lui-même ; si, par sa seule institution, il peut tout ajouter à la perfection de l'ordre moral et à la dignité de l'esprit humain, lors même qu'il n'est exercé que par des hommes ordinaires, que doit-ce être quand il est rempli par des hommes supérieurs, par des génies du premier ordre , tels que ceux dont la chaire sacrée peut se glorifier, qui, unissant à la grandeur de leur mission la transcendance de leurs talens, exercent ainsi la plus grande puissance morale qui ait été donnée aux hommes ? Aussi, qui de nous n'aime pas à se reporter en esprit vers ce siècle à jamais mémorable, où la chaire chrétienne brillait d'un si vif éclat ? qui de nous n'aime à relire sans cesse ces beaux discours où se trouvent réunis toutes les émotions du cœur et tous les intérêts de l'esprit? qui de nous, après avoir lu ces chefs-d'ceuvre ne dit pas de chacun des auteurs ce qu'Eschine disait de Démosthènes : Que serait-ce si vous l'eussiez entendu lui-même?

2. Qu'il est grand le ministère qui donne droit au plus simple prêtre de faire retentir, du haut de la tribune sainte, aux oreilles des rois, les vérités les plus terribles et les plus salutai-

res ! Vérités qu'aucun courtisan n'oserait ou ne pourrait dire sans danger, et qui viennent naturellement se placer dans la bouche des prédicateurs. Qui n'admire pas tous les jours les nobles et touchantes leçons que Bossuet, Bourdaloue et Massillon donnaient à Louis X IV?

Quel heureux mélange de liberté et de sagesse, de force et de retenue, de courage et de modestie ! Et quels discours que ceux au sortir desquels le plus grand comme le plus flatté des rois était mécontent de lui-même, et se proposait de faire son devoir comme le prédicateur avait fait le sien! Qu'elle est auguste cette fonction qui concilie si bien le respect et la soumission du sujet avec l'instruction du maître, et offre l'avantage sans prix d'opposer au pouvoir suprême un frein d'autant plus fort qu'il est plus doux ou plus persuasif (1)?

(1) L'éloquence sacrée est l'éloquence par excellence.

Ce n'est que dans la prédication que l'éloquence a tout son empire. « Partout ailleurs, dit La Harpe , l'orateur

Il donne le droit de parler aux rois de leurs devoirs.

3. Ce ne fut que sous Louis XIV que l'éloquence de la chaire fut perfectionnée en France.

Dans le principe elle était très-imparfaite. Elle avait même des défauts si graves qu'on ne l'eût jamais vue fleurir avec tant d'éclat si les écrivains du grand siècle, tels que La Bruyère et Fénélon, n'eussent fait justice des travers du temps en les tournant en ridicule, et si l'exemple des Bossuet, des Bourdaloue et de leurs imitateurs n'eût ramené le bon goût. Pour

« est un homme qui parle à des hommes : dans la « chaire, c'est un être d'une autre espèce. Élevé Il entre le ciel et la terre, c'est un médiateur que « Dieu place entre la créature et lui. Indépendant Il des considérations du siècle, il annonce les oracles « de l'éternité. Le lieu même d'où il parle, celui Il on l'écoute, confond et fait disparaître toutes « les grandeurs, pour ne laisser sentir que la sienne.

« Les rois s'humilient comme le peuple devant son Il tribunal, et n'y viennent que pour être instruits.

Il Tout ce qui l'environne ajoute un nouveau poids « à sa parole : sa voix retentit dans l'étendue d'une « enceinte sacrée et dans le silence d'un recueilleIl ment universel. S'il atteste Dieu, Dieu est présent Il sur les autels; s'il annonce le néant de la vie, la « mort est auprès de lui, pour lui rendre témoiCI gnage, et montre à ceux qui l'écoutent qu'ils « sont assis sur des tombeaux. » ( Cours de littérature. )

Histoire de l'éloquence de la chaire en France.

donner une idée des sermons de cette époque, citons ce qu'en dit l'auteur des Caractères.

4. Il y a moins d'un siècle, dit La Bruyère , qu'un livre français était un certain nombre de pages latines où l'on découvrait quelques lignes ou quelques mots en notre langue. Les passages, les traits et les citations n'en étaient pas demeurés là : Ovide et Catulle achevaient de décider des mariages et des testamens, et venaient avec les Pandectes au secours de la veuve et des pupilles. Le sacré et le profane ne se quittaient point; ils s'étaient glissés ensemble jusque dans la chaire: saint Cyrille, Horace, saint Cyprien, Lucrèce, parlaient alternativement : les poètes étaient de l'avis de saint Augustin et de tous les Pères : on parlait latin, et long-temps, devant des femmes et des marguilliers, on a parlé grec : il fallait savoir prodigieusement pour parler si mal. Autre temps, autre usage : le texte est encore latin, tout le discours est français et d'un beau français; l'Evangile même n'est pas cité : il faut savoir aujourd'hui très-peu de chose pour bien prêcher. L'on a enfin banni la scholastique de toutes les chaires des grandes villes, et on l'a reléguée dans les bourgs et dans les villages pour

Avant La Bruyère.

l'instruction et pour le salut du laboureur et du vigneron.

5. Depuis trente années, dit le même écrivain , on prête l'oreille aux rhéteurs, aux déclamateurs, aux énumérateurs : on court ceux qui peignent en grand, ou en miniature. Il n'y a pas long-temps qu'ils avaient des chûtes ou transitions ingénieuses, quelquefois même si vives et si aiguës, qu'elles pouvaient passer pour épigrammes. Ils les ont adoucies, je l'avoue, et ce ne sont plus que des madrigaux.

Ils ont toujours, d'une nécessité indispensable et géométrique, trois sujets admirables de vos attentions : ils prouveront une telle chose dans la première partie de leur discours, cette autre dans la seconde partie, et cette autre encore dans la troisième. Ainsi vous serez convaincu d'abord d'une certaine vérité, et c'est leur premier point ; d'une autre vérité, et c'est leur second point; et puis d'une troisième vérité, et c'est leur troisième point : de sorte que la première réflexion vous instruira d'un principe des plus fondamentaux de votre religion, la seconde d'un autre principe qui ne l'est pas moins, et la dernière réflexion d'un troisième et dernier principe le plus important de tous, qui est remis

De son temps.

pourtant, faute de loisir, à une autre fois : enfin, pour reprendre et abréger cette division, et former un plan. « Encore! dites-vous; et c( quelles préparations pour un discours de trois cc- quarts d'heure qui leur reste à faire! plus ils « cherchent à le digérer et à l'éclairer, plus ils « m'embrouillent. » Je vous crois sans peine ; et c'est l'effet le plus naturel de tout cet amas d'idées qui reviennent à la même, dont ils chargent sans pitié la mémoire de leurs auditeurs.

Il semble, à les voir s'opiniâtrer à cet usage, que la grâce de la conversion soit attachée à ces énormes partitions; comment néanmoins seraiton converti par de tels apôtres, si l'on ne peut qu'à peine les entendre articuler, les suivre, et ne les pas perdre de vue? Je leur demanderais volontiers qu'au milieu de leur course impétueuse , ils voulussent plusieurs fois reprendre haleine, souffler un peu, et laisser souffler leurs auditeurs. Vains discours ! paroles perdues ! Le temps des homélies n'est plus , les Basile, lep Chrysostôme ne le ramèneraient pas ; on passerait en d'autres diocèses pour être hors de la portée de leur voix et de leurs familières instructions. Le commun des hommes aime les phrases et les périodes, admire ce qu'il n'en-

tend pas, et se suppose instruit, content de décider entre un premier et un second point, ou entre le dernier sermon et le pénultième. Les citations profanes, les froides allusions, le mauvais pathétique, les antithèses, les figures outrées , ont fini : les portraits finiront et feront place à une simple explication de l'Evangile, jointe aux mouvemens qui inspirent la conversion.

6. Le discours chrétien est devenu un spectacle. Cette tristesse évangélique qui en est l'ame ne s'y remarque plus ; elle est suppléée par les avantages de la mine, par les inflexions de la voix, par la régularité du geste, par le choix des mots, et par les longues énumérations. On n'écoute plus sérieusement la parolesainte. C'est une sorte d'amusement entre mille autres ; c'est un jeu où il y a de l'émulation et des parieurs.

Qu'il est triste de voir l'amour-propre se glisser jusque dans la chaire ! L'on fait assaut d'éloquence jusqu'au pied de l'autel et en présence des saints mystères. Celui qui écoute s'établit juge de celui qui prêche, pour condamner ou pour applaudir, et n'est pas plus converti par le discours qu'il favorise que par celui auquel il est contraire. L'orateur plaît aux uns, déplaît

Autres abus.

aux autres, et convient avec tous en une chose, que, comme il ne cherche point à les rendre meilleurs, ils ne pensent pas aussi à le devenir.

7. Socrate, parlant du désordre des mœurs de son temps, dit qu'à la médecine on a fait succéder l'invention des mets délicieux, et de tous les apprêts qui excitent l'appétit des hommes ; et au lieu de purger les humeurs pour rendre la santé, et par la santé l'appétit, on force la nature, on lui fait un appétit artificiel par toutes les choses contraires à la tempérance. Il conclut en disant que les orateurs qui, dans la vue de guérir les hommes , devaient leur dire, même avec autorité, des vérités désagréables, et leur donner ainsi des médecines amères, ont au contraire fait pour l'ame ce qu'on avait fait pour le corps. Leur rhétorique n'a été qu'un art de faire des apprêts pour flatter les hommes malades; on ne s'est mis en peine que de plaire, que d'exciter la curiosité et l'admiration : les orateurs n'ont parlé que pour eux. Il finit en demandant où sont les citoyens que ces rhéteurs ont guéris de leurs mauvaises habitudes, où sont les gens qu'ils ont rendus tempérans et vertueux.

Ne croyez-vous pas, dit Fénélon, entendre

Ce que dit Fénélon des mêmes abus.

un homme de notre siècle qui voit ce qui s'y passe, et qui parle des abus présens? Après avoir entendu ce païen, que diriez-vous de cette éloquence qui ne va qu'à plaire et qu'à faire de belles peintures, lorsqu'il faudrait, comme il dit lui-même, brûler, couper jusqu'au vif, et chercher sérieusement la guérison par l'amertume des remèdes et par la sévérité du régime ?

Jugez de ces choses par vous-même. Trouveriez-vous bon qu'un médecin qui vous traiterait s'amusât, dans l'extrémité de votre maladie, à débiter des phrases élégantes et des pensées subtiles? Que penseriez-vous d'un avocat qui, plaidant une cause où il s'agirait de tout le bien de votre famille ou de votre propre vie, ferait le bel esprit et remplirait son plaidoyer de fleurs et d'ornemens, au lieu de raisonner avec force et d'exciter la compassion des juges?

L'amour du bien et de la vie fait assez sentir ce ridicule-là; mais l'indifférence où l'on vit pour les bonnes mœurs et pour la religion, fait qu'on ne les remarque point dans les orateurs, qui devraient être les censeurs et les médecins du peuple. Ce que vous avez vu qu'en pensait Socrate doit nous faire honte.

8. Le temps où l'éloquence de la chaire a

époque ïirilla l'cloqucn-

brillé avec plus d'éclat en France fut celui où prêchèrent Bossuet, Bourdaloue et Massillon.

Elle n'a dégénéré qu'après eux.

9. Parmi les causes qui firent déchoir l'éloquence de la chaire, il faut mettre au premier rang la décadence des mœurs (1). Elle commença après la mort de Louis XIV. Placés sous une atmosphère pestilentielle, et au milieu d'un

siècle imprégné d'un double venin anti-moral et anti-littéraire, les prédicateurs ne pouvaient guère échapper au mauvais goût devenu dominant, et ne point participer, souvent même sans s'en douter, à cette épidémie devenue générale.

Cependant l'éloquence chrétienne lutta plus long-temps que tous les autres talens contre la fausse direction que prenaient les esprits. Soit que le plus grand nombre des orateurs sacrés appartînt à des corps conservateurs des saines règles; soit qu'ils trouvassent, dans les bienséances de leur état, un motif de plus pour respecter les bienséances oratoires; soit enfin que le

(1) Nous analyserons la seconde partie du discours de M. de Boulogne. C'est ce que nous avons trouvé de mieux sur l'histoire de la décadence de l'éloquence de la chaire en France.

ce de la chaire parmi nous.

Causes de sa décadence.

IRE CAUSE. —

l,a décadence des îiia'urs.

genre sacré ait en lui-même plus de force et de nerf pour se soutenir, ce ne fut guère que vers le milieu du dernier siècle que le déclin devint sensible, et que la contagion parvint à s'introduire dans la chaire évangélique. Alors on vit les prédicateurs prendre peu à peu, sinon l'esprit du temps, du moins ses couleurs et presque sa livrée ; sinon sacrifier les principes, du moins les affaiblir, et, sans trahir la vérité, songer encore plus à l'orner qu'à la défendre : infidèles ainsi à leurs illustres devanciers , qui jamais ne s'imaginèrent pouvoir parler une langue plus belle que celle de Dieu même ; qui, puisant dans les trésors des livres saints ces beautés toujours anciennes et toujours nouvelles, si propres à nourrir la foi en même temps que le génie, et apprenant à l'école des Prophètes à devenir Apôtres, unissaient aux sublimes sentimens, source féconde des inspirations du zèle, ces vives et nobles peintures qui enflamment le talent.

10. La seconde cause est l'esprit académique dont nous avons déjà parlé, et qui, après avoir envahi tous les genres de la littérature, finit enfin par pénétrer jusque dans le sanctuaire. On sait toute l'importance que s'était

2me CAUSE. L'esprit académique.

donnée le corps des académiciens, ce tribunal de beaux esprits, distributeurs de toutes les réputations, et devenus les suprêmes régulateurs de l'opinion publique. Comment résister à l'envie d'être loué par eux, récompensé par eux ; à l'ambition de prêcher devant eux, et à l'honneur insigne d'être admis parmi eux? Il est triste sans doute, mais il est aussi important qu'utile de le dire : peu d'orateurs marquans résistèrent à toutes ces tentations réunies.

Delà cette excessive précipitation qu'on remar quait dans les ecclésiastiques à talens, lesquels, avides de succès , ou trop impatiens de suivre les premières impressions de leur zèle, abrégeaient trop souvent le temps des épreuves et des travaux préliminaires qu'exige la perfection d'un art auquel suffit à peine la vie d'un homme tout entière. Delà le besoin de _se répandre pour se faire des prôneurs et de chercher la réputation dans les cercles, dans la dissipation et la vie du grand monde où le talent avorte, au lieu de la chercher dans l'étude et dans la retraite où le talent mûrit, où le génie se féconde. Delà cet abandon des anciens modèles, pour courir après les écrivains qui avaient la vogue et qui donnaient le ton ; pour

prendre, à leur exemple, la morgue doctorale et le langage sentencieux. On vit alors les prédicateurs à prétentions penser leurs sermons, comme les autres écrivains raisonnaient leurs drames ou pensaient leurs vers ; et, pour être forts de choses et de maximes, devenir aussi pauvre,s d'imagination que de verve, d'images que de mouvemens et de tout ce qui peut remuer les cœurs. La finesse prit la place du sentiment. Ce ton d'onction et de pathétique, qui doit faire le caractère distinctif d'un orateur chrétien, se perdit, ou commença à s'affaiblir sensiblement. Cette manière forte et toute apostolique des premiers fondateurs de la chaire française ne parut plus de saison. A ces vigoureuses attaques contre les vices et les scandales succédèrent ces faux ménagemens et ces traits sans blessure y qui n'étaient propres qu'à compromettre la dignité du ministère, en même temps qu'ils énervaient la puissance de la parole ; ces timides circonspections, qui ne profitent à personne, également nuisibles et à l'orateur qui s'y prête, et à l'auditeur qui les exige. A la peinture des jugemens de Dieu succéda la peinture des mœurs; on n'osa plus effrayer, on voulut plaire; on s'appliqua bien moins à convaincre

qu'à flatter des hommes dont on supposait les oreilles plus délicates que les consciences, et dont on cherchait plus à enlever les suffrages qu'à opérer la conversion. C'est ainsi que ces prédicateurs ne voyaient pas qu'en voulant s'ouvrir une route nouvelle, ils faisaient bien moins qu'ils n'auraient pu faire, s'ils eussent consulté les seules règles du bon sens, et l'inspiration même de leurs propres talens; qu'en cherchant la gloire, ils prenaient la route opposée, et qu'en courant après la vogue, ils manquaient la renommée.

11. Ce qu'il y a de plus étrange, c'est que l'on voyait les prédicateurs dont nous parlons chercher à se justifier eux-mêmes cette espèce

d'abdication de leur saint ministère, et ce déplorable sacrifice qu'ils faisaient à l'opinion.

Nous en avons même connu qui se faisaient illusion, au point de croire qu'il fallait ainsi apprivoiser le siècle avec la divine parole, et disputer d'adresse et de raffinement avec lui, pour mieux vaincre sa résistance et surmonter sa corruption. L'abbé de Boismont, entre autres, prédicateur du beau monde et académicien, appelait cette condescendance un innocent artifice, une utile et bienfaisante séduction : par-

Mauvaise justification des prédicateurs académiques.

tant de ce principe, que, quand le vice est devenu ingénieux, il faut le devenir avec lui pour le combattre (1). Étrange manière de livrer bataille, que celle d'émousser ses traits pour mieux percer son ennemi ! Trop de prédicateurs adoptèrent ce système, véritablement séduisant pour ceux qui préféraient leur vanité à leurs devoirs, et qui cherchaient plus à se prêcher eux-mêmes qu'à prêcher les autres.

Ils devinrent ingénieux aux dépens de leur ministère, et même de leurs propres succès ; et ils publièrent ainsi qu'en courant après l'artificieux et le séduisant, ils manquaient le tou-

( 1 ) Discours de réception à Vacadémie. Les prédicateurs à la mode ont toujours essayé de justifier leur conduite par des motifs de zèle. Encore aujourd'hui les orateurs romantiques, dont nous parlerons plus bas, disent qu'ils ont adopté le genre nouveau pour mieux faire goûter la religion aux gens du monde. C'est une pauvre raison ; elle ne vaut pas mieux que celle de l'abbé de Boismont. Ce n'est pas en rabaissant la dignité et la gravité de la chaire chrétienne aux modes oratoires qu'on fera goûter la religion. On amuse les auditeurs, mais on ne les change pas. Tout prédicateur qui a la faiblesse de chercher à plaire en se conformant au goût du siècle ne convertit jamais; sa condescendance est une prévarication qui frappe ses discours de stérilité,

chant et surtout le sublime. Ces hommes ingénieux ne s'apercevaient pas que les philosophes ne pouvaient que leur savoir gré d'une condescendance qui était toute à leur profit et au détriment de la vérité. Ces hommes ingénieux ne voyaient pas que le monde se moquait d'un artifice qu'il trouvait véritablement innocent, et qu'il riait de ces apôtres si raffinés, si déliés, qui croyaient arrêter avec des fils d'araignées le torrent d'impiété qui emportait tout. Ces hommes ingénieux ne comprenaient pas qu'ils ne séduisaient personne ; que, dans l'art de parler, le talent doit toujours dominer l'esprit, et non l'esprit dominer le talent ; que le vrai mérite, ainsi que la vraie gloire d'un orateur chrétien, c'est de dompter son siècle, et non de s'en laisser maîtriser ; c'est d'être le juge de ses auditeurs, et non de regarder ses auditeurs comme ses juges ; c'est enfin de bien se convaincre qu'en devenant leur esclave, il perd le plus beau de ses droits, celui de leur parler en maître.

12. En conséquence de cette utile et bienfaisante séduction, les vérités fondamentales du christianisme furent presque exilées de la chaire ; comme si l'on eût oublié que les grands su-

3me CAUSE. —

La manie des sujets philosophiques.

jets font les grands orateurs, ainsi que les grands - combats font les grands capitaines. A la place de ces riches masses d'éloquence que présentent les sujets véritablement religieux, ce furent de jolis portraits et de brillantes enluminures, qui laissent l'auditeur aussi froid que l'orateur lui-même : tableaux agréables et piquans des mœurs, plus propres à flatter la malignité qu'à corriger la perversité, et à faire briller le bel- esprit que l'esprit apostolique. On n'entendit plus ces grands sujets sur l'éternité, sur l'enfer, sur la mort du pécheur, sur le jugement, sur l'impénitehce finale, et autres vérités dé cette nature, que nos grands maîtres choisissaient de préférence, et qui sont la vraie basé de l'instruction chrétienne ; on ne traita que des sujets plus philosophiques que chrétiens, où la charité fut remplacée pàr l'humanité, Dieu par l'être suprême, et l'enfer par je ne sais quoi ; enfin les magnificences de la révélation par les artificés de la rhétorique : sujets maigres et décharnés comme des squelettes, où toute la perfection consiste à réunir la délicatesse des pensées à l'élégahcede la diction, et où, quand l'orateur à rntmtré son esprit, bn n'a plus rien à lui demander ; sujets uniquement propres à

exercer la voix et le langage , semblables à ces sources pauvres, qui, ne pouvant former des rivières ou des fleuves, se répandent çà et là, et ne produisent que de petits ruisseaux qui vont se perdre, en serpentant, dans les sables arides.

- 13. Est-ce donc avec de pareils sujets qu'on, peut donner l'essor aux grandes explosions du zèle, poursuivre le vice à outrance, et lui livrer des combats à mort ? est-ce avec de pareils sujets qu'on fait couler des larmes et qu'on pleure soi-même? est-ce enfin avec de pareils sujets que nos premiers orateurs opéraient ces merveilleux effets de la parole, dont l'histoire nous a laissé le souvenir? On connaît ce trait frappant de Massillon, dans son sermon sur le Petit nombre des Élus. La tradition nous a conservé le souvenir de la sensation extraordinaire que ce morceau produisit sur des auditeurs tout hors d'eux-mêmes. Ce n'est point en prêchant sur le luxe, sur les vertus domestiques et purement sociales, qu'un orateur peut montera ce ton de pathétique et de sublime. Il faut, pour cela , avoir àremuer les plus grands intérêts du cœur humain : c'est en traitant les vérités les plus touchantes ou les plus terribles de la religion ,

Ces sujets ne se prêtent point à l'éloquence.

que peuvent se porter ces grands coups qui transportent un auditoire, ou qui le terrassent (1). C'est avec ces leviers puissans qu'on ébranle les ames, et que l'orateur se sent élevé au-dessus de lui-même; c'est bien alors qu'il peut se dire l'envoyé du ciel, et parler en son nom; c'est alors qu'il semble prendre, des mains de Dieu même, cette balance redoutable dans laquelle il pèse comme de sa part, les

( 1 ) C'est avec les grands sujets que nos missionnaires produisaient si souvent les effets les plus prodigieux. Sans autre talent que leur zèle, sans autre culture (*) qu'un cœur ardent et passionné pour le salut des ames, vrais athlètes de la parole, lorsque tant d'autres n'en étaient que les dissipateurs, c'est en parlant de la mort, de l'enfer, de l'éternité , et en

* Sans autre talent, sans autre cultltre. Ces expressions sont trop générales. Nos célèbres missionnaires ne manquaient pas de talens, et leurs talens avaient été cultivés par de bonnes études.

Saint François de Sales et Fénélon avaient été missionnaires. Il y avait parmi ces ouvriers apostoliques des hommes aussi capables sous le rapport des facultés intellectuelles que profonds par l'étendue de leurs connaissances. Comme ils avaient autant de vertu que de capacité et de moyens, ils cachaient avec soin ce qui aurait pu les faire briller aux yeux du monde. Contens de travailler au salut des pauvres avec une simplicité tout évangélique , ils assuraient le fruit de leurs prédications par leur détachement de la gloire humaine , et leur humilité leur préparait dans le ciel une gloire plus digne de leur grande ame , de leurs généreux sacrifices et de leurs pénibles travaux.

destinées humaines, ou ces foudres terribles qui réveillent le pécheur et terrassent l'impiè rebelle. Quel avantage un pareil orateur n'a-t-il pas sur celui qui, bien loin d'inspirer à ses auditeurs la frayeur salutaire des jugemens de

sachant ainsi intéresser la nature immortelle de l'homme, qu'ils savaient si bien remuer les cœurs et opérer ces éclatantes conversions que n'auraient osé se promettre les prédicateurs les plus consommés.

Ces orateurs , véritablement populaires , étaient d'autant plus éloquens , qu'ils aspiraient moins à l'être , et que, par un secret qu'ils possédaient à leur insu, ils tournaient leur aspérité en force, leur simplicité en ornement, leurs négligences en moyens , et produisaient ainsi ces grands effets, sans se douter peutêtre des règles mêmes de l'art. C'est ainsi que l'on voit quelquefois sortir de ces terres vierges des productions d'autant plus vigoureuses que leur sol n'a jamais été dompté ni affaibli par le travail et la culture : tel fut surtout ce Brydayne, qui s'est montré si digne d'être à leur tête , et qui a mérité un nom dans les fastes de la chaire. C'est en assortissant heureusement à la nature de son caractère la nature de ses compositions ; c'est en planant toujours dans les hautes régions des vérités premières, qu'il se mettait plus à la portée des nombreux auditoires qu'il voulait entraîner, et descendait plus aisément jusqu'à - ces multitudes affamées de l'entendre, dont il savait si bien, ou frapper l'imagination , ou exciter l'enthousiasme, ou réveiller les remords , ou arracher les larmes. (M. DE BOULOGNE.)

Dieu, ne prêche uniquement que pour capter les jugemens des hommes, et qui, au lieu de faire trembler les autres, ne tremble que pour lui-même ?

14. Voici ce que dit Maury sur les sermons de cette époque : « Les grands sujets de cette belle et solide instruction chrétienne, si bien indiquée par l'Église dans l'ordre annuel et la distribution des Évangiles; ces sujets si importans, si féconds, si riches pour l'éloquence, et sans lesquels la morale, dépourvue de l'appui d'une sanction divine et déshéritée de l'autorité vengeresse d'un juge suprême, n'est plus qu'une théorie idéale et un système purement arbitraire qu'on adopte ou qu'on rejette à son gré ; ces sujets magnifiques, dis-je, furent plus ou moins mis à l'écart par les orateurs chrétiens qui composèrent malheureusement avec ce mauvais goût, et qui, en s'égarant dans ces nouvelles régions, renoncèrent d'eux-mêmes aux plus grands avantages et aux droits les plus légitimes de leur ministère. Tout fut bientôt mêlé en ce genre, et dès-lors tout fut corrompu.

On ne put sanctifier la philosophie : on sécularisa, pour ai nsi dire, la religion.

« L'ancienne et belle manière des grands

Ce que dit Maury des sermons de celte époque.

niaitres qui avaient créé une école si révérée et si illustre, fut remplacée par le bel-esprit, par le philosophisme, par le mauvais goût, par le jargon de la métaphysique, par la manie de réduire toute la morale à la bienfaisance, mot nouveau , dont on fit, pour ainsi dire, le sobriquet de la charité. On s'efforça de traiter philosophiquement les sujets chrétiens, et chrétiennement les sujets philosophiques, en les ralliant ou en les suspendant, le mieux qu'on put, à l'étendard de la religion.

« On prêchait alors, je m'en souviens avec douleur, sur les petites vertus, sur le demichrétien , sur le luxe, sur l'honneur, sur l'égoïsme, sur l'antipathie, sur l'amitié, sur l'amour paternel, sur la société conjugale, sur la pudeur, sur les vertus sociales , sur la compassion, sur les vertus domestiques, sur les dispensations des bienfaits, etc., enfin sur la sainte agriculture ; et on aurait pu suivre un carême entier des prédicateurs à la mode, sans entendre jamais parler des quatre fins de l'homme , du délai de la conversion, d'aucune homélie, d'aucun sacrement, d'aucun précepte du décalogue, d'aucune loi de l'Église, d'aucun mystère et d'aucun péché mortel. Bossuet lui-

même, avec tout son génie, ne serait jamais parvenu à faire un vrai et beau sermon chrétien sur de pareilles matières. Ces instructions étaient si bizarres, que, lorsqu'on arrivait après l'exorde pour assister à un sermon, je l'ai souvent éprouvé, il fallait attendre l'énonciation du second point pour deviner l'énigme, et connaître l'objet du discours qu'on entendait. Ce fut après avoir subi le dégoût mortel d'un sermon de ce genre, que le grave et vénérable père de La Valette, général de l'Oratoire, interrogé sur le jugement qu'il portait de l'esprit du prédicateur, répondit avec autant de goût que de raison : Je ne sais s'il faut avoir beaucoup d'esprit pour composer un pareil discours ; mais il me semble que c'est en montrer bien peu, et n'avoir aucun bon sens, que de le prêcher dans une église.

15. « A cette corruption du genre oratoire dans les chaires chrétiennes, on vit aussitôt se joindre un courage plus que hardi dans les diatribes très - indiscrètes et très - applaudies dont nos temples retentirent contre les riches, contre les grands et contre toute espèce d'autorité. Ce n'était plus le langage du zèle; c'était l'amertume de la satire qui attaquait ouverte-

Des sermons démocrates du même temps.

ment, sous l'égide de la religion, tout ce qui s'élevait au-dessus du bon peuple. Le ton et l'accent de la démocratie, vers laquelle tous les esprits tendaient depuis long-temps, se firent entendre d'abord dans la bouche des prédicateurs , dont les philosophes provoquaient, exaltaient et enviaient le courage, comme un droit incontestable d'un ministère qui semblait affranchi de la censure. On faisait au souverain sa part (elle n'était pas mince) dans chaque sermon qu'on prêchait devant lui. Cette méthode était devenue un moyen infaillible de se populariser parmi les courtisans, dans la chaire de Versailles. On ne pouvait concevoir cette insouciance de la faiblesse, cet aveuglement d'une cour entraînée par l'opinion, et qui se laissait désigner, je dirais presque insulter publique-

ment.

16. « Il y eut sans doute des exceptions, et même des exceptions honorables, que je n'ai pas besoin d'articuler : la voix publique m'en dispense. Mais il faut avouer qu'il ne s'établit guère de célébrité pour les orateurs sacrés, durant cette époque de décadence, que sous la nouvelle bannière philosophique. Aussi leur goût ne s'altéra-t-il pas moins alors que leur

Il y eut des exceptions honorables , mais le plus grand nombre des orateurs sacrés céda au goût dominant.

ministère. C'était de la philosophie, de l'économie politique, de la morale même, surtout de la métaphysique : c'était une élocution sèche, alambiquée ou poétique à l'excès.; mais ce n'était plus l'Évangile, ce n'était plus de la véritable éloquence. Au lieu de tableaux oratoires , on faisait des portraits. On écrivait d'un style précieux, maniéré, énigmatique, sentencieux, enflé et surchargé de figures ou de mots techniques; mais, quand ce style ne présentait plus de si fréquens caractères du mauvais goût, il tombait dans la langueur d'une faiblesse extrême, sans coloris, sans idées, sans fermeté, sans liaison et sans verve ; et les orateurs de cette école, dont il ne restera rien pour la postérité, au lieu d'imiter la marche rapide des grands maîtres de l'art, se traînaient avec effort, et n'entraînaient jamais leur auditoire.

« Les coryphées de ce nouveau genre d'éloquence étaient pourtant des hommes de beaucoup d'esprit : ils avaient même du talent, et ils auraient pu le développer, s'ils avaient voulu suivre l'ancienne méthode. C'était l'étude, c'était la connaissance et l'amour du beau, c'était le bon goût de l'antiquité qui leur manquait.

Ils seraient parvenus à s'assurer une mémoire

honorable, si les coteries dominantes dans la littérature et les bureaux d'esprit ne les avaient point égarés par une admiration aveugle ; s'ils avaient su démêler et consulter le véritable public ecclésiastique, qui conservait encore les bonnes traditions, les souvenirs instructifs, les mesures de comparaison, et, si l'on peut s'exprimer ainsi, le feu sacré dans la capitale, à cette époque même où les partisans des innovations dans l'éloquence sacrée méconnaissaient son autorité et étouffaient sa voix. Il n'existait en effet aucune ville en Europe où les orateurs chrétiens fussent aussi bien jugés que par ce petit nombre d'anciens amateurs non moins distingués par leur goût que par leurs lumières, parfaitement instruits des livres saints et des principes de la religion. Il faut donc rendre justice à tous ces talens perdus, en regrettant l'usage qu'auraient pu en faire les prédicateurs pour l'Eglise et pour eux-mêmes : il faut les plaindre sans les méconnaître et sans les imiter; il faut avouer, dirai-je pour leur confusion ou pour leur gloire? qu'ils valaient mieux que leurs ouvrages, et que leur esprit mieux dirigé, leur eût assuré la renommée : il faut enfin placer des signaux sur les écueils où ils ont fait nau-

frage, pour en écarter les malheureux imitateurs qui seraient tentés de suivre la même route. »

17. M. de Boulogne rend aussi hommage aux orateurs sacrés qui, à cette époque, ne se laissèrent pas entraîner par le goût dominant.

En parlant, dit-il, des timides condescendances et des tristes ménagemens qui n'ont que trop contribué au dépérissement de l'éloquence chrétienne, nous n'avons pas sans doute voulu dire que tous les prédicateurs payèrent également le tribut au goût dominant de leur siècle ; nous remarquons, à la gloire de quelques-uns dont la mémoire est précieuse à la chaire française, que, loin de céder à la contagion et de subir la loi du monde, ils honorèrent leur ministère, comme saint Paul, par un noble courage, et qu'ils firent, à cet égard, l'acquit de leur conscience comme de leur talent. On en vit même qui, au risque de déplaire, signalaient, du haut de la chaire royale, et les scandales qui déshonoraient la cour, et les malheurs qui menaçaient la monarchie. On les vit foudroyer constamment l'impiété moderne, comme l'avant-coureur de notre ruine; et, quoique l'orage qui devait fondre un jour sur notre

Témoignage que M. de Boulogne rend aux prédicateurs courageux qui résistèrent alors à la contagion du mauvais goût.

malheureuse patrie ne fût encore qu'un point imperceptible qui paraissait au loin sur l'horizon, ils le montraient, à travers les nuages, à la France endormie et fascinée par ses Sophistes.

Sentinelles toujours vigilantes, tandis que tout était muet, eux seuls sonnaient l'alarme ; euxseuls, en annonçant ces jours de deuil et de désolation , s'écriaient avec Jérémie : Malheur à Babylone! malheur à Samarie! et malheur à Jérusalem ! Les philosophes nous donnaient ces tristes pronostics pour des déclamations intéressées et des exagérations fanatiques : mais les événemens ont montré si ceux qui parlaient ainsi étaient des déclamateurs ou des sages, des fanatiques ou des hommes prévoyans; et si c'était l'esprit de corps ou l'esprit public, l'intérêt ou la raison, l'amour d'eux-mêmes ou l'amour de leur pays, qui animaient leur zèle et arrachaient de leur bouche ces funestes prédictions. Ainsi la chaire chrétienne se soutenait encore, non sans quelque gloire, lorsque la proscription dispersa ses principaux appuis.

Cette révolution fatale, dont les philosophes avaient été les précurseurs, et dont les prédicateurs furent les prophètes, vint l'abattre de sa hache impie, et ses derniers échos allèrent retentir sur les rives lointaines.

18. Après la révolution et dans ces derniers temps, la chaire chrétienne fut encore illustrée en France par.d'éloquens prédicateurs, mais ils furent en petit nombre. Les deux plus célèbres sont M. de Boulogne, dont nous venons d'entendre la voix éloquente, et le P. de Mac Carthy (1). Ils ont marché sur les traces des grands orateurs et n'ont pas peu contribué à préserver la chaire de la contagion du romantique. En général, le clergé est resté fidèle aux vrais principes de l'éloquence et aux bonnes traditions de la chaire. On ne compte qu'un petit nombre de prédicateurs qui aient osé adopter dans leurs sermons un genre que le bon sens et la raison réprouvent. Ils appartenaient la plupart à l'école de M. de la Mennais. En quittant son parti pour rester fidèles à l'Eglise, ils ont conservé leur manière de prêcher. Tant il est difficile de se réformer quand on s'est accoutumé à un mauvais genre! Il y en a parmi eux qui ont du talent, et qui se seraient distingués s'ils avaient été bien dirigés.

(t) Nous ne parlons pas des vivans parmi lesquels on compte des orateurs distingués : on les connaît assez sans que nous ayions besoin de les nommer.

De l'éloquence de la chaire après la révolution et dans ces derniers temps.

19. Des hommes que le monde ne connaît, pas, dit M. Boyer (1), osent bien s'ériger en régulateurs de la chaire, et ne manquent pas de convertir en art leur mauvaise manière : on les entend dire que les prédicateurs doivent marcher avec le siècle ; que le genre humain , dans ses formes grandissantes et générales, est arrivé à la maturité de l'âge ; que les prédicateurs , pour Se mettre au niveau de ces lumière) doivent entrer dans la région plus haute de cette philosophie élevée dont M. de la Mennais est le créateur et le père (2) ; que, la philosophie étant une sorte de maîtresse dont la littérature n'est que la suivante, la littérature du siècle d'Auguste est aujourd'hui abâtardie; que celle du siècle de Louis XIV, esclave de la philosophie de Descartes, n'est pas moins surannée.

On conclut de là que la chaire française doit avoir aujourd'hui une autre langue que celle des Bossuet, des Pascal, des Massillon et des Bourdaloue, pour n'être pas comme une étrangère qui

(1) Défense de VOrdre social, 1er vol.

(2) La philosophie de M. de La Mennais est tellement toïnbée aujourd'hui ( 1839), qu'on dirait qu'il y a plusieurs siècles qu'elle a passé.

Des prédicateurs romantiques.

n'entend pas la langue du pays où elle est arrivée; que les grands orateurs et les grands écrivains du siècle de Louis XIV peuvent bien avoir quelques beautés bibliques et communes à tous les temps, mais qu'au fond ils cherchent le type du beau dans des formes vicieuses; que leurs productions sont infectées de Xélément rationalisme en philosophie et païen en littérature; que M. de la Mennais vient d'ouvrir de nouvelles sources où il faut aller puiser; que celuilà ne peut plus espérer d'être orateur, écrivain ou philosophe distingué, qui n'a pas appris la philosophie et formé son style sur ce type unique du beau et du vrai. Et ces prétendus législateurs semblent dire à tous les prédicateurs de notre temps cette parole d'Horace relative à la littérature grecque : « Lisez les livres de « M. de la Mennais , et ne vous lassez pas de « les lire; qu'ils soient dans vos mains le jour, « qu'ils y soient encore durant vos veilles de la « nuit » : Exemplaria grœca nocturna versât e manu, versate diurna. Ces conseils sont suivis (1). La chaire française, viciée dans

(1) Un mot du souverain Pontife a suffi pour faire disparaître le prestige qui commençait à séduire plu-

son fond et dans sa forme, s'étonne d'entendre d'étranges discours ; elle gémit de voir ses orateurs rougir de l'Évangile, aller puiser leurs sujets, non pas dans les dogmes, les mystères du christianisme, les vertus ou les vices contraires ou conformes à sa morale, mais dans les spéculations d'une philosophie fausse, d'une politique oiseuse ; estimer la perfection de leur art divin, non pas de montrer dans le christianisme la source unique du vrai et du bien, mais le principe générateur du beau dans les arts, dans la civilisation (1) ; parler beaucoup

r J-: c sieurs membres du jeune clergé. Les dernières productions de M. de La Mennais l'ont tellement décrédité dans l'opinion, que son influence est aujourd'hui tout-à-fait nulle. Si ses disciples ont adopté et propagé le genre romantique, ce n'est pas que cet écrivain en soit l'inventeur : il vient de plus haut, comme nous l'avons fait voir, et a eu diverses causes que nous avons assignées. Il ne faut donc pas s'étonner si l'on retrouve le genre romantique dans des orateurs qui ont renoncé d'esprit et de cœur aux doctrines du célèbre écrivain, et même dans des prédicateurs qui n'ont jamais goûté ses principes ni appartenu à son école.

(1) Fondemens de la dévotion à Marie, premier point ; Influence de la dévotion à Marie sur la civilisation, second point : voilà la division d'un sermon

de ces choses à des ames pieuses venues dans leur église pour s'y édifier, pour méditer sur les fins dernières de l'homme. Ces sujets, étrangers à l'Evangile,' ne sont pas plus chrétiens que le style dont on les revêt et les développemens qu'on y donne. Des orateurs chrétiens, jaloux de l'honneur du saint ministère, viennent nous apporter , à nous absens en quelque sorte par nécessité, des sermons, prêchés à Paris et dans les provinces, où se trouvent des choses si opposées aux qualités d'un discours évangélique sous le rapport du plan, des développemens et des formes du style, que cette réflexion vient à notre esprit : mais si le satirique Boileau avait connu tout cela, peut-être qu'il eût cédé au plaisir malin de placer le nom de ces hommes dans ses beaux vers et d'en faire le bout d'une rime incisive et meurtrière; et qui sait si Molière n'aurait pas succombé à la tentation de former sur leur modèle un personnage de sa scène comique, ou du moins de mettre quelques-unes de leurs locutions dans la bouche de ses Pré-

prêché par tifh élève de la nouvelle école, rapporté d'après la déposition d'un témoin digne de foi qui l'a entendu.

cieuses, devenues à tout jamais le type du ridicule? Les gens de bien en auraient gémi, en se consolant peut-être tout bas dans la pensée que cet oubli des égards et des bienséances dus à la gravité et à la sainteté de notre ministère aurait peut-être le bon effet de corriger un abus si funeste dans ses suites.

20. Ce mauvais goût est un mal dont la contagion est, dit-on, grande, et voici, ce me semble, les causes de sa propagation rapide : la gloire et la renommée. Ces deux brillantes chimères entraînent dans cette voie de jeunes prédicateurs qui ne sont pas toujours sans pitié ; on veut obtenir une vogue qu'on n'estime pas sans interêt pour la gloire de Dieu, et ce mauvais genre est une voie prompte et plus facile qui y mène. Le goût frelaté et corrompu du public apprécie ce style outré, exagéré, chargé d'ornemens ambitieux, plus que celui qui est simple et naturel. C'est ainsi qu'un vin généreux et des substances dont l'apprêt est sobre et modéré, plaisent moins à des palais usés et à des estomacs blasés, que les liqueurs fortes et les alimens dénaturés par la surcharge du poivre et des épices. Et pour surcroit de malheur, avec ce mauvais genre plus produc-

Causes de la propagation du romantique dans la chaire.

tif en louanges, on s'affranchit de l'énorme difficulté qu'il y a à être beau en suivant les bonnes règles.

21. Un discours bâti sur un plan original et régulier, divisé selon la bonne méthode, fort de doctrine, nourri de vérités graves, sérieuses , grandes, élevées , et tout à la fois édifiantes, utiles, pratiques; un corps de raisons justes, convaincantes, bien choisies , bien appropriées au génie, au caractère de ceux à qui on parle, et qui, par le bel ordre qui les lie et les enchaîne, se prêtent une nouvelle force; une marche rapide, pressée, serrée, où l'on arrive à la conviction par une belle gradation d'idées et de lumières ; et puis les tours heureux, les figures animées, l'expression tour à tour noble, élégante, facile, et toute cette belle élocution par où la vérité de l'esprit passe dans le cœur, par la douce insinuation du sentiment et le plaisir de l'imagination; ajoutez à cela les éclats, les foudres et les éclairs de l'éloquence, pour attérer la volonté qui résiste et achever le triomphe de la vérité : une production semblable coûte beaucoup de travail à l'homme de génie que l'art et la nature ont formé pour l'éloquence ; et, pour tout dire en

Difficulté du genre classique.

moins de mots, un de ces discours dont parle Fénélon, où tout est nerf, vie et substance , où il n'y a rien de lâche, de faible , de diffus : un discours sembla ble n'est pas aisé ; j'ose même dire qu'il est d'une difficulté qui n'a été vaincue jusqu'ici que par les Bourdaloue, les Bossuet, les Massillon, ces trois grands hommes qui semblent avoir posé parmi nous les bornes de la chaire (V. N. 23).

22. Le genre préconisé par nos nouveaux maîtres est bien plus aisé. Il est difficile de circonscrire un sujet avec dicernement, et puis de ne pas sortir du cercle qu'on s'est tracé, de n'invoquer que les raisons et les raisonnemens qui sortent du fond de la question , comme les branches du tronc de l'arbre : cela est plus difficile qu'il ne l'est d'embrasser une matière immense, de courir dans cette vaste campagne.

Et puis, dans la petite sphère du savoir que l'on a, choisir des moyens quelconques , les ramener au sujet de gré ou de force, bien qu'ils s'étonnent de se voir appelés en cause; et après cela les entasser pêle-mêle, en faire comme un amas d'où sortent bien plus la confusion et le chaos que l'ordre et la lumière ; tout cela, dis-je, est aisé. Et pour ce qui est

Facilité du genre romantique.

du style, il est plus facile d'être enflé , boursoufflé, que d'être fort et énergique; d'être tendu et uniforme, que varié et naturel. Il est plus difficile d'être sublime en termes simples, par la seule force des pensées; comme ce géant qui est grand sans effort, et qui, pour le paraître, n'a qu'à se lever et déployer les proportions de sa haute stature : cela est difficile. Mais il est aisé d'exhausser de petites idées sur de grands mots, comme ce nain qui monte sur des échasses. Et voilà donc ce qui entraîne les prédicateurs dans la voie large et corrompue du mauvais goût : le désir, mal justifié par la piété, d'attirer à soi un nombreux auditoire, et la facilité qu'il offre à la médiocrité d'arriver à la célébrité.

23. Je l'ai dit, et cela est vrai, il y a une grande difficulté à vaincre pour composer un excellent discours dans le genre classique ; elle est grande, mais elle n'est pas invincible : non, les matières de la chaire ne sont pas tellement rebattues, les formes du beau style ne sont pas tellement épuisées , qu'un vrai talent ne puisse trouver de nouvelles richesses dans cette mine intarissable , et puiser de nouvelles beautés à cette source toujours pleine. Il y a un

La difficulté du genre classique n'est pas invincible.

moyen de rajeunir ce qui est vieux, de donner aux vieilles choses un air de fraîcheur et de jeunesse : le christianisme est la vérité de Dieu, et dans cette vérité, infinie comme Dieu, le génie découvrira toujours des aperçus et des points de vue nouveaux. Les passions et ; les travers des hommes prennent dans tous les temps des formes et une physionomie nouvelles, et le génie y trouvera toujours des détails nouveaux, qui ne demandent que la connaissance du monde et des hommes, et le talent d'écrire, pour fournir de nouvelles beautés à l'expression et à la pensée. Et, après tout, les Frayssinous et les Mac-Carthy ont bien résolu le difficile problême de faire agréer à un nombreux auditoire, dont les plus beaux esprits de Paris faisaient partie, l'austère morale du christianisme, sa controverse sèche et aride, sous les formes du style classique. Ces hommes ,se méfient de la parole de la croix, prêchée par douze pauvres pêcheurs. Elle a converti l'univers , et sous les formes de l'éloquence grave, sérieuse, austère, des Origène, des Athanase, des Bazile et des Chrysostôme, elle en a imposé aux Celse, aux Prophyre , aux Libanius et à tout ce faste de la philosophie païenne.

24. Mais ne faut-il pas approprier la parole divine aux mœurs du temps, et le grand intérêt de la religion n'est-il pas d'attirer par tous les appâts possibles les mécréans dans le temple du Seigneur, pour les y prendre au filet de la divine parole? Faible excuse d'une mauvaise cause; car, outre que la solidité des preuves et la bonne dialectique sont de tous les temps, est-ce bien la parole divine que vous prêchez, ou bien les profanes nouveautés de la philosophie humaine ? Vous attirez la foule en dénaturant le vrai genre de la chaire, sous prétexte de zèle, et vous vous autorisez ensuite de l'affluence des curieux pour justifier une manière de prêcher qui est un abus de la parole et une profanation de la chaire sacrée. Un vaste et nombreux auditoire est à vos yeux un argument auquel il est impossible de répondre. Là, dites-vous, est le public vrai juge de la matière ; c'est là qu'il prononce ses jugemens et qu'il dispense avec impartialité la louange ou le blâme : suivre un orateur, assister trois fois la semaine à ses discours, avec une assiduité qui ne se dément jamais dans la longue station d'un avent ou d'un carême, n'est-ce pas là émettre son suffrage d'une manière plus solennelle que

Réponses aux prétextes des prédicateurs romantiques.

si la main le déposait dans l'urne ou l'écrivait sur un scrutin ? Et il vous semble que vous avez autant de défenseurs de votre genre que d'auditeurs de vos discours. Je vois une grande illusion dans ce nombreux auditoire dont vous me parlez. La distance est grande, immense même, entre ce fait posé comme principe : Ce prédicateur est beaucoup suivi, il tire après lui un nombreux auditoire, et cette conséquence : donc il est vraiment éloquent, et ses discours, bâtis sur les bonnes règles, brillent des véritables beautés de l'art oratoire. Et d'abord, c'est une vérité que l'expérience nous apprend, que ce n'est pas seulement le vrai talent qui attire la foule , mais que souvent la nouveauté suffit pour produire le même effet.

Ensuite il n'est que trop vrai qu'il y a des temps où, le goût étant dépravé, un genre qui s'y conforme sera toujours sûr de plaire à la multitude. Mais ce qui distinguera toujours un vrai prédicateur de celui qui n'en a que les apparences, c'est que le premier aura l'assentiment du clergé éclairé, et acquerra une célébrité solide et durable, tandis que le second ne plaira qu'aux jeunes littérateurs du jour, et n'aura qu'une vogue passagère.

25. Après avoir signalé le mal, il convient d'en indiquer le remède. Je ne le vois que dans les supérieurs ecclésiastiques séculiers et réguliers , et dans MM. les curés des villes. « J'o« serai, dit M. Boyer, appeler ici l'attention de « nos prélats sur nos écoles ecclésiastiques, « connues sous le nom de petits-séminaires ; « les prier de considérer dans leur sagesse s'il « ne serait pas expédient de ne jamais accorder « la haute tenue et l'enseignement des classes « supérieures de ces maisons à des ecclésiasti« ques qui ne seraient pas fortement prononcés « contre ce mauvais genre; de leur recomman« der de le surveiller avec sévérité dans les o compositions des clercs humanistes. On ne « saurait croire combien ces premières impres« sions reçues sont profondes et durables. »

Pour les supérieurs réguliers, il leur est facile de bannir de leur société ce genre nouveau qui ne convient nullement à des hommes apostoliques.

MM. les curés des villes ont dans leurs mains, contre cet abus, des moyens efficaces. C'est de s'élever au-dessus d'un calcul d'argent bien misérable, comparé à un si grand dommage fait à la religion, et de n'appeler pour leurs grandes stations de l'avent et du carême que des prédi-

Moyens d'arrêter la contagion du romantique parmi le clergé.

cateurs propres, par leur éloquence grave et sérieuse , à édifier la charité, sans nourrir l'orgueil et la curiosité. Ils doivent à leurs peuples une nourriture solide, et les orateurs à la mode qu'ils élèveraient sur leurs chaires à leur place sont du nombre de ces faux prophètes que l'esprit de Dieu a signalés par ce triste caractère : Leurs mamelles sont arides et leurs entrailles sont stériles. C'est la parole de la croix pleine de la force et de la vertu de Dieu qui engendre les élus à la vie de la grace : Genuit, nos verbo veritatis. Et la parole de ces hommes est un germe corrompu, qui n'y produit autre chose que les fruits stériles de l'admiration ou les vains applaudissemens de la louange, enfans bâtards de la vanité humaine : adultérantes verbum Dei.

26. Ministres de l'Évangile, si nous sommes encore éblouis dans notre grave et saint ministère de cette gloire de l'esprit dont la piété est quelquefois lente à se détacher, appelons à notre secours les considérations humaines , abordons de près ce fantôme de la renommée pour en voir le creux, le vide et le néant ; et, en songeant à quel prix le monde donne cette vaine fumée, nous comprendrons qu'il faut travailler pour

Exhortation aux jeunes orateurs chrétiens.

d'autres vues, attendre notre récompense de ce juste appréciateur du mérite, dont le jugement, réglé par son infinie sagesse, n'est pas égaré par les aberrations de l'opinion.

Jeunes orateurs chrétiens, qui courez la brillante et périlleuse carrière de l'éloquence de la chaire, voulez-vous répudier le riche héritage que vous ont laissé les Bossuet, les Massillon, les Bourdaloue, les Fénélon? Leurs chefs-d'œuvre oratoires sont des trésors inestimables de savoir, de piété et de doctrine : de plus, ils sont la gloire de notre France et l'honneur de sa littérature ; voulez-vous renoncer à ce magnifique héritage?. Levez les yeux vers le ciel, regardez la récompense qui vous est promise : c'est cette incorruptible couronne que saint Paul attendait au bout de sa carrière ; c'est un poids immense de gloire sur lequel s'élève une auréole brillante de lumière réservée aux ouvriers évangéliques qui ont prêché la divine parole; elle sera surtout accordée à cet humble pasteur qui n'a pas dédaigné de consacrer un talent distingué, capable de briller sur les chaires d'une grande cité, pour se dévouer à l'enseignement du pauvre dans une obscure campagne ; mais elle ne sera pas refusée aux

orateurs chrétiens que l'obéissance et une vocation éprouvée auront portés à évangéliser la justice avec l'éloquence grave, majestueuse, des Grégoire, des Chrysostôme et des grands maîtres de la chaire française.

Si, sur le fondement qui est Jésus-Christ et sa parole sainte, vous élevez des doctrines humaines , les spéculations oiseuses ou abstraites de la philosophie ou de la politique, le faste de l'érudition, la pompe et les ornemens faux et ambitieux de la parole, craignez les rigueurs de la justice divine et le compte terrible qu'elle demandera aux prédicateurs mondains et frivoles qui auront préféré leur propre gloire à celle de Dieu et au salut des ames (M. BOYER).

CHAPITRE III.

DE LA SCIENCE NECESSAIRE A L'ORATEUR SACRÉ.

1. J'ai remarqué en bien des occasions, dit Fénélon, que ce qui manque le plus à certains orateurs, qui ont d'ailleurs beaucoup de talent, c'est le fond de science. Leur esprit paraît vide. On voit qu'ils ont eu bien de la peine à trouver de quoi remplir leurs discours : il semble même qu'ils ne parlent pas parce qu'ils sont

remplis de vérités, mais qu'ils cherchent les vérités à mesure qu'ils veulent parler. C'est ce que Cicéron appelle des gens qui vivent au jour la journée, sans nulle provision : malgré tous leurs efforts, leurs discours paraissent toujours maigres et affamés. Il n'est pas temps de se préparer trois mois avant que de faire un discours public : ces préparations particulières, quelque pénibles qu'elles soient, sont nécessairement très-imparfaites, et un habile homme en remarque bientôt le faible; il faut avoir passé plusieurs années à faire un fond abondant.

Nécessité de la science pour l'orateur sacré.

Après cette préparation générale, les préparations particulières coûtent peu : au lieu que, quand on ne s'applique qu'à des actions détachées, on est réduit à payer de phrases et d'antithèses ; on ne traite que des lieux communs; on ne dit rien que de vague; on coud des lambeaux qui ne sont point faits les uns pour les autres ; on ne montre point les vrais principes des choses : on se borne à des raisons superficielles fet souvent fausses ; on n'est pas capable de montrer l'étendue des vérités, parce que toutes les vérités générales ont un enchaînement nécessaire, et qu'il faut les connaître presque toutes pour en traiter solidement une en particulier; on ne peut rien dire avec force, on n'est sûr de rien; tout a un air d'emprunt et de pièces rapportées ; rien ne coule de source; on se fait grand tort à soi-même d'avoir tant d'impatience de se produire. 1

2. On rapporte de M. de Boulogne que, s'étant livré à la prédication plus tôt qu'il n'avait projeté, il témoignait dans la suite regretter vivement de s'être si fort pressé, et de n'avoir pas donné à son talent le temps de se mûrir par une étude sérieuse et par un travail assidu.

3. Dans la notice qu'il a rédigée sur M. de

Ilegrets de Ni, de Boulogne.

Ce qu'il dit de M. de Beauvais

Beauvais, il s'exprime ainsi sur ce prédicateur qui s'était aussi trop pressé de paraître: « On ne peut disconvenir, dit-il, qu'il n'eût réussi davantage et fait de plus grands progrès s'il avait débuté plus tard, et s'il eût laissé mûrir son talent par une étude plus approfondie des hommes et des bons modèles. C'était, en général, ce défaut de la précipitation qu'on remarquait dans les ecclésiastiques à talens, lesquels, avides de succès ou trop impatiens de suivre les premières impressions de leur zèle, abrégeaient trop souvent le temps des épreuves et des travaux préliminaires qu'exige la perfection d'un art auquel suffit à peine la vie tout entière d'un homme. »

4. Vous ne faites que perdre et dissiper inutilement le fruit de votre travail, dit saint Bernard , si, n'étant encore qu'à demi-plein, vous vous hâtez de vous répandre avant d'être entièrement rempli : Quod tuum est spargis et perdis, si priusquam infundaris tu totus, semi plenus festines effundere (Serm. 18, in cant.

n° 2). De même que tout ce que portent les plantes ou les animaux avant le temps ne vient jamais à bien, ainsi le fruit du travail d'un prédicateur qui se produit avant le temps est bien

et de plusieurs prédicateurs.

Sentimens de saint nermrd et de saint Grégoire-Ie-Grand sur la nécessité de la science pour le prédicateur.

souvent de se rendre inutile aux autres et nuisible à lui-même. H Que ceux, dit saint Grégoirele-Grand, que leur âge, leur insuffisance ou quelque autre défaut éloigne de ce saint emploi, et qui néanmoins s'y portent avec précipitation, prennent bien garde qu'en se chargeant si promptement et avec tant de présomption d'une fonction si importante, ils ne s'ôtent à euxmêmes les moyens de pouvoir mieux s'en acquitter dans la suite, et qu'en s'ingérant avant le temps dans un exercice qui passe leurs forces, ils ne se rendent incapables de le remplir aussi dignement qu'ils auraient pu le faire s'ils avaient attendu un temps plus propre ; qu'ils craignent de ressembler aux petits des oiseaux qui, voulant prendre leur vol trop haut avant d'avoir des ailes assez fortes, tombent à terre , ou à une femme enceinte qui produit son fruit avant qu'il soit formé, et ne remplit qu'un tombeau au lieu d'augmenter sa maison. » (Past., liv. 3, chap. 25).

5. Le but de la prédication étant d'instruire les hommes des vérités nécessaires, et de les porter à la pratique des vertus chrétiennes pour leur salut, il faut que l'orateur sacré

",-,,oIl!laisse à fond la religion et tout ce qui peut

Objets des études de l'orateur sacré.

le rendre capable de bien remplir L'auguste ministère qui lui est confié. Ainsi la théologie dogmatique et morale, l'Ecriture-Sainte et les saints Pères, tels sont les trois objets principaux qui doivent faire la matière de ses études. Il doit y ajouter l'histoire, bien savoir sa langue, *, connaître les règles de la saine littérature et s'être familiarisé avec les bons modèles, c'est-' à-dire avec les auteurs qui se sont le plus distingués dans la chaire. J 6. Sans un fonds de théologie, dit Gaichiés, le prédicateur erre ou hésite sur les dogmes. Il serait honteux au docteur du peuple de ne pouvoir pas dire précisément ce qui est de foi. Il doit non-seulement ne pas errer, mais être as- suré qu'il n'erre point. Un rhéteur, un sophiste débite ses imaginations. Il ne doit pas en être de même d'un prédicateur : la religion n'est pas son ouvrage; il la reçoit, il la transmet telle qu'il l'a reçue. Mais, pour la transmettre fidèlement', il doit la connaître. Il faut donc qu'il l'étudié. Ce n'est pas tout. Non-seulement il doit la transmettre intacte, mais encore la défendre contre l'erreur et l'incrédulité. Il faut donc qu'il connaisse les objections que font contre ses enseignemens les ennemis de la vé-

Du dogme.

rite, et qu'il puisse y répondre, soit dans des conférences, soit dans des entretiens particuliers. Celui qui ne se sent pas assez fort ne doit pas s'ériger en docteur et s'exposer par son ignorance à compromettre la cause sacrée de la religion.

7. Le prédicateur doit aussi bien connaître les principes de la morale pour éviter de tomber dans deux excès également condamnables, qui sont la trop grande sévérité ou le relâchement.

Il faut qu'il sache distinguer ce qui est de précepte et ce qui n'est que de conseil; qu'il puisse faire une juste application des principes généraux aux cas particuliers, et diriger avec une sécurité bien fondée les consciences, soit dans la chaire, soit au saint tribunal. Sans une étude approfondie de la morale, le prédicateur outrera les principes ou portera des décisions téméraires qui mettront le trouble parmi les fidèles r et l'exposeront lui-même à un compte terrible devant Dieu.

8. Pour exciter à l'étude de la morale les jeunes candidats de la chaire, on peut leur proposer ici pour modèle l'exemple de saint François de Sales. On sait assez qu'il avait un talent particulier pour diriger les ames dans les voies

De la morale.

Imiler saint François de Sales dans son application à l'étude de la morale.

du salut; mais peu de personnes savent par quel travail assidu il avait coopéré à la grâce de sa vocation, et acquis cette connaissance étendue de la morale et cette rare prudence qu'on admire dans ses écrits. Il devait en grande partie l'exactitude de ses principes et la justesse de ses raisonnemens à l'application infatigable avec laquelle il avait lu , médité, approfondi la doctrine de saint Thomas, qu'il vénérait comme le plus grand des docteurs et le plus profond des théologiens. Il s'en était rendu les principes si familiers, qu'il en faisait facilement l'application dans toutes les circonstances.

9. C'est ce qu'on peut aisément remarquer dans tous ses ouvrages. Il y trace avec une sagesse admirable des règles fixes et précises, qui tiennent le juste-milieu entre une sévérité outrée et un dangereux relâchement. Partout il distingue avec netteté ce qui est péché et ce qui ne l'est pas, ce qu'on peut tolérer et ce qu'on doit interdire. Il s'applique principalement à réfuter l'erreur de ceux qui font consister la vertu dans des exercices extraordinaires, ou qui proposent des pratiques peu convenables à la condition des personnes qu'on dirige et à leur état. Il sait faire trouver à chacun,

Sagesse de ses principes de direction.

dans la position où la Providence l'a placé, et dans une vie qui ne présente au dehors rien d'extraordinaire, la plus haute et la plus éminente sainteté.

1 O. Par un juste tempérament de douceur et de zèle, il proportionne avec tant de sagesse la dévotion avec les bienséances, et même avec les agrémens innocens de chaque état, qu'on se sent attiré à la pratique d'une vertu si aimable.

Il recommande souvent une sage condescendance, une douce complaisance, pourvu qu'elle ne soit point aux dépens de la religion et du devoir. Il veut que, toujours charitable, toujours obligeant, toujours prêt à venir au secours du prochain, on cherche toujours à lui rendre service. Il condamne la bizarrerie, l'humeur,

le caprice, qui font mépriser et quelquefois haïr la piété dans certaines personnes qui pensent être dévotes sans travailler à dompter leur caractère. Il conseille une liberté sainte qui ne s'écarte jamais des règles de la vertu, une gaîté chrétienne qui sache s'unir aux devoirs les plus austères de l'Évangile, une douceur sans faiblesse qui s'allie avec l'héroïsme de la sainteté.

11. Voilà la doctrine qu'on trouve à chaque page dans ses ouvrages. Heureux le minis-

II recommande souvent une sage condescendance.

Le ministre du Seigneur ne saurait trop se pé-

tre du Seigneur, qui se sera bien rempli, bien pénétré des règles sages qui y sont contenues ! C'est là qu'il apprendra à conduire les ames, sans les faire sortir de la voie où la divine providence les a appelées, et sans rendre pesant le joug que le Seigneur a voulu être doux et léger (1). C'est là qu'il puisera avec confiance des principes sûrs et une morale exacte; ear, avant de canoniser saint François de Sales, le Saint-Siège fit examiner tous ses écrits; et on les trouva si remplis de l'esprit de Dieu, si propres à produire des fruits de salut, qu'on en déclara la doctrine aussi salutaire que celle des Pères de l'Eglise.

Heureux donc, heureux, je le répète, le prêtre qui étudie à cette sainte école et qui puise avec avidité les eaux de cette excellente doctrine ! Ses décisions, ses conseils, ses pratiques, tout est infiniment précieux pour un directeur des ames. Chacun de ses écrits porte le cachet du zèle, de la prudence et de la piété. Le pape Alexandre VII, dans la bulle de sa canonisation, les compare à des eaux

( 1 ) Jugum meum suave est , et omis mellln levé (MATTH., 11, 30).

nétrer de sa doctrine.

abondantes qui ont arrosé les cœurs et des grands et du simple peuple, et qui leur ont fait produire aux uns et aux autres une abondante moisson de vertus évangéliques.

12. La principale étude du prédicateur est celle de l'Écriture-Sainte. Il y trouvera nonseulement tous les dogmes et tous les principes de la morale, en un mot, toute la science de la religion, mais encore un riche fond d'éloquence. C'est un trésor inépuisable de vérités et de principes, et en même temps de beautés littéraires en tous genres. Quand on ne considérerait l'Ecriture-Sainte que sous ce dernier rapport, elle serait au- dessus de tous ces auteurs profanes les plus renommés.

« Elle les surpasse tous infiniment, dit FénéIon, en naïveté, en vicacité, en grandeur.

Jamais Homère même n'a approché de la sublimité de Moïse dans ses cantiques, particulièrement le dernier, que tous les enfans des Israélites devaient apprendre par cœur.

Jamais nulle ode grecque ou latine n'a pu atteindre à la hauteur des psaumes. Par exemple, celui qui commence ainsi : Le Dieu des Dieux, le Seigneur a parlé, et il a ap- pelé la terre, surpasse toute imagination hu-

De l'Écriture sainte. Son excellence.

maine. Jamais Homère, ni aucun autre poète, n'a égalé Isaïe peignant la majesté de Dieu, aux yeux duquel les royaumes ne sont qu'un grain de poussière, l'univers qu'une tente qu'on dresse aujourd'hui et qu'on enlèvera demain. Tantôt ce prophète a toute la douceur et toute la tendresse d'une églogue, dans les riantes peintures qu'il fait de la paix ; tantôt il s'élève jusqu'à laisser tout au-dessous de lui. Mais qu'y a-t-il, dans l'antiquité profane, de comparable au tendre Jérémie déplorant les maux de son peuple ; ou à Nalium voyant de loin en esprit tomber la superbe Ninive sous les efforts d'une armée innombrable ? On croit voir cette armée, on croit entendre le bruit des armes et des chariots ; tout est dépeint d'une manière vive qui saisit l'imagination. Il laisse Homère loin derrière lui.

Lisez encore Daniel dénonçant à Balthasar la vengeance de Dieu toute prête à fondre sur lui, et cherchez dans les plus sublimes originaux de l'antiquité quelque chose qu'on puisse comparer à cet endroit-là. Au reste, tout se tient dans l'Écriture - Sainte ; tout y garde le caractère qu'il doit avoir: l'histoire, le détail des lois, les descriptions, les endroits véhémens, les mystères, les discours de morale. Enfin, il y a

autant de différence entre les poètes profanes et les prophètes, qu'il y en a entre le véritable enthousiasme et le faux. Les uns, véritablement inspirés, expriment sensiblement quelque chose de divin; les autres, s'efforçant de s'élever audessus d'eux-mêmes, laissent toujours voir en eux la faiblesse humaine. »

13. Le style du Nouveau-Testament est sim- pie. « Cette simplicité, dit encore Fénélon, est tout-à-fait du goût antique. Elle est conforme et 1 à Moïse, et aux prophètes, dont Jésus-Christ prend assez souvent les expressions. Mais, quoique simple et familier, il est sublime et figuré en bien des endroits. Il serait aisé de montrer en détail, les livres à la main, que nous n'avons point de prédicateur en notre siècle qui ait été aussi figuré, dans ses sermons les plus préparés, que Jésus-Christ l'a été dans ses prédications populaires. Je ne parle point de ses discours rapportés par saint Jean, où presque tout est sensiblement divin; je parle de ses discours les plus familiers, écrits par les autres évangélistes. Les apôtres ont écrit de même, avec cette différence, que Jésus - Christ, maître de sa doctrine, la distribue tranquillement. Il dit ce qui lui plaît, et le dit sans aucun effort. Il parle

De la simplicité du nouveau Testament.

du royaume et de la gloire célestes comme de la maison de son père. Toutes ces grandeurs qui nous étonnent lui sont naturelles; il y est né, et il ne dit que ce qu'il voit, comme il nous l'assure lui-même. Au contraire, les apôtres succombent sous le poids des vérités qui leur sont révélées; ils ne peuvent exprimer tout ce qu'ils conçoivent : les paroles leur manquent.

De là viennent ces transpositions, ces expressions confuses, ces liaisons de discours qui ne peuvent finir. Toute cette irrégularité de style marque dans saint Paul et dans tous les autres apôtres que l'esprit de Dieu entraînait le leur. Mais, nonobstant ces petits désordres pour la diction, tout y est noble, vif et touchant. Pour l' A pocalypse , on y trouve la même magnificence et le même enthousiasme que dans les prophètes.

Les expressions sont souvent les mêmes ; et quelquefois ce rapport fait qu'ils s'aident mutuellement à être entendus. L'éloquence n'appartient donc pas seulement aux livres de l'ancien Testament, elle se trouve aussi dans le nouveau. »

14. Ceux qui sont chargés d'instruire , les peuples doivent imiter ou plutôt emprunter l'éloquence de l'Écriture-Sainte. Je voudrais, dit

Comment il faut faire usage de l'ÉcrilureSainte.

Fénélon, qu'ils en prissent l'esprit, le style et les figures; que tous leurs discours servissent à en donner l'intelligence et le goût. Il n'en faudrait pas davantage pour être éloquent : car ce serait imiter le plus parfait modèle de l'éloquence.

15. La Bible est une source féconde et intarissable de sublime. Où trouver ailleurs avec tant d'abondance cette poésie d'imagination dans l'expression, qui donne tant de relief, d'empire et d'éclat aux compositions de la chaire, et qui, sans recherche comme sans enflure, est pour ce ministère le véritable coloris du style oratoire? Il suffit de lire avec attention nos prédicateurs du premier rang pour voir combien ils y ont emprunté de pompe, d'autorité, de véhémence et d'élévation. Toutes les fois que vous êtes plus vivement frappé de la magnificence ou même de l'onction de leurs discours, suspendez un instant, éclairez votre admiration ; remontez aussitôt par la pensée à l'origine de cette élocution ravissante, qui s'élève sans effort et sans emphase au-dessus de la langue ordinaire des hommes, le pieux enchantement de votre goût va découvrir avec surprise que l'orateur se montre d'autant plus sublime, qu'il répète plus fidèlement les paroles du texte sacré.

La Bible est une source féconde de sublime pour les orateurs sacrés.

16. C'est cet usage de l'Écriture-Sainte qui donne aux discours de Bossuet cette force, cette plénitude et cette élévation que nous y remarquons. Voilà l'inépuisable mine dans laquelle il trouve ses preuves, ses comparaisons, ses exemples, ses transitions et ses images. On le voit sans cesse éclaircir l'ancien Testament par le nouveau,, saisir l'économie de la religion et en combiner les parties pour en faire un tout harmonieux et sublime. Au lieu de citer les livres saints en fastidieux érudit, il s'en sert en orateur plein de nerf et de verve. Il ne rapporte pas sèchement des passages, mais il présente des traits qui forment des tableaux ; et il fond si bien les pensées de l'Ecriture avec les siennes, qu'on croirait qu'il les crée, ou du moins qu'elles ont été conçues exprès pour l'usage qu'il en fait. Veut-il nous montrer un roi désabusé des grandeurs du monde? Il répète les longs gémissemens de David. Veut-il exciter la pitié et attendrir ses auditeurs pour mieux les émouvoir ? Il fait pleurer avec lui le pathétique Jérémie ; et les accens de Jérémie semblent acquérir, en passant par son organe, une nouvelle énergie pour peindre les calamités de Sion.

17. L'usage de rÉcritureSainte fournit les

Exemple de Bossuet.

Exemple de Brydaync.

morceaux les plus frappans à celui qui sait en choisir les mouvemens et les images" et les approprier aux sujets qu'il traite. Avec la seule éloquence du zèle dont il était animé, le grand missionnaire Brydayne excitait une émotion èxtraordinaire, et frappait tout son auditoire d'un sombre saisissement, par la simple citation d'un passage de l'Evangile, très-naturellement amené dans son sermon sur le zèle sacerdotal.

Voici le trait mémorable que fournissait à son inculte véhémence la traduction littérale de deux versets de saint Luc, pour enflammer l'émulation des ministres du sanctuaire, lorsqu'il donnait une retraite particulière au clergé durant ses missions : « Mes vénérables frères, « disait-il, si l'exemple des apôtres qui ont con« verti le monde intimide votre ministère au « lieu de l'encourager, je vais m'accommoder « aujourd'hui à votre faiblesse. Je veux propo« ser par condescendance, à l'ardeur de vos « sollicitudes en faveur des pécheurs, un nou« veau modèle que vous n'osiez pas trouver « trop saint, et encore moins trop inimitable « dans l'œuvre de leur conversion. Écoutez u donc avec confusion et avec envie le singulier (c émule de zèle que j'ai à vous présenter. Ce

« n'est plus parmi les apôtres, ce n'est plus au « milieu des Pères de l'Eglise, ce n'est plus « même entre les grands évêques et les saints « ministres de l'Evangile ; c'est uniquement « parmi les réprouvés, c'est dans l'enfer que « je vais chercher en ce moment un exemple « de la compassion charitable-que vous me per« mettrez bien, sans doute , d'attendre ici de « votre sacerdoce, pour écartfer vos frères de l'abîme éternel où le pauvre misérable, qui « va comparaître à l'instant devant vous , se (c trouve déjà précipité lui-même ! Voici com« ment le mauvais riche parle dans l'Evangile, « après sa réprobation : Père Abraham J s'écrie« t-il, ènvoyez du moins Lazare dans la mai« son de mon père, afin qu-'il avertisse les cinq « frères que j'y ai laissés 3 de peur qu-'ils ne (( tombent aussi eux-mêmes dans ce lieu de c( tourmens ; car si quelqu'un ne ressuscite « d'entre les morts, ils ne croiront pas. (St.

« Luc, ch. 16, v. 27 et 28). Tel est le zèle d'un « réprouvé pour empêcher d'autres pécheurs M comme lui d'être bientôt entraînés à sa suite « au fond de l'enfer. C'est un damné, c'est un « suppôt de Satan qui, ne pouvant les instruire « lui-même de son malheureux sort, veut du

« moins leur envoyer un charitable mission« naire ! Et un prêtre de Jésus-Christ verrait « avec indifférence s'enfoncer dans ce gouffre, « toujours ouvert, de la justice divine, des (( ames rachetées du sang d'un Dieu qui l'en « rendra responsable au dernier jugement !

c( 0 scandale 1 ô ineffaçable opprobre du sanc<( tuaire ! » On est frappé, en admirant un si vigoureux mouvement d'éloquence, des ressources fécondes et inépuisables qu'offrent les livres saints au talent d'un orateur capable d'en discerner et d'en reproduire les trésors.

1 S. L'orateur sacré qui ne fait point usage de l'Ecriture-Sainte se prive ainsi de ce qui est le ; plus capable de donner de la force et de l'autorité à son ministère. Malheur à lui s'il rougissait de l'Évangile au moment où il l'annonce (1), et s'il s'abaissait à l'impie et abjecte condescen-

( 1 ) Il y en a qui, en citant certains passages de l'Ecriture-Sainte, ont soin de faire remarquer que c'est Dieu qui parle de telle manière, non pour donner du poids à leur discours, mais comme s'ils voulaient s'excuser de ce qu'ils rapportent une chose aussi simple que l'est, par exemple, une parabole ou une comparaison du Nouveau-Testament, et que pour eux ils n'auraient garde de s'exprimer si bassement. Quelle irrévérence !

Contre les prédicateurs qui ne citent point l'Ëcriture-Sainte.

dance de n'oser plus nommer Jésus-Christ dans la chaire même où il vient occuper sa place et proclamer ses oracles! (MAURY.) 19. Le prédicateur doit parler à la conscience et faire céder des volontés rebelles. Il faut donc qu'il disparaisse pour laisser entendre la voix de celui dont la parole est toute-puissante. C'est à lui qu'il appartient d'éclairer les esprits, de tonner dans les consciences et de fendre les cœurs endurcis par des coups de foudre. S'il y avait, dit M. de Boulogne, un prédicateur assez téméraire pour attendre ces grands effets de son éloquence, il me semble que Dieu lui dit comme à Job : Et si habes brachium sicut Deus, et si voce simili tonas (40,4) ; si tu crois avoir un bras comme Dieu, et tonner d'une voix semblable, achève et fais le Dieu tout-àfait. Qu'ils sont donc coupables ces ministres sacrés qui ne parlent qu'un langage à eux, un langage tout humain, au lieu de faire parler Dieu lui-même en citant ses oracles !

La parole de Dieu est vive et efficace. Elle est plus pénétrante qu'un glaive à deux tranchans (1 ). Elle ressemble à un feu actif, à un

(1) Yivus est sermo Dei et efifcax, et penetrabilior omni gladio ancipiti (HEBR. 4, 12).

Empire des paroles de l'Écriture-Sainte sur les consciences.

marteau qui brise les pierres (1). Quoique simple en apparence, elle est cependant pleine de force et de vertu, parce qu'elle porte en elle la vertu même qui persuade et touche le cœur.

Les paroles de l'homme sont des paroles mortes, parce qu'elles sont dépouillées de la vertu divine; et c'est pour cela qu'elles ne produisent aucun fruit pour la vie éternelle. Les prédicateurs mondains ne font nullement attention à cette vérité. Ils ignorent complètement que Dieu a * attaché à ses paroles prononcées officiellement une efficacité pour éclairer et toucher les ames , comme il a attaché l'effet miraculeux de la transsubstantiation à celles de la consécration que le prêtre prononce à rautel. Celles-ci opèrent infailliblement toutes les fois qu'elles sont proférées à la messe. Celles-là ont un effet conditionnel : elles opèrent selon les dispositions intérieures et les desseins de Dieu, dont le prédicateur n'a pas connaissance. Malheur à lui si un impie ou un pécheur périt faute d'avoir

( 1 ) Numquid non verba mea sunt quasi ignis, dicil Dominus, et quasi malleus conterens petram? (JÉRÉM.

23, 29).

entendu une parole qui était destinée à le convertir !

20. Si ceux qui ne citent point l'ÉcritureSainte dans leur discours sont condamnables, ceux qui en abusent le sont encore davantage.

Quel crime que celui de se servir de la parole de Dieu comme les hérétiques et les libertins, pour soutenir l'erreur et autoriser le mal (1 ) !

Quel crime que de la profaner en la citant par malignité pour dénigrer le prochain, ou par vanité (2) pour se satisfaire en faisant une épigramme, un jeu de mots ou une allusion inconvenante ! Un prêtre qui a de la foi peut-il s'oublier à ce point, et ne pas craindre que Dieu le

( 1 ) Satan a donné l'exemple de ces citations impies en tentant Jésus-Christ dans le désert. C'est là le modèle que suivent les hérétiques.

(2) Souvent on ne cite l'Ecriture) dit Fénélon, qu'après coup, par bienséance et pour l'ornement.

Alors ce n'est plus la parole de Dieu ; c'est la parole et l'invention des hommes. On vous jette un passage de l'Evangile , dit Abelly, et même une parole de Notre-Seigneur , au bout d'une période, seulement pour la terminer de meilleure grace par une sentence , avec aussi peu de révérence que si l'on citait un vers de Virgile ou d'Horace. Ce n'est pas respecter l'Écriture-Sainte que d'en faire un tel usage.

Contre ceux qui abusont de récriture sainte.

1

prive de la consolation des saintes Écritures, en luifermant le sens et en l'abandonnant à ses ténèbres ? N'avons-nous pas un exemple terrible de ce châtiment dans la personne d'un écrivain célèbre, qui a fait de l'Écriture-Sainte le plus prodigieux abus dans ses derniers ouvrages (1)?

(1) Les Paroles titun croyant et le Livre du peuple.

Voici ce que dit M. Boyer du premier ouvrage : « Une pensée qui y domine, c'est la haine des riches , des puissans et des rois ; mais elle y est effacée et comme étouffée dans la confusion des détails; ce sont des exhortations à la paix, à la patience, au support de ses frères, à la commisération pour leurs misères et leurs faiblesses ; au mépris et au détachement de la vie: c'est le plus pur esprit de l'Evangile ; vous croyez entendre un prêtre pieux qui exhorte des ames dévotes. Et puis c'est un tribun furieux qui ne respire que la guerre et les combats ; ce sont des harangues furibondes au peuple de courir aux armes, de se ruer sur les rois et les riches du siècle, pour démolir leurs trônes et procéder à un nouveau partage de la terre ; périr, s'il le faut, dans ces guerres <l'une extermination persévérante, où les nations et les générations ne doivent pas balancer de descendre dans la tombe, pour abolir la tyrannie et léguer la

liberté aux races futures. Enfin c'est un amalgame inconcevable de mysticité et de démagogie , de piété €t de fanatisme révolutionnaire, qui vous arrête et vous déconcerte à chaque pas. » ( Défense de tordre social, T. Ier, p. 225.)

21. A l'étude de l'Écriture-Sainte, il faut joindre celle des saints Pères. Ils sont les canaux de la tradition : c'est par eux que nous découvrons la manière dont l'Église a interprété

M. Beautain s'exprime ainsi sur le même écrit : « Chose bizarre ! C'est après les déclamations les plus violentes, les plus cruelles invectives, que le croyant laisse ordinairement tomber quelques paroles de foi et de charité , quelques paroles vraiment chrétiennes Et toutes ces paroles d'amour et de haine, de paix et de guerre, de miséricorde et de vengeance , de vie et de mort, arrivent pêle-mêle les unes avec les autres , comme dans un chaos où tous les élémens sont confondus. Le livre du croyant est en effet l'image du chaos qui se fait dans une ame bouleversée, dans un monde déchu où les ténèbres et la lumière se disputent l'empire. Dans un moment, c'est la douce lumière de la foi qui rayonne, et le cœur du croyant s'émeut : il parle en apôtre.

Dans un autre , c'est sa tête qui travaille ; les pensées confuses , les opinions contradictoires, les souvenirs amers et les ressentimens y fermentent ; alors c'est un volcan qui éclate, et qui vomit au loin, avec une lueur lugubre, le feu, la dévastation et la mort : c'est une parole d'enfer. » Tout cela est exposé avec les propres paroles de l'Ecriture-Sainte, perfidement citée et dans un sens tout opposé à celui de l'écrivain sacré. C'est un style tout biblique. Jamais abus pareil n'a été fait de la parole sainte. C'est une profanation continuelle. La lumière y est confondue avec les ténèbres, et Satan y parle avec les prophètes.

Des Suints Pères. Ils sont les interprètes de tenture sainte.

l'Écriture dans tous les siècles. « Dans les premiers temps du christianisme, dit Fleury, tous les évêques prêchaient, et il n'y avait guère qu'eux qui prêchassent. Le prélat expliquait l'Évangile ou quelque autre partie de l'Écriture, dont il prenait souvent un livre pour l'expliquer de suite ; ou bien il en choisissait les sujets les plus importans. Leurs discours sont simples, sans aucun art qui paraisse, sans divisions, sans raisonnemens subtiles , sans érudition curieuse; quelques-uns sans mouvement, la plupart fort courts. Il est vrai que ces saints évêques ne prétendaient point être orateurs, ni faire des harangues; ils prétendaient parler familièrement, comme des pères à leurs enfans, et des maîtres à leurs disciples. C'est pour cela que les discours se nommaient homélies en grec, et sermons en latin. Ils cherchaient à instruire en expliquant l'Écriture par la tradition des Pères, pour la confirmation de la foi et la correction des mœurs. Ils cherchaient à émouvoir, non pas tant par la véhémence des figures et l'effort de la déclamation que par la grandeur des vérités qu'ils prêchaient, par l'autorité de leurs charges, leur sainteté personnelle, leur charité. Ils proportionnaient leur style à la

portée de leurs auditeurs. Les sermons de saint Augustin sont les plus simples de ses ouvrages, parce qu'il prêchait dans une petite ville à des mariniers, à des laboureurs, à des marchands.

Au contraire, saint Cyprien, saint Ambroise, saint Léon, qui prêchaient dans de grandes villes, parlent avec plus de pompe et d'ornement : mais leurs styles sont différens , suivant leur génie particulier et le goût de leur siècle.

Les ouvrages des Pères grecs sont, pour la plupart, solides et agréables. Saint Grégoire de Nazianze est sublime, et son style travaillé. Saint Chrysostôme me paraît le modèle achevé d'un prédicateur. Il commençait d'ordinaire par expliquer l'Écriture, verset par verset, à mesure que le lecteur la lisait, s'attachant toujours au sens le plus littéral et le plus utile pour les mœurs. Il finissait par une instruction morale, toujours proportionnée aux besoins les plus pressans de ses auditeurs, suivant la connaissance qu'en avait ce pasteur si sage et si vigilant. On voit même qu'il attaquait les vices l'un après l'autre, et qu'il ne cessait point d'en combattre un, qu'il ne l'eût entièrement exterminé, ou du moins notablement affaibli.» (Jfœul's des Chrétiens, n° XI.)

22. Quand on dit qu'il faut toujours expliquer l'Ecriture conformément à la doctrine des Pères, cela s'entend de leur doctrine constante et uniforme. Ils ont donné souvent des sens pieux qui n'ont rien de littéral, ni de fondé sur la doctrine des mystères et des figures prophétiques. Ceux-là sont arbitraires, et alors on n'est pas obligé de les suivre, puisqu'ils ne se sont pas suivis les uns les autres : mais dans les endroits où ils expliquent le sentiment de l'Église sur la doctrine de la foi, ou sur les principes des mœurs, il n'est pas permis d'expliquer l'Ecriture en un sens contraire à leur doctrine.

23. Je voudrais, dit Fénélon, qu'un prêtre, avant de prêcher, connût le fond de leur doctrine , pour s'y conformer. Je voudrais même qu'on étudiât leurs principes de conduite, leurs régies de modération et leur méthode d'instruire. Ce sont nos maîtres. C'étaient des esprits très-élevés, de grandes ames pleines de sentimens héroïques, des gens qui avaient une expérience merveilleuse des esprits et des mœurs, des hommes qui avaient acquis une grande autorité et une grande facilité de parler. On voit même qu'ils étaient très-polis, c'est-à-

Quand est-ce qu'il faul suivre leur doctrine dans l'interprétation des livres saints.

Nécessité d'étudier les saints Pères.

dire, parfaitement instruits de toutes les bienséances, soit pour écrire, soit pour parler en public, soit pour converser familièrement, soit pour remplir toutes les fonctions de la vie civile. Sans doute tout cela devait les rendre trèséloquens et fort propres à gagner les hommes.

Aussi trouve-t-on dans leurs écrits une politesse, non-seulement de paroles, mais de sentimens et de mœurs, qu'on ne trouve point dans les écrivains des siècles sui vans. Cette politesse, qui s'accorde très-bien avec la simplicité, et qui les rendait gracieux et insinuans, faisait de grands effets pour la religion. C'est ce qu'on ne saurait trop étudier en eux. Ainsi, après l'Écriture, voilà les sources pures des bons sermons.

24. Notre but étant de diriger les jeunes candidats de la chaire, nous ajouterons ici plusieurs observations qui pourront leur être d'une grande utilité. Tout n'est pas à imiter dans les saints Pères. Il y en a qui ont pour le style des défauts qu'il faut éviter. Si l'on n'a pas un goût formé d'après les règles de la saine littérature, on court risque de prendre en eux ce qu'il y a de moins bon, et de ramasser leurs défauts dans les sermons que l'on compose. On

Observations sur le style des saints l'èrcs.

trouve, dans certains Pères, des figures outrées, des jeux de mots, des antithèses et des pointes.

Ces défauts se font remarquer surtout dans Tertullien, dans saint Cyprien et saint Augustin.

25. Il y a, dans Tertullien, des choses trèsestimables. La grandeur de ses sentimens est souvent admirable. Il faut le lire pour certains principes sur la tradition, pour les faits historiques et pour la discipline de son temps : mais pour son style, on ne peut le donner pour modèle. Il y a beaucoup de pensées fausses et obscures, beaucoup de métaphores dures et entortillées. Ce qui est mauvais en lui, est ce que la plupart des lecteurs y cherchent le plus.

Beaucoup de prédicateurs se gâtent par cette lecture. L'envie de dire quelque chose de singulier les jette dans cette étude. La diction de Tertullien, qui est extraordinaire et pleine de faste, les éblouit. Il faudrait donc bien se garder d'imiter ses pensées et son style; mais on devrait tirer de ses ouvrages ses grands sentimens et la connaissance de l'antiquité.

26. Saint Cyprien est enflé. On ne pouvait guère être autrement dans son siècle et dans son pays; mais, quoique son style et sa diction sentent l'enflure de son temps et la dureté

Jugement sur Tertullien.

Sur saint Cyprien,

africaine, il a pourtant beaucoup de force et d'éloquence. On voit partout une grande âme , une ame éloquente, qui exprime ses sentimens d'une manière noble et touchante. On y trouve, en quelques endroits, des ornemens affectés; par exemple, dans l'épître à Donat, que saint Augustin cite néanmoins comme une pièce pleine d'éloquence. Ce Père dit que Dieu a permis que ces traits d'une éloquence affectée aient échappé à saint Cyprien, pour apprendre à la postérité combien l'exactitude chrétienne a châtié, dans tout le reste de ses ouvrages, ce qu'il y avait d'ornemens superflus dans le style de cet orateur, et qu'elle l'a réduit dans les bornes d'une éloquence plus grave et plus modeste. C'est, continue saint Augustin, ce dernier caractère, marqué dans toutes les lettres suivantes de saint Cyprien, qu'on peut aimer avec sûreté, et chercher, suivant les règles de la plus sévère religion, mais auquel on ne peut parvenir qu'avec beaucoup de peine.

Dans le fond, l'épître de saint Cyprien à Donat, quoique trop ornée, au jugement même de saint Augustin, mérite d'être appelée éloquente : car, encore qu'on y trouve, comme il dit, un peu trop de fleurs semées, on voit bien

néanmoins que le gros de l'épître est très-sérieux, très-vif et très-propre à donner une idée du christianisme à un païen qu'on veut convertir. Dans les endroits où saint Cyprien s'anime fortement, il laisse là tous les jeux d'esprit; il prend un ton véhément et sublime.

27. Saint Augustin est rempli de pointes.

C'est le défaut de son temps , auquel son esprit vif et subtil lui donnait une pente naturelle.

Cela montre que saint Augustin n'a pas été un orateur pariait; mais cela n'empêche pas qu'avec ce défaut il n'ait eu un grand talent pour la persuasion. C'est un homme qui raisonne avec une force singulière, qui est plein d'idées nobles, qui connaît le fond du cœur de l'homme, qui est poli et attentif à garder, dans tous ses discours, la plus étroite bienséance; qui s'exprime enfin presque toujours d'une manière tendre, affectueuse et insinuante. Un tel homme ne mérite-t-il pas qu'on lui pardonne le défaut que nous remarquons en lui ? Il est touchant, lors même qu'il fait des pointes. Rien n'est plus rempli que ses confessions et ses soliloques. Il faut avouer qu'ils sont tendres et propres à attendrir le lecteur. Il corrige le jeu d'esprit, autant qu'il est possible, par la naï-

Sur saint Augustin.

veté de ses mouvemens et de ses affections. Tous ses ouvrages portent le caractère de l'amour de Dieu : non-seulement il le sentait, mais il savait merveilleusement exprimer au-dehors les sentimens qu'il en avait. Voilà la tendresse qui fait une partie de l'éloquence.

28. On trouve dans saint Jérôme des défauts de style, mais ses expressions sont mâles et grandes. Il n'est pas régulier; mais il est bien plus éloquent que la plupart des gens qui se piquent de l'être. Saint Ambroise suit aussi quelquefois la mode de son temps. Il donne à son discours les ornemens qu'on estimait alors.

Nous voyons néanmoins que, malgré ses jeux de mots, il écrit à Théodose avec une force et une persuasion inimitable. Quelle tendresse n'exprime-t-il pas quand il parle de la mort de son frère Satyre ! Nous avons, dans le bréviaire romain, un discours de lui sur la tête de saint Jean, qu'Hérode respecte et craint encore après sa mort : la fin en est sublime. Quoique saint Léon soit un peu enflé, il est grand et élevé.

Son style est en général élégant. Saint Grégoire, pape, qui vivait dans un siècle si peu cultivé, a pourtant écrit plusieurs choses avec beaucoup de force et de dignité. Saint Pierrc-Chrysologue

Jugement sur d'autres Pires.

renferme un grand fond de piétè évangélique sous une infinité de mauvaises pointes. Saint Jean-Chrysostôme parle bien la langue grecque : son style est diffus; mais il ne cherche point de faux ornemens : tout tend à la persuasion; il place chaque chose avec dessein ; il connaît bien l'Écriture-Sainte et les mœurs des hommes; il entre dans les cœurs, il rend les choses sensibles ; il a des pensées hautes et solides, et il n'est pas sans mouvement. Dans son tout, on peut dire que c'est un grand orateur. Saint Grégoire de Nazianze est plus concis et plus poétique, mais un peu moins appliqué à la persuasion. Il a néanmoins des endroits fort touchans ; par exemple, son adieu à Constantinople et l'éloge funèbre de saint Basile. Celuici est grave, sentencieux , austère, même dans la diction. Il avait profondément médité tout le détail de l'Évangile; il connaissait à fond les maladies de l'homme, et c'est un grand maître pour le régime des ames. On ne peut rien voir de plus éloquent que son épître à une vierge qui était tombée. A mon sens, c'est un chefd'œuvre.

29. Ce serait juger en petit grammairien que de n'examiner les Pères que par. la langue et le 6

Conclusion des observations sur les saints l'ères.

style. L'éloquence ne doit pas être confondue avec l'élégance et la pureté de la diction ; il faut savoir distinguer ce que le malheur du temps et de l'éducation a mis dans ces grands hommes, comme dans tous les autres écrivains de leurs siècles, d'avec ce que leur génie et leurs sentimens leur fournissaient pour persuader leurs auditeurs. Le style était en général très-mauvais dans ces siècles si heureux pour la religion.

Peu de temps après l'empire d'Auguste, l'éloquence et la langue latine même n'avaient fait que se corrompre. Les Pères ne sont venus qu'après ce déclin : ainsi il ne faut pas les prendre pour des modèles sûrs en tout ; il faut même avouer que la plupart des sermons que nous avons d'eux sont leurs moins forts ouvrages. Il ne faut pas laisser de les respecter, ainsi que les auteurs pieux qui ont écrit dans les temps où l'éloquence n'était pas cultivée.

On y apprend la tradition de leur temps , et on y trouve plusieurs autres instructions trèsutiles.

30. Ils n'ignoraient certainement pas les bonnes règles, comme nous le voyons par saint Augustin, qui a fait un traité excellent sur la manière d'enseigner la religion. Il dit qu'un

Il faut les respecter malgré leurs défauts de style.

Les saints Pères n'ignoraient pas les bonnes règles.

discours, pour être persuasif, doit être simple, naturel; que l'art doit y être caché, et qu'un discours qui paraît trop beau met l'auditeur en défiance. Il y applique ces paroles que vous connaissez : Qui sophistice loquitur, odibilis est (Eccli., 37, 23). Il traite avec beaucoup de science l'arrangement des choses, le mélange des divers styles, les moyens de faire toujours croître le discours, la nécessité d'être toujours simple et familier, même pour tous les tons de la voix, et pour l'action en certains endroits, quoique tout ce qu'on dit soit grand quand on prêche la religion; enfin la manière de surprendre et de toucher : voilà les idées de saint Augustin sur l'éloquence. Dans la pratique il avait l'art d'entrer dans les esprits, et il cherchait à émouvoir les passions selon le vrai but de la Rhétorique. On peut s'en convaincre en lisant ce qu'il rapporte lui-même d'un discours qu'il fit au peuple, à Césarée de Mauritanie, pour abolir une coutume barbare. Il s'agissait d'une coutume ancienne qu'on avait poussée jusqu'à une cruauté monstrueuse : c'est tout dire ; il s'agissait d'ôter au peuple un spectacle dont il était charmé : jugez vous-même de la difficulté de cette entreprise. Saint Augustin

dit qu'après avoir parlé quelque temps, ses auditeurs s'écrièrent et lui applaudirent ; mais il jugea que son discours ne persuaderait point, tandis qu'on s'amuserait à lui donner des louanges. Il ne compta donc pour rien le plaisir et l'admiration de l'auditoire, et il ne commença à espérer que quand il vit couler les larmes. En effet, ajoute-t-il, le peuple renonça à ce spectacle, et il y a huit ans qu'il n'a point été renouvelé. N'est-ce pas là un vrai orateur ?

Avons-nous beaucoup de prédicateurs qui soient en état d'en faire autant ? (FÉNÉLON).

31. Le respect qu'on doit aux saints docteurs porterait à dire que ce qu'on leur reproche sous le rapport du style se trouve en eux sciemment; qu'ils se sont conformés à dessein au goût du temps, dans des choses accessoires, pour faire écouter avec plaisir la parole de Dieu, et pour mieux insinuer les vérités de la religion ; qu'ils agissaient en cela par condescendance, et pour ne pas rebuter les esprits : mais ce serait mal les justifier (1 ); il vaut mieux avouer qu'ils

(1) Si l'on admettait cette justification pour les saints Pères, cela n'irait à rien moins qu'à justifier aussi tous les prédicateurs à la mode , de tous les

Ils ont néanmoins payé le tribut à l'opinion par suite de la faiblesse humaine et de l'éducation.

se sont laissés entraîner par le goût dominant de leur siècle, et qu'ils ont payé le tribut à l'opinion par suite de la faiblesse humaine et de l'éducation. Cet aveu n'ôte rien à leur gloire, et il reste encore assez de beautés littéraires dans leurs ouvrages pour compenser les défauts qui s'y trouvent. Quand on les confronte avec leurs contemporains les plus célèbres : saint Ambroise, par exemple, avec Symmaque; saint Basile avec Libanius, alors on voit combien ils ont été supérieurs à leur siècle.

temps et de tous les lieux, même les romantiques, qui prétendent aussi se conformer au goût du siècle par zèle et pour mieux faire goûter la religion aux gens du monde. L'usage des pointes était certainement opposé aux règles du bon goût et ne convenait nullement à la gravité de la chaire. Aussi ne voyonsnous pas saint Augustin approuver cette mode lorsqu'il parle du style, ou la justifier par des raisons quelconques; il n'en dit rien. C'était l'usage de son temps; dès sa jeunesse il s'était formé à ce genre sous la direction de ses maîtres qui trouvaient ces pointes très-ingénieuses. Il suivit leurs leçons et leurs exemples par une sorte d'entraînement et sans presque y réfléchir. Les autres Pères firent de même.

Tant il est difficile de résister aux mauvaises méthodes et aux usages vicieux, quand l'opinion générale les favorise et qu'on y est élevé !

32. Ce sont les Pères de l'Église qui ont été presque les seuls conservateurs des lumières et de l'étude de l'antiquité, durant les longs siècles de barbarie où l'Europe a été plongée. Le bon goût, qui devait suivre tôt ou tard la culture des esprits ainsi rapprochés des grands modèles du beau, fut donc, au moins en partie, un de leurs bienfaits, à l'époque, si honorable pour le clergé, de la renaissance des lettres. Le pape saint Léon, par exemple, est l'un des plus célèbres écrivains latins qui aient illustré cette langue classique, depuis le règne d'Auguste. Son style, quoiqu'il soit parfois enflé, rappelle néanmoins, en le prenant en général, l'élocution de Cicéron, et ses tableaux oratoires ont une onction et un éclat qui en reproduisent quelquefois l'éloquence.

33. « Il arrive souvent aux saints Pères (1), surtout à Origène, à saint Augustin, à saint Grégoire, à saint Bernard, d'allégoriser, c'est-

(1) Ce passage est tiré de l'ouvrage intitulé : Le Prédicateur, ou Examen d'après i' Ecriture, les conciles et les saints Pères, de ce qu'il doit être et de ce qu'il doit dire; dédié à Monseigneur VArchevêque de Paris, par M. l'abbé Morel, chanoine théologal de Paris.

Paris, Poussielgue-Rusand, etc., 1837. C'est un ou-

Services rendus aux lettre, par les saints l'ères.

Justilicalion des saints Pères sur leurs interprétations allégoriques de l'Écriture-Sainle.

à-dire d'offrir sous le sens littéral un autre sens, une instruction étrangère. Là-dessus on s'est mis à crier fortement contre eux. Pour se débarrasser de ces invincibles athlètes dans les questions de la Foi, où personne, autant qu'eux, n'a exposé les écritures dans le sens rigoureux, les sectaires, les hérétiques de tous les temps et tous les ennemis outrageux de l'Église se sont évertués à les faire passer pour des rêveurs, des têtes faibles, des imaginations échauffées, qui ne s'occupaient à voir dans les écritures, du moins très-souvent, que ce qui n'y était pas. Bien des catholiques, et même des prêtres, frappés par le ton magistral et solennel des adversaires du catholicisme, les ont crus sur paroles; et, sitôt que dans les Pères ou ailleurs un passage des écritures est allégorisé, vite ils se détournent et sourient de pitié, comme s'il ne pouvait y avoir là autre chose qu'une sottise.

vrage solide, très-propre à faire sentir aux prédicateurs qui ne font pas un usage assez fréquent de l'EcritureSainte combien ils ont tort de se priver ainsi de ce qui donnerait le plus de force à leurs discours. On y trouve d'excellentes observations sur le mauvais goût littéraire qui domine aujourd'hui et qui menace d'envahir la chaire chrétienne.

« Ceux qui connaissent par eux-mêmes les saints Pères savent très-bien que penser de ces superbes dédains, et que tous ces puissans censeurs , tout en se rengorgeant à cause de leur grec, de leur hébreu, de leur arabe, et de toutes les autres langues du monde qu'ils savent on ne peut mieux, ne répandront jamais plus de lumière sur les Écritures, sur les vérités et les vertus chrétiennes, que les Origène, les Jérôme, les Augustin. Je dirai de ces grands hommes que, s'ils ont allégorisé, ils ont aussi, autant et mieux que personne, exposé les Écritures dans le sens rigoureux. Quant au sens allégorique, ils ont pris cette méthode parce qu'elle était du goût de leur temps ; et ils s'en servaient dans des discours et des ouvrages où il ne s'agissait pas de former des savans, et de donner des preuves directes et positives par les Ecritures, mais de former des chrétiens et des saints. Or, les chrétiens et les saints de ces temps heureux faisant leurs délices des Écritures, les Pères jugèrent bon, et ils avaient raison, d'encadrer leurs enseignemens dans certaines histoires, dans certains passages des livres saints, afin que l'amour pour le cadre qu'on ne pouvait se lasser de regarder fît re-

garder aussi, et par conséquent conserver dans la mémoire, goûter et pratiquer la vérité qu'ils voulaient inculquer.

« Avaient-ils tort? Jugeons-en par les faits.

Nous avons force remarques grammaticales, historiques, philosophiques, géologiques, etc., etc., pour expliquer les livres saints : en devenons-nous meilleurs? D'ailleurs, quel simple fidèle aurait l'intrépidité de s'embarquer sur cette mer? Et quand il mettrait à la voile, à quel rivage arriverait-il? Au contraire, que je me mette à lire une allégorie, même de mauvais goût, même insupportable tout-à-fait, car je ne nie pas qu'il s'en rencontre quelquefois de cette espèce dans les Pères, eh bien! j'en tirerai une instruction douce et encourageante à la vertu : cela vaut bien de la géologie ou de l'archéologie. Je ferai comme un connaisseur sensé.

Une belle statue a été couverte d'un voile désagréable : je lèverai le voile, je jetterai bas le manteau, et mes yeux s'enivreront de la contemplation du chef-d'œuvre. Tout laisser parce que l'allégorie est de mauvais goût, c'est être sage à la manière de celui qui, mourant de soif, aimerait mieux périr que de boire de l'eau d'une fraîche fontaine, parce qu'on ne la

lui présenterait que dans un vase de terre ou d'étain.

« Par ces observations je suis bien loin de vouloir ôter à certaines études, dans les séminaires et ailleurs, les éloges et les encouragemens qu'elles méritent, et que l'Eglise ellemême leur donné; mais je ne voudrais pas non plus qu'un orgueil accompagné de jactance, fort prompt à naître et à grandir dans une tête meublée d'un peu de grec et d'hébreu, fit regarder en pitié des études dont les fruits, pour le plus grand nombre des jeunes gens des séminaires , et plus tard pour la totalité des fidèles, sont infiniment plus décisifs et plus avantageux; je veux dire l'étude des Écritures à la manière des saints Pères. Quand nous sommes dans les paroisses, nous ne montons pas en chaire pour parler, ni même pour nous servir des élucubrations de Grotius ou de Rosen Muller, mais pour faire connaître et servir Dieu. Or, pour arriver là, suivons le chemin tracé par les saints Pères; c'est le meilleur, c'est l'unique. Mais, pour prendre leur chemin, il faut les connaître; et pour les connaître, il faut les désirer, et pour les désirer, il faut les estimer.

« Est-ce à dire qu'il faut sans cesse allégo-

riser ? A Dieu ne plaise ! C'est une affaire de goût. Mais ne faut-il le faire jamais ? faut-il avoir peur de faire usage des allégories des saints Pères? Je déclare pour moi que, lorsqu'une allégorie tirée des saints Pères me semble belle, aisée, entrant de plain pied dans mon discours, propre à mettre en relief la vérité, et capable d'attirer l'attention des auditeurs, je m'en servirai. Cette manière est familière aux Orientaux, et tout ce qui vient de chez eux n'est pas mauvais, je pense. Les discours de Notre Seigneur ne sont-ils pas remplis d'allégories?

Quelles instructions n'en déduit-il pas? quels attraits ces ornemens ne donnent-ils pas à ses entretiens ? Quelquefois, si ce n'était pas lui qui les eût inventées, on appellerait leur auteur un homme de mauvais goût; par exemple, quand il dit dans la parabole de la semence : Le grain c'est la parole, les oiseaux ce sont les démons, le champ c'est le monde, les épines ce sont les richesses, etc., etc. Sur cet évangile, saint Grégoire fait cette remarque pleine de sens, et qui est pour lui-même une excellente excuse, s'il en a besoin, car il allégorise plus que personne : « Mes Frères, dit-il, « si je vous avais exposé la parabole de cette

« manière, vous vous seriez moqué de moi; « jamais vous n'auriez voulu me croire.

« Apprenez par-là à ne pas vous étonner des « sens pieux et utiles que nous cherchons à (f tirer des passages des livres sacrés qu'il n'a cc pas plu au Seigneur d'exposer lui-même. »

(HOM. 4 5, in Evang.) « Toute l'Écriture n'est-elle pas pleine d'allégories; et, puisque l'Écriture est la parole de Dieu que nous devons prêcher, pourquoi dédaigner de nous en servir telle qu'elle est, et d'en prendre la manière? Y a-t-il plus belle allégorie sous le soleil que le livre entier du Cantique des Cantiques ? Celui qui l'a composé était-il de mauvais goût? C'est l'Esprit-Saint, l'inspirateur des David et des Isaïe. Comment l'entendre et l'exposer sans recourir sans cesse à l'allégorie ? Je ne connais point d'exposition de ce livre plus élevée, plus suave, plus poétique, plus mélodieuse, plus utile que celle de Bossuet. L'aigle de Meaux ne pensait donc pas perdre son temps ni abaisser son vol en composant son ouvrage de tout le miel le plus exquis qu'il a recueilli chez les anciens qui avaient exposé ce livre avant lui.

« Enfin, l'allégorie est du domaine de la

poésie, et de la plus haute poésie. Or, l'orateur chrétien, sans jamais chercher à être poète, l'est souvent à cause de la grandeur des intérêts qu'il traite, des moyens qu'il a pour cela et qui sont si poétiques: les Écritures; et enfin, parce que son cœur doit toujours être dévoré de zèle et d'un saint enthousiasme pour Dieu et ses frères ; et c'est l'enthousiasme qui fait le poète.

Dès-lors, pourquoi lui interdire un moyen d'attirer, de toucher et d'enlever, souvent plus impérieux que tous les syllogismes de l'école?

« Certaines gens seront bien étonnés, en criant si fort et en levant si haut les épaules contre l'allégorie, de condamner et de juger comme pauvre d'esprit et de goût la plus grande réputation poétique de ce temps, M. de Lamartine. En lisant son discours sur les destinées de la poésie, j'ai remarqué surtout cet endroit où il raconte ce qui lui vint en pensée en voyant une jeune veuve turque prosternée sur un tombeau, des négresses qui berçaient un enfant en murmurant des airs de leur pays, des soldats arabes qui chantaient en chœur, et les merveilles du ciel, du site et des ruines colossales de Balbeck mêlées aux chants monotones des religieux du désert. » Cette scène, dit-il,

« me présenta les destinées et les phases corn« plètes de la poésie : les trois esclaves noires « berçant l'enfant avec les chansons naïves et (f sans pensées de leur pays, la poésie pasto« raie et instinctive de l'enfance des nations ; la cc jeune turque collée sur une tombe, et pleua rant son mari, en chantant ses sanglots à la « terre, la poésie élégiaque et passionnée, la « poésie du cœur; les mukres arabes récitant « en cadence des fragmens belliqueux d'Antar, « la poésie épique et guerrière des peuples « conquérans; les moines grecs, chantant des « psaumes, la poésie sacrée et lyrique des « âges d'enthousiasme » Il y a bien là," je crois, de l'allégorie, ou je n'y entends rien. »

34. En recommandant la lecture des saints Pères, on ne prétend pas exiger de l'orateur chrétien qu'il lise toute la tradition. Sa vie y suffirait à peine. Mais en parcourant les ouvrages des saints Docteurs, pour prendre une notion générale des matières qu'ils ont traitées, il pourra se fixer à deux ou trois de ces grands maîtres qui lui paraîtront plus analogues à son génie : et, s'il veut même se borner à leurs écrits oratoires, il y trouvera des idées assez frappantes pour en faire habituellement l'appui

Il faut se borner dans la lecture des saints l'ùrcs.

de sa doctrine et l'ornement de ses discours.

Les anciens oracles de l'éloquence que doivent préférer nos orateurs sacrés sont, ce me semble, saint Jean-Chrysostôme, saint Augustin et saint Bernard. Le premier, selon Bossuet, est le plus éloquent prédicateur qui ait jamais enseigné dans l'Église. Le second est un puits de science. Le troisième est admirable par l'usage qu'il fait de l'Écriture-Sainte et par l'onction de ses discours.

A cette étude, on peut ajouter, comme nous l'avons déjà conseillé, celle des écrits de saint François de Sales, où l'on apprendra la vraie manière de faire aimer la religion et d'en rendre la pra-

tique douce et facile pour toutes les conditions.

35. Un prédicateur doit connaître l'histoire, surtout celle de la religion. Comme elle n'est pas toute renfermée dans l'Écriture-Sainte, il doit l'étudier dans les monumens de la tradition. Cette connaissance lui est nécessaire pour appuyer, par des faits, les principes qu'il doit développer en chaire. Rien n'est plus propre à frapper les esprits. Les faits sont les argumens les plus forts et les plus à la portée de la multitude qu'on ne doit jamais perdre de vue. D'ailleurs, c'est par l'histoire que l'orateur sacré apprend à connaître les fondemens de la reli-

Nécessité pour le prédicateur de connaître l'histoire.

gion, les faits dogmatiques, la discipline ecclésiastique des différens siècles, et toute la tradition qu'un docteur chrétien ne doit pas ignorer pour pouvoir réfuter les hérétiques et les impies. C'est aussi par l'histoire qu'il apprend à connaître les hommes et qu'il acquiert cette expérience qui lui est si nécessaire pour exercer avec fruit ses fonctions. Nous n'insistons pas sur cette vérité dont l'évidence est palpable.

36. Quiconque veut parler en public doit bien posséder la langue dont il doit se servir, et s'exprimer correctement. Rien ne nuirait plus au succès d'un discours, surtout dans le temps où nous sommes, que de faire, en le débitant, des fautes de langue, soit en se servant d'expressions impropres ou barbares, soit en péchant contre la grammaire ou la prononciation. Nous sommes témoins chaque jour de l'embarras plaisant où se trouvent les enfans, qui n'ont pas eu le temps encore d'apprendre assez bien leur langue naturelle pour s'exprimer avec quelque facilité. Ils ont recours aux circonlocutions les plus bizarres, et toujours aux termes les plus impropres, pour suppléer aux termes et aux locutions usitées qu'ils ignorent.

Ils est à peu près le même et devient quelque-

Il doit bien connaître la langue en laquelle il prêche.

fois plus plaisant encore, l'embarras d'un orateur qui parle sans savoir sa langue ; il se trompe lui-même et trompe ses auditeurs à chaque instant; il défigure toutes ses idées et les rend presque méconnaissables. C'est un peintre qui connaît mal les couleurs et qui les applique à contre-sens.

Ceci arrive surtout aux étrangers qui prêchent en une autre langue que leur langue naturelle. Souvent ils se servent d'expressions ridicules qui excitent l'hilarité dans l'auditoire qu'ils divertissent au lieu de l'édifier. Je me rappelle avoir lu dans les relations des missions d'Amérique, où l'on est obligé de prêcher dans toutes les langues de l'Europe, le trait d'un prédicateur qui non-seulement avait diverti son auditoire, mais qui l'avait même scandalisé, en laissant échapper un mot tout-àfait inconvenant dont il ne savait pas le sens populaire. C'était cependant un prédicateur pieux, mais il ne connaissait pas assez la langue dans laquelle il prêchait. Il fallait toute sa vertu bien connue pour faire revenir des fâcheuses impressions qu'il avait produites. Quand c'est en sa langue naturelle que le prédicateur s'échappe ainsi, il est difficile qu'il détruise le

mauvais effet qu'il cause, et qu'il efface l'idée défavorable qu'il donne de lui-même On conclut que les mots avec lesquels il s'est exprimé par inadvertance lui sont familiers, et qu'il ne les a prononcés que parce qu'il en a l'habitude, qu'il n'a pas d'éducation et qu'il ne vit qu'avec des gens mal élevés.

37. On doit étudier avec d'autant plus de soin notre langue qu'elle est plus difficile qu'aucune autre, et qu'il y a peu de personnes qui la sachent parfaitement. « Notre langue, dit Maury, est à la fois la plus dédaigneuse dans son style noble, la plus dépendante du talent qui l'emploie (1), la plus rebelle, la plus difficile, et peut-être la plus incomplète de toutes celles qui ont une littérature. Plus on l'approfondit, plus on la cultive, plus on a de goût, de justesse d'esprit, de talent; plus aussi l'on éprouve de difficultés pour lui faire exprimer ce qu'on veut dire, de la manière dont on prétend le dire. Elle parvient à se distinguer par sa clarté, précisément parce qu'elle est sans

(1) On ne peut, dit le même auteur, ni l'écrire comme on la parle sans trivialité, ni la parler comme on l'écrit sans pédanterie.

Difficulté de la langue française.

cesse exposée pour ses pronoms à l'amphibologie; elle a de la précision, parce qu'elle ne permet à la mélodie elle-même aucun mot explétif qui ne soit absolument nécessaire au sens de la phrase : sa richesse et son harmonie sont des présens qu'elle reçoit de l'imagination et du goût de l'écrivain. Elle est, par la multitude et l'embarras de ses règles, comparativement aux autres langues, ce que serait le rhythme de la poésie, rapproché des mouvemens libres de la prose. Quand on a bien étudié sa métaphysique et sa grammaire, on est également effrayé de tout ce qu'elle exige, de tout ce qu'elle refuse, de tout ce qu'elle défend, de tout ce qu'elle rejette et de tout ce qui lui manque.

38. cc Cependant, si l'on songe ensuite aux chefs-d'œuvre immortels qu'elle a produits, on se prosterne d'admiration devant tant de gloire; et l'on est tenté, dans un accès d'enthousiasme, de la proclamer la première des langues, sinon par ses élémens, sa richesse originelle, les familles complètes de son vocabulaire, du moins par le mérite éminent de ses grands écrivains qui ont su l'orner en tout genre, excepté dans l'Epopée, de monumens du premier ordre, la doter de tous les dons du génie, l'enrichir enfin

Chefs-d'œuvre qu'elle a produits.

d'une littérature si variée, si vaste et tellement prédominante, qu'on ne pourrait lui opposer dans son ensemble les trésors littéraires d'aucune autre nation. «

39. Nous ne manquons pas de bons ouvrages pour les principes, et de bons auteurs pour servir de modèles. C'est par l'usage et la lecture qu'on l'apprendra suffisamment pour bien s'acquitter de son ministère. Nous ne donnerons ici qu'un seul avis, qui sera très-utile si l'on a soin de le suivre fidèlement. C'est de ne jamais laisser passer une difficulté dans ses lectures et dans ses compositions sans Véclaircir. Par ce moyen on diminuera peu à peu les obstacles qui empêchent de s'y perfectionner, et on acquerra une grande facilité, soit pour écrire, soit pour par ler en public (1).

40. Ce n'est pas assez pour l'orateur sacré de parler correctement, c'est-à-dire selon les

(1) Parmi les ouvrages qui peuvent être les plus utiles aux prédicateurs comme aux écrivains, nous citerons surtout le Dictionnaire raisonné des difficultés grammaticales et littéraires de la langue française, par J.-Ch. Laveaux; le Dictionnaire universel de Boiste et celui de Gattel : la grammaire de Wailly est encore une des meilleures.

Moyens de s'y perfectionner.

L'orateur sacré doit connaître les règles de la saine littérature.

règles de la grammaire; il faut encore que son style soit convenable et conforme aux règles du bon goût. La pureté du langage est au discours une qualité indispensable : la négligence dans les paroles fait tort aux choses, et attire bien des censeurs. Il ne faut qu'un peu d'usage, sans beaucoup de capacité, pour en juger (1). On n'atteint pas le cœur, si les mots blessent l'oreille.

41. A la connaissance des règles de la saine littérature, il faut joindre celle des bons auteurs qui ont mis ces règles en pratique. Rien n'est plus propre à former le goût, surtout dans la jeunesse. Il faut, dit Rollin, que les jeunes gens, quand ils examinent un discours ou un ouvrage, se rendent principalement attentifs

(1) Les hommes voient toujours plus loin qu'ils ne peuvent faire : tel qui critique à son aise, et qui croit qu'il ferait mieux, n'aurait pas plus tôt pris la plume pour s'essayer, qu'il sentirait sa faiblesse et deviendrait plus indulgent dans les jugemens qu'il porte sur les autres. On se fait facilement illusion sur sa capacité, quand l'expérience ne vient pas détromper.

Les choses paraissent faciles à trouver, soit pour le fond, soit pour la forme, quand on les connaît ; mais ce n'est pas une petite affaire que de les découvrir, quand on les ignore.

Il doit s'être familiarisé avec les bons modèles. Comment il faut les lire.

aux preuves et aux raisons; qu'ils les séparent de tout l'éclat extérieur qui les environne, dont ils pourraient se laisser éblouir; qu'ils les pèsent et les considèrent en elles-mêmes; qu'ils examinent si elles sont solides, si elles vont au sujet, et si elles sont à leur place. Il faut que toute la suite, toute l'économie du discours soit bien présente à leur esprit, et qu'après qu'on le leur aura expliqué, ils soient en état de rendre raison du dessein de l'auteur, et de dire sur chaque endroit : Ici il veut prouver telle chose, et il la prolle par telles raisons.

42. On retirera le plus grand fruit de cette manière d'étudier les auteurs, si l'on y joint l'usage des analyses. Faire une analyse, c'est, a près avoir lu une pièce d'éloquence, revenir sur ses pas, s'en former dans l'esprit un tableau exact, et en extraire un abrégé de preuves, dont la suite et la liaison soient rendues sensibles dans un style simple, correct et sans ornemens. On ne saurait trop l'inculquer aux jeunes gens : les analyses sont d'une utilité incroyable. Elles donnent à l'esprit une justesse singulière, l'accoutument à voir les choses en grand, d'un coup-d'œil toujours sûr, et le familiarisent avec

De l'usage des analyses. Leur utilité.

l'ordre et la méthode, qualités précieuses, indispensables, et trop souvent négligées.

43. A ces différens exercices, on peut ajou-, ter les suivans. Après avoir fait faire à un jeune homme une analyse, on lui fait mettre aussi par écrit le jugement qu'il porte sur l'arrangement général de tout l'ouvrage ou de tout le discours analysé, sur les diverses parties qui le composent, sur le tour, l'expression et le genre de style qui y domine. On sentira bientôt l'avantage de cet exercice : car il ouvre l'esprit, perfectionne le goût, grave en caractères ineffaçables les préceptes dans la mémoire, et en fait connaître l'application.

A mesure que les jeunes gens mettront ces sages conseils en pratique, ils pourront essayer leurs forces et tenter eux-mêmes quelques compositions. Quand ils auront la tête bien remplie des bons ouvrages qu'on leur met entre les mains, qu'ils les auront lus, examinés, analysés avec jugement et avec goût, ils ne trouveront plus d'aussi grandes difficultés dans l'invention. Leur génie s'échauffera; et, de la méditation profonde de leur sujet, ils verront avec étonnement sortir, comme d'une source

Avantages des observations sur les auteurs.

féconde, les preuves les plus fortes et les plus nombreuses (GIRARD).

44. A l'étude il faut ajouter l'exercice qui met en œuvre les connaissances acquises, et l'expérience qui perfectionne le talent. Convaincu de cette vérité, saint Liguori exerçait

avec soin ses novices à la prédication pendant le temps de leurs épreuves. Il leur'faisait d'abord écrire de petites instructions en forme de catéchisme raisonné, et remplir des plans de sermons; ensuite, à mesure que leurs progrès les piettaient en état d'écrire par eux-mêmes, il voulait encore revoir et corriger leur travail ; il s'occupait même de la déclamation ; enfin il soignait avec un très-vif intérêt tout ce qui pouvait les former au ministère des missions. Quand il fut évêque, il établit dans ses séminaires des conférences en règle sur l'éloquence de la chaire et des xercices fréquens pour former ses jeunes clercs au ministère de la parole. Il ne manquait jamais q.'y présider en personne, au milieu d'un nombre considérable de prêtres de la ville qui venaient encQurager les essais d'une jeunesse studieuse, et peut-être aussi profiter pour euxmêmes des observations et de la longue expérience du saint évêque. C'était pour lui une

Nécessité de l'exercice et de l'expérience pour l'orateur chrétien. Zèle de St. Liguori pour former de bons prédicateurs.

précieuse occasion d'animer un zèle naissant, et d'en seconder tous les mouvemens, pour préparer à l'Église des hommes apostoliques, capables de lui donner toutes les consolations qu'elle a droit d'attendre des prêtres de JésusChrist.

45. Il établit plusieurs associations de prê- tres , qui se réunissaient une fois la semaine

pour se former au genre de prédication simple et apostolique, tel qu'il est usité dans les missions bien faites; genre dont une expérience journalière a démontré, depuis les apôtres, la vertu convertissante, et que l'on est souvent dans le cas de désirer à une foule de prédicateurs esclaves un peu trop fiers de leurs phrases académiques. Le saint ne voulait pas de ces prédicateurs, même pour prêcher le carême; il les remplaçait ordinairement par les prêtres des associations dont nous venons de parler.

Ceux-ci, après s'être suffisamment exercés dans leurs réunions particulières, étaient attachés, en qualité d'auxiliaires, aux missionnaires du très-saint Rédempteur; et l'expérience qu'ils faisaient, sous ces pères, de ce genre de ministère, les mettait bientôt à même de rendre d'importans services au diocèse dans les diver-

AssoclaLionl qu'il établit pour cet effet.

ses stations qu'ils avaient à remplir. Le saint se servait d'eux en une infinité de circonstances, et ils étaient continuellement disposés à se porter aussitôt partout où les appelait la volonté de leur évêque.

46. Comme il n'est pas toujours facile de former des associations de prêtres pour la prédication, à cause du besoin des paroisses et du petit nombre des sujets, et que d'ailleurs il ne

faut pas attendre qu'on soit dans le ministère pour s'exercer, c'est, selon le sentiment et la conduite de saint Liguori, dans le temps de leur séminaire que les jeunes gens doivent s'appliquer d'abord à acquérir la facilité de s'exprimer, et cette aisance qui contribue si puissamment au succès du ministère évangé^ lique. C'est là, c'est au séminaire qu'on doit apprendre à aimer de bonne heure la simplicité du langage qui convient à un prédicateur de l'Évangile, et à se livrer, en annonçant la pa-" role de Dieu, à cet esprit d'abandon, toujours si heureux pour produire le bien parmi les peuples (1), lorsqu'ils voient un homme s'oublier

(1) L'abandon qui produit le bien n'est point la négligence qui vient de la paresse. Il suppose le travail

Ilfaui exercer au séminaire les jeunes clercs à la prédication.

Avantages qu'ils retirent de cet exercice.

lui-même pour ne s'occuper que des intérêts de leurs ames. Quand un jeune prêtre, qui a été formé de la sorte, est envoyé dans une paroisse, il explique toujours l'Évangile avec fruit. Instruit et exercé, il peut parler de l'abondance du cœur et tirer avec plus de liberté du trésor de son esprit, non-seulement ce que lui rappelle sa mémoire, mais encore une foule de pensées neuves et soudaines que lui inspirent les circonstances. Profert de thesauro suo nova et vetera. On ne le prend jamais au dépourvu, et quelques heures de préparation lui suffisent.

L'estime que son peuple conçoit alors de ses talens et de ses vertus le rend attentif à ce qu'il dit, et lui fait oublier la manière avec laquelle il le dit. La simplicité du style et les incorrections légères ne lui paraissent pas des défauts.

Le pasteur, plein de son ministère, répand sur ses ouailles la plénitude de la science évangélique, et les senti mens de la charité, qui animent

de la préparation. On distribue aux élèves de la troisième année des sujets pour des discours d'un quart d'heure ou d'une demi-heure au plus. Ils les débitent les dimanches au Réfectoire pendant les repas , et on leur fait, dans la première conférence , des observations publiques qui servent à leur former le goût.

son cœur, se peignent sur tout son extérieur, et donnent à ses paroles et à son action ce ton et cet air que la vérité prend pour persuader.

47. Les jeunes candidats de la chaire doivent, avant de composer des discours en règle, commencer d'abord par faire des catéchismes et de simples conférences. C'est par-là que débuta le célèbre Brydayne. Chargé par ses supérieurs, pendant son séminaire, de faire successivement le catéchisme dans les églises de SaintPierre, de Saint-Didier et des Pénitens-Bleus d'A vignon , il rendit à cette fonction obscure, si injustement méprisée, si digne de tout le zèle des saints ministres, son vrai mérite : il la mit en honneur ; il prouva qu'elle est, comme elle le sera toujours, de tous les travaux du sacerdoce, la partie la plus utile aux fidèles. Ses catéchismes étaient autant d'explications solides de nos vérités saintes, autant d'instructions détaillées, autant d'exhortations touchantes, autant d'examens approfondis, où il ravissait par le choix, par le récit des plus beaux traits de l'Histoire-Sainte ou des annales de l'Église. On y accourait en foule ; les enfans faisaient retentir les voûtes du temple de leurs cris , de leurs

Commencer par des catéchismes et des conférences.

Exemple de Brydayne.

sanglots; tous les fidèles y montraient un vif attendrissement. Les pasteurs, les prêtres et les lévites, en volant aux discours du jeune catéchiste, partageaient l'édification commune, et sortaient pénétrés d'admiration. Lorsqu'il fut diacre, on l'envoya successivement évangéliser plusieurs paroisses. En suivant sa méthode, il eut tant de succès, qu'il excita dans tous les cœurs les sentimens de la plus vive piété.

48. Sonévêque l'ayant envoyé à la mission de Saint-Quentin, il commence par un simple catéchisme. Les auditeurs fondent en larmes.

Dans une extrême surprise, à la vue d'un succès si nouveau, l'abbé de Suarès, chef de la mission, et ses dignes coopérateurs écoutent le jeune missionnaire, et leur surprise redouble , en considérant cette grace naturelle, cette manière noble et majestueuse de développer les vérités de la religion; cet esprit intérieur qui lui faisait trouver du sentiment dans les objets les moins importans ; ce tact rare qui lui faisait saisir le vrai sens des choses saintes ; cet art de s'insinuer dans l'esprit de tous ceux qui l'entendent, d'inspirer de l'ardeur pour la plus dure pénitence; de porter, dans l'explication des mystères, les esprits et les cœurs à la plus

Ses succès à Saint-Quentin.

haute élévation; enfin, ce talent si rare d'enchaîner impérieusement l'attention des enfans, de pénétrer si profondément dans leur ame et de leur donner des regrets si solides de leurs fautes, qu'ils fondaient en larmes après l'avoir entendu. Ils regardèrent dès-lors le jeune diacre comme un prodige, et résolurent d'assister tous à ses instructions, où ils trouvaient tout à gagner pour eux-mêmes, et de lui confier les parties les plus éclatantes de leurs exercices.

Après cette première instruction, pendant laquelle les enfans avaient montré une excessive douleur, ils étaient le long des rues, gémissant, voulant se redire mutuellement ce qu'ils venaient d'entendre : rendus dans leurs familles, ils essayaient d'en faire le récit; et, à tout moment, ils étaient interrompus par leurs sanglots ; en un mot, ils se montraient inconsolables d'avoir offensé Dieu; et ce spectacle inspirait les mêmes sentimens à tous ceux qui les écoutaient, surtout à leurs parens. Nous venons d'entendre un Ange, répétaient-ils avec une ingénuité charmante; il a lu dans nos cœurs : quoiqu'il nous ait tous fait pleurer, jamais on ne se lasse de l'entendre; il nous a fait promettre de nous convertir, nous lui tiendrons

parole; il nous a bien recommandé de presser nos pères et mères d'assister assidûment avec nous aux exercices de la mission.

Ce premier succès en prépara bien d'autres : le lendemain du jQur où Brydayne avait paru pour la première fois, dès le matin l'Eglise était pleine de personnes qui s'attendaient à le voir paraître l'après-dîner, à l'heure annoncée pour le catéchisme : jamais tous les fidèles qui accouraient par les diverses portes du temple ne purent avoir place à l'instruction du jeune oracle de la mission. Au troisième entretien familier, non-seulement tous les habitans de St.-Quentin, non-seulement les familles protestantes y vinrent en foule, mais les peuples des villages voisins y volèrent avec une ardeur incroyable: alors les saints prédicateurs près desquels on l'avait envoyé, et qui ne cherchaient que la gloire de Dieu, persuadés qu'aucun d'eux ne pouvait la procurer comme Brydayne, convertirent en exercices principaux ses instructions, au prix desquelles les leurs n'étaient rien : ils l'abandonnèrent à la fécondité de ses idées, à la sainte impétuosité de son zèle, ou plutôt à l'Esprit-Saint qui parlait en lui ; et leur attente fut encore surpassée : ils sont aussi inouïs qu'ad mi-

rables, les fruits que produisirent ses prédications. Montait-il en chaire, un cantique à la main, à l'instant tous les yeux se tournaient avidement sur lui : je ne sais quel charme inconnu attaché au son de sa .voix, à ses paroles, fondait les cœurs les plus endurcis, enflammait de l'amour de la vertu, remplissait d'horreur pour le vice, pénétrait d'une componction sans bornes. Que de conversions éclatantes honorèrent ses premiers pas dans l'apostolat ! Les pécheurs ne pouvaient se contenir à sa vue : plusieurs demandaient par leurs cris le pardon de leurs crimes, prêts à en faire un aveu solennel. Les uns poursuivaient Brydayne dans les rues, pour recueillir une seule de ses paroles; les autres, au bas de la chaire, venaient se prosterner à ses pieds, lui déclarant qu'il avait lu dans leurs ames : tous, désolés de ne pouvoir recevoir de lui le sacrement de la réconciliation, voulaient au moins ses avis, lui dévoilaient l'état de leur conscience, lui faisaient confidence de leurs péchés les plus honteux , le consultaient sur les points les plus embarrassans ; et tout ce qu'il disait, tout ce qu'il conseillait, tout ce qu'il décidait était reçu, suivi comme un oracle. Les discours du saint

jeune homme convertirent des protestans, réconcilièrent des ennemis qui, après l'avoir entendu, s'embrassaient publiquement; procurèrent d'abondantes restitutions, et firent la plus étonnante révolution dans tous les cœurs. St.Quentin, ne fut plus ce village insensible aux dons de Dieu : on ne vit plus dans son peuple, ainsi que dans les villages circonvoisins, que les indices d'une vie sainte. Les campagnes ne retentissaient que du chant des sacrés cantiques ; les familles ne parlaient que de Dieu, que des moyens de le servir, que de choses édifiantes : en un mottout rappelait les saintes et inno-

centes assemblées des premiers fidèles.

49. L'évêque d'Uzès, après cette mission, fit à son jeune diacre l'accueil qu'il méritait.

En le voyant à ses pieds, il reste un moment en silence, songe à tout ce que Brydayne a fait de grand aux yeux de Dieu, à tout ce qu'annonce de plus grand encore pour la suite l'aurore d'une si belle vie : il lui met la main sur la tête, et lui dit, ne pouvant retenir ses larmes : « Je vois « bien, mon fils, que votre zèle ardent vous « ravira bientôt à mon diocèse, et qu'il ne vous a faudra pas long-temps des limites si étroites.

« Allez, suivez l'attrait que Dieu vous inspirera

Paroles que lui adresse son évoque à son retour.

a désormais, j'y consens d'avance : l'Église de « Dieu est étendue, la moisson est abondante, « et les ouvriers sont rares ; elle est bien digne « de tous vos soins : ne mettez point de bornes à « votre zèle, et préparez-vous au sacerdoce dès « qu'il en sera temps. » Ces paroles furent reçues comme la voix du ciel, qui lui permettait d'entreprendre, quelque part que ce fût, les travaux du ministère, quand l'autorité légitime l'y appellerait. On sait avec quel succès Brydayne remplit, pendant sa vie, la sainte mission qu'il avait reçue.

50. Il n'est pas donné à tous les prédicateurs d'avoir un talent comme celui de Brydayne ; mais si ceux qui ont des moyens ordinaires avaient été formés comme lui, dès le temps de leurs études ecclésiastiques, ils auraient certainement rempli avec plus de perfection leur saint ministère. Les premiers pas dans la carrière de la c haire sont d'autant plus importans que c'est alors qu'aidé par les avis de ses supérieurs, de ses condisciples ou de ses confrères, on peut se corriger de ce qui est vicieux et se former un bon genre. C'est un malheur pour un jeune orateur qui n'a point été exercé au séminaire, ou sous un curé expérimenté, de n'avoir pas,

Avantages d'avoir un ami judicieux pour se former à la prédication.

dans les premiers temps de son ministère, un ami judicieux qui l'avertisse de ses défauts, soit dans la composition, soit dans le débit. Loin de corriger ce qui en lui est défectueux, il s'y confirme de plus en plus. C'est ainsi qu'un défaut qui, dans le principe, eût pu être réformé par un simple avertissement, devient une habitude qu'on conserve toute sa vie.

51. Les prêtres qui vivent en commun ont l'avantage de trouver dans leurs confrères, ou du moins dans leurs supérieurs, des amis bienveillans qui les préviennent. C'est une règle trèssagement établie dans la société des Jésuites, qui connaissaient si bien l'art de former les hommes et d'employer les talens. Leurs statuts prescrivent à ceux qui se destinent à la prédication de s'y exercer devant des personnes capables d'en juger et qui les reprennent librement de leurs défauts (1 ). Celui-là est à plaindre, qui, loin de rechercher et de recevoir avec reconnaissance les avis, s'en offense et trouve mauvais qu'on lui fasse des observations. Son

(1) Avis aux prédicateurs, par le P. Claude Aquaviva, général de la compagnie de Jésus. ( Cliap. ler7 n° 5. )

Avantage des communautés de prêtres pour se perfectionner dans le ministère de la parole.

amour-propre est cause que non - seulement son talent ne se perfectionne pas, mais qu'il contracte des habitudes vicieuses qui le déparent et qui nuisent au succès de son ministère. C'est la juste punition de son orgueil. Ce n'est pas seulement aux novices qu'il faut faire des observations, mais aux profès eux-mêmes, s'ils en ont besoin. Celui qui n'aurait pas assez de vertu pour les bien recevoir serait un religieux bien imparfait. La tâche imposée aux supérieurs est déjà assez pénible à remplir, sans qu'on en augmente encore la difficulté par défaut d'humilité.

52. L'exercice du saint ministère (surtout la conduite des ames dans le tribunal de la pénitence) sert beaucoup à la prédication. Ceux qui

l'exercent, ou qui l'ont exercé, parlent d'une manière bien plus convenable aux besoins de leurs auditeurs, au lieu que ceux qui n'ont que la spéculation entrent bien moins dans les difficultés, ne se proportionnent guère aux esprits et parlent d'une manière plus vague. La direction des consciences apprend mieux à connaître les hommes que tout autre moyen. Elle fait voir au ministre sacré l'état véritable des esprits et des cœurs. Elle découvre les erreurs

L'exercice du saint ministère sert beaucoup à la prédication.

et les préjugés, et met au courant de tout le détail des mœurs. Quand un prédicateur connaît les fausses idées et les principes erronés de ses auditeurs, quand il sait quels sont les vices qui les dominent et les obstacles qui les empêchent de travailler à leur salut; en un mot, quand il connaît les plaies de leurs ames, il lui est bien plus facile d'y remédier et de les guérir par des instructions solides et appropriées à leurs besoins, que s'il ignorait toutes ces choses, ou qu'il n'en eût qu'une connaissance superficielle.

Comme il voit plus clairement son but, il choisit , pour y atteindre, des moyens plus directs.

Ses discours ont plus d'intérêt et les fruits en sont plus abondans. Il n'est point, comme un voyageur qui marche au hasard, ou comme un soldat qui combat des chimères.

53. Si rien n'est plus ridicule que d'attaquer dans ses auditeurs des vices qu'ils n'ont pas, ou de s'élever avec force contre des abus qui n'existent pas dans le lieu où l'on prêche, rien aussi n'est plus dangereux et plus nuisible au bien des ames et de la religion que d'user sans prudence des connaissances qu'on acquiert dans le saint tribunal. Il faut une grande discrétion pour l'ester dans les bornes convenables et ne

Abus à éviter.

pas trahir le secret des consciences. Le moindre abus en ceci offenserait les auditeurs et les éloignerait de la confession. Il faut donc que les missionnaires, aussi bien que les pasteurs qui confessent et prêchent alternativement, se tiennent beaucoup sur leurs gardes pour ne rien échapper de trop dans leurs instructions, surtout dans les petites localités. Ils doivent s'adresser à tous, parler en général ; et, s'ils entrent dans le détail, le faire de manière qu'ils donnent à chacun ce qui lui convient sans blesser personne.

54. Ce qui sert encore beaucoup pour la prédication, c'est la connaissance des mœurs et des coutumes de ceux à qui l'on prêche, acquise par les relations qu'on a avec eux dans d'autres

occasions que celles dont nous venons de parler. Il y a beaucoup de choses qui ne peuvent nous être connues que par-là. Il faut profiter de tout pour la gloire de Dieu et le salut des ames. Écoutons sur cet article saint FrançoisXavier, qui avait tant d'expérience dans le saint ministère. Voici les avis qu'il donnait aux compagnons de son apostolat : « Partout où vous aurez à exercer les fonctions du ministère, dit-il, n'y fussiez-vous même qu'en passant et pour un peu de temps, interrogez avec soin des hommes

Avantage «le connaître les mœurs et les coutumes de ceux à qui l'on prôehc.

de bien et qui aient l'expérience de la vie que mènent communément les gens du pays ; appliquez-vous à apprendre d'eux, le plus exactement que vous pourrez, non - seulement les crimes qui se commettent dans le pays, les fourberies, les divers artifices dont on se sert pour faire des injustices et pour tromper dans le négoce, mais aussi les usages reçus parmi le peuple, les opinions généralement répandues, les goûts de la nation, les coutumes particulières de la religion, la forme du gouvernement, le style du barreau, la marche des procédures, les chicanes des hommes de loi et des plaideurs, en un mot, tout ce qui se passe dans la société civile, et la manière dont les hommes ont coutume d'agir entre eux. Croyez-en mon expérience , il n'est point de connaissance plus utile pour le médecin des ames; il apprend par-là à connaître les maladies, il sait mieux employer des remèdes propres à guérir les blessures, et il se ménage les moyens d'avoir toujours entre les mains des spécifiques adaptés à tous les maux qu'il rencontre.

« C'est par-là que vous saurez sur quoi il faut insister le plus fréquemment dans vos prédications. Cette connaissance vous servira beau-

coup aussi dans les conversations que vous aurez avec les hommes ; elle fera que vous n'y serez étonné de rien, et que vous ne serez jamais pris à l'improviste ; elle vous donnera une admirable présence d'esprit dans la variété des cas de conscience qui vous seront présentés, une prudente dextérité pour manier les esprits dans les rapports multipliés que vous aurez avec plusieurs, et une grande autorité à l'égard de tous. Les hommes du siècle méprisent souvent les avertissemens qu'ils reçoivent de nous , par la pensée que nous ne connaissons pas ce qui se passe dans le monde, et qu'ainsi nous ne sommes pas en état d'en bien juger; mais, quand ils connaissent par expérience que quelqu'un d'entre nous est aussi versé et aussi rompu qu'eux dans les usages de la vie civile, ils l'admirent" ils se livrent à lui avec confiance, ils n'hésitent pas à se faire violence pour déférer à ses avis, et ils exécutent volontiers ce qu'il leur conseille même de plus dur à la nature.

« Vous voyez le fruit immense de cette science du monde. Persuadez-vous donc bien que vous devez mettre autant de soin à l'acquérir que vous en avez mis autrefois dans les classes à apprendre la philosophie ou la théologie.

Au reste, ce n'est pas dans les livres morts, écrits sur le papier ou sur le parchemin, que vous devez la puiser, mais dans les livres vivans, c'est-à-dire dans vos conversations avec des hommes au fait des affaires, et qui connaissent bien les usages du peuple. A l'aide de cette science, vous ferez des discours plus utiles que si vous débitiez au peuple des bibliothèques entières de raisonnemens spéculatifs (1). »

55. Quand on a étudié pendant quelques années et qu'on a lu un certain nombre de bons auteurs, il faut, en même temps qu'on s'exerce et qu'on acquiert de l'expérience, rédiger des cahiers et faire ses provisions. Sans cette précaution, la mémoire échappera bien des choses; et il ne restera dans l'esprit que des idées vagues et confuses. Chacun doit se faire,

(1) Eu terminant cet article sur l'expérience nécessaire aux prédicateurs, exprimons une vérité générale que les jeunes gens ne sauraient trop méditer. La voici : Cest une grande sagesse que de savoir mettre à profit l'expérience des autres. Par-là on s'épargne bien des peines, bien des mécomptes et bien des regrets.

Ajoutons qu'on alonge et qu'on double sa vie. Heureux s'ils comprennent cette maxime, plus heureux encore s'ils la mettent en pratique !

Nécessité de rédiger des cahiers.

par des recueils particuliers, une sorte de bibliothèque manuscrite spéciale, qui renferme tout ce dont on a le plus besoin dans l'exercice du saint ministère et dans la position où la providence a placé. Si l'on se borne aux livres sans rien rédiger, on ne saura jamais bien les choses, et on risquera de se trouver plus d'une fois dans l'embarras quand les occasions de parler ou de décider se présenteront.

56. Le premier recueil qu'on doit faire est un abrégé de la théologie, surtout de la morale, dont l'usage est si fréquent et l'application si variée. Le second doit contenir les principaux passages de Y Écriture-Sainte, qui se rapportent au dogme et à la morale. Quoique je sache bien qu'on ne manque pas de bons ouvrages qui les présentent avec ordre, je conseille néanmoins de faire un travail particulier sur cette matière. C'est un moyen excellent d'étudier avec fruit les livres saints et de se rendre familiers les endroits les plus notables.

Il est bon aussi que l'orateur sacré rédige pour son propre usage un recueil des principes essentiels de la littérature chrétienne, afin qu'ayant sans cesse sous les yeux les règles du bon goût, il ne s'en écarte pas.

Quels sonl les recueils qu'on doit faire.

57. Ce qui doit l'occuper surtout, c'est la composition d'un cours de prônes et d'instructions familières, de conférences et d'exhortailons, qui le mette à même d'instruire solidement et de disposer convenablement ceux dont il est chargé. C'est là ce que Dieu demande de lui avant tout. Il pourra après cela s'occuper de sermons plus en règle pour les fêtes, les stations et autres circonstances solennelles.

58. Comme on ne peut pas avoir des instructions et des sermons sur tous les points, et qu'il convient de borner le choix des sujets qu'on traite à ce que demande l'accomplissement du devoir dans la position particulière où l'on est, il serait très-utile d'avoir, pour les occasions qui peuvent se présenter, un recueil qui contiendrait, par ordre alphabétique, les matériaux nécessaires sur les matières principales qui font l'objet de l'instruction chrétienne (1).

(1) Voici ce que dit Grenade sur ce sujet : « Il est important et même nécessaire d'avoir une espèce de registre où toutes les choses qui sont des sujets propres à la prédication soient intitulées séparément et par ordre au-haut de divers feuillets en blanc, cemmc autant de chefs sous lesquels on puisse ranger

Cours de prônes et d'instructions familières, de conférences et d'exhortations. Sermons.

népcrloire de prédication.

Ce serait une sorte de répertoire de prédication , d'où l'on tirerait des discours solides au besoin. C'est là qu'on mettrait en dépôt le fruit de ses lectures, soit par des extraits, soit seulement par l'indication des choses dans les auteurs. Lorsqu'on aurait ainsi sous sa main le fond des principaux sujets et les principes généraux sur chaque matière, il serait facile ensuite d'y ajouter le développement et les détails particuliers que demanderaient les circonstances,

tout ce qu'on a trouvé de considérable sur chacune; il est bon aussi d'écrire les remarques les plus belles et les plus édifiantes que l'on pourra faire sur plusieurs choses qui regardent les évangiles que l'Eglise lit aux fidèles les dimanches et les jours de fêtes.

Pour moi, je suis d'avis que ces sortes de lieux propres et singuliers sont très-utiles et très-nécessaires à un prédicateur, afin que, dans les occasions où il doit parler, par exemple, de l'humilité, de l'amour de Dieu et du prochain, de la patience, de l'abstinence, de l'exercice de la prière, ou, au contraire, de l'orgueil, de l'avarice et de la dureté envers les pauvres, il n'ait qu'à consulter son recueil sur chacun de ces sujets, et en prendre et choisir, comme d'un amas de provisions, tout ce qui lui semblera le plus avantageux au sujet qu'il doit traiter.

u L'orateur chrétien ne doit pas se contenter de recueillir le fruit de ses lectures ; il faut encore qu'il ne néglige rien de ce qui se dit de fort et de tou-

et de donner à ses instructions la forme convenable.

On nous dira qu'il existe déjà des ouvrages de ce genre, tels que ceux du P. Houdry, de Montargon et de M. l'abbé Dassance. A cela nous répondrons ce que nous avons déjà répondu relativement aux recueils qui contiennent les passages de l'Écriture-Sainte: c'est que, l'expérience ayant fait voir qu'il est très-utile aux prédicateurs de faire eux-mêmes une col-

chant, soit par d'autres prédicateurs, ou par des hommes habiles, de quelque état ou condition qu'ils soient; qu'il ne perde pas non plus ce qui lui vient dans l'esprit pendant qu'il est occupé à autre chose, et qui a quelque force et quelque poids pour son ministère, mais qu'il écrive aussitôt le tout succinctement sur ses tablettes ou sur quelque petit papier, pour le placer ensuite à loisir en son rang dans son recueil : car nous tournons et manions avec bien plus de force et d'adresse, et avec une plus heureuse fécondité dans nos discours, les choses qui sont ainsi à nous, comme étant des armes plus proportionnées à nos forces et à notre corps. La provision que nous en faisons par ce soin et cette exactitude, augmentant peu à peu tous les jours, se trouve, après quelques années, devenue un trésor presque inépuisable de preuves et de pensées excellentes et choisies sur toutes sortes de sujets. Il (Rhétoriquc ccclcjiastu/uc, liv. II, chap. VII.)

lection qui soit le fruit de leurs veilles et de leurs travaux, l'existence des ouvrages dont on vient de parler n'est pas une raison de se priver des avantages attachés à la rédaction des recueils particuliers. Loin de blâmer les collections utiles qu'on a données au public, nous nous proposons d'en donner nous-même une (1), si le temps nous le permet, qui renfermera, non pas de simples extraits des prédicateurs renommés (comme le recueil de M. l'abbé Dassance ), mais des sermons entiers, choisis dans les meilleurs sermonnaires. Nous donnerons plusieurs modèles sur chacun des principaux sujets qui peuvent être traités dans la chaire.

Nous ajouterons à notre collection différens articles accessoires qui la rendront plus utile à ceux qui exercent le ministère de la parole.

(1) Sous le titre de Répertoire des Prédicateurs. Nous placerons à la fin une table détaillée des matières.

qui pourra servir de Dictionnaire de Prédication.

CHAPITRE IV.

DES VERTUS DU PRÉDICATEUR.

1. Quel que soit le talent qu'on ait reçu de la nature, quelque étendue que soit la science

qu'on ait acquise par l'étude, les effets de l'éloquence seront toujours faibles, incertains et passagers, si les paroles de l'orateur sont démenties par sa vie ; et ici se fait sentir la nécessité de certaines qualités morales qui donnent du poids aux discours, et leur communiquent l'autorité de la vertu. Une vie intègre, un cœur droit, une probité à toute épreuve, voilà les plus puissans auxiliaires du génie de l'orateur, et les plus sûrs moyens d'obtenir la confiance publique. L'estime et le respect qu'inspire un homme de bien préparent la persuasion, et la réputation d'intégrité qui le précède fraie pour ainsi dire à ses paroles la route des cœurs. Catilina, malgré son éloquence naturelle, lorsqu'il entrait dans le sénat, faisait reculer d'horreur tous les membres

Nécessité du bon exemple de la part du prédicateur.

de ce corps auguste. Fénélon paraissant à la tribune sacrée inspirait, par sa seule présence, un respectueux recueillement, qui préparait déjà les auditeurs à l'émotion religieuse que devaient produire ses discours. Remarquons, d'ailleurs, que le propre du vice est d'abaisser et de rétrécir l'ame, comme l'effet de la vertu est de l'épurer et de l'agrandir. Ce n'est pas sans raison qu'on a dit que la vertu fortifie le génie; car toutes les grandes pensées, tous les nobles sentimens tiennent à la vertu, comme toutes les idées basses, les sentimens étroits découlent du vice. Quel est, en effet, le principe du vice? L'égoïsme, avec tout ce qu'il a de vil et de honteux. Celui de la vertu au contraire, c'est le dévouement, c'est le sacrifice, avec tout ce qu'il a de noble et de généreux. Et remarquons qu'il y a dans les hommes réunis une conscience publique qui ne se trompe pas.

C'est en vain qu'on essaierait de leur plaire par les idées qui dérivent du vice; on ne produirait ainsi que le dégoût et le mépris. Pour plaire aux hommes rassemblés, pour les émouvoir, pour les entraîner, pour les exalter jusqu'à l'enthousiasme, il faut de grandes et nobles idées, de généreux sentimens. C'est à la

religion, au courage, au désintéressement, à la générosité, au dévouement qu'il appartient de faire battre les cœurs d'une vive et sympathique émotion; et, dans tous les temps, ceux qui ont aspiré à conduire les peuples par la parole ont été obligés de se donner les apparences de la vertu (M. PÉRENNÈS ).

2. Les beaux discours n'ont point d'autorité pour convertir, quand ils ne sont pas soutenus par de bons exemples. Un prédicateur qui ne vit pas conformément à ce qu'il enseigne ne produit point d'effet. S'il montre du talent, on le regarde comme un homme qui joue bien une espèce de comédie : « On croit bien plus, dit « Fénélon, ce qu'il fait que ce qu'il dit: il est « intéressé, ambitieux, vain, attaché à une « vie molle ; il ne quitte aucune des choses qu'il « dit qu'il faut quitter : on le laisse dire pour « la cérémonie, mais on croit, on fait comme « lui. Ce qu'il y a de pis, est qu'on s'accoutume « par-là à croire que cette sorte de gens ne « parle pas de bonne foi; cela décrie leur mi« nistère; et, quand d'autres parlent après eux « avec un zèle sincère, on ne peut se persuader « que cela soit vrai. »

3. Tandis que la mauvaise vie affaiblit le

Effets du mauvais exemple.

Force que le bon exemple

talent et que le mauvais exemple empêche le fruit du discours, la bonne vie, au contraire, donne une force singulière à l'orateur. Avec un talent médiocre, l'homme solidement vertueux fera des merveilles. Il paraît, et tout un peuple, qui doit l'écouter, est déjà ému et comme persuadé par sa présence. Le discours qu'il va prononcer fera le reste. On rapporte de saint François de Borgia que le jour qu'il dit pour la première fois la messe en public, voyant qu'un peuple innombrable y assistait, il se tourna vers eux, et leur fit un discours si touchant, que tous ceux qui l'entendaient fondaient en larmes.

Ceux qui ne pouvaient l'entendre parce qu'ils étaient trop éloignés de la chaire, ne laissaient pas de pleurer comme les autres. Lorsqu'on leur en demandait la raison, ces bonnes gens répondaient qu'ils étaient touchés de douleur de leurs péchés et du désir de mener une meilleure vie quand ils voyaient ce saint prédicateur, et que l'amour de Dieu, peint sur son visage et dans tous ses gestes, leur faisait une impression qui allait jusqu'au fond de leur cœur (1 ).

(1) On rapporte la même chose de saint Liguori.

Il n'avait qu'à se montrer en chaire, et, à son seul

donne aux discours. Exemple de saint François de Borgia.

L'exemple de ses vertus donnait une force merveilleuse à ses paroles. On a vu des seigneurs distingués à la cour, tellement touchés de ses sermons, qu'ils ont commencé dès-lors à mener une vie toute chrétienne; et, quand on leur en demandait la raison, ils répondaient que les vertus du père François, ses austérités, son humilité, étaient tout prétexte à la lâcheté , et qu'on ne pouvait refuser de faire ce qu'il demandait, puisqu'il en faisait lui-même beaucoup plus.

aspect, on ne pouvait se défendre d'une salutaire impression. C'est ce qui arriva d'une manière bien frappante à Salerne. Il prêchait dans l'église métropolitaine : comme l'étendue du vaisseau était immense , il ne put être entendu de tout le monde.

Cependant, après le sermon, les larmes coulaient en abondance, et la maison que le saint habitait fut aussitôt remplie de gens de toute condition, magistrats , avocats et autres, qui vinrent le supplier de les entendre en confession. Depuis, un grand nombre de ces personnes converties ainsi se firent un devoir d'aller exactement toutes les années faire une retraite.

Ce fut la même chose à Bénévent : affaibli par son grand âge, la voix d'Alphonse ne pouvait être entendue; mais on voyait ses gestes et on comprenait l'expression touchante de sa physionomie : cela suffit pour arracher des pleurs à tout l'auditoire. Parmi les conversions éclatantes et nombreuses qui eurent

4. Il y avait à Valladolid une dame de la première qualité, éprise des charmes du monde où personne ne brillait plus qu'elle pour les agrémens de la jeunesse, l'éclat de la beauté, et les parures les plus recherchées. Un jour elle voulut assister à un des sermons du père François, dont la réputation volait de bouche en bouche ; elle en fut tellement touchée, que, dès le jour même, aussitôt qu'elle fut de retour chez elle, elle quitta tous ses vains ornemens, se fit couper les cheveux, prit un habit simple et

lieu en cette occasion, on remarqua celle d'un trèsméchant homme, connu pour très-endurci au mal; il alla se confesser à un père du très-saint Rédempteur, en lui disant : « Je n'ai pu pénétrer hier dans « l'église à cause de la foule; mais, de la porte, j'ai « vu le père Alphonse en chaire, et son seul aspect, « dans son état d'humiliation et d'abaissement, m'a « excité au repentir. » Dans la ville de Melphe, un pèlerin, qui avait avec lui une personne suspecte, se présenta à un missionnaire pour se confesser. « Mais « comment pourrai-je vous absoudre, lui dit le con« fesseur, tant que vous serez en si mauvaise com« pagnie? Je viens de quitter cette compagnie tout« à-l'heure, repartit le pèlerin , et je vais partir pour « mon pays; on ne saurait pécher de nouveau après « avoir vu ce grand serviteur de Dieu, le père Al« phonse, pleurer et faire pénitence pour nos péIl cliés. »

Conversion remarquable d'une ùama de la cour.

modeste, et fut dès-lors un exemple de piété et de sagesse, comme elle en avait été un auparavant de faste et de légèreté. Elle se dévoua tout entière aux exercices de la piété et de la charité; enfin, après la mort de son mari, elle fonda un monastère de religieuses où elle établit une fort grande régularité; elle s'y retira et y finit saintement ses jours.

Ce trait n'est qu'un exemple des conversions surprenantes et innombrables qui furent le fruit des sermons du père François Borgia. De grands volumes ne suffiraient pas, dit l'auteur de sa vie, si je voulais rapporter en particulier toutes les merveilles que Dieu opéra par les discours de son serviteur, toutes les inimitiés et les haines irréconciliables , tous les procès et tous les scandales publics dont il purgea la cour, toutes les personnes enfin qu'il attira à une vie nouvelle et vraiment chrétienne, dont plusieurs renoncèrent entièrement au monde pour se consacrer à Dieu dans de fervens monastères.

5. Sa grande maxime était que le prédicateur doit être bien pénétré de ce qu'il dit, afin que ce soit son cœur qui parle au cœur de ses auditeurs. Aussi, on ne voyait rien dans ses discours d'affecté, rien qui surprît

Méthode du saint pour persuader.

ou qui parût recherché, rien qui attachât l'esprit de l'auditeur à l'arrangement et au choix de ses paroles plutôt qu'au sens qu'elles contenaient. Il persuadait et touchait d'autant plus, qu'il cherchait moins à plaire; et une certaine noble négligence qui n'avait rien de grossier, bien loin de diminuer la force de son éloquence, semblait au contraire contribuer aux victoires qu'elle remportait sur les pécheurs les plus endurcis. Tout son but était de faire connaître et aimer Jésus-Christ crucifié, et de porter tout le monde à l'imiter. Comme on était assuré qu'il n'avait point d'autre vue, et que tout ce qu'il disait tendait à cette fin ; aussi ne cherchait-on autre chose en allant l'entendre , et l'on était si persuadé que c'était l'effet ordinaire de ses sermons, que c'était vouloir être converti que vouloir y assister.

6. Cette pureté d'intention dans l'exercice du ministère de la parole est une des principales

dispositions que doit avoir le prédicateur. Son but doit être la gloire de Dieu et le salut des ames. Il doit chercher à éclairer les hommes en leur faisant connaître la vérité, à les rendre meilleurs en les portant à la pratique des vertus chrétienne, et à leur procurer par-là un bon-

De la pureté d'intention. En quoi elle con- ; siste.

heur solide dans ce monde et la vie éternelle dans l'autre. 7. Qu'ils sont éloignés d'avoir ces vues, ceux qui ne prêchent que pour leur propre gloire et qui cherchent plutôt la réputation d'orateurs que celle d'apôtres! Si le Roi, dit le père d'Avila dans une de ses lettres, envoyait un de ses vassaux pour traiter d'un mariage pour lui, et que l'ambassadeur traitât pour lui-même , ne serait-il pas un traître? Il en est de même du prédicateur dont l'intention n'est pas pure; Dieu l'envoie pour traiter de la conversion des pécheurs, et il ne recherche que sa propre gloire, rendant ainsi sans effet la parole divine dont il abuse. C'est, dit saint Chrysostôme, un misérable qui trahit son ministère ; miser et infelix proditor. (HOM. 33. )

8. Rien n'est plus capable d'arrêter les grâces de Dieu et de rendre les discours stériles pour le salut des auditeurs, que de se rechercher soi-même dans la prédication. Voici ce qu'écrivait à ce sujet saint François-Xavier à un des pères de la compagnie de Jésus qui avait des reproches à se faire sous ce rapport. Ce père, se sentant coupable, n'avait point écrit à son supérieur comme il le devait pour lui ren-

Crime des prédicateurs qui cherchent leur propre gloire.

Ils arrêtent les graces de Dieu.

dre compte de ses travaux. Le saint, après lui en avoir témoigné sa peine, lui dit : « J'aurais « voulu apprendre de vous-même le fruit que « Dieu produirait, si vous étiez entre ses mains « un instrument fidèle, mais qu'il est forcé « d'omettre à cause que vos fautes et vos défauts « mettent obstacle à ses désirs. Oui, voilà ce cc qui empêche que Dieu ne se manifeste par « vous. Ah! vous devriez vous faire un conti« nuel reproche à vous-même de ce que vous (f mettez un obstacle volontaire aux desseins « miséricordieux du Seigneur; vous devriez a être couvert de confusion et abîmé dans la « douleur, en voyant que, par votre faute, Dieu « ne trouve pas en vous un instrument propre « aux grandes et excellentes choses qu'il vou« drait faire par votre entremise. Quel sujet de « douleur pour vous que le dommage immense « qui en résulte, dommage imputable à vous « seul ! C'est vous qui êtes cause que Dieu est « privé d'une partie de sa gloire ; c'est vous « qui êtes cause que les ames, dont le soin vous « a été confié, ne reçoivent qu'une faible partie « des fruits abondans que vous étiez appelé à « leur procurer : oh ! combien de dons et de « biens célestes qui étaient sur le point de cou-

« 1er sur elles, et que vous avez arrêtés, par « cela seul que vous n'êtes pas tel que vous « pouvez et devez être. C'est pourquoi je vous a avertis de réfléchir sur le compte terrible « qu'au jugement de Dieu vous aurez à rendre « de tant de biens que Dieu voulait faire, qu'il « était prêt à faire, et que vous l'empêchez « d'accomplir.

« Ayez soin d'éviter la singularité, de ne pas « faire ostentation de votre science, et de ne « pas rechercher la faveur du peuple ; au con« traire, montrez que vous avez en horreur toute « ambition de célébrité et de réputation popu« laire. Une vaine jactance et la prétention à <( la prééminence ont nui beaucoup à plusieurs « de notre compagnie. Depuis que je suis reve« nu du Japon, j'en ai renvoyé un certain nomu bre de la société, parce qu'entre autres choses « je les ai trouvés infectés de ce vice. Une sem« blable conduite de votre part m'obligerait à « vous traiter avec la même sévérité. »

9. Si c'est un crime dans un prédicaetur de « manquer de pureté d'intention en remplissant J son ministère, quand même il parlerait d'une !

manière convenable, combien plus sont coupables ceux qui cherchent à plaire par un style

Combien sont, coupables les prédicateurs qui cherchent à plaire par un stylo mondain.

mondain, qui ne prêchent que pour donner une haute idée de leur talent et de leur capacité, et qui s'appliquent plus à faire briller leur esprit qu'à convertir les ames (1). C'est en vain qu'ils prétendent ne chercher que Dieu et qu'ils font parade d'une modestie qu'ils n'ont pas; leur genre les trahit et leur vanité perce malgré les voiles dont ils cherchent à l'envelopper (2).

10. « Ils sont bien indignes du ministère éyangélique, dit le cardinal de La Luzerne, ceux qui y recherchent, non la gloire de Dieu, mais la leur propre; qui travaillent, non au salut du prochain, mais à leur réputation personnelle. Il ne s'agit pas de plaire : il faut convertir. Ce n'est pas aux hommes, c'est à Dieu

(1) « C'est avoir de l'esprit, dit La Bruyère, que de plaire au peuple dans un sermon par un style fleuri, une morale enjouée, des figures réitérées, des traits brillans et de vives descriptions ; mais ce n'est point en avoir assez. Un meilleur esprit néglige ces ornemens étrangers, indignes de servir à l'Evangile ; il prêche simplement, fortement, chrétiennement. »

(2) On verra dans le chapitre IX quel est le style convenable aux sermons. Nous montrerons dans ce même chapitre combien la vanité de passer pour orateur est préjudiciable aux ministres sacrés et au salut des ames.

Il ne faut chercher qu'à plaire A Dieu et à conv^rlir.

qu'il faut se rendre agréable (1). Si les apôtres ont réussi à soumettre le monde à la foi, il nous en disent la raison : c'est qu'ils prêchaient, non pas eux-mêmes, mais Jésus-Christ (2). Le vrai succès d'un prédicateur de l'Évangile, le seul qui soit digne de lui, le seul qu'il lui soit permis d'ambitionner, c'est de produire des fruits de salut; c'est de confirmer les justes dans le bien; c'est d'y amener les pécheurs. A-t-il obtenu cet objet de ses vœux, sachant que ce n'est pas à lui qu'en appartient la gloire, il la rapporte tout entière à celui qui a daigné donner l'accroissement aux plantes qu'il a arrosées.

Sentant que ce n'est pas l'outil, mais l'ouvrier, qui est digne de louange, il se borne à rendre graces à l'auteur de tout bien d'avoir fait de lui l'instrument de sa bienfaisance.

« Quant à ceux qui, dans leurs prédications, recherchent les éloges humains, ils ne méritent point, et ils n'obtiendront point l'honneur de conquérir des ames à Dieu. Leurs discours re-

(1) Ita loquimur, non quasi liominibus placentes, sed Deo qui probat corda nostra. (Thess., 2, 4.)

- (2) Non enim nosnietipsos prædicamus sed Jesum Christum Dominum lIoslrum. (2 Cor., 4, 5.)

cherchés, fleuris, éloquens peijt-être, ne seront qu'un airain résonnant, des cymbales retentissantes, dont le bruit, s'il est harmonieux, pourra flatter les oreilles, mais ne pénétrera jamais au cœur. Cette frivole gloire du monde qu'ils auront ambitionnée, Dieu la leur accordera peutêtre ; mais ce sera pour leur ruine. L'orgueil qui inspira leur prédication s'enflera encore des éloges qu'ils en recueilleront i et leur perte se consommera de ce qui aurait dû faire leur salut. » ( Cortsid. sur l'état ecclésiastique.)

41. A la pureté d intention le prédicateur doit joindre le zèle et là prudence. Il a besoin de zèle pour ne pas se décourager dans l'exercice d'un ministère pénible et rempli de difficultés. Il a besoin de prudence pour régler son zèle et l'empêcher de passer les bornes de la discrétion. Le zèle porte le ministre sacré à J'accomplissement de ses devoirs, et la prudence arrête les excès de son zèle.

12. il L'éloquence de la chaire, dit La Bruyère, en ce qui y entre d'humain et du talent de l'orateur, est cachée, connue de peu de personnes, et d'une difficile exécution. Quel art en ce genre pour plaire en persuadant ! Il faut marcher par des chemins battus, dire ce qui a été

Nécessité du zèle et de la prudence dans le prédicateur.

Difficultés de l'éloquence de la chaire.

dit, et ce que l'on prévoit que vous allez dire : les matières sont grandes, mais usées et triviales; les principes sûrs, mais dont les auditeurs pénètrent les conclusions d'une seule vue. Il y entre des sujets qui sont sublimes; mais qui peut traiter le sublime? Il y a des mystères que l'on doit expliquer, et qui s'expliquent mieux par une leçon de l'école que par un discours oratoire. La morale même de la chaire, qui comprend une matière aussi vaste et aussi diversifiée que le sont les mœurs des hommes, roule sur les mêmes pivots, retrace les mêmes images. Le prédicateur doit tirer son discours d'une source commune, et où tout le monde puise; et, s'il s'écarte de ces lieux communs, il n'est plus populaire, il est abstrait ou déclamateur, il ne prêche plus l'Évangile. Il n'a besoin que d'une noble simplicité, mais il faut l'atteindre; talent rare, et qui passe les forces du commun des hommes : ce qu'ils ont de génie , d'imagination, d'érudition et de mémoire, ne leur sert souvent qu'à s'en s'éloiener. »

13. Ce qu'il y a de plus décourageant dans l'exercice du ministère de la parole, ce n'est ni la fatigue qu'exige la préparation du discours, ni la difficulté d'atteindre le vrai point de la per-

Aulres causes de dégoût pour l'orateui sucré.

fection; c'est l'irréligion dominante de nos jours, où nous pouvons gémir, avec bien plus de raison que Bourdaloue, de ce que X incrédulité est devenue la véritable hérésie de notre temps (1 ) ; c'est surtout l'indifférence générale de notre siècle pour la religion, indifférence de laquelle il résulte qu'on assiste à une instruction chrétienne comme à un spectacle profane ; qu'on veut réduire notre zèle à sacrifier, et les vérités les plus importantes, et l'éloquence la plus impétueuse, à je ne sais quels sujets frivoles, ou à quelques fleurs de rhétorique ; enfin, qu'il semble que nous devrions nous dégrader également, et comme apôtres et comme orateurs, pour plaire à la multitude.

14. Ces dégoûts sont amers sans doute : il faut cependant les surmonter. Quandmême nous ne parviendrions, dans cette pénible carrière, qu'à procurer du soulagement à une seule famille abandonnée, à ramener un seul homme pervers dans les sentiers de la vertu, à éteindre la fureur de la vengeance dans les profondeurs d'un cœur ulcéré, à préserver un seul malheu-

(1) Sermon sur la Prédestination.

Motifs pour les surmonter.

reux du désespoir, à épargner un seul crime à la terre, à arracher enfin une seule victime à l'enfer, que faudrait-il de plus pour ranimer notre ardeur ? Quelle ame honnête et chrétienne ne serait enflammée par Une si encourageante perspective ? Nous aurions rempli notre vocation, en nous rendant utiles à nos semblables.

Nous serions dédommagés de toutes nos fatigues et de tous nos sacrifices par leurs progrès dans le bien, autant que par la certitude de leur bonheur qui, après Dieu, serait notre ouvrage.

Le doux souvenir des travaux de notre jeunesse viendrait nous consoler lorsque les années et les infirmités nous empêcheront de nous rendre utiles au prochain, autrement que par nos prières et nos vœux ; et quand la mort s'avancerait ensuite pour fermer nos paupières, nous pourrions dire avec confiance au Juge suprême, dont nous aurions publié les lois : a Grand Dieu!

« j'ai semé ta parole sainte sur un champ sté« rile , où la rosée du ciel est venue lui prodi« guer les plus heureux accroissemens. Tu « m'avais donné tes enfans à instruire : je te « bénis de m'avoir choisi pour les rendre meil« leurs. Souviens-toi de toutes les grâces que « tu as répandues sur ton peuple , par le canal

« de mon ministère. Les larmes que j'ai essuyées « ou que j'ai fait couler en ton nom sollicitent « en ce moment grâce à ton tribunal pour « celui qui, en te prêtant sa voix, y mêla si « souvent les siennes propres. Heureusement « pour le genre humain, ce tribunal si redouta« ble est une croix, c'est-à-dire une source a inépuisable de charité, un autel d'expiation, « un trône d'amour, un signe sacré de salut, « un trésor public d'espérances. 0 mon Dieu !

« ô mon père j'ai été l'organe et l'instrument « de ta clémence : ne me réduis donc pas moite même à ta seule justice, et n'écoute plus, en cc me jugeant, que ton infinie miséricorde. »

cc (MAURY.)

15. Si c'est le sentiment de sa faiblesse sous le rapport du talent qui décourage l'orateur sacré, nous lui dirons que ce n'est point de luimême qu'il tire sa force, mais de Dieu dont il est le ministre, et des choses mêmes qu'il annonce de sa part. Quand il remplit légitimement son ministère, il n'est qu'un interprète des volontés divines. Il suffit à la rigueur que les déclarations et les ordres de son maître soient transmis fidèlement, et avec respect et dignité, pour que son devoir soit rempli. Moins il y met-

Motifs d'encouragement pour les orateurs chrétiens qui n'ont qu'un talent médiocre.

tra du sien, plus il sera parfait. Pourquoi chercher à revêtir d'ornemens profanes des sujets dont l'importance, la grandeur et la dignité sont telles, qu'il suffit de les exposer pour intéresser P Il n'est donc pas nécessaire que tous les prêtres soient orateurs, dans toute l'étendue du terme, pour annoncer la parole de Dieu. Quelque médiocres que soient les talens naturels de quelques-uns, pourvu qu'ils ne soient pas entièrement dépourvus de ce qu'on pourrait appeler le matériel de la prédication, ils trouveront dans une lecture assidue des livres saints, dans un cœur profondément pénétré des grandes vérités qu'ils sont chargés d'enseigner aux autres, dans un grand zèle pour la gloire de Dieu et le salut des ames, plus de moyens efficaces de captiver l'attention, de plaire et de persuader, de convertir les pécheurs, que ces orateurs académiques , dont l'ambition, quoiqu'ils se la dissimulent, est plus de conquérir le suffrage des hommes d'esprit et de faire admirer la fécondité de leurs talens, que d'inspirer de saints mouvemens à leur auditoire.

16. Ce n'est pas sans raison qu'on a dit qu'il ri y a rien de plus facile que de bien prêcher, et rien de si difficile que de Inal prêcher,

Celui-là proche bien qui convertit.

comme font quelques-uns avec beaucoup de talent. Celui-là prêche bien qui convertit et qui fait en s.orte que ses auditeurs l'oublient pour ne penser qu'à eux-mêmes et à leur salut. S'il ne fallait que des orateurs pleins de talent dans les paroisses, Dieu n'aurait pas pourvu suffisamment au bien de son Église et au salut des peuples. Des moyens médiocres suffisent, avec les études ordinaires, pour remplir avec fruit le ministère de la chaire. Que chacun's'efforce de faire son devoir selon le don et le talent quil a reçu du Seigneur, et il recevra la récompense de son travail. (1 COR., 3, 8.) 17. Ce ne sont pas les prédicateurs à talent qui ont sauvé le plus d'ames, mais des hommes d'un talent médiocre, animés d'un grand zèle.

Ce sont ces derniers qui sont les plus utiles à l'Église et qui forment la grande majorité de ses ministres. Il en a été ainsi dans tous les siècles. Il est certain que le nombre des orateurs de la chaire, dont les ouvrages ont été transmis à la postérité, et qui font partie des richesses de l'Église, n'est point du tout comparable à celui de tant d'autres hommes apostoliques qui ont gagné à Jésus-Christ des villes, des provinces, des royaumes entiers. Ces grands semeurs d'é-

Ce ne sont pas les prédicateurs à talent qui ont sauvé le plus d'ames.

ternité, satores ceternitatis, comme les appelle saint Hilaire, ont porté au maître de la moisson d'innombrables et magnifiques gerbes de salut; et, tandis qu'ils jouissent dans le ciel d'une gloire immense, fruit de leurs abondantes récoltes, leurs noms sont à peine connus icibas. Une certaine célébrité acquise par de rares talens, cultivés avec soin, est le plus souvent funeste aux ministres de la parole, et rend leurs efforts infructueux, parce qu'elle est rarement jointe avec ces vertus solides de l'homme intérieur, qui seules peuvent les rendre capables de toucher les cœurs, et dignes de coopérer efficacement à la sanctification des ames. (Pref.

des serm. de M. l'abbé Richard).

18. Voici deux faits qui prouvent ce que nous avançons. Le P. Eudes parlait un jour dans un sermon des châtimens dont Dieu punit le péché. Après avoir représenté vivement les peines que les damnés souffrent, il montre tout à coup à ses auditeurs l'enfer ouvert sous leurs pieds ; dans ces cachots ténébreux, une multitude de réprouvés, victimes de la souveraine justice, et moins coupables qu'ils ne le sont eux-mêmes; leur place déjà marquée dans ce lieu d'horreur; le Tout-Puissant irrité, que le

Succès du P.

Eudes et vains efforts de M.

Camus, ancien évêque de Belley, pour l'imiter.

ciel et la terre, indignés de leurs attentats, sollicitent de hâter sa vengeance; toute la colère d'un Dieu prête à éclater sur leurs têtes criminelles : » Malheureux pécheur, s'écrie-t-il « alors, qui te mettra à couvert contre l'indi-

cc gnation de l'Éternel? Un moment, un seul (( moment, ce moment qui s'échappe, va décider u de ton sort pour l'éternité, et tu es tran« quille!. J'en frémis. Le bras du Sei« gneur est levé, la foudre part. 0 Dieu!

« sur lesquels des pécheurs qui m'écoutent va a tomber le trait inévitable? Miséricorde, Sei« gneur ! miséricorde! C'est du plus profond « de nos cœurs que nous la réclamons, cette mi« séricorde infinie. Que nos cris, que nos « soupirs se fassent entendre jusqu'au pied de « votre trône ! Je le dis pour tous ceux qui « sont ici présens; ils le disent tous avec moi : « miséricorde, ô mon Dieu ! miséricorde ! »

Tous les auditeurs, saisis d'effroi, étaient prosternés, et il n'y en avait pas un seul qui ne fondît en larmes, qui n'éclatât en soupirs. On eût dit autant de criminels qui n'attendaient que le coup de la mort. A ces mots : miséricorde 3 ô mon Dieu ! miséricorde l l'espérance sembla renaître, mais sans bannir encore la

terreur. Un cri général s'élève de toutes parts;.

mille voix qui se confondent répètent ces paroles : miséricorde, d mon Dieu ! miséricorde !

Le prédicateur est obligé de s'arrêter et de donner à ce transport le temps de se calmer.

Il reprend aussitôt : « Oui , mes frères, « c'est cette miséricorde infinie qui peut « seule ranimer votre espérance; c'est à elle « seule que vous êtes redevables de n'être pas « encore livrés à la justice de votre Dieu.

« Ne l'oubliez jamais, répétez-le sans cesse; « c'est votre miséricorde, Seigneur, qui me « met en état d'apaiser votre justice et de me <( dérober à ses feux vengeurs : misericordiæ « Domini, quia non sumus consumptiÇJÉRÉM., I( 3, 22). » S'étendant ensuite sur la gratuité, sur l'immensité de cette miséricorde, sur la crainte que doit avoir le pécheur qu'elle ne se lasse enfin de supporter ses désordres, il en conclut que la reconnaissance dont le pécheur doit être pénétré au souvenir des bontés et de la patience de son Dieu le doit rendre capable de tout entreprendre désormais pour faire oublier au Seigneur son ingratitude ; que ce n'est plus que par un retour de fidélité, d'amour, et de l'amour le plus généreux, qu'il doit honorer

« cette miséricorde qui doit être la source de son bonheur. Après avoir paraphrasé ce verset du psaume 88 : Je chanterai à jamais les miséricordes du Seigneur, en suggérant à ses auditeurs les sentimens et les affections dont une ame vraiment pénitente est facilement pénétrée, il les laissa résolus de s'abandonner à toutes les impressions que la grâce faisait si sensiblement dans leur cœur.

Le sermon ne fut pas plus tôt fini, qu'on s'entretint dans toute la ville des effets extraordinaires qu'il avait produits; on était dans l'admiration de voir, à la parole d'un homme, un auditoire entier saisi de cet enthousiasme dont les plus froids et les plus insensibles avouaient eux-mêmes n'avoir pu se défendre. On en parla au célèbre M. Camus, ancien évêque de Belley, un des plus fameux prédicateurs de son temps, et qui demeurait alors à Caen, dans la maison de l'Oratoire;il donna au missionnaire de sincères éloges, en montrant cependant que des traits pareils n'avaient rien qui le surprit, qu'au moins ils ne lui paraissaient pas inimitables.

Il fit plus, il lui prit envie d'en faire lui-même l'essai, et il se promettait bien de réussir. Il se mit donc à composer un sermon dans le goût

qu'il imagina le plus propre à causer de ces mouvemens extraordinaires; il y fit entrer tout ce qu'il crut propre à inspirer la crainte des jugemens de Dieu, et dans l'endroit du discours où les peintures étaient les plus vives et les plus animées, il ne manqua pas de se proposer de crier aussi miséricorde, et d'engager son auditoire à le faire après lui.

Le jour où il devait prêcher étant arrivé, l'estime qu'on avait pour le prélat lui attira une foule d'auditeurs choisis. Il monte en chaire, il commence son sermon, et dans l'endroit où il croit son auditoire bien préparé, il élève tout à coup la voix, et s'écrie : Miséricorde, o mon Dieu! miséricorde! Il s'arrête après cet éclat, sans que personne s'empresse de le seconder.

Plus animé qu'auparavant, il présente, avec un nouveau feu, tout ce qu'une imagination montée lui peut fournir de frappant : il va jusqu'à ordonner à ses auditeurs de crier avec lui miséricorde. L'on se regarde les uns les autres, on est surpris d'un pareil ordre; mais l'on ne se met point encore en devoir de l'exécuter. Le prédicateur , surpris et mortifié de voir manqué l'effet qu'il attendait, invective contre la dureté de cœur et l'insensibilité de ceux qui l'écou-

tent; il presse, il sollicite, il croit voir enfin sur les visages étonnés qu'il peut risquer un dernier effort; il s'écrie pour la troisième fois : Miséricordeô mon Dieu! miséricordel Chacun baisse les yeux et convient tacitement de l'insensibilité qu'on lui reproche; mais pas un n'ose rompre le silence, et tous sortent muets ou insensibles. (Vie du P. Eudes).

19. Les ressources de l'art ne doivent pas être négligées, car elles sont d'un grand secours au prédicateur. Mais qu'importe, après tout, que les hommes admirent les talens ora-

toires d'un envoyé de Dieu, pourvu qu'il remplisse véritablement l'unique objet de sa mission; que, marchant sur les traces de son auguste chef, il puisse se dire avec vérité : Veni ut vitam habeant., et abundantius habeant, et ajouter avec l'apôtre saint Paul ; non in sapientia verbij ut non evacuetur crux Christi; qu'il s'assure, de cette manière, non une vaine réputation qui ne dure qu'un moment, mais des couronnes brillantes pendant toute l'éternité? « Ce « sera pour lui, même ici-bas, une bien grande « consolation, dit saint Jean-Chrysostôme ( et « c'est en effet la plus grande qu'il puisse avoir), u s'il peut se rendre ce témoignage, qu'en ne

En cherchant uniquement à plaire à Dieu, il ne faut pas négliger les ressource de l'art.

« négligeant point les vrais moyens de rendre « ses discours instructifs et éloquens, il n'a « cherché uniquement qu'à plaire à Dieu. »

(De sacerd., liv. V, ch. 7).

20. Nous l'avons dit, c'est dans une ardente charité et dans un grand zèle pour lé salut des

ames que l'orateur sacré trouvera les vrais moyens d'exercer dignement son ministère. Le zèle est un grand maître dans l'art oratoire.

Toutes les écoles de rhéteurs ensemble et tous leurs préceptes ne seront jamais d'un aussi grand secours aux prédicateurs pour les aider dans les fonctions de leur ministère, que ce saint zèle, qui doit être l'ame de leur sublime profession. C'est lui seul qui leur fournit presque tous les moyens et toutes les manières de parler utilement pour leurs auditeurs et pour eux-mêmes. C'est lui qui les porte à négliger ce qui sert plus à chatouiller les oreilles par le son et la cadence des paroles, ou à plaire à l'esprit par des tours fins et par des rencontres heureuses, qu'à instruire l'auditeur et à le guérir des plaies du péché. C'est lui qui leur fait trouver mille moyens de persuader, et em ployer t DUS les tours et les adresses les plus insinuante ! du discours, pour faire goûter la science du salut

Le zèle est un grand maître dans l'art oratoire.

aux pécheurs, pour les remplir de la crainte du Seigneur et d'une sincère aversion de leur vie criminelle. C'est lui qui, à toute occasion qui s'en présente dans le cours du discours, leur suggère des expressions et des figures véhémentes pour donner du mouvement à ceux qui n'en ont point, et pour arrêter ceux qui en ont trop. C'est lui, enfin, qui fait qu'en diversifiant leurs paroles selon les besoins de leurs auditeurs, ils emploient tantôt les exclamations fortes, tantôt les supplications, tantôt les reproches et les réprimandes sévères; qu'ils réveillent les morts et interrogent les absens, qu'ils implorent le secours de Dieu, qu'ils remuent le ciel et la terre, et que, poussés par un saint enthousiasme, ils s'élèvent au-dessus d'eux-mêmes et transportent leur auditoire.

21. Quand le cœur est embrasé par le zèle, c'est une fournaise ardente qui répand l'abondance de ses feux au-dehors par les flammes de la parole. Alors il communique partout la chaleur et embrâse tout. Le feu du zèle se montre dans toute la personne de l'homme apostolique , dans sa voix, ses gestes, ses regards et ses expressions. Son style est fort et véhément.

Il ne court point après l'éloquence, mais l'élo-

L'homme apostolique est naturellement éloquent.

quence le suit. C'est une éloquence vraie et naturelle à laquelle l'art n'a aucune part. Elle se soutient et s'élève par l'impulsion de la charité. C'est une sorte d'inspiration.

22. Comment un prédicateur qui connaît les

vérités de la foi et qui en est intimement pénétré, qui sait ce que c'est que le salut et l'éternité, ne serait-il pas comme hors de luimême lorsqu'il voit les déréglemens et l'impiété de la plupart des hommes, le mépris qu'ils font de la religion, l'aveuglement de leur esprit, l'endurcissement et l'insensibilité de leur cœur, et le danger extrême où tant d'ames sont exposées? Lorsqu'il considère la situation périlleuse de tant d'aveugles qui ont déjà, en quelque sorte, un pied dans l'abîme éternel, comment ne ferait-il pas tous ses efforts pour les tirer d'un danger aussi pressant, d'un danger d'autant plus redoutable que les infortunés qui y sont exposés ne le voient point, et qu'ils périssent en foule et sans retour ?

23. Peut-on manquer de zèle quand on voit ce que Dieu, Jésus-Christ son fils, et les saints ont fait pour le salut des ames? Le feu sacré du zèle est sorti du cœur de Dieu même, qui a donné son fils au monde pour le sauver. Il est

MOlifs du zèle apostolique.

Exemple de Dieu et de J .-C., son fils.

sorti du cœur du Verbe éternel, qui s'est offert volontairement comme victime pour racheter les hommes de la damnation. Oui, c'est le désir de notre salut qui a fait descendre le fils de Dieu des splendeurs du ciel sur la terre pour venir s'incarner et mourir sur une croix. Et ce feu de la charité, qui a une origine si noble,, s'est répandu comme un torrent jusqu'aux extrémités du monde. C'est Jésus-Christ qui l'a communiqué , et son désir est qu'il s'enflamme de plus en plus. Je suis venu, disait-il, apporter le feu sur la terre, et quelle est mon intention, sinon quil soit allumé (1)? Il a fait passer ce feu divin dans le cœur de ses apôtres, et leur a donné la charge de le répandre par toute la terre. Voyez avec quelle ardeur ces saints et illustres personnages l'ont porté, l'ont allumé, l'ont propagé dans toutes les nations. Ministres du Tout-Puissant, qui succédez aux Apôtres, lesquels eux-mêmes avaient remplacé JésusChrist , c'est maintenant à vous qu'est confiée cette importante et sublime fonction. L'édifice que votre divin maître et vos premiers prédécesseurs ont élevé et cimenté de leur sang, vous est

(1) Ignein veni mitlerc in terram : et quid volo, nui ut accendaturÎ (Luc. , 12, 49.)

remis pour que vous l'entreteniez. Vous êtes chargés de conserver à Jésus-Christ les ames qu'il s'est acquises par sa mort, et que ses apôtres lui ont conquises par leurs travaux. Ce grand ouvrage qu'ils ont opéré dans le monde, vous êtes tenus de le continuer, de le maintenir, de le perpétuer, de le perfectionner s'il est possible. Vous vous glorifieriez vainement d'être les héritiers de leur ministère, si vous ne l'êtes aussi du zèle avec lequel ils l'ont exercé. Comment ferez-vous passer dans les autres ce feu divin, si vous n'en êtes pas embrasés vousmêmes ? C'est le feu qui allume le feu. Malheur à vous, ministres indolens, qui voyez périr les ames avec indifférence! Si vous ne brûlez pas du feu de la charité , craignez de brûler un jour dans le feu allumé par la colère divine.

24. C'était le zèle du bien des ames qui embrasait saint Paul, lorsque, s'adressant aux Corinthiens , il s'écriait : Qui est faible, qui est affligé sans que je m'affaiblisse ou que je m afflige avec lui (1)? Mes enfans, écrivait-il aux Galates , pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantenzent jusqz/à ce que Jésus-

(1) Quis infirmalur, el ego non infirmor? (2 Cor., 11, 29.)

Exemple de saint Paul.

Christ soit formé dans vous (1), c'est-à-dire l'extrême douleur dont mon cœur est pressé à cause de votre ch ute (ils étaient retombés dans le judaïsme), me fait renouveler avec ardeur tous mes efforts pour vous enfanter de nouveau 7 et vous rendre à Jésus-Christ. C'est aussi du feu intérieur de la charité, qui le consumait, que sont sortis ces étonnantes paroles que nous lisons dans l'épître aux Romains : Je suis saisi cl'une tristesse profonde, et mon cœur est pressé sans cesse d'une douleur violente .-"au point que, s'il lt été possible, j'eusse désiré devenir moi-même anathéme à l'égard de Jésus-Christ pour mes frères (2).

25. C'est la soif du salut des ames qui a porté dans tous les siècles des hommes apostoliques à tout quitter, leurs biens , leurs parens , leurs amis, leur patrie, pour aller annoncer l'Evangile à des peuples barbares. Ils ont traversé l'immensité des mers, ils se sont exposés à tous les dangers, et se sont condamnés à toutes les privations, pour éclairer les peuples assis à

(1) Filioli mei, c/uos itcrum parturio, donec formetur Chris tus in vobis. (Gai., 4, 19.)

(2) Trislitia mihi magna est, et conlinuus dolor cordi vieo. Oplabam cnim ego ipsc analhema esse a Christo pro fratribus meis. (Rom. 9, 2 et 3.)

Exelmple des hommes apostoliques.

l'ombre de la mort. La plupart ont scellé de leur sang les vérités qu'ils annonçaient. C'est à ces dignes successeurs des apôtres que nous sommes redevables de la foi. Ce. sont eux qui ont tiré nos pères des ténèbres de l'infidélité.

C'est à leur zèle que nous devons le bonheur d'être chrétiens. Ayons, nous que le Seigneur a honorés de son ministère, ayons pour nos frères qui s'égarent la même charité qu'on a eue pour nous dans la personne de nos ancêtres.

Rendons aux autres le même service qu'on nous a rendu (1). Et quel service plus important que celui d'apprendre à éviter un malheur éternel ?

"26. Un prêtre que le zèle anime peut rendre plus de services à l'Église que cent autres qui en sont dépourvus, ou, du moins, qui en ont peu. Entre une foule d'exemples, citons-en quelques-uns qui sont plus rapprochés de notre temps. Le premier est celui de saint FrançoisXavier. Il s'est donné des peines incroyables pour la conversion des ames. « Il est difficile, dit son historien, de compter tous ses voyages de mer et de terre; et, si l'on voulait en prendre

(1) C'est ce que font nos missionnaires. Dans ce moment même (1839) des prêtres européens, des prêtres français versent leur sang pour la foi dans le Tongking.

Services que peut rendre à l'Église un prè=> tre zélé. Exemple de saint François-Xavier.

la peine, on croirait qu'il n'a eu le temps que de voyager. Ceux qui l'ont pratiqué le plus disent de lui ce que saint Chrysostôme disait de saint Paul, qu'il a parcouru des contrées immenses avec une vitesse incroyable, et comme en volant, non sans travailler, ni sans aucun fruit, mais prêchant, baptisant, confessant, disputant contre les gentils, déracinant l'idolâtrie, réformant les mœurs, et établissant partout la piété chrétienne. Ses travaux apostoliques étaient accompagnés de toutes les incommodités de la vie; et, si l'on en croi t les gens qui l'ont observé de près, c'était un miracle continuel qu'il pût vivre; ou plutôt, le plus grand miracle de Xavier n'était pas d'avoir ressuscité des morts, mais de n'être pas mort lui-même de fatigue pendant dix ans.

« Son zèle seul le soutenait; mais, quelque pénibles que fussent les fonctions de son ministère, il s'en acquittait avec tant d'inclination et tant de joie , qu'au rapport du père MelchiorNugnez, il semblait faire naturellement tout ce qu'il faisait. Voici les propres paroles de Nugnez : Le père maître François en travaillant au salut des Sarrasins et des idolâtres, paraissait agir) non par une vertu infinie ou ac-

quise, mais par un mouvement naturel; car il ne pouvait vivre, ni prendre de plaisir que dans les occupations évangéliques : il y trouvait même son repos, et pour lui ce n'était pas travailler que de conduire les anzes à la connaissance et à Vamour de son Dieu.

« Aussi, dès qu'il y avait la moindre apparence que la foi pût être plantée dans quelque nouveau royaume de gentils, il y volait, malgré toutes les difficultés qui se présentaient. On ne peut pas dire au vrai le nombre des infidèles qu'il a convertis ; l'opinion commune est que ce nombre passe sept cent mille ; mais il ne faut pas croire pour cela qu'il les instruisît légèrement. Avant de les baptiser, il leur enseignait à fond les principes de la foi; selon la différence des états, ses instructions étaient différentes : il en avait de propres pour les jeunes personnes, pour les femmes mariées, pour les veuves, pour les serviteurs, et pour les maîtres.

« Il ne passait pas d'un Heu à un autre, que la foi ne fût assez établie pour se maintenir d'elle-même. En effet, de tous les pays qu'il fit chrétiens, on n'en sait aucun qui soit retombé dans l'idolâtrie, hors la ville de Tolo; encore ne fut-ce que pour peu de temps :

mais on sait bien que des peuples qui, depuis quinze ou seize ans, n'avaient vu ni prêtre, ni chrétien étranger, se sont trouvés instruits dans la religion, et fervens dans la pratique des bonnes œuvres, comme s'ils n'eussent fait que de recevoir le baptême. Nous savons que quelques-uns, ayant été faits esclaves par les païens, ont conservé leur foi pure au milieu du paganisme, et ont mieux aimé perdre la vie dans les tourmens que de renoncer à Jésus-Christ. "4: u Il avait coutume de demander tous les jours instamment à Dieu, dans le sacrifice de l'autel, la conversion des gentils, et il disait pour cela une prière qu'il avait composée en latin. La voici : JE terne rerum omnium effector Deus, memento abs te animas infidelium esse procreatas, easqueadimaginem et similitudinem tuam conditas. Ecce, Domine, in opprobrium taum his ipsis infernus impletur. Memento Jesumfilium tuum pro illorum, salute atrocissimam subiisse necem. Noli quæsoj Domine, ultra permittere ut filius tuus ab infidelibus contemnatur; sed precibus sanctorum tuorum, et sanctissimœ ecclesiœ ejusdem jilii tui sponsœ placatus, recordare misericordiœ tuce, et oblitus idolâtriez, et infidelitatis eorum, effice ut et ipsi tandem

agnoscant quem misisti, Dominum nostrum Jesum- Chris tum, in quo est salus, vita, et resurrectio nostra, per quem salvati et liberati sumus, cui sit gloriaper infinita secula seculorum. Amen (1).

« Comme il ne pouvait pas prêcher toujours, ni en tous lieux, il écrivit plusieurs instructions touchant la foi et les mœurs, les unes plus amples, les autres plus courtes, toutes dans la langue des nations converties; et c'était sur ces instructions écrites que les enfans apprenaient à lire.

Le saint composa aussi des cantiques, et mit en chant l'Oraison Dominicale, la Salutation An-

(1) 0 Dieu éternel, créateur de toutes choses, souvenez-vous que les ames des fidèles sont l'ouvrage de vos mains, et que c'est à votre ressemblance qu'elles sont créées. Voilà, Seigneur, que l'enfer s'en remplit à la honte de votre nom. Souvenez-vous que Jésus-Christ votre fils a souffert pour leur salut une mort très-cruelle ; ne permettez-plus, je vous prie, qu'il soit méprisé des idolâtres. Laissez-vous fléchir par les prières de l'Eglise , sa très-sainte épouse, et souvenez-vous de votre miséricorde. Oubliez, Seigneur, leur infidélité, et faites en sorte qu'ils reconnaissent enfin pour leur Dieu notre Seigneur JésusChrist, que vous avez envoyé au monde, et qui est notre salut, notre vie, notre résurrection, par lequel nous avons été délivrés des enfers, et à qui soit la gloire durant les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

gélique, et le Symbole des Apôtres. Il bannit par-là toutes les chansons impudiques que les nouveaux chrétiens savaient avant leur baptême; car les cantiques de Xavier plaisaient tant qu'on les chantait généralement dans les maisons et à la campagne.

« Quelque chose qu'il fit, il ne regardait cela que comme un essai; et il écrivit, l'an 1549, que, si le ciel lui donnait encore dix ans de vie, il espérait que ces petits commencemens auraient des suites plus heureuses. Ce désir ardent d'étendre toujours davantage le royaume de Jésus-Christ lui faisait écrire des lettres pressantes au roi de Portugal et au Père Ignace, pour avoir un grand nombre de missionnaires : il promettait, dans ses lettres, de leur adoucir les fatigues des missions en les servant tous et en les aimant plus que lui-même.

« L'année qu'il mourut, il écrivit que, lorsqu'il aurait soumis l'empire de la Chine et celui des Tartares au joug de la foi, il prétendait retourner en Europe par le Septentrion, pour travailler à la réduction des hérétiques et au rétablissement de la discipline des mœurs ; qu'après, il avait le dessein de passer en Afrique ou de repasser en Asie, pour chercher de nou-

veaux royaumes où il annonçât Jésus-Christ. Au reste, quoiqu'il formât de nouvelles entreprises comme s'il eût dû vivre plus d'un siècle, il travaillait comme s'il n'eût eu que le jour présent; et il s'attachait quelquefois tellement à l'ouvrage qu'il avait entre les mains, qu'il se passait des deux ou trois jours sans qu'il songeât à prendre nulle nourriture. »

27. C'était avec une profonde douleur qu'il pensait aux prêtres coupables qui, par défaut

de zèle, se rendent inutiles à l'Eglise et laissent périr les ames qu'ils pourraient sauver. Voici ce qu'il écrivait à ce sujet aux pères de la compagnie de Jésus : « Une multitude prodi« gieuse de peuples ne sont ici plongés dans les cc ténèbres de" l'idolâtrie que faute d'apôtres.

« Que de fois il m'est venu dans l'idée de me « transporter en Europe, dussé-je y passer « pour fou, et de parcourir les académies, et « surtout celle de Paris, de crier à tous ces « savans, qui ont plus de doctrine que de cha« rité: C'est par votre faute qu'une multitude « épouvantable d'ames sont exclues du royaume « des cieux et sont plongées dans les abîmes u éternels! Ah! plût à Dieu, me suis-je dit cc maintes fois à moi-même, que ces docteurs

Ses sentimeas sur les prêtres qui manquent de zèle.

« apportassent au salut des ames la même ara deur qu'ils mettent dans la recherche des a sciences humaines ! Quel compte n'auront-ils « pas un jour à rendre, et de la science qu'ils cc ont acquise, et des talens qui leur ont été « confiés ? Peut-être cette réflexion les ébran« lerait-elle ; peut-être livreraient-ils quelques « instans à l'oraison ; peut-être entendraient-ils « la voix de Dieu; peut-être que, faisant un « effort sur eux-mêmes, ils s'arracheraient à ..c( leurs cupidités charnelles, à leurs habitudes « terrestres, pour se mettre tout entiers à la « disposition et à la volonté de Dieu, et s'é« crieraient-ils : Seigneur, me voici; je suis à « vous, tout à vous ; envoyez-moi où vous « voudrez, fût-ce même dans les" Indes! Grand « Dieu! quelle vie plus heureuse ne mène« raient-ils pas ! quelle plus grande tranquillité « d'ame n'éprouveraient-ils pas! avec quelle « confiance, avec quelle assurance ne se pré« senteraient-ils pas au jugement du Dieu vi« vant, auquel personne ne pourra se sous1 « traire? C'est alors qu'ils diraient un jour avec « joie, comme le serviteur de l'Evangile : Sei« gneur, vous m'avez donné cinq talens, et « voilà que j'en ai gagné cinq autres. S'ils

t( apportaient le même zèle à cultiver le vente table arbre de la science, qu'ils apportent « nuit et jour à approfondir les sciences du « siècle; s'ils consacraient à instruire les igno« rans, sur ce qui est nécessaire au salut, le « temps qu'ils emploient à creuser des scien- « ces inutiles, ne leur serait-il pas plus facile a de répondre un jour au Seigneur, lorsqu'il u viendra tout-à-coup leur dire : Rendez-moi « compte de votre gestion?

« Ah ! je crains bien que tous ceux qui, dans (( les universités, se livrent avec tant d'ardeur « à l'étude des belles-lettres, n'aient bien plutôt « pour but les honneurs, les dignités du sacer« doce, que les charges et les devoirs qui y sont « attachés ! Je vois que les choses en sont venues « au point que ceux-là même qui se livrent avec (C le plus de zèle aux études, conviennent que c'est « plutôt pour s'emparer des dignités ecclésias« tiques, que pour consacrer leurs veilles, leurs « peines , leurs talens à Jésus-Christ et à son « Eglise. Mais quelle erreur ces misérables, qui « détournent à leur profit particulier des talens « et des études qui devraient être employés à « la chose publique, ne font-ils pas dans leur « calcul ! Comme s'ils craignaient que Dieu

« ne fût sourd à leur ambition , ils n'osent « lui abandonner la direction -- et la réussite « de leurs projets. Je prends Dieu à témoin « que j'ai eu dessein, ne pouvant retourner « en Europe , d'écrire à l'université de (c Paris, et surtout à nos docteurs Corne et « Picard, pour leur faire voir que de milliers cc de barbares on pourrait amener à la connais« sance du Christ, si les hommes s'occupaient « moins d'eux-mêmes que de sa gloire. Priez « donc, mes Frères bien-aimés, priez le Maître cc de la moisson, pour qu'il envoie des ouvriers « dans son champ. » (14e lettre de l'édition de 1828). - 28. Un autre exemple de zèle est celui de saint Vincent de Paul. Il suffit de prononcer son nom pour rappeler ce que peut le zèle d'un prêtre pour le bien de l'Eglise et de la société.

Sans entrer dans le détail de ses œuvres, que tout le monde connaît, sans parler de tous les établissemens qu'il a fondés et que nous voyons encore aujourd'hui, ne citons qu'un fait qui suffira seul pour donner une idée de la puissance de sa charité.

a Lorsque Vincent de Paul vint à Paris, dit Maury, on vendait les enfans trouvés, dans

Exemple de saint Vincent de Paul.

la rue Saint-Landry, comme un vil bétail. Ces infortunés, que le gouvernement abandonnait à la pitié, ou plutôt à la barbarie publique, périssaient presque en totalité ; et ceux qui échappaient par hasard à tant de dangers étaient quelquefois introduits furtivement, par les complots de la cupidité, dans des familles opulentes, pour en supplanter les héritiers légitimes.

Vincent de Paul donna l'exemple de la charité en fournissant d'abord des fonds assurés pour nourrir douze de ces malheureux enfans : bientôt son zèle obtint du soulagement à tous ceux qu'on trouvait exposés aux portes des églises; mais, cette nouvelle ferveur qu'inspire toujours un nouvel établissement s'étant refroidie, les secours manquèrent entièrement, et les outrages faits à l'humanité allaient recommencer. Le père nourricier des orphelins ne se découragea point. Bien loin de désespérer de la Providence, il convoqua une assemblée extraordinaire : il fit placer, dans son église de Saint-Lazare, un très-grand nombre de ces pauvres enfans prêts à expirer, entre les bras des filles de la Charité ; et, montant aussitôt en chaire, il prononça , les yeux baignés de larmes, cette allocution pleine d'ame, qui fait autant d'honneur à son

éloquence qu'à son zèle, et que je vais transcrire de l'histoire de sa vie, composée par Abelly, évêque de Rhodez.

« Or sus, Mesdames, la compassion et la « charité vous ont fait adopter ces petites créa« tures pour vos enfans. Vous avez été leurs « mères selon la grâce, depuis que leurs mères « selon la nature les ont abandonnées. Voyez « maintenant si vous voulez aussi les aban« donner pour toujours. Cessez à présent d'être « leurs mères, pour devenir leurs juges ; leur a vie et leur mort sont entre vos mains. Je m'en « vais donc, sans délibérer, prendre les voix et « les suffrages. Il est temps de prononcer leur « arrêta et de décider irrévocablement si vous « ne voulez plus avoir pour eux des entrailles « de miséricorde. Les voilà devant vous ! Ils « vivront, si vous continuez d'en prendre un « soin charitable ; et, je vous le déclare devant « Dieu, ils seront tous morts demain si vous « les délaissez. »

« On ne devait répondre, on ne répondit à cette pathétique exhortation que par des pleurs et des largesses ; et le même jour, au même instant, dans là même église, l'hôpital des Enfans-Trouvés de Paris fut fondé par acclama-

lion et doté de quarante mille livres de rente. »

29. En parlant du zélé de saint Vincent de Paul, pouvons-nous oublier celui d'un autre saint qui

vécut dans le même temps? Le nom de François de Sales se présente ici à tous les esprits. Dès qu'il eut reçu la prêtrise, il parut un homme rempli de l'esprit apostolique et tout brûlant de zèle pour le salut des ames. 11 prêchait rarement dans la ville, où il craignait que l'applaudissement des hommes ne lui enlevât le fruit de ses prédications ; mais il allait dans les bourgs et les villages instruire les gens de la campagne, dont plusieurs vivaient dans une profonde ignorance de la religion. Ses grands travaux pour le service de l'Église, et la bénédiction que Dieu y répandait, lui attirèrent une marque d'estime de son prince : il le fit presser d'accepter une charge dans le sénat de Chambéry; mais François de Sales la refusa constamment, disant qu'on ne connaissait pas l'étendue du ministère ecclésiastique, si l'on croyait qu'il n'eût pas de quoi occuper un homme tout entier.

Le duc de Savoie, après être rentré en possession du duché de Chablais et de quelques autres pays, pensa à faire instruire de la religion catholique les peuples de ces cantons, que l'hé-

Exemple de saint François de Sales.

résie avait entièrement infectés. Tout le monde fut effrayé à la vue des périls et des fatigues d'une telle mission ; mais François s'offrit à l'entreprendre avec un chanoine de ses parens, nommé Louis de Sales, le seul qui se présenta pour l'accompagner. Lorsqu'il fut près d'entrer dans le Chablais, il se jeta à genoux, et fit sa prière à Dieu avec beaucoup de larmes ; puis il dit a Louis de Sales, en l'embrassant tendrement : « Nous entrons dans ce pays pour y faire « la fonction des Apôtres. Si nous voulons y (c réussir, il faut les imiter. Renvoyons nos che« vaux, marchons à pied , et contentons-nous « comme eux du nécessaire. » Ils le firent, et, depuis ce moment, François , suivi d'un seul domestique, et ayant pour tout équipage un sac où il y avait une bible et un bréviaire, qu'il portait assez souvent lui-même, marchait à pied, un bâton à la main, dans un pays où les chemins étaient très-rudes. Il essuya, dans l'exercice de son ministère, des fatigues, des contradictions, des persécutions incroyables. On lui fermait les hôtelleries, et il était obligé de coucher à l'air ; on lui refusait tout, et lé pain même pour de l'argent; on le traitait de magicien et de sorcier.

Le dépit et la fureur des ministres calvinistes

allèrent jusqu'à aposter plusieurs fois des gens pour l'assassiner. Rien ne fut capable de le rebuter; et ce que ses discours n'avaient pu faire d'abord, sa douceur, sa persévérance et les exemples admirables de sa vie le firent peu à peu. Les hérétiques les plus aveuglés et les plus endurcis se laissèrent enfin gagner et revinrent à l'Église. En peu d'années on vit dans tout le Chablais, et dans la plus grande partie du diocèse de Genève, une résurrection miraculeuse de la religion catholique. L'exercice en fut rétabli, et les difficultés ayant été une fois aplanies par la patience et les travaux de notre saint, on envoya des ouvriers évangéliques pour l'aider à achever ce grand ouvrage.

30. Il suffit d'écouter la voix de la nature pour se porter à secourir son prochain. Et

quand il s'agit d'un intérêt aussi grave que celui de l'éternité, le chrétien n'a qu'à suivre l'inspiration de sa foi pour se sentir porté à essayer de tirer de la voie de la perdition ceux de ses semblables qu'il y voit engagés. On a vu des royaumes entiers convertis à la religion chrétienne par de simples fidèles et par de pieuses femmes.

Dans les missions étrangères, les catéchistes convertissent autant d'infidèles que les mission-

Excmplc des simples fidèles.

naires eux-mêmes. Ce sont eux qui, le plus souvent, les instruisent pour les préparer à la réception des sacremens. Le zèle de ces pieux lidèles pour le salut des ames doit faire rougir les prêtres qui, étant obligés par devoir de s'en

occuper, négligent cependant d'y travailler.

31. C'est surtout une obligation stricte pour les pasteurs et pour ceux qui ont la charge des

ames. Ils sont tenus d'instruire leurs peuples, ou par eux-mêmes, ou, en cas d'empêchement légitime, par d'autres. L'homme, dit JésusChrist , ne vit pas seulement de pain, mais aussi de toute parole qui procède de la bouche de Dieu (1). Le pain matériel est la nourriture du corps ; mais la parole sainte est la nourriture de l'ame. Pasteurs des ames, quand JésusChrist nous a honorés de cette haute dignité, il nous a imposé l'obligation de leur distribuer cette nourriture salutaire qu'il leur a préparée et qu'il leur a apportée du ciel. C'est donc pour nous, non pas une convenance, non pas un conseil , non pas un point de perfection, mais une obligation positive, absolue, indispensable, in-

(1) Non in solo pane vivil ho/no, sed in omni oerbo, (¡'(loci procedit de ore Dei. (MATTH., IV, 4.)

obligation des pasteurs d'insiruire leurs peuples.

timement attachée à notre ministère, découlant de sa nature même, de distribuer au peuple fidèle ce pain céleste de la parole évangélique.

En effet (cette suite de raisonnement est de saint Paul) comment invoqueront le Seigneur ceux qui ne croient pas en lui ? Comment croiront en lui ceux qui n'en entendent pas parler? Comment entendront parler de Dieu ceux à qui on ne le prêche pas ? Comment seront-ils prêchés, si on ne leur envoie personne pour leur parler, ou si ceux qui sont envoyés pour cette fonction manquent de la remplir ? (RoM. 10, 14 et 15.) Le ministère de l'Église catholique est un canal sacré, par lequel la source pure de l'enseignement divin découle sans interruption, sans altération, à travers la suite des siècles, et va arroser et féconder toutes les régions de l'univers. Aussi, depuis que cette Église subsiste, et tant qu'elle subsistera, elle n'a jamais cessé, elle ne cessera jamais de recommander et de prescrire à ses ministres ce devoir essentiel. Les canons de ses conciles, les écrits de ses saints docteurs, sont pleins de ce précepte constamment et perpétuellement renouvelé; et des peines sont infligées à ceux qui le transgressent.

Malheur à moi, s'écriait le Docteur des nations,

si je riévangélise pas (1). Mais non, je suis innocent du sang de vous tous : carje riai jamais manqué de vous annoncer les volontés divines (2). Fils de V homme, disait le Seigneur à un de ses prophètes, .et dans lui à tous ceux qui devaient devenir les pasteurs de son troupeau, je t'ai établi pour veiller sur la maison d' Israël. Tu recevras donc de ma bouche la parole que tu iras leur annoncer de ma part.

Si y quand j'aurai dit à l'impie, tu mourras, tu ne le lui as pas répété, pour le détourner de sa voie criminelle, il mourra dans son iniquité:

* et je te redemanderai son sang. Mais si, quanti tu l'auras exhorté à se retirer de ses voies, il refuse de se convertir, il mourra de même dans son iniquité : mais tu auras délivré ton ame (3).

Et pourquoi donc a-t-il été nécessaire de porter une loi aussi sévère, de la munir de

(1) milzi est, si non evangelisavero. (1 COR., 9, 16.)

(2) Mundus sum a sanguine omnium. Non enim sublerfugi, quo minus annuntiarem omne consilium Dei vobis. (ACT. xx, 26 et 27 ).

(3) Et tu, fili kominis, spcculatorem dedi le domui Israël : audiens crgo ex ore meo sermonern, annuntia-

peines aussi rigoureuses, pour faire remplir une obligation si naturelle, et à laquelle la seule sensibilité du cœur devrait nous porter?

Pour peu qu'un pasteur ait de tendresse, de miséricorde, de charité, peut-il consentir à laisser, faute d'instruction, se perdre le troupeau qui lui est confié ? Peut-il laisser languir dans l'ignorance, croupir dans le vice, tant d'ames qu'il est chargé d'en retirer ? Peut-il, sans être ému d'une vive compassion, voir périr sous ses yeux, et en quelque sorte entre ses bras, tant de malheureux dont il est le père ?

Peut-il enfin, d'un œil sec et d'un cœur froid, les voir courir à l'enfer, quand ses leçons, ses prières, ses instances peuvent les arrêter?

32. Ainsi qu'autrefois la voix d'Élie ouvrit le ciel, et en fit descendre sur la terre d'Israël la pluie désirée depuis trois ans, ainsi, à la voix d'un pasteur zélé, toutes les vertus descendent

bis eis ex me. Si me dicente ad impium : Impie, morte morieris; non fueris locutus ut se custodiat impius a via sua : ipse impius in iniquitate - sua morietur, sanguinem autem ejus de manu tua requiram. Si autem annuntiante te ad impium ut a viis suis convertatur, non fuerit conversits a via sua : ipse in iniquitate sua morietur : porro tu animam tuarn liber asti. ( EZÉCH., 33. )

Heureux effets de l'instruction religieuse pour les fidèles el pour le pasteur lui-même.

du ciel sur la paroisse qu'il instruit. La parole de Dieu annoncée par lui est une rosée céleste, qui, tombant sur des terres desséchées, compactes, arides, les pénètre, les amollit, les féconde; y fait germer les semences de vie, leur fait porter des fruits abondans et salutaires. Et n'est-ce pas pour lui-même une bien touchante satisfaction de voir les ames dont il est chargé ramenées au devoir, à la vertu, à la piété ; de sentir que c'est à lui, à ses soins, à ses sollicitations, à ses travaux, qu'elles doivent leur bonheur; de les présenter avec confiance au Seigneur, comme ses enfans qu'il a engendrés à la religion ; d'avoir assuré son salut en opérant le leur ; et, en les remettant sur la voie du ciel, de s'en être ouvert les portes ? Quel retour de considération, de respect, de tendresse, de reconnaissance, n'éprouve-t-il pas de leur part ?

Avec quelle entière confiance ils s'abandonnent à lui ; à ses conseils, qui les ont si sagement dirigés ; à ses instructions, qui les ont si saintement éclairés ; à ses exhortations, qui les ont si puissamment excités ! Plus ils sont vertueux, plus ils chérissent celui à qui ils le doivent : et réciproquement leur amour pour la vertu s'augmente de celui qu'ils portent au pasteur qui la

leur a procurée. Ils s'attachent d'autant plus tendrement au bienfaiteur, qu'ils ressentent plus vivement le prix du bienfait (1). (DE LA LUZERNE)

* 33. Il faut prêcher souvent. C'est ce que recommandait saint François-Xavier à ses compagnons. « Faites, disait-il, des instructions

« au peuple le plus souvent que vous pourrez ; (( car il n'est point de fonction d'une utilité plus « universelle, ni qui soit plus féconde en fruits « abondans pour la gloire de Dieu et le salut « des ames. » C'était le sentiment de saint Fran'( çois de Sales, comme nous l'apprend son ami

(1) C'est le contraire qui arrive quand un'pasteur néglige le devoir d'annoncer la parole de Dieu. Ses paroissiens n'ont pour lui aucune estime ; ils sentent bien qu'il n'est pas en règle, et ils ne se gênent souvent pas pour faire connaître à ce sujet leur pensée.

Un jour que M. de la Motte, évêque d'Amiens , proposait aux habitans d'une paroisse de campagne d'examiner s'ils ne trouveraient pas quelques moyens de fournir à une dépense jugée nécessaire pour leur église : Le meilleur moyen, à mon avis, répondit un 'paysan, ce serait de vendre un meuble inutile que nous avons ici. — Et quel est donc ce meuble , reprit M. de la Motte? — C est notre chaire, continue le paysan; elle ne peut servir qu'à M. le curé, et il n'en fait aucun usage.

Il faut prêcher souvent. Sentimens et exemples des saints.

l'évêque de Belley. « On lui rapporta, dit-il, qu'on me blâmait de prêcher dans mon diocèse le Carême, l'A vent, et les dimanches et fêtes; à quoi il répondit que blâmer un laboureur ou un vigneron de trop bien cultiver sa terre, c'était lui donner de véritables éloges. Sur quoi me parlant, de peur que ces blâmes ne me décourageassent , il me dit : J'avais le meilleur père du monde, mais qui avait passé une grande partie de sa vie à la cour et à la guerre, dont il savait mieux les maximes que celles de la théologie. Pendant que j'étais prévôt (on appelle ainsi le doyen du chapitre d'Annecy), je prêchais très-souvent, tant à la cathédrale que dans les paroisses, jusque dans les moindres confréries ; je ne savais ce que c'était que de refuser.

Mon bon père, entendant sonner le sermon, demandait qui prêchait ? On lui disait : qui seraitce, sinon votre fils ? Un jour il me prit à part, et me dit : Prévôt, tu prêches trop souvent; j'entends même en des jours ouvriers sonner le sermon, et toujours on me dit : c'est le prévôt, le prévôt. De mon temps, il n'en était pas ainsi ;• les prédications étaient bien plus rares; mais aussi quelles prédications ! Dieu le sait ; elles étaient doctes, bien étudiées ; on disait des mer-

veilles ; on alléguait plus de latin et de grec en une, que tu ne fais en dix : tout le monde en était ravi et édifié, on y courait à grosses troupes ; vous eussiez dit qu'on allait recueillir la manne : maintenant tu rends cet exercice si commun, qu'on n'en fait plus d'état, et on n'a plus d'estime de toi.

« Voyez-vous, ce bon père parlait comme il l'entendait. Vous pouvez penser si c'était qu'il me voulût du mal ; mais c'était selon les maximes du monde qu'il me parlait. Tous ces propos ne sont que des imaginations de la sagesse humaine, qui est une vraie folie devant Dieu ; si nous plaisions aux hommes, nous ne serions pas serviteurs de Dieu (GAL., 1, 10). Les maximes évangéliques sont bien d'une autre trempe.

Jésus-Christ, qui est le miroir de la perfection et le modèle des prédicateurs, n'a pas usé de toutes ces circonspections, ni les apôtres qui ont suivi ses traces. Saint Paul ne disait-il pas au jeune évêque Timothée : Prœdica verbum, insta opportune, importune, argue, obsecra, in omnipatientia et doctrina ? (2 TIM., 4, 2).

« Croyez-moi, on ne prêchera jamais assez : nunquam satis dicetur, quod nunquam satis discetur. C'est pourquoi, si vous m'en croyez,

vous fermerez l'oreille aux beaux avis de ces sages mondains, pour écouter saint Paul qui vous dit: Tu vero vigila) in omnibus labora, opus fac eCJangelistæ) ministerium tuum impie (Ib., v. 5). Et ce qu'il ajoute, sobrius esto, s'entend de la tempérance dans la nourriture, et non de la sobriété dans l'exercice des fonctions pastorales. Bienheureux le pasteur qui s'occupe à veiller et à paître son troupeau ! En vérité, je vous le dis, que le grand Maître l'établira sur tous ses biens (MATH., 24, 46), et qu'il recevra de la main du prince des pasteurs une couronne qui ne flétrira jamais. PETR., 5, 4).

34. Saint Liguori pensait de même. Non-seulement il ne manquait aucune occasion d'adres-

ser la parole à son peuple, mais il savait encore faire naître de ces occasions, aussi fréquemment qu'on pouvait l'attendre d'un zèle ardent comme le sien, et de l'intime persuasion où il était que c'était là un des principaux devoirs de sa place. Il institua un grand nombre de dévotions précieuses, au sujet desquelles la voix des ministres sacrés devait être entendue du haut des chaires chrétiennes. Il donnait lui-même l'exemple dans la ville de sa résidence, et les prêtres de son diocèse étaient obligés de l'imiter

Sentiment et exemple de saint Liguori.

dans leurs églises respectives : ces exercices duraient quelquefois huit jours ; il en avait réglé l'ordre et la forme, et ils se renouvelaient assez souvent dans l'année. Ainsi, par le zèle qu'il prescrivait ou inspirait à son clergé, il s'était, en quelque sorte, multiplié lui-même par rapport au ministère de la parole; et il éprouvait une ineffable consolation en pensant qu'à telle époque, par exemple, durant la semaine de la Passion, il y avait comme une mission générale dans tout le pays de sa juridiction.

Notre saint ne se borna pas aux ressources que pouvait offrir le pays qu'il avait à gouverner. Dès les premiers jours de son épiscopat, il s'empressa d'appeler des secours étrangers. Il s'adressa en même temps aux missionnaires de la propagande de Naples, à ceux des conférences de la même ville , aux Pères des œuvres pies, aux Jésuites et aux Dominicains. Chacun de ces corps divers lui envoya des ouvriers : une seule congrégation, entre autres, lui en fournit vingtcinq des meilleurs ; et, dès le commencement de l'automne, il y eut comme un assaut général livré au démon dans le diocèse de Ste.-Agathe, et bientôt l'on put admirer un changement total dans les peuples de ces heureux pays.

Il ne croyait pas qu'il pût trop multiplier les missions dans son diocèse; elles avaient lieu successivement dans toutes les paroisses, dans un espace de temps assez court, et elles revenaient assez souvent dans le même pays : il se rencontra des gens qui osèrent le blâmer de ce zèle comme d'un excès ; mais il appréciait trop le bien qui en résultait pour se conformer aux vues étroites d'une prétendue modération qui ne vient pas de Dieu. Selon lui, on ne pouvait jamais trop faire pour le salut des ames ; aussi soutenait-il l'œuvre éminemment apostolique des missions de toute son autorité, comme de son exemple et de son zèle. Il aurait, au besoin, eu recours au roi et au pape. Tous les bons prêtres s'efforçaient de le seconder en ce point, et la plupart des curés étaient pleins de reconnaissance pour ce qu'ils regardaient, avec raison, comme un grand soulagement dans les obligations de leur charge. Il s'en trouva cependant qui n'entraient pas dans les vues du saint évêque à cet égard ; mais il les forçait de recevoir les missionnaires, allait au-devant des difficultés qu'ils pouvaient faire naître, et fournissait très-souvent lui-même de ses revenus pour les frais d'une mission qui n'aurait pu

avoir lieu sans cela. IJ lui arriva de faire des réprimandes assez sévères à ceux qui s'opposaient secrètement à son zèle, tellement qu'un curé se crut permis de répondre d'une manière peu respectueuse. Le grand-vicaire indigné ne proposait rien de moins que de lui faire expier son insolence dans les prisons de l'officialité ; Alphonse, outragé personnellement, fut d'un autre avis : il pardonna ; mais il fallut que le coupable se soumît à recevoir avec une bonne grace au moins apparente des hommes dont il ne voulait pas. Et c'est ainsi qu'en dépit de toutes les contradictions, le bien s'opérait dans un diocèse où une œuvre justement appréciée donnait à elle seule les plus grandes consolations au premier pasteur. (Vie du saint par M. rabbé Jeancard.)

35. Il faut prêcher brièvement. C'était la méthode des saints Pères. Nous le voyons dans leurs homélies, qui sont très-courtes. « Le saint

évêque de Genève, dit M. de Belley dans ses mémoires , approuvait extrêmement la brièveté dans les sermons , et disait que la longueur était le défaut le plus général des prédicateurs de son temps. Appelez-vous cela, lui disais-je, un défaut, et donnez-vous à l'abondance le

Il faut prêcher brièvement selon la méthode des saints Pérès.

Sentiment de S.

François de Sales.

nom de disette? Quand la vigne, répliqua-t-il, produit beaucoup de bois, c'est alors qu'elle porte moins de fruit. La multitude des paroles n'engendre pas de grands effets. Le bon saint François ordonne dans sa règle aux prédicateurs de son ordre d'être courts. Croyez-moi, c'est par expérience, et une longue expérience, que je vous dis ceci : Plus vous direz, et moins l'on retiendra. Moins vous direz, plus on profitera : à force de charger la mémoire des auditeurs, on la démolit, comme on éteint les lampes quand on y met trop d'huile, et on suffoque les plantes en les arrosant démesurément. Quand un discours est trop long, la fin fait oublier le milieu, et le milieu le commencement. Les médiocres prédicateurs sont recevables, pourvu qu'ils soient courts, et les excellens sont à charge quand ils sont trop longs. Sa maxime était qu'il faut dire peu et bon. Ainsi il ne voulait pas seulement que l'on dit peu de choses, mais utiles et bien choisies. Pour cela, il recommandait deprendre garde aux homélies des anciens , brièves en paroles, et remplies de peu d'enseignemens, mais très-importans. »

36. « Les prédicateurs, dit Grenade, doivent éviter très-soigneusement d'être trop longs dans

Sentiment de Grenade.

leurs discours, de peur qu'en se rendant ennuyeux par cette longueur, ils ne perdent le fruit de ce qu'ils disent de plus solide et de plus digne d'être écouté avec attention ; car ceux qui nous entendent, commençant une fois à s'en lasser, ne font plus d'attention à ce que nous leur disons, et perdent encore le goût et le souvenir des choses mêmes qu'ils ont auparavant écoutées avec plaisir. »

37. « Je voudrais, dit Fénélon, que le prédicateur fit ses sermons de manière qu'ils ne lui

fussent point fort pénibles, et qu'ainsi il pût prêcher souvent. Il faudrait que tous ses sermons fussent courts, et qu'il pût, sans s'incommoder et sans lasser le peuple, prêcher tous les dimanches après l'Évangile. Apparemment les anciens évêques, qui étaient fort âgés, et chargés de tant de travaux, ne faisaient pas autant de cérémonie que nos prédicateurs pour parler au peuple, au milieu de la messe, qu'ils disaient eux-mêmes solennellement tous les dimanches.

Maintenant, afin qu'un prédicateur ait bien fait, il faut qu'en sortant de chaire il soit tout en eau, hors d'haleine et incapable d'agir le reste du jour. La chasuble, qui n'était point alors échancrce à l'endroit des épaules comme

Sentiment de Fénélon.

à présent, et qui pendait en rond également de tous les côtés, les empêchait apparemment de remuer autant les bras que nos prédicateurs les remuent. Ainsi, leurs sermons étaient courts, et leur action grave et modérée. Cette ancienne forme des sermons était la plus parfaite. C'étaient de grands hommes, des hommes nonseulement fort saints, mais très-éclairés sur le fond de la religion, et sur la manière de persuader les hommes, qui s'étaient appliqués à régler toutes ces circonstances. Il y a une sagesse merveilleuse cachée sous cet air de simplicité.

Il ne faut pas s'imaginer qu'on ait pu, dans la suite, trouver rien de meilleur. »

38. Voici, pour les principaux genres de discours, les règles qui paraissent les plus convenables. Elles sont presque généralement suivies aujourd'hui. Les prônes doivent durer environ vingt à vingt-cinq minutes, et ne jamais passer la demi-heure. Trois quarts d'heure suffisent pour les sermons ordinaires. On peut aller.jusqu'à l'heure dans les missions et les retraites.

Ceux qui sont plus longs fatiguent ordinairement. Ainsi, dans l'intérêt des ames, il faut s'en tenir à ces règles, qu'on ferait bien de suivre même pour les retraites et les missions. Il n'est

Règles qu'il convient de suivre pour la durée des discours.

pas de vérités qu'on ne puisse inculquer et de sentimens qu'on ne puisse inspirer, dans l'espace de temps que nous prescrivons d'après l'expérience. « Les grands sentimens, dit Besplas, s'évanouissent, quand on leur donne trop d'étendue : les auditeurs sont assez instruits, il ne leur manque qu'une volonté plus sincère et plus ferme : on parvient plutôt à la leur inspirer par un discours vif et serré, que par un sermon dont la longueur laisse errer l'esprit, refroidir le cœur, reposer la conscience. Les homélies des saints Pères ne duraient jamais trois quarts d'heure. On citerait inutilement Bourdaloue et Massillon ; les temps sont changés. Il faut laisser plutôt le désir de la parole sainte, que de s'exposer à en produire la satiété.

Il est plus facile pour l'auditeur de suppléer à ce que la discrétion du prédicateur a passé sous silence, que de choisir dans trop de paroles ce qui lui convient. Les sermons de Bourdaloue sont autant de traités, dont plusieurs, considérés comme instructions, pourraient avoir moins

d'étendue. Si les discours de Massillon étaient plus courts, les idées en seraient plus pressées, plus fortes, moins répétées; et l'on trouverait

encore assez d'agrément et d'abondance dans son style (1 )..n 39. C'est un usage qu'il est très-à-propos de

maintenir que celui de prêcher au milieu des offices. Frappés de la pompe des cérémonies, les auditeurs prêtent une oreille plus attentive à la parole de Dieu. Il n'en est pas de même quand un sermon est isolé. On y vient comme à un spectacle. Le lieu saint, qui devrait inspirer le recueillement, est profané par la dissipation et quelquefois par le .scandale des conversations.

L'ennui et l'impatience devancent le prédicateur, et la critique le suit. Quand on ne prêche ni pendant la célébration des saints mystères, ni. pendant l'office du soir, il serait bon, avant de commencer le sermon, qu'il y eût un exercice religieux, tel que le chant des cantiques ou de quelque psaume ; et, quand il est fini, qu'on donnât le salut et la bénédiction du saint sacrement. Ces exercices sont nécessaires pour exciter la piété des auditeurs et les aider à bien profiter des instructions.

(1) Les sermons de Massillon, tels que nous les avons, sont plus longs qu'il ne les a prononcés. En les retouchant , lorsqu'il fut évêque, il y a fait plusieurs additions 0

Temps convenable pour prêcher.

4-0. Un prédicateur qui a du zèle ne se rebute point quand il a un auditoire peu nombreux.

« Ayez grande joie, disait saint François de Sales, quand, en montant en chaire, vous

apercevrez peu de gens, et que votre auditoire sera clair-semé. » M. de Belley lui ayant observé qu'une chandelle ne s'use pas davantage à éclairer beaucoup de personnes qu'à en éclairer peu, et que c'est dans les grandes eaux' qu'on peut faire une pêche plus abondante : « C'est, lui répondit le saint, une expérience de trente ans en cet exercice qui me fait parler ainsi; et j'ai toujours vu de plus grands effets pour le service de Dieu dans les prédications que j'ai faites en de petites assemblées qu'en de grandes. Lorsque j'étais prévôt (doyen du chapitre d'Annecy), je fus envoyé par l'évêque, mon prédécesseur, avec d'autres ecclésiastiques, pour prêcher dans le Chablais.

Nous ne pouvions point encore faire les fonctions de la religion catholique dans les villes, parce qu'elles étaient remplies de huguenots ; nous allions dehors, en quelques chapelles assez éloignées, faire nos assemblées et nos exercices de piété. Un dimanche qu'il fit un fort mauvais temps, il ne se trouva que sept personnes à ma

Il ne faut pas se rebuter d'un auditoire peu nombreux. Sentiment et exemple de saint François de Sales.

messe. J'avais coutume de prêcher toujours après avoir célébré la messe ; eette fois, comme il y avait un si petit nombre d'auditeurs, quelqu'un me dit que ce n'était pas la peine de prêcher. Je répondis que ni le grand auditoire ne m'encourageait, ni le petit ne me décourageait, et que, pourvu que quelqu'un fût édifié, c'était assez. Je montai donc en chaire, et je me souviens que mon sermon était sur la prière des saints. Je traitais ce sujet fort simplement et sans forme de controverse; car vous savez que ce n'est pas mon usage r et que tout ce qui ressent la dispute n'est pas de mon goût.

Je ne disais rien de pathétique ni de véhément.

Cependant il y eut un des assistans, lequel n'était pas un des moins apparens, qui commença à pleurer fort amèrement, et même à sangloter et soupirer fort haut. Je crus qu'il se trouvait mal, je l'invitai à ne se contraindre pas, et lui dis que j'étais prêt à cesser de parler et à le servir s'il en avait besoin. Il répondit qu'il se trouvait bien de corps, et que je continuasse à parler, parce que j'appliquais le remède à l'endroit où était le mal.

« Le sermon, qui fut fort court, étant achevé, il vint se jeter à mes pieds, criant tout haut ;

M. le PréCJôt, M. le Prévôt, vous m aCJez donné la vie, vous avez sauvé mon ame aujourd' hui. Oh! que bénie soit l' heure en laquelle je vous. ai entendu! Cette heure me vaudra une éternité. Et de suite il raconta devant toute l'assemblée, qu'ayant conféré avec quelques ministres sur la prière des saints, ceux-ci la lui avaient représentée comme une horrible idolâtrie, tellement qu'il avait pris jour au jeudi suivant pour retourner à eux (car c'é tait un nouveau catholique qui avait été converti depuis peu); il avait donc fixé ce jour pour abjurer la religion catholique : ensuite il ajouta.

qu'il avait été si bien instruit par la prédication qu'il venait d'entendre, et si bien guéri de tous ses doutes, qu'il détestait de bon cœur la promesse qu'il avait faite aux ministres huguenots, et protestait une nouvelle obéissance à l'Église romaine. Je ne saurais vous dire l'impression que ce grand exemple, arrivé en si petite assemblée , fit dans tout le pays, et combien il rendit de cœurs dociles et susceptibles de la parole de vie et de vérité. Je pourrais vous en rapporter d'autres semblables, et encore plus remarquables, qui m'ont donné une si tendre affection pour les petites assemblées, que je

ne suis jamais si content que quand en montant en chaire, je vois peu de gens devant moi. » '-'- y 41. Il ne faut pas, dans le-cas dont nous venons de parler, se plaindre des absens. Les

plaintes seraient pour le moins fort inutiles. Le saint évêque de Genève, que nous aimons toujours citer, rapporte qu'un jour il assistait au sermon d'un prédicateur fort savant, mais bien peu suivi, parce qu'il débitait assez mal ses discours. Ce prédicateur, à qui ses sermons coûtaient beaucoup de travail, n'était pas bien aise de se voir presque sans auditeurs. C'est pourquoi il s'en plaignit amèrement en chaire ; il passa une bonne partie de son heure à s'élever contre ceux qui ne venaient pas entendre le sermon ; il déclara que ceux qui négligeaient la parole de Dieu n'étaient pas enfans de Dieu (1);.

il passa ensuite aux invectives, et termina par la menace de tout quitter et d'abandonner la chaire, puisque ce n'était pas la peine de jeter la semence de la divine parole dans un territoire r '* f

(1) Vos non auditis, quia ex Deo non estis. (JOAN., VIII, 47.)

Ne pas se plaindre des absens.

si ingrat et si stérile en auditeurs. Le saint dit à un de ses confidens, en sortant de l'Église : « A « qui en veut ce bon personnage? Il nous a « taxés d'une faute que nous n'avions pas « commise; car nous étions présens. Eût-il « voulu que nous nous fussions mis en pièces « pour remplir les autres sièges qui étaient « vides ? C'est aux absens qu'il en voute lait, lesquels n'en seront pas plus diligens, « puisqu'ils ne l'ont pas entendul S'il eût voulu « leur parler, il fallait aller par les rues ou « par les places de la ville, pour presser ceux « qui les remplissent d'entrer à son banquet « spirituel. Il a crié après les innocens, et a « laissé là les coupables. Dat veniam corvis, « vexat censura columbas. )>

42. Le zèle doit porter l'orateur sacré à prêcher aussi volontiers devant les gens simples et

grossiers que devant un auditoire brillant et composé de personnages instruits et capables de juger d'un discours. Je ne dis point assez; il doit porter à préférer les pauvres et les ignorans aux riches et aux savans, parce qu'ils sont mieux disposés. Il y a plus de fruits à espérer parmi eux, et moins de danger pour le salut du prédicateur.

Aimer à instruire les gens simples et les pauvres.

43. Saint Vincent de Paul disait à ses prêtres sur l'article qui nous occupe : « Que ceux-

là seront heureux, qui, à l'heure de leur mort, verront accomplies en eux ces belles paroles de Notre Seigneur : Evangelizare pauperibus misit me Dominasl Voyez, mes frères, comme il semble que Notre Seigneur nous veuille déclarer par ces paroles qu'un de ses principaux ouvrages était de travailler pour les pauvres!

Mais malheur à nous, si nous nous rendons lâches à servir et secourir les pauvres ; car, après avoir été appelés de Dieu, et nous être donnés à lui pour cela, il s'en repose en quelque façon sur nous. Souvenez-vous de ces paroles d'un saint Père : Si non pavisti, occidisti, qui s'entendent, à la vérité, de la réfection corporelle, mais qui se peuvent appliquer à la spirituelle avec autant de vérité, et même avec plus de raison.

Jugez si nous n'avons pas sujet de trembler si nous venons à manquer en ce point, et si, à cause de l'âge, ou bien sous prétexte de quelque infirmité ou indisposition, nous venons à nous ralentir, et à dégénérer de notre première ferveur !

Pour moi, nonobstant mon âge, je ne me tiens point excusé de l'obligation de travailler au service des pauvres; car qui m'en pourrait empê-

Sentiment de saint Vincent de Paul à ce sujet.

eher? Si je ne puis prêcher tous les jours, je prêcherai deux fois la semaine, et si je n'ai pas assez de force pour me faire entendre dans les grandes chaires, je parlerai dans les petites; et si je n'avais pas encore assez de voix pour cela, qui est-ce qui m'empêcherait de parler simplement et familièrement à ces bonnes gens, comme je vous parle à présent, les faisant approcher et mettre autour de moi comme vous êtes? (Notre Seigneur n'a pas prêché autrement). Je sais des vieillards qui, au jour du jugement, pourront s'élever contre nous , et entre autres un bon père Jésuite, homme de sainte vie, lequel, après avoir prêché plusieurs années à la cour, ayant été atteint à l'âge de soixante ans d'une maladie qui le mena à deux doigts de la mort, Dieu lui fit connaître combien il y avait de vanité et d'inutilité en la plupart de ces discours étudiés et polis, desquels il se servait en ses prédications ; en sorte qu'il en ressentit plusieurs remords de conscience, ce qui fut cause qu'ayant recouvré sa santé, il demanda et obtint de ses supérieurs permission d'aller catéchiser et exhorter familièrement les pauvres de la campagne. Il employa vingt ans dans ces charitables travaux, et y persévéra jusqu'à la mort; et, se voyant près

d'expirer, il demanda une grâce, qui fut qu'on enterrât avec son corps une baguette dont il se servait en ses catéchismes, afin, disait-il, que cette baguette rendît témoignage comme il avait quitté les emplois de la cour pour servir Notre Seigneur en la personne des pauvres de la campagne. » On sait que saint Vincent a établi une congrégation de prêtres destinés spécialement à instruire les gens simples des villages. On peut dire qu'en leur donnant cette destination, il a choisi la meilleure part. t , "J 44/ Le père Eudes était dans les mêmes sentimens que saint Vincent de Paul. Il prêchait beaucoup plus volontiers dans les campagnes que dans les villes. L'expérience lui avait appris que les vérités chrétiennes trouvent moins d'obstacles dans les cœurs simples, et que les conversions sont plus nombreuses parmi les pauvres que parmi les riches. C'étaient les motifs qu'il avait coutume de présenter pour justifier son attrait, et pour inspirer les mêmes sentimens aux ecclésiastiques qu'il s'était associés.

Sans cesse il leur rappelait les passages de l'Évangile où il est parlé de l'empressement qu'avait le peuple pour entendre les discours du Fils de Dieu. « Et ne vous y trompez pas, ajou-

Scnlimens du P. Eudes.

« tait-il, c'était le peuple le plus simple et le plus « grossier qui cherchait leSauveur, qui l'accom« pagnait, qui l'admirait, qui le bénissait, parce « que ce bon peuple était persuadé qu'il avait la « vertu de le guérir de ses maux, et que vérita» blement cette vertu se faisait sentir aux pauvres « qui avaient le bonheur de l'approcher. Pour « les riches, et surtout les grands, ils le connais-* « saient à peine. Les Pharisiens le lui ont repro« ché plus d'une fois : Il est vrai, disaient-ils, « que la plus vile populace le suit partout ; mais te a-t-on vu quelqu'un des princes du peuple « ou des docteurs de la loi qui ait eu la simpli« cité de croire en lui? Cependant une des « preuves que Jésus-Christ devait donner de « sa mission, c'est que les pauvres étaient « instruits. C'était pour eux, ce semble, que u le Sauveur était venu particulièrement ; « c'étaient eux assurément qu'il aimait avec le « plus de tendresse. Hélas ! pour un riche que « vous convertirez peut - être dans les villes, « vous pouvez, dans les campagnes, assurer le « salut d'un millier de pauvres. Cette pensée « ne suffit-elle pas pour leur faire donner la « préférence? Prêchons donc, mes frères, « mais prêchons surtout aux pauvres , et voilà « des ames sauvées, et Dieu sera glorifié. »

45. Quoique nous devions préférer les pauvres par les motifs que nous venons d'exposer, nous ne devons pas négliger les riches et les

grands, lorsque notre position et notre charge

nous imposent le devoir de leur annoncer la parole de Dieu. Leur salut ne doit pas nous être moins à cœur que celui des pauvres. Leur ame a été rachetée au prix du même sang. Mais, en remplissant notre ministère auprès d'eux, prenons garde de nous perdre nous-mêmes en imitant ces orateurs lâches et timides qui affaiblissent vis-à-vis des grands la sévérité des saintes règles. Aux pauvres, ils prêchent l'Évangile dans toute son exactitude ; mais, soit par une crainte basse, soit par un intérêt également vil, devant l'homme puissant ils adoucissent ce que la loi a de plus gênant pour lui. Plus occupés de flatter ses passions que de les combattre, ils travaillent à faire plier, non sa volonté aux immuables principes, mais les principes sacrés à ses désirs. Comme s'il y avait deux Évangiles, l'un pour les riches, l'autre pour les pauvres.

Comme si la voie étroite du ciel devait s'élargir pour donner passage aux grands de la terre (1).

(1) Le célèbre Brydayne n'avait point cette faiblesse, La première fois qu'il parut dans l'église de

Devoirs des prédicateurs envers les riches et lesgrands. Ne pas craindre de leur dire la vérité.

Tel n'est pas le ministre fidèle. Quels que soient ceux à qui il s'adresse, quelque puissans, quelque hautains , quelque emportés , quelque méchans qu'ils puissent être, c'est toujours la

Saint-Sulpice, à Paris , les classes les plus distinguées de la société voulurent l'entendre : il aperçut dans l'assemblée plusieurs évêques, des personnes décorées, une foule innombrable d'ecclésiastiques; et ce spectacle , loin de l'intimider , lui inspira l'exorde suivant : « A la vue d'un auditoire si nouveau pour moi, « il semble , mes frères, que je ne devrais ouvrir « la bouche que pour vous demander grace en fa« veur d'un pauvre missionnaire dépourvu de tous « les talens que vous exigez quand on vient vous « parler de votre salut. J'éprouve cependant aujour« d'hui un sentiment bien différent ; et, si je suis huit milié, gardez-vous de croire que je m'abaisse aux <« misérables inquiétudes de la vanité , comme si j'é« tais accoutumé à me prêcher moi-même. A Dieu « ne plaise qu'un ministre du ciel pense jamais avoir « besoin d'excuse auprès de vous ; car, qui que vous « soyiez, vous n'êtes tous, comme moi, que des pé« cheurs; c'est devant votre Dieu et le mien que je « me sens pressé dans ce moment de frapper ma « poitrine : jusqu'à présent j'ai publié les justices du « Très-Haut dans des temples couverts de chaume ; « j'ai prêché les rigueurs de la pénitence à des in« fortunés qui manquaient de pain ; j'ai annoncé aux « bons habitans des campagnes les vérités les plus « effrayantes de ma religion. Qu'ai-je fait, malheu(( reux ! j'ai contristé les pauvres , les meilleurs' amis

saine doctrine qui, devant eux, sort de sa bouche. C'est la parole de vérité dans toute sa rectitude. Aux souverains même de la terre, il présentera , sans être confondu par l'aspect de leur

Il de mon Dieu ; j'ai porté l'épouvante et la douleur Il dans ces ames simples et fidèles que j'aurais dû Il plaindre et consoler. C'est ici, où mes regards ne « tombent que sur des grands, sur des riches, sur des Il oppresseurs de l'humanité souffrante , ou sur des « pécheurs audacieux et endurcis; ah ! c'est ici seu« lement qu'il fallait faire retentir la parole sainte Il dans toute la force de son tonnerre, et placer avec « moi dans cette chaire, d'un côté la mort qui vous « menace, de l'autre mon grand Dieu qui vient vous « juger. Je tiens aujourd'hui votre sentence à la main : Il tremblez donc devant moi, hommes superbes et Il dédaigneux qui m'écoutez 1 La nécessité du salut, fi la certitude de la mort, l'incertitude de cette heure Il si effroyable -pour vous, l'impénitence finale, le « jugement dernier, le petit nombre des élus, l'en« fer, et par-dessus tout l'éternité. l'éternité! Voilà Il les sujets dont je viens vous entretenir, et que j'au« rais dû sans doute réserver pour vous seuls. Eh !

« qu'ai-je besoin de vos suffrages, qui me damne« raient peut-être sans vous sauver? Dieu va vous « émouvoir, tandis que son indigne ministre vous « parlera; car j'ai acquis une longue expérience de « ses miséricordes : alors , pénétrés d'horreur pour « vos iniquités passées, vous voudrez vous jeter enIl tre mes bras en versant des larmes de componction « et de repentir, et, à force de remords, vous me « trouverez assez éloquent, »

majesté, la loi à laquelle ils sont soumis comme les derniers de leurs sujets. Il ne craindra pas de leur porter, au nom du Roi des Rois (1), la parole que fit entendre Jean-Baptiste à un prince incestueux et cruel : Il ne vous est pas permis, non licet. (MATTH., 14, 4.) 46. Mais, en leur disant la vérité, l'orateur chrétien prendra tous les ménagemens que commandent le respect et les bienséances. Il adoucira la sévérité des leçons en les mêlant à de justes éloges. C'est ainsi que faisaient nos grands maîtres. On peut citer ici pour modèle un exorde de Massillon, prononcé devant Louis XIV - le jour de la Toussaint. L'orateur avait pris pour texte ces paroles de Notre-Seigneur prêchant sur la montagne : Beati qui lugent quoniam ipsi consolabuntur (MATTH., 5, 5). Partant de là , voici comment il débute :

(1) Pour remplir son devoir avec courage et avec confiance, le prédicateur doit se souvenir qu'il a sur les orateurs profanes un avantage immense , celui de l'autorité. Il parle dans la chaire de vérité au nom du Seigneur et du souverain Maître, en qualité d'ambassadeur de Jésus-Christ : pro Christo legatione fungimur, tanquam Deo exhortante per nos. ( 2 CoR. , v, 20. )

Ménagemens à prendre en leur disant la vérité.

« Sire, « Si le monde parlait ici à la place de Jésus« Christ, sans doute il ne tiendrait pas à Votre « Majesté le même langage.

« Heureux le prince, vous dirait-il, qui n'a « jamais combattu que pour vaincre ; qui n'a cc vu tant de puissances armées contre lui que « pour leur donner une paix plus glorieuse ; et « qui a toujours été plus grand ou que le péril « ou que la victoire.

« Heureux le prince qui, durant le cours « d'un règne long et florissant, jouit à loisir des « fruits de sa gloire, de l'amour de ses peuples, « de l'estime de ses ennemis, de l'admiration « de l'univers, de l'avantage de ses conquêtes, « de la magnificence de ses ouvrages, de la « sagesse de ses lois, de l'espérance auguste « d'une nombreuse postérité, et qui n'a plus « rien à désirer que de conserver long-temps « ce qu'il possède.

« Ainsi parlerait le monde. Mais, Sire, « Jésus-Christ ne parle pas comme le monde.

« Heureux, vous dit-il, non celui qui fait « l'admiration de son siècle, mais celui qui fait « sa principale occupation du siècle à venir, et (e qui vit dans le mépris de soi-même et de tout

« ce qui passe, parce que le royaume du ciel « est à lui. Beati pauperes spiritu, quoniam « ipsorum est regnum cœlorum (MATTH., 5,3).

« Heureux, non celui dont l'histoire va im« mortaliser le règne et les actions dans le sou(c venir des hommes, mais celui dont les larmes « auront effacé l'histoire de ses péchés du sou« venir de Dieu même ; parce qu'il sera éter« nellement consolé. Beati qui lugent, quo« niam ipsi consolabuntur. (MATTH., 5, 5.) « Heureux, non celui qui aura étendu par « de nouvelles conquêtes les bornes de son em« pire, mais celui qui aura su renfermer ses « désirs et ses passions dans les bornes de la loi « de Dieu ; parce qu'il possédera une terre « plus durable que l'empire de l'univers. Beati « mites, quoniam ipsi possidebunt terram.

« (MATTH., 5, 4.) « Heureux, non celui qui, élevé par la voix « des peuples au-dessus de tous les princes qui « l'ont précédé, jouit à loisir de sa grandeur u et de sa gloire, mais celui qui, ne trouvant (c rien sur le trône même digne de son cœur, « ne cherche de parfait bonheur ici-bas que < dans la vertu et dans la justice; parce qu'il « sera rassasié. Beati qui esuriunt et sitiunt

« justitiam, quoniam ipsi salurabuntur.

« (Ib.,6.) « Heureux, non celui à qui les hommes ont « donné les titres glorieux de grand et d'invin(c cible, mais celui à qui les malheureux donu neront devant Jésus-Christ le titre de père et « de miséricordieux; parce qu'il sera traité « avec miséricorde. Beati miséricordes, quo« niam ipsi misericordiam consequentur.

« (Ib., 7.) « Heureux enfin, non celui qui, toujours « arbitre de la destinée de ses ennemis, a donné « plus d'une fois la paix à la terre, mais celui « qui a pu se la donner à soi-même, et bannir « de son cœur les vices et les affections déré« glées qui en troublent la tranquillité, parce <( qu'il sera appelé enfant de Dieu. Beati paci« ficiy quoniamfiliiDei vocabuntur. (Ib., 9.) « Voilà, Sire, ceux que Jésus-Christ appelle « heureux : et l'Évangile ne connaît point d'au(c tre bonheur sur la terre que la vertu et l'ince nocence.

« Grand Dieu! ce n'est donc pas cette lon« gue suite de prospérités inouïes dont vous a avez favorisé la gloire de son règne, qui peut « le rendre le plus heureux des rois. C'est par-

« là qu'il est grand ; mais ce n'est pas par-là « qu'il est heureux. Sa piété a commencé sa « félicité. Tout ce qui ne sanctifie pas l'homme cc ne saurait faire le bonheur de l'homme.

« Tout ce qui ne vous met pas dans un cœur, « ô mon Dieu, n'y met, ou que de faux biens « qui le laissent vide, ou que des maux réels « qui le remplissent d'inquiétude; et une con« science pure est la source unique des vrais « plaisirs (1). »

47. Ce serait une témérité condamnable dans un orateur évangélique de manquer aux égards qu'il doit à l'autorité sous prétexte de zèle. Ce zèle ne serait pas selon la science. Il faut aussi éviter ce qui, dans certaines circonstances, peut avoir de graves inconvéniens pour la tranquillité publique. Nous devons être des anges de paix. Tout ce qui peut favoriser les idées d'indépendance et être interprété contre notre intention , dans un sens qui porterait au trouble, doit être rejeté avec soin de nos discours. On

(1) S'il fallait du courage dans l'orateur pour parler ainsi, il fallait aussi de la religion dans le cceur du souverain pour l'entendre. Louis XIV n'en manquait pas ; il savait apprécier un prédicateur qui faisali son devait.

Témérité condamnable.

rapporte un trait étonnant de ce genre d'inconvenance de la part d'un prédicateur qui prêcha le sermon de la Cène devant le roi en 1189. Les Etats-Généraux allaient s'assembler, et on était à la veille d'une grande crise; tous les signes avant-coureurs de l'orage apparaissaient sur l'horizon. Le prédicateur avait pris pour texte ce verset du Magnificat : Deposuit potentes de sede., et exaltavit humiles. On eut la bonté d'entendre jusqu'au bout l'orateur qui osait débuter par une si audacieuse allusion aux bouleversemens qui se préparaient (1). L'abbé de Boulogne, qui prêcha le même jour devant la

(1) M. de la Motte , évêque d'Amiens, reçut de la paît d'un prédicateur un affront public qu'il était loin de mériter. Voici le fait : Un jour qu'il assistait à un sermon, le prédicateur, qui tenait de lui le pouvoir de monter en chaire, porta l'audace et le fanatisme jusqu'à le peindre sous les couleurs les plus odieuses , et déclamer avec emportement contre son administration. Tous les yeux, alors fixés sur M. de la Motte, semblaient interroger ses sentimens et lui dicter le conseil de la vengeance ; mais , seul tranquille au milieu de tout l'auditoire indigné , il ne manifesta pas la moindre émotion. On s'attendait cependant qu'à la fin du sermon il prononcerait sur l'insolent orateur un interdit aussi public que l'était l'abus qu'il faisait de son ministère : bien des gens

reine, donna heureusement un autre exemple qui fit oublier le premier (1).

48. Quand les circonstances où il est d'usage de faire des complimens se présentent, l'orateur sacré doit se souvenir de sa dignité et n'avoir jamais la bassesse de jouer le rôle d'un

même ne croyaient pas que le grand-vicaire du concile d'Embrun (M. de la Motte avait alors cette qualité) pût garder le silence en cette rencontre , sans manquer à ce qu'il devait à l'autorité dont il était revêtu; mais M. de la Motte , persuadé au contraire qu'une grande modération affermit l'autorité, loin de la compromettre, ne dit pas un mot, ne se permit pas un geste. Le sermon fini, on le vit se rendre à la chambre où s'était retiré le prédicateur. Tout le monde fut édifié dans la pensée qu'il se contentait de punir en secret une offense si publique ; mais l'édification fut bien plus grande pour ceux qui l'avaient accompagné, lorsqu'au lieu de l'entendre prononcer un interdit, ils le virent aborder le prédicateur d'un air riant et gracieux , lui tendre la main, et, pour tout reproche, lui dire, en l'embrassant : Quel zèle, mon cher abbé, quel feu vous mettez dans vos sermons!

C'est ainsi qu'il combattait ses ennemis; et il en est bien peu, sans doute, qui résistent à de pareilles armes.

(1) Un jour que le P. Eudes était à Versailles, on lui fit célébrer la messe devant le roi. Louis XIV l'entendait à genoux, avec une piété très-édifiante, tandis que la plupart des courtisans se tenaient de-

Règles pour les oomplimens d'usage.

flatteur. Il doit se respecter lui-même dans ces complimens d'étiquette, car la religion ne permet ces louanges qu'en épargnant à la vérité l'humiliation d'en rougir ou de les désavouer.

Qu'on reconnaisse donc toujours en lui un apôtre ennemi du mensonge jusque dans ces hommages commandés par la bienséance ; et n'avi-

bout et de manière à faire soupçonner qu'ils songeaient à tout autre chose qu'à l'auguste Sacrifice.

A l'offertoire, le P. Eudes, s'étant retourné, complimenta Sa Majesté sur le bel exemple qu'elle donnait du respect qui est dû au Roi des Rois, devant qui les souverains ne sont que cendre et poussière; « mais, ajouta-t-il, ce qui m'étonne, Sire , c'est « que, pendant que Votre Majesté s'acquitte si par« faitement des devoirs de sa religion, et qu'elle Il rend à Dieu, avec humilité , ses plus profonds hom« mages, je vois la plupart des assistans faire tout le « contraire. » Le roi tourne aussitôt la tête et regarde en quelle posture chacun se tient. Le coup-d'œil du maître servit à donner un plus grand poids à l'instruction du ministre : tous, à l'instant, se jetèrent à genoux ; et, s'il y en eut parmi eux qui le blâmèrent d'avoir parlé avec cette liberté qu'on pouvait excuser dans un prêtre sans ambition et uniquement zélé pour l'honneur des saints mystères, il est à présumer qu'il y en eut aussi qui lui surent gré d'avoir défendu si hautement les intérêts de la piété, et de l'avoir autorisée à paraître sans rougir à la cour, au moins aux pieds des autels.

lissons point un ministère si auguste par des éloges exagérés, qui ne sauraient tromper jamais ni ceux qui les reçoivent, ni l'orateur qui les prodigue, ni l'auditeur qui les entend, ni le Dieu qui les juge. L'adulation outrée déplaît à tout le monde , et sert même très-mal la vanité qui la souffre. Louer quelqu'un des vertus qu'il n'a pas, c'est se moquer de lui, c'est lui dire des injures d'autant plus grièves qu'on a l'air de parler par ironie. On compromet du moins son amour-propre, en oubliant ainsi les égards qui lui sont dus en public. Eusèbe nous raconte dans la Vie de Constantin, que cet empereur eut le bon sens d'imposer silence à un prédicateur qui, en sa présence, avait la bassesse d'imiter dans un sermon la fiction de Virgile pour l'apothéose d'Auguste, en annonçant à Constantin qu'après sa mort il serait associé au fils de Dieu pour gouverner l'univers. 1

49. Saint Grégoire a très-bien dit que, quand on loue un homme sage en sa présence, on afflige ses oreilles et on blesse son cœur : sapiens clum laudatur in ore, Jlagellatur in aure, cruciatur

in mente. Saint François de Sales était ainsi.

Celui qui embrassait si amoureusement ceux qui lui disaient des injures, aurait volontiers

Sentimens de saint Grégoire et de saint François de Sales sur les louanges dans les sermons.

dit des injures à ceux qui lui donnaient la moindre louange. « Un jour, prêchant devant lui à Annecy, dit M. de Belley, il m'échappa de faire une petite allusion à son nom, et de dire qu'il était le sel (Sal es) dont toute la masse de ce peuple était assaisonnée (MATTH. ,

5, 13); il fut tellement peiné de cet éloge, qu'au retour il m'entreprit avec un ton et un accent qui eût été de rigueur, s'il eût été capable de parler ainsi.

« Vous alliez si droit, me dit-il, vous couriez si bien, qu'est-ce qui vous a fait faire cette incartade? Savez-vous bien que vous avez tout gâté, et que ce seul mot peut faire perdre le crédit à tout votre sermon? N'est-ce pas altérer l'or pur de la parole de Dieu, et falsifier la bonne monnaie, que d'y introduire la parole des hommes? Et n'est-ce pas la parole des hommes, que la louange des vivans ? N'est-il pas écrit : Ne louez aucun homme avant sa mort (1). Je suis un beau sel, un sel affadi et gâté, qui n'est bon qu'à être jeté à la rue et

(1) Ante mortem ne landes hominem queniquam. (Ecc..

11 ,31.)

foulé aux pieds des passans (MATTH., 5,13). Je plains tant de bonne semence suffoquée avec une poignée d'ivraie. Certes, si vous avez dit cela pour me couvrir de confusion, vous avez trouvé le vrai secret; une autre fois épargnez vos amis (4). Je lui dis, pour m'excuser, que le mot que lui avait dit une fois l'évêque de Saluces m'était revenu à la mémoire, et que cela m'était échappé sans dessein. Il ne faut pas, reprit-il, qu'il vous échappe de telles choses en chaire. Je vois bien que cela vous est échappé; mais il ne faut pas faire de telles échappées (2).

(1) Un ecclésiastique, doué du talent de la parole , et même prédicateur distingué , s'étant fort mal tiré d'un compliment qu'il était chargé de faire à M. de la Motte, évêque d'Amiens , on en paraissait étonné.

Et pourquoi s'étonner , dit le prélat , qu'une langue accoutumée à la vérité se refuse au mensonge?

(2) Peut-être le lecteur désire-t-il savoir quel était ce mot de l'évêque de Saluces ; le voici : Un jour saint François de Sales, allant en Piémont et faisant le pélerinage de N.-D. de Montdeay , passa par Saluces, dont l'évêque le reçut avec beaucoup d'honneur, et le pria de prêcher dans sa cathédrale. Après le sermon , l'évêque lui dit: Vraiment, Monseigneur, tu sal es, faisant allusion au nom de Sales; et il ajouta : Ego neque sal, neque lux ( par allusion au nom de Salieces).

50. « Un jour, poursuit M. Camus, je préchai à la Visitation à Annecy, et, sachant que notre saint y serait présent avec un grand concours de monde , à dire le vrai, j'avais un peu pensé à moi, et je m'étais préparé tout de bon.

Mon texte était un passage du Cantique des Cantiques, que j'appliquai aux religieuses de la Visitation; j'en pris occasion de faire un grand éloge de la piété et dévotion de ce saint institut, dont les vertus embaument le jardin de l'époux céleste. Mes auditeurs, qui étaient de bons Savoyards, trouvèrent mon discours excellent; mais il n'en fut pas de même du saint prélat.

Quand nous fûmes retirés chez lui, et qu'il se vit seul avec moi, il me dit : Eh bien ! vous avez donné grande satisfaction à nos gens aujourd'hui; ils s'en allaient disant mirabilia de votre beau et bien peigné panégyrique. Je n'en ai rencontré qu'un seul qui n'était pas content.

Qu'aurais-je avancé, lui dis-je, qui eût pu choquer cet esprit-là? Je ne demande pas quel il est, car je ne suis point piqué du désir de savoir son nom. Mais moi, reprit-il, j'ai grande envie de vous le nommer. Qui est-il donc, répliquai-je, afin que je m'efforce de le contenter?

Si je n'avais pas beaucoup de confiance en voufc,

Sur les louanges des religieuses.

répondit-il, je ne vous le nommerais pas; mais je vous connais trop pour ne pas savoir que vous avez assez de cœur pour souffrir ce coup de lancette ou de rasoir. Le voyez-vous là? Je regardai autour de moi, je ne vis que lui. C'est donc vous, lui dis-je? Moi-même, reprit-il.

Certes, repartis-je, voilà un merveilleux rabatjoie pour mon triomphe; j'eusse mieux aimé votre approbation seule que celle de toute l'assemblée. Dieu soit loué! Je suis tombé en une main qui ne blesse que pour guérir. Encore, qu'avez-vous trouvé à dire ? car je sais que, par amour pour moi, vous ne me pardonnez rien.

« Je vous aime trop, dit-il, pour vous flatter ; et, si vous eussiez aimé de cette sorte nos sœurs, vous ne vous fussiez pas amusé à enfler leurs esprits, au lieu de les édifier, ni à louer leur condition, dont elles ont déjà une assez haute opinion et une assez bonne estime; mais vous leur eussiez annoncé quelque doctrine plus salutaire, et elle eût été plus salutaire si elle eût été plus humiliante. C'est le défaut des personnes de communauté, de mettre toujours leur institut au-dessus des nues, et de relever leur condition en rabaissant celle des autres ; ce qui

ressemble à la parole du pharisien qui disait qu'il n'était pas comme les autres hommes.

Dieu les préserve de cette enflure, à laquelle je crains que vous n'ayiez donné entrée par votre beau panégyrique. Souvenez-vous que l'huile de celui qui nous applaudit nous gâte (Ps. 140, 5). Il en est des nourritures de l'esprit comme de celles du corps ; les flatteuses sont venteuses, et les venteuses sont creuses, à la façon des légumes. Il faut, en prêchant, présenter, non une nourriture qui passe et dont la mémoire périsse avec le son, mais une nourriture qui demeure à la vie éternelle (JoAN., 6, 27).

« Il faut bien se garder d'entrer jamais en chaire, sans avoir un dessein particulier d'édifier quelque coin des murailles de Jérusalem, en enseignant la pratique de quelque vertu, ou la fuite de quelque vice ; car tout le fruit de la prédication est d'arracher le péché et de ramener la justice. 0 Seigneur, disait David, j'enseignerai vos voies aux injustes, et les impies se convertiront à vous ; docebo iniquos vias tuas, et impii ad te converterdur (Ps. 50, 15). Quelle conversion , lui dis-je, eussé-je prêchée à des ames habituées à vaincre leurs ennemis, le démon et la chair, et qui servent Dieu dans la sainteté?

Il leur fallait apprendre , reprit-il, à prendre garde de ne pas tomber, puisqu'elles sont debout; à opérer leur salut selon le conseil du Saint-Esprit, avec crainte et tremblement, et à n'être point sans crainte même pour les péchés remis. Vous nous les avez peintes comme des saintes ; cela ne vous coûte guère de canoniser des personnes vivantes. Il ne faut pas, comme cela, mettre des oreillers sous les coudes, ni donner du lait à ceux qui ont besoin de chicotin ou d'absinthe.

« Je l'ai fait, lui dis-je, pour les encourager et les fortifier en leur sainte entreprise, parce que la louange nous sert d'aiguillon pour nous faire avancer dans le bien. Cette maxime, me répliqua-t-il, est tout humaine, et ne convient point à la morale chrétienne , qui nous détache de l'amour de notre propre gloire, et nous fait chercher uniquement la gloire de Dieu. Il faut donner le courage, sans exposer la personne au péril de la présomption et de la vanité. Il est toujours plus sûr d'humilier l'auditeur, que de parler de sa condition en termes pompeux propres à lui donner une haute idée de son état.

Oh ! je sais bien qu'une autre fois vous prendrez garde à cela, et que vous pratiquerez ce que dit

le psalmiste : le juste me reprendra par miséricorde, in misericordia Justus increpabit me (Ps. 115, 5). Vous serez fidèle, selon l'exemple du prophète, à élever votre voix comme une trompette : pourquoi faire ? pour reprendre la maison de Jacob de ses fautes ( 1 ). De même qu'il y a des taches dans la lune, de même il y a aussi toujours à corriger dans les sociétés les plus parfaites.

« Le lendemain du jour où j'avais prêché aux religieuses de la Visitation, le saint me fit prêcher aux religieuses de Sainte-Claire, qui sont des sœurs d'une vie fort exemplaire et d'une merveilleuse austérité. Il se trouva au sermon, et l'assemblée n'y fut pas moindre que le jour précédent. Je me donnai bien de garde de donner dans l'écueil qu'il m'avait montré : je fis mon discours avec une grande simplicité de langage et de pensées, ne visant purement qu'à l'édification. Je procédai avec grand ordre, et pressai fort mon sujet. Au retour, notre saint vint me visiter à ma chambre, qui était

(1) Clama, lie cesses ; quasi tuba exalta VOCCIn tuant, ci annuntia populo meo scelera corum, et domui Jacob pcccala corum. (Is., 58,1.)

la sienne (car, quand je le visitais, il me mettait toujours à sa place), et, m'embrassant tendrement : Vraiment, dit-il, je vous aimais bien hier, mais je vous aime davantage aujourd'hui.

Vous êtes selon mon cœur; et, si je ne me trompe, vous êtes encore selon le cœur de Dieu, et je pense qu'il a eu votre sacrifice pour agréable.

Je ne vous pensais pas si souple et si condescendant. Certes, f homme obéissant racontera des victoires (PROV. 21, 28): vous vous êtes surmonté vous-même aujourd'hui. Savez-vous que la plupart de vos auditeurs disaient : Les jours se suivent mais ne se ressemblent pas ; et qu'ils n'étaient pas si contens qu'hier ; et que celui qui n'était pas satisfait hier, l'est extraordinairemet aujourd'hui ?

« Je vous apporte ici un Jubilé général pour toutes vos fautes passées. Vous avez fait aujourd'hui tout-à-fait selon mon gré; et, si vous continuez , vous rendrez beaucoup de services au maître de la vigne. Ne vous embarrassez pas des jugemens des hommes ; pfesque tous n'y entendent rien ; c'est une prudence des enfans du siècle qui les fait parler ; les enfans de lumière doivent suivre d'autres maximes. Il ne faut pas que la prédication s'appuie sur des pa-

roles et des pensées de la sagesse humaine. Suivez cette marche avec fidélité, et Dieu rendra vos travaux honorables et accomplis ; vous serez prudent en la parole mystique, et posséderez la science des saints, la science qui fait les saints. Et que voulons-nous savoir, sinon Jésus et Jésus crucifié? » Qu'il serait à souhaiter que ces derniers avis du saint évêque de Genève ne s'effaçassent jamais de la mémoire des prédicateurs !

51. Si l'on doit être sobre de louanges pour les autres, à plus forte raison doit-on éviter de se louer soi-même. Que penser d'un prédicateur qui a l'imprudence de faire en chaire son propre éloge? Il faut rarement parler de soi, soit en bien, soit en mal. Je dis rareinent, parce qu'il y a quelques exceptions. Un orateur peut inspirer quelquefois un vif intérêt, en se mettant lui-même en scène avec l'auditoire dans un sermon, pourvu qu'il n'excède pas la mesure et ne blesse jamais la dignité qu'exige son ministère. On eh trouve des exemples dans les grands prédicateurs. Tout le monde connaît celui de Bossuet qui, à la fin de l'oraison funèbre du grand Condé, parla ainsi : « Jouissez, « Prince, de cette victoire ; jouissez-en éter-

II faut rarement parler de soi en chaire.

(c nellement par l'immortelle vertu de ce sacri« fice. Agréez ces derniers efforts d'une voix « qui vous fut connue. Vous mettrez fin à « tous ces discours. Au lieu de déplorer la « mort des autres, grand Prince ! dorénavant « je veux apprendre de vous à rendre la mienne « sainte. Heureux si, averti par ces cheveux « blancs du compte que je dois rendre de « mon administration, je réserve au troupeau « que je dois nourrir de la parole de vie les « restes d'une voix qui tombe et d'une ardeur « qui s'éteint ! »

Il faut beaucoup de prudence pour distinguer les cas qui peuvent faire déroger à la règle générale , et il faut beaucoup de tact pour choisir les tournures et les expressions dont on doit se servir. Le pas est ici très-glissant, et tous ne réussissent pas à se concilier l'intérêt de leur auditoire. On pourrait citer plusieurs prédicateurs qui ont fait une funeste expérience du danger de se rendre ridicules, en se mêlant eux-mêmes à leurs discours. On doit se faire oublier à ses auditeurs et ne les occuper que de ce qu'on dit, c'est-à-dire que d'eux-mêmes et de leur salut.

* 52. Le prédicateur ne doit parler de lui-

Comment le prédicateur doit

même à ses auditeurs que par sa conduite et ses exemples. Qu'il s'applique à gagner les cœurs, et il réussira infailliblement. C'est l'avis que don-

nait saint François-Xavier à un de ses com pagnons (le P. Nugnès ). « Occupez-vous continuellement, lui écrivait-il de Goa, à prêcher, à confesser, à visiter et assister les malades et les prisonniers, et à d'autres semblables œuvres de charité ; qu'on vous voie toujours prompt et zélé à rendre au prochain tous ces offices d'un cœur pieux et compatissant. Si on voit que vous vous y portez toujours avec un saint empressement, avec humilité, avec affection pour le prochain, vous acquerrez, par la grace de Dieu, la confiance et l'amour de la ville ; et, quoique vous n'ayiez pas le don de l'éloquence, néanmoins votre zèle et votre modestie donneront de la force et du poids à vos paroles ; elles toucheront les cœurs, et produiront des fruits trésabondans. Ayez soin seulement (c'est un avis que je ne saurais trop répéter), ayez soin d'entretenir une union et une amitié étroite avec le grand-vicaire j conduisez-vous avec beaucoup de prudence, de bonté, d'humilité et de bienveillance, à l'égard des autres prêtres de la ville, ainsi que du gouverneur et des magistrats, et

occuper ses auditeurs de luimême , ou quel est le vrai moyen d'avoir du succès dans la prédication.

généralement à l'égard de tous les habitans.

Croyez-moi, l'espérance d'un heureux succès dans la prédication n'est pas attachée à une science éminente, à un beau style, à une heureuse facilité pour s'exprimer avec grâce.

Le secret de cet art est d'avoir l'affection et la oonfiance de ceux à qui on parle, et de s'emparer de la clé des cœurs avant de frapper à la porte des oreilles. Pour persuader ce qu'on veut, il faut se faire aimer de ceux qui nous écoutent; et, pour en ramener un grand nombre à Dieu, il faut ne s'aliéner le cœur de personne. »

53. S'il est un cas où le prédicateur doit penser à lui-même, c'est surtout quand il s'adresse à ceux qui ont le malheur d'être dans le funeste

état du péché. Il faut alors qu'il considère ses propres misères, afin d'entrer plus facilement dans des sentimens de compassion sur celles d'autrui. Il doit se souvenir de ce que la miséricorde de Dieu a fait à son égard, et de ce qu'elle fait encore pour le préserver du péché et de la damnation.

S'il aime son prochain comme il le doit, il ne manquera pas de faire tous ses efforts pour arrêter ceux qui courent à leur perte. Il leur

Le prédicateur doit penser à lui-même quand il parle aux pécheurs.

tendra une main charitable pour les retenir sur la pente funeste qui les entraîne dans l'abîme éternel. « Ces pécheurs ont été l'objet principal de la mission de Jésus-Christ. Il le déclare en plusieurs endroits. C'est vers les brebis égarées de lamaison d'Israël qu'il a été envoyé (MATTH., 15, 24). Ce ne sont pas les justes qu'il est venu appeler : ce sont les pécheurs (lb.,9, 13). Il ne s'est pas contenté de les attirer à lui du haut du ciel : il est venu les chercher (Luc., 19, 10). Sa naissance, sa vie, sa mort ont eu pour but leur conversion. Il s'est fait l'agneau qui, par son sacrifice, efface les péchés du monde (JOAN., 1 , 29). C'est par une mission semblable à la sienne qu'il a envoyé ses apôtres aux brebis de la maison d'Israël qui s'étaient perdues (MATTH" 10, 6). Cette mission qu'il nous a donnée est celle qu'ils nous ont transmise. Nous sommes ces anges que Dieu députa vers Lot pour le retirer de la criminelle Sodôme, et le préserver des flammes qui allaient la dévorer. Nous devons employer les mêmes invitations, les mêmes exhortations, les mêmes prières, les mêmes instances , les mêmes efforts, pour arracher nos frères infortunés aux feux éternels dans lesquels ils se précipitent. Quel malheur plus fait pour

émouvoir notre tendre commisération que celui dans lequel ils sont plongés, et celui plus déplorable encore dont ils sont menacés ! Quel objet plus magnifique, plus digne d'exercer notre zèle, que de rendre des ames à la vertu, des enfans à l'Église, des saints à la terre, des bienheureux au ciel? (DE LA LUZERNE. )

54. Le meilleur moyen pour ramener les pécheurs à Dieu est d'employer la douceur.

C'était la méthode de saint François de Sales.

Qui pourrait compter le nombre des ames que sa douceur insinuante enleva au vice? Dès qu'il paraissait dans la chaire de l'Évangile, la bonté peinte dans ses regards, le feu vif et pénétrant de ses yeux animés par l'action intérieure du zèle qu'il ressentait pour le salut des ames, le son tendre et touchant de sa voix pleine de compassion pour les misères des hommes, lui ouvraient tous les cœurs. Ses paroles étaient un langage d'onction et de douce persuasion qui coulait, qui s'insinuait jusqu'au plus intime de l'ame, et qui faisait au cœur une aimable violence. Il peignait avec des couleurs si vives la tyrannie des passions et le malheur d'une ame séparée de son Dieu ; il représentait avec des traits si touchans la joie d'une bonne conscience,

Employer la douceur, à l'exemple de saint François de Sales.

les espérances de la vie future, les miséricordes infinies d'un Dieu sauveur, que les regrets de la vie passée et les désirs d'une vie nouvelle s'emparaient de tous les cœurs. Combien de fois il eut la consolation de voir des pécheurs émus, attendris , baignés de larmes, pouvant à peine s'expliquer autrement que par des soupirs, venir chercher à ses pieds la fin du trouble dont il les avait heureusement remplis !

55. Celui-là s'éloignerait donc grandement du but qu'on doit se proposer dans la prédication, qui, à la vue des crimes que les hommes

commettent, se laisserait emporter à l'ardeur d'un zèle imprudent. Il faut éviter tout ce qui ressent la colère. Les reproches que le prédicateur se propose de faire à son auditoire seront sans fruit, si une douceur modeste ne met un frein à la langue disposée à s'échapper en mots piquans et en paroles amères; c'est un chemin glissant où il ne faut point avancer sans avoir bien considéré en quel endroit on met le pied.

Est-il quelqu'un qui soit devenu meilleur par la réprimande fougueuse d'un censeur irrité ?

Non, vous ne réussirez jamais à corriger les hommes qu'en les reprenant sans aigreur ; ce sont des malades que vous ne guérirez point s'il

Éviter les reproches amers et les personnalités.

règne dans vos paroles un trouble qui leur fasse juger que la colère vous domine. Tout au contraire, au lieu de remédier à leurs maux, vous les scandaliserez ; car les gens du peuple attachent l'idée de vice à toute espèce de colère ; ils ne sont point disposés à croire que le feu qui anime les ministres du Seigneur contre les pécheurs soit allumé par l'amour divin; et, quand ils voient des prédicateurs s'exhaler en reproches contre les pécheurs avec un ton irrité et un visage enflammé, ils en concluent que ces prédicateurs sont des hommes semblables à eux, et qui se laissent pousser et emporter par la vivacité de la passion comme des ames vulgaires (1).

56. Il faut donc beaucoup de réserve quand »

(1) Si, pendant le discours, il se faisait par hasard quelque bruit, qu'il le supporte patiemment; qu'il ne se trouble point ; qu'il ne fasse surtout apercevoir aucun sentiment de colère, crainte qu'en exhortant les autres à la patience, il ne se réfute lui-même par l'exemple public qu'il donne du vice contraire. Qu'il se souvienne qu'en s'impatientant il mettrait un plus grand obstacle à la parole de Dieu que ceux même qui font du bruit; s'il est nécessaire d'un mot pour faire cesser le bruit, qu'il le dise, mais modestement, sans émotion, et qu'il sache concilier en même temps l'autorité et l'humilité qui conviennent à son ministère.

Manière dl' faire les réprimandes.

on reprend ; car, si les paroles qu'on emploie offensent les esprits, si l'on met de l'âpreté et de la rudesse dans ses corrections, loin d'être utiles et de corriger, elles seront au contraire très-préjudiciables. Un habile médecin sait dorer la pilule pour la faire avaler plus volontiers par un estomac débile, et, toute dorée qu'elle est, elle n'en opère pas moins son effet.

La correction fraternelle doit se faire avec franchise et cordialité, afin qu'il paraisse clairement qu'elle part d'un cœur pieux, vraiment chrétien, qui est touché de compassion, qui ne cherche que le salut de celui qu'il reprend.

Que le prédicateur dise qu'il n'entend désigner personne, et qu'il ne croit pas qu'aucun de ses auditeurs soit coupable des péchés contre lesquels il s'élève, mais que son intention est de précautionner ses auditeurs contre les vices dont il parle. Qu'il règle tellement ses paroles que, si quelqu'un s'en trouvait offensé et ne le supportait qu'avec peine, il puisse lui dire véritablement que ce n'est pas en vue de lui qu'il a parlé. Il pourra tempérer cette correction fraternelle en citant quelques passages ou quelques exemples de l'Écriture - Sainte ou des saints Pères, dans lesquels on s'élève contre les mêmes

vices. Car, comme alors ce n'est pas vous qui parlez, mais l'Esprit-Saint, vos auditeurs ne pourront se plaindre que vous ayiez dit contre eux des choses offensantes. Au reste, que la réprimande respire la commisération et non l'indignation , qu'elle ne renferme rien qui ressente la haine ou l'acception des personnes. Il faut, comme l'ordonne saint Paul, parler aux vieillards comme à des pères, aux femmes âgées comme à des mères (Tim., 5). Il est impossible de dire combien le démon s'efforce de faire substituer dans la correction l'amertume du fiel à la douceur du miel évangélique, pour détourner par-là un grand nombre de personnes d'entendre la parole de Dieu, et pour exciter la haine et la jalousie contre les ecclésiastiques zélés. S'il se trouvait une circonstance telle qu'il fut nécessaire, pour le salut de celui que l'on veut corriger, de mettre la plaie à découvert et d'employer à sa guérison le fer et le feu, que le prédicateur se souvienne d'y ajouter l'huile de la douceur. C'est ainsi qu'autrefois Dieu en usa envers l'endurci Pharaon ; il le frappait de plusieurs plaies, et ensuite il les faisait cesser pour qu'il pût tranquillement rentrer en luimême et se corriger. ( Avis de saint François

Xavier et de saint François de Borgia. )

« Soyez bien certain, écrivait le premier à « un des pères de la compagnie de Jésus, soyez « bien certain que le fruit que vous produirez « sans bruit et sans offenser personne, ne fût-il « pas plus grand que la longueur d'une syllabe, (C me fera beaucoup plus de plaisir que si « j'apprenais que vous eussiez opéré un fruit « grand comme la longueur d'un vers tout a entier, mais que c'a été au milieu des murmu« res de plusieurs qui se sont tenus pour offen« sés, ou même avec la résistance d'un seul.

« Et parce que je sais indubitablement que c'est « une chose de la plus grande importance, et « d'où dépend tout l'espoir de procurer le bien « des ames pour la gloire de Dieu, je vous « recommande de toutes mes forces de graver « profondément dans votre esprit cet avertisse« ment, et de le pratiquer toujours, remplissant « toutes vos fonctions, et surtout celle du saint a ministère, avec calme,, avec de grands témoi« gnages de douceur et d'amour à l'égard du « prochain, sans aucune dispute et sans laisser <( échapper la plus légère émotion de colère (1 )».

(1) Le saint donftte, dans la lettre dont nous avons extrait ce passage, un bon modèle à suivre quand

57. On doit suivre ces avis envers tout le monde. Il faut éviter de faire de la peine au moindre particulier. A plus forte raison doiton se tenir sur ses gardes pour ne pas blesser

on a des reproches à faire. Le Père, à qui il écrivait , avait besoin d'en recevoir. Saint Xavier les lui fait avec une prudence et une adresse admirable.

Quand il a terminé, il adoucit ainsi ce que ces reproches pouvaient avoir d'amer. « Je vous ai écrit, « lui dit-il, avec une grande liberté , comme à un « homme d'une vertu et d'une perfection non com« munes, qui accueille les avertissemens comme un serce vice de bon ami, et qui aime mieux ceux qui lui font « des reproches utiles, que ceux qui lui adressent de « dangereuses flatteries, parce que la solidité de son « jugement lui fait préférer ce qui est amer, mais sa« lutaire, à ce qui serait doux, mais dangereux. J'auIl rais pris des précautions, et j'aurais assaisonné mes « paroles de tout ce qui pouvait en adoucir l'amer« tume, si j'avais cru avoir affaire à un homme « dont il eût fallu ménager la faiblesse; mais, plein ce de confiance en la force de votre ame et en la socc lidité de votre esprit, j'ai rejeté bien loin tout ce détour, et j'ai cru devoir vous découvrir avec sim« plicité tout le fond de mon cœur. Je vous engage « à remercier le Seigneur de ce qu'il vous a fait tel, cc que j'ai pu sans imprudence vous présenter la vécc rité toute crue et dénuée d'assaisonnement. C'est « un effet de la haute sagesse à laquelle vous êtes « parvenu par de continuels progrès, qui vous in« spire du mépris pour tout ce qui sent la flatterie,

Ne point hlâmer spécialement les autorités et certaines classes de la société.

les autorités, soit ecclésiastiques (1) , soit civiles , et pour ne point blâmer spécialement cer-

« et qui fait que vous aimez mieux être repris oucc vertement, que si, dans la crainte de vous offenser, « on dorait la pilule, et que, par ménagemens, on « cachât sous les fleurs des louanges les avis qu'on « voudrait vous donner. Cette marche insinuante est cc bonne à l'égard des enfans et des novices; mais ce « serait faire injure à de vaillans soldats de la milice cc sainte, que de vouloir les nourrir du lait des enfans, ce et de les traiter avec la molle indulgence des nour« rices. Croyez-moi, je n'ai pris la plume pour écrire « ces choses avec tant de simplicité et de franchise, Il que lorsque , ayant imploré les lumières de l'Esprit« Saint, je me suis senti poussé à oser vous écrire « du style qui convient aux parfaits, à des hommes « qui ont secoué et les faiblesses des commençans, « et les délicatesses de ceux qui sont encore peu cc avancés dans les voies spirituelles. » C'est ainsi qu'il lui fait avaler la pilule, sans avoir l'air d'y penser. Il* guérit la plaie que ses observations pouvaient avoir faite à l'amour-propre, et ramène au devoir un confrère qui, sans cette charitable industrie , eût peut-être mal pris ses avis.

(1) Il ne convient pas plus de blâmer ses confrères que ses supérieurs. Ils ont également besoin de leur réputation pour exercer le ministère. S'il s'en trouve qui ne remplissent pas leur devoir, ce n'est pas en présence des fidèles qu'on doit leur faire la morale. Ce serait tout au plus dans une retraite ecclésiastique ou en particulier. S'il s'agit de prêtres qui scandalisent ou qui perdent les aines par une lâche

taines classes de la société (1). Ces censùres publiques ôtent le respect à ceux à qui il est dû

condescendance, et qu'il soit nécessaire de prémunir les fidèles, il y a une manière modeste et prudente de le faire, sans se permettre une censure directe. Le vrai zèle sait alors prendre le langage convenable et arrive à son but sans blesser personne. Il est quelquefois à propos que le prédicateur se comprenne luimême dans ce qu'il a en vuç, et qu'il s'applique la morale pour l'adoucir. On peut prendre alors la forme du doute et paraître plutôt craindre le mal que de croire qu'il existe. Dans les temps de schisme on garde moins de ménagement, parce qu'il s'agit alors d'un fait public, dont il est urgent d'instruire le peuple, de peur qu'il ne méconnaisse les pasteurs légitimes, faute d'être instruit et averti. Mais il faut toujours que la charité, qui est de tous les temps, dirige nos paroles.

(1) Une morale dirigée contre un emploi unique serait injurieuse et téméraire. Plus les lieux où l'on prêche sont petits, plus ils exigent de retenue sur le détail ; les applications seraient trop aisées, et les malins prendraient occasion d'en abuser. Pour ne blesser personne, il faut parler en général. On ne pourra pas alors nous reprocher avec fondement de faire des personnalités. Quoique les vérités générales soient susceptibles d'application aux particuliers, le prédicateur a droit de les dire. Si l'auditeur se les applique à tort, ou les applique à d'autres sans raison, c'est sa faute. Si c'est avec justice qu'il se les applique à lui-même, ou qu'il les applique à ceux qui sont réellement dans le cas dont il est question,

et diminue la considération dont ils doivent jouir pour pouvoir être utiles. Elles ont un autre inconvénient très-grave, qui est d'indisposer contre les ministres sacrés ceux dont ils peuvent avoir besoin, soit pour favoriser l'exer-

c'est une preuve que l'instruction est solide et prudente. Elle est solide, puisqu'elle va droit au but, qui est l'application à la pratique, et qu'elle applique le remède à la plaie. Elle est prudente, parce que le prédicateur s'est tenu dans des généralités comme il le devait. Ce qu'il a dit est applicable, non pas à un seul particulier ou à un seul emploi, mais à beaucoup de personnes qui se trouvent dans le cas d'avoir besoin de la morale qu'il fait. Il est de son ministère d'instruire et de reprendre. Il ne fait que son devoir. Est-ce Une raison de taire une vérité importante , de penser qu'il s'en fera des applications ? Le pécheur qui se condamne en secret justifie la nécessité de la morale. Le prédicateur n'est coupable que lorsque les reproches sont tellement personnels et tellement applicables à certains individus, qu'on peut les regarder avec raison comme une sorte de diffamation.

« Dans les censures générales, il faut toujours mettre quelque exception, les auditeurs s'y rangent, et croient que ce sont eux qu'on épargne. En s'élevant contre les grands crimes, il faut supposer qu'ils sont rares ; par-là les coupables en ont plus de honte et plus de regrets. Sur le désordre de quelque particulier, on ne peut pas insulter tout un peuple, moins encore le diffamer. » (GAICHIÈS.)

cice de leur ministère, soit pour le protéger contre ceux qui voudraient y mettre des obstacles. « Je ne saurais trop vous recommander, « écrivait saint François-Xavier au P. Barzée, « lorsque vous reprenez les vices en chaire, de « ne jamais nommer ni désigner les personnes, « surtout les principaux officiers et les magis« trats. Si quelque chose vous a déplu dans leur « conduite, et que vous jugiez à propos de les « en avertir, rendez-leur une visite, afin de « leur en parler en particulier et en secret; ou « bien attendez le moment où ils viendront se « confesser pour leur en faire part dans l'inti« mité du tribunal de la pénitence. Mais qu'il « ne vous arrive, sous aucun prétexte, de les « reprendre publiquement ; car sachez que « c'est un genre d'hommes très-délicats et très« irritables, et que les reproches que vous leur (c feriez en public auraient le même effet sur « eux qu'ont sur les taureaux les piqûres du « taon, qui les rendent furieux, en sorte qu'on « les voit bondir avec impétuosité et se jeter à « travers les précipices. C'est ainsi que ces u hommes, comme pour se venger du prédica« teur, se précipitent de plus en plus dans les « excès qu'on leur reproche, outre qu'ils con-

« servent contre le ministre du Seigneur une « haine implacable, dont ils lui font ressentir « les effets en toute occasion. »

58. On convertira plutôt les pécheurs en réveillant leur foi qu'en faisant contre eux des invectives qui ont ordinairement pour effet de

les indisposer et de les endurcir dans le mal. Il faut donc que le prédicateur se fasse un devoir de rappeler souvent les grandes vérités de la religion. Ce moyen sera plus efficace que tous les autres. En effet, c'est parce qu'on perd de vue ces grands objets qu'on s'oublie et qu'on ose pécher. Si l'on pensait bien aux dernières fins de l'homme, on ne pécherait jamais. C'est Dieu même qui nous l'assure dans ses divins oracles : In omnibus operïbus tuis memorare novissima tua, et in œternum non peccabis.

(ECCLI., 7, 40.)

59. Saint François- Xavier, qui a ramené tant de pécheurs à Dieu, donnait cet avis à un

de ses compagnons : « Faites sentir combien le péché est abominable; représentez l'excès de l'injure que fait à la souveraine Majesté de Dieu l'homme qui se souille d'un péché mortel ; imprimez dans les esprits un salutaire effroi de la terrible condamnation qui, au grand jour

Pour convertir les pécheurs, il faut prêcher souvent sur les grandes vérités de la religion.

Avis de saint François-Xavier.

du jugement, sera fulminée contre les coupables convaincus; peignez d'une. manière vive les affreux tourmens de l'enfer; menacez de la mort, surtout d'une mort inopinée et subite, ceux qui ne se mettent point en peine de servir Dieu, et qui dorment tranquilles avec une conscience chargée des crimes les plus abominables. Saisissez en même temps les momens favorables pour rappeler aux pécheurs la croix de Jésus-Christ, ses blessures, sa mort, par lesquelles il a daigné expier nos offenses. Que votre discours soit alors animé des senti mens les plus vifs et des affections les plus touchantes; exprimez-les par des figures pathétiques, des apostrophes et des colloques propres à émouvoir profondément vos auditeurs, et à leur faire ressentir une telle douleur du péché, à la vue de l'offense qu'il a faite à Dieu, que les larmes, s'il est possible, coulent de toutes parts dans votre auditoire; alors faites-leur concevoir un ferme propos de purifier le plus tôt possible leur conscience par la pénitence, et de célébrer leur réconciliation avec Dieu par la réception de l'Eucharistie. Voilà, mon cher frère, le véritable et l'unique portrait d'une prédication fructueuse; je désire vivement que vous le preniez

pour règle, et que vous l'ayiez toujours devant les yeux. »

60. Ils manquent donc gravement à leur ministère ces prédicateurs pusillanimes qui n'osent prêcher sur les grandes vérités et les devoirs essentiels du christianisme. On craint, dit-on de produire de trop fortes impressions sur certains esprits. On demande aujourd'hui des prédicateurs modérés qui sachent garder le silence sur les sujets qu'on trouve trop terribles , ou du moins les voiler tellement qu'on ne les aperçoive qu'à peine. On veut une morale douce, qui ne trouble point les consciences.

Parlons clairement ; on veut ménager l'erreur et favoriser l'indifférence, en faisant taire la vérité; on veut allier les maximes du siècle et celles de l'Évangile, ou plutôt anéantir celles-ci, ou les faire oublier.

Et qui sont donc ceux qui demandent ces précautions, ces ménagemens de la part des prédicateurs ? Ce sont, le croirait-on, les mêmes personnes qui ne trouvent plus dans les scènes tragiques assez de détails atroces, ou dans les romans d'histoires assez terribles pour les frapper.

Et cependant, dans quel temps l'imagination s'esl-t-elle mise en si grands frais pour satisfaire

Contre les prédicateurs pusillanimes qui n'osent prêcher sur les grandes vérités et les devoirs essentiels du christianisme.

un goût aussi déplacé? A-t-on jamais vu rien de si affreux que ce qu'elle enfante aujourd'hui pour satisfaire des ames qui ne veulent que de fortes émotions ? Grand Dieu ! dans quel siècle vivons-nous ? Quoi ! lorsqu'on n'a pas craint de prêcher sur la mort et l'enfer, dans ces temps heureux où la foi était en vigueur, dans ces temps où les chrétiens étaient vivement frappés de ces grands objets, il faudrait aujourd'hui se taire et parler de tout autre chose ! Se taire aujourd'hui que l'incrédulité et l'indifférence nous envahissent; se taire lorsque la foi s'affaiblit dans les chrétiens et que les grandes obligations qu'impose la religion sont méconnues ! Non, non, ministres du Seigneur, vous ne vous tairez point. C'est au contraire aujourd'hui plus que jamais qu'il faut élever la voix et crier, crier sans cesse, pour annoncer aux hommes égarés et séduits le grand jour du Seigneur; c'est aujourd'hui plus que jamais qu'il faut leur faire connaître la grandeur de leurs crimes et la nécessité de faire pénitence, s'ils ne veulent pas périr au jour de la vengeance (1).

(1) Clama, ne cesses; quasi tuba exalta vocem illnm, et annunlia populo meo scelera corum, et domui Jacob peccata eorum. (Is., 58, 1.)

Ce n'est point par le silence, ou en parlant faiblement, qu'on tirera de leur funeste sommeil ceux qui sont endormis sur le bord de l'abîme ; ce n'est point par des paroles mielleuses et cadencées, dit le P. d'Avila, qu'on guérira les grandes plaies de l'ame. Malheur au ministre sacré qui, en dissimulant les grandes vérités, ou en gardant le silence sur les prévarications dont il est témoin, perd les ames en les laissant dans une fausse sécurité! Si quelqu'un ne se convertit pas, faute d'avoir entendu la vérité, les pasteurs et les prédicateurs en rendront compte à Dieu. C'est ce que luimême a déclaré par la bouche d'Ézéchiel, en ces termes : Si, lorsque je dis à l'impie quil mourra, vous ne le lui annoncez pas, et quil meure dans son iniquité, je vous demanderai compte de son sans (1).

61. Voici ce que dit M. de Boulogne de la modération qu'on recommande tant aujourd'hui aux orateurs et aux écrivains : (c C'est de la corruption publique qui ne

(1) Si, dicente me ad impium : morte morieris, non annuntiaveris ei. ipse impius in iniquitate sua morietur, sanguinem aulem cjus de manu tua requirani (EZÉCH., 3, 18.)

Ce que dit M.

de Boulogne sur la modération qu'on recommande tant aujourd'hui aux orateurs et aux écrivains.

connaît plus de bornes, que nous est née, ditil , cette hypocrite modération, tant préconisée de nos jours, dont on voudrait faire honneur à la douceur de nos mœurs et au progrès de nos lumières, et qui ne tient au fond qu'à la mollesse de nos habitudes et à la nullité de nos principes. C'est le masque de l'indifférence qui rougit encore de son nom, et le dernier degré de la perversité humaine ; c'est une nouvelle maladie de ce siècle, lequel, après s'être enivré de liqueurs fortes, ne veut pour tout régime ( qu'on nous passe cette expression) que se mettre à l'eau tiède. La révolution avait proscrit la modération, et tout le monde se rappelle le sort que promettaient aux modérés les amis énergiques du peuple. La modération était alors proscrite par les partisans forcenés de la démagogie; la modération d'aujourd'hui est préconisée par les intéressés, par les tièdes, les lâches et les dévots de la philosophie. On ne voulait point alors d'une modération qui aurait mis obstacle aux emportemens des chefs, et opposé une digue au torrent révolutionnaire : on en veut une aujourd'hui qui consolide tout, qui légitime tout, et qui consomme l'iniquité.

« Il n'y a donc opposition entre ces deux

combinaisons morales que dans le but et les moyens; mais l'esprit est le même, avec une différence pourtant : c'est que, si dans l'une il y a plus d'audace, dans l'autre il y a plus de lâcheté ; et que, si d'un côté la perversité est plus franche, de l'autre elle est plus raffinée.

Dès là, n'attendez plus ces foudres qui font les orateurs, ni cette indignation généreuse qui fait les vers, ni cette verve qui transportait le Juvénal français, ni ce nerf polémique qui tient autant à la force de l'ame qu'à celle de l'esprit, ni cette haine vigoureuse pour le crime, sans laquelle il n'y a pas de véritable vertu. Et voilà ce qui nous explique en partie la faiblesse de nos modernes écrivains, qui, neutralisés par ce honteux modérantisme, mettent toute leur gloire à louvoyer avec adresse entre le vice et la vertu, quand il faudrait défendre avec courage la vertu contre le vice ; et qui, transigeant ainsi avec leur conscience comme avec leur talent, manquent également, pour bien écrire , de dignité dans l'ame et d'indépendance dans l'esprit : patelinage indigne, qui ne peut qu'énerver le génie en tuant la morale, et corrompre à la fois les sentimens et les idées ; honteuse transaction, qui, en confondant toutes les no-

tions du juste et de l'injuste, et défendant d'appeler les choses par leur nom, ou nommant tout en sens inverse, dénature tellement notre langue, que bientôt l'honneur, la vérité, la justice , l'amour de l'ordre, et toutes les vertus généreuses, ne trouveront plus d'expressions propres qui puissent les caractériser. Ainsi, cette modération si désirable, qui, dans son acception propre, est le plus bel ornement de la vertu, et que tous les moralistes regardent comme son caractère distinctif et sa pierre de touche, devient, par le plus étrange abus du mot et de la chose, le principe même de notre dégénération morale et littéraire, et un système doublement corrupteur, où les vices ont tout à gagner et les talens tout à perdre.

« C'est de cette hypocrite modération, qui doit rétrécir l'esprit en affadissant le cœur, que nous sont nées les idées libérales plus hypocrites encore. Conçues dans la fange de la révolution, elles participent de son venin, et, sans en justifier peut-être tous les excès, elles n'en conservent pas moins l'esprit et les principes : idées vraiment nouvelles, que nos grands maitres et nos grands modèles ne connurent jamais ; idées magiques, pour lesquelles on se

passionne d'autant plus qu'on les entend moins, ou plutôt qu'on ne les entend que trop, et que chacun peut les définir au gré de sa passion ou de son caprice ; idées véritablement immorales, dont le génie propre est de tout confondre pour tout absoudre, et de tout excuser pour se permettre tout. Or, quoi de plus opposé à la véritable éloquence que ces idées sans idée propre et sans acception déterminée ? Comment écrire clairement avec des idées vagues, arbitraires et indéfinies, et qui n'ont pas même de place dans notre dictionnaire ? Comment écrire fortement avec ce froid délaiement de toutes les pensées fortes, de toutes les vertus mâles et courageuses?

Et à quelles grandes choses s'élèverait donc le génie, sous l'influence de ces formes mixtes et neutralisées, de ces idées aventureuses qui vont toujours au hasard, incompatibles avec cette noble et fière énergie sans laquelle il n'y a pas plus de talens que de vertus, et qui, laissant aux passions toute la latitude qu'elles veulent prendre, n'ont été jusqu'ici libérales qu'en fléaux, et généreuses que du bien d'autrui ?

(c Mais il est une autre modération, non moins défavorable aux succès littéraires et non moins funeste aux talens : c'est notre indiffé-

ronce pour la vérité, inévitable conséquence de notre indifférence pour la vertu. Rien riestplus beau que ce qui est vrai, on ne dit bien que ce qui est vrai; c'est un principe aussi ancien que la vérité même. L'accent du mensonge est une vraie dissonance dans l'harmonie littéraire et oratoire. Non-seulement la vérité est le premier devoir d'un écrivain, c'est encore son premier intérêt. L'éloquence peut bien orner la vérité, mais il n'y a que la vérité qui puisse donner de la force à l'éloquence (1), et le génie ne consiste, à proprement parler, que dans sa découverte.

Elle est la vie des lettres comme celle des Etats.

Vainement embellirions-nous nos discours de sons harmonieux et de peintures brillantes, si le fond ne portait sur elle. C'est sa force intrinsèque, c'est sa beauté entraînante qui peut ajouter à la puissance du talent; et, où il n'y a point

(1) Pour que cette phrase soit correcte, il faut restreindre le sens du mot éloquence à celui d'élégance ou d'élocution. M. de Boulogne a plus d'une fois confondu ces termes dans son discours. Il est essentiel de ne pas oublier que l'éloquence proprement dite peut exister sans les ornemens oratoires , et qu'elle est toujours accompagnée de la vérité qui fait sa force, ou plutôt sa réalité.

de vérité dans la pensée, il n'y en a point dans le sentiment, ni même dans l'image. Le génie est ce qui invente , mais on n'invente que ce qui est, comme on ne peut trouver que ce qui existe. Or, qu'est-ce que l'erreur, sinon un fantôme sans réalité, une pure ignorance des choses (1) ? Et qui peut, si ce n'est Dieu , bâtir sur le néant ? Il n'y a donc de réel que la vérité, qui est Dieu même ; et tout ce qui n'est point établi sur ce fondement ne porte sur rien, et par conséquent n'instruit pas, mais égare ; n'éclaire pas, mais aveugle; ne dure pas, mais s'évanouit au moindre souffle. Ce n'est qu'une cymbale retentissante, et rien de plus.

« D'après ces principes, où seront, de nos jours, les hommes éloquens? Qu'attendre de ceux qui comptent la vérité pour rien, qui n'en font que ce qu'ils veulent, ou ne veulent pas même savoir ce qu'elle est ; et qui, s'il leur arrive de demander, comme autrefois Pilate au Sauveur du monde : Qu'est-ce que la vérité ?

(1) L'ignorance est la cause de l'erreur, mais non l'erreur. La première est négative et marque défaut ; la seconde est positive, en ce qu'elle affirme ce qu'elle croit exister. Ce qui est bien différent.

comme lui, disparaissent soudain, sans se soucier de la réponse ? Qu'attendre de ces hommes versatiles, qui défendent indifféremment le pour et le contre, et dont la dialectique ambidextre combat également et pour le oui et pour le non ; de ces hommes de circonstance qui ne connaissent de vérité que l'opinion publique, et ses caprices fugitifs, et ses bizarres fantaisies , et sa marche oblique et chancelante ? Qu'attendre de cette foule de demi-savans, doutant de tout et ne doutant de rien ; tâtonnant sur tout et contredisant tout, et toujours prêts à nous instruire de tout ce que nous pouvons ignorer, pour n'avoir rien à dire sur ce que nous devons apprendre ? Quelle vigueur et quelle élévation peut-on avoir dans l'esprit, lorsqu'on n'a rien d'arrêté dans les principes, lorsqu'on cherche tout, même ce qui est trouvé, et qu'on discute tout, même ce qui est reçu ; lorsqu'on essaie tout, et sa morale et sa religion, et sa politique et son gouvernement, et que l'on tourne à droite ou à gauche, selon que le vent de l'opinion nous pousse ? Comment marcher d'un pas ferme sur un terrain aussi mouvant, et chercher à convaincre les autres quand on n'est convaincu de rien ? Et que peut-il sortir d'un pareil scepti-

cisme, qu'une éloquence vacillante comme les principes, vague comme le sentiment, et nébuleuse comme la pensée ?

« Non-seulement on ne peut être réellement éloquent qu'avec la vérité et par la vérité, mais on ne peut l'être encore qu'en la disant avec cette force et ce courage que demande sa dignité et qu'exige son importance. La vérité, dit Tertullien (1), est une vierge dont la pudeur est d'être découverte , et dont la gloire est dans la nudité : mais aujourd'hui c'est sa nudité même qu'on redoute , et sa virginale pudeùr que l'on craint d'exposer. Soit que l'on appréhende de déplaire, soit qu'on dédaigne d'éclairer, soit qu'une vague inquiétude se répande sur tous les objets, sans s'arrêter à aucun; soit enfin qu'on ne prenne pas assez d'intérêt, ni aux hommes, ni à la vérité, pour la découvrir tout entière et l'exposer sans détour, au risque de se compromettre, on veut tout au plus soulever un coin du voile qui la couvre, et ne la montrer, pour ainsi dire, que de profil; on cherche plus encore à la faire entendre qu'à la dire, et à passer à côté d'elle qu'à l'aborder franchement.

(1) Adv., VaUntin., n. 3.

On disait autrefois : Cela est bien fort, mais cela est vrai ; et on se gardait bien de confondre la force avec l'exagération. On dit aujourd'hui : Cela est vrai, mais cela est trop fort, et par conséquent outré ; sans se douter qu'on ne frappe jamais trop fort quand on frappe juste, et que rien n'est exagéré quand il est fondé sur la vérité, quelque dure qu'elle puisse être. Il semble qu'un prophète avait prévu cet état de choses, quand il disait : Ils n'aiment que ceux qui voilent leurs paroles et n'achèvent pas leurs pensées ; ils ont en horreur celui qui corrige sans dissimulation, et qui parle sans fard ( AMOS., 5, 10). C'est la peinture parfaite de l'esprit presque général de nos écrivains modernes. De-là tant de précautions oratoires, tant de pénibles circonlocutions, tant de détours plus ou moins prolongés, et ces réticences factices, et ces préambules multipliés, et ces subtiles restrictions, dont se servent ces écrivains qui ne vont jamais droit au but, et qui aiment encore mieux se laisser deviner que de se faire entièrement comprendre. Point de discours vraiment beau avec ce manège et ces incertitudes, avec ces énigmes de morale , et toutes ces modifications tortueuses , et toute cette fausse prudence d'expressions, qui ne peu-

vent qu'énerver la pensée et refroidir le sentiment. Et certes notre langue est déjà assez timide dans ses tournures, elle est déjà assez pauvre et embarrassée dans sa marche, sans chercher à l'affaiblir encore par ces tours d'adresse et par ces artifices de style, si opposés à la marche du génie, à l'entraînement de la véritable éloquence, et à cette fierté de pinceau qui fait les grands écrivains. ,

« Ainsi donc il est vrai de dire que, dans le ton général du siècle, il faut être aussi tolérant pour les erreurs que pour les vices : tolérance d'autant plus triste, qu'on peut la regarder comme une persécution de la vérité, et d'autant plus à déplorer, pour l'honneur même des talens, qu'elle gagne jusqu'aux écrivains les plus estimables, qui, sous prétexte de mieux servir la vérité, font à ses ennemis des concessions qu'ils appellent ménagemens, et dont ils sont encore plus les dupes que les complices; concessions qui n'en tournent pas moins au profit des mauvaises doctrines qu'au détriment de l'art, en partageant les forces du génie, en lui ôtant tout ce qui pourrait le rendre original, et en nous faisant oublier qu'il n'y a que les demi-talens qui aiment les demi-vérités ; qu'un écrivain qui

ne complète pas toute sa pensée restera toujours au-dessous de lui-même ; et que , partout où la vérité est mutilée, le génie est manqué.

« Ce n'est point avec cette mollesse que combattaient contre leurs adversaires les plus illustres écrivains du dix-septième siècle. Ils allaient à l'ennemi par le plus court chemin : ils maniaient leurs armes avec cette noble franchise qui est le nerf de la pensée, et avec cette bonne foi qui est inséparable du vrai talent. Ils eussent regardé comme indignes d'eux ces complaisances de style, si communes aujourd'hui, ces traits faibles et tronqués, ces traits sans blessures, ainsi que s'exprime un ancien, moins faits, ce semble, pour défendre la vérité que pour ménager le mensonge. Jamais ils ne connurent ces restrictions subtiles et ces frivoles sous-entendus, qui sont bien plus de la faiblesse que de la prudence, de la timidité que de la retenue. Leurs flèches aiguës, ainsi que celles dont parle un prophète (Ps. 44, 6), lancées d'une main ferme, pénètrent jusqu'au fond du cœur et y restent.

Vrais soldats de la vérité, ils ne composaient pas plus avec elle qu'avec le bon goût ; ils ne savaient pas plus fléchir que feindre. Chevaliers sans peur comme sans reproche de la parole, ils

ne songeaient qu'à la victoire, jamais à la capitulation ; et c'est ainsi que le courage, réuni à la sincérité, leur laissait tout leur génie. » .i "162. S'il y a une modération qu'on ne saurait trop condamner dans les orateurs chrétiens, il y en a une qu'on ne peut trop leur recomman-

der : c'est de ne rien exagérer dans l'exposition de certaines vérités qui sont déjà assez terribles par elles-mêmes ; c'est surtout, lorsqu'ils prêchent sur la justice divine, sur la rechute dans le péché, sur le délai de la conversion, sur l'impénitence finale, et autres sujets analogues, de prendre garde de jeter les pécheurs dans le désespoir. Il faut dire les choses comme elles sont, et ne pas augmenter les difficultés de la conversion, soit pendant la vie, soit surtout dans les derniers momens, en faisant des suppositions de cas qui n'existent pas toujours. Il y a sans doute alors de fausses conversions qui ont toutes les apparences de celles qui sont sincères; mais, sous prétexte de déterminer les pécheurs à se convertir de suite et sans délai, il ne faut pas s'ôter à soi-même les moyens de les ramener, en cas qu'ils aient le malheur de différer leur retour jusqu'à la mort. Si vous leur faites croire que presque tous ceux qui se convertissent dans les

Eviter les exagérations en prêchant sur la justice divine et autres sujets analogues.

derniers instans ne font que de fausses conversions, comme celle d'Antiochus; si vous leur dites que, malgré les démonstrations extérieures qu'ils donnent, malgré les paroles rassurantes que leur adressent les ministres qui les assistent, malgré même les larmes que ces pécheurs répandent, ils peuvent être réprouvés, et que le grand nombre de ceux qui se trouvent dans ce cas de délai meurent impénitens , quoiqu'ils se soient confessés et qu'ils aient reçu les sacremens, qu'irez-vous faire au chevet du lit du pécheur mourant qui vous aura entendu parler de la sorte ? Il se souviendra de vos paroles et ne vous écoutera plus. Il se considèrera comme étant dans la situation que vous avez si bien dépeinte , et tout ce que vous lui direz ne fera point d'impression sur lui. Il croira que , malgré ce que vous dites, vous ne comptez guère sur son salut, et que vous n'agissez que pour faire jusqu'à la fin ce que votre ministère demande, quoique vous n'ayiez pas grande confiance dans l'efficacité de vos soins pour lui.

63. Ce que nous disons ici n'est pas une supposition chimérique. On rapporte qu'un homme qui avait mené une vie déréglée, étant allé entendre un missionnaire qui prêchait sur

Trait.

le délai de la conversion en tombant dans les exagérations dont nous venons de parler, retint malheureusement trop bien les passages qui les contenaient. Il avait de la foi, mais le courage lui manquait pour mettre de suite la main à l'œuvre de sa conversion. Il tombe malade. On fait venir un prêtre, il refuse de se confesser en disant qu'il est trop tard. On appelle d'autres ecclésiastiques : même réponse. On prie le missionnaire d'y aller lui-même, afin d'essayer de faire renaître en lui la confiance. Il s'y rend en toute hâte. Il lui parle de la bonté de Dieu et de son infinie miséricorde. Le malade reste insensible. Pressé enfin par les instances réitérées du ministre sacré, il répond qu'il n'y a plus de miséricorde pour lui. Le missionnaire insiste en lui disant que, tant qu'un homme respire, il peut toujours espérer son salut, et qu'il vaut mieux se convertir tard que jamais, que son salut est encore possible. Il le presse de revenir à Dieu et de se confesser. Alors le malade lui fait cette déclaration : « Mon père, j'ai assisté « à votre discours sur le délai de la conversion.

« Vous avez si bien démontré que la conversion (c de ceux qui attendent à la mort est impossible, « que je ne puis croire que ce que je pourrais

« faire fût utile pour mon salut. Je me trouve « dans la position que vous avez décrite. Il est « trop tard! oui, il est trop tard ! » Le missionnaire eut beau essayer de ramener ce malheureux à l'espérance, il ne put réussir. Quelques heures après cette dernière scène le malade n'était plus. Ce fait ouvrit les yeux au prédicateur imprudent qui avait été la cause du désespoir de cet homme, et il ne cessa toute sa vie de se reprocher sa faute.

64. Une vérité que l'expérience a prouvée mille fois, et que les ministres sacrés doivent bien retenir, c'est qu'il y a plus d'hommes qui

persévèrent dans le péché par découragement que par présomption, c'est-à-dire par l'espérance de se convertir un jour. Au lieu d'éteindre le lumignon qui fume encore, et d'achever de rompre le roseau déjà brisé (MATTH. , 12, 20), n'est-il pas plus à propos d'entretenir ce qui peut rallumer le flambeau de l'espérance, et de ne pas rompre entièrement ce qui peut aider à rétablir le lien de la grâce qui unit l'homme à son Dieu ? En exagérant les rigueurs de la justice divine, les difficultés des conversions tardives; en outrant les principes de la morale et les obligations que nous impose la religion ; en parlant

Vérité que les ministres sacrés doivent bien retenir.

sans modération des difficultés du salut, du petit nombre des élus, de la prédestination , de l'incertitude de l'état de grâce, du don de la persévérance, de l'empire des mauvaises habitudes, de la suite des rechutes dans le péché, on perd plus d'ames qu'on n'en sauve. Les pécheurs, qui ne sentent déjà que trop les difficultés de la religion, se découragent et se désespèrent ; les justes se troublent et perdent cette paix intérieure , cette liberté de cœur qui est si essentielle pour avancer dans la pratique des vertus chrétiennes et pour s'y soutenir. On fait donc un grand tort à la religion par un genre de prêcher si peu conforme aux règles de la sagesse.

Rendons, comme saint François de Sales, la pratique de la religion facile.

65. Le saint évêque de Genève ne craignait point, dans ses instructions, d'effrayer les pécheurs sur leur état criminel; mais, en même temps, il leur en montrait le remède dans le sang du Sauveur; il ne les rassurait point contre les justes alarmes de leur conscience ; au contraire, par les vérités les plus terribles, il répandait dans les cœurs cette consternation qui prépare à la pénitence : mais son zèle, armé de terreur contre le crime, prenait bientôt le lan-

l'récher sur la miséricorde de Dieu après avoir parlé de sa justice, à l'exemple llc S. François de Sales et de S. Liguori.

gage de la bonté et de la tendresse pour gagner le criminel.

Saint Liguori ne séparait jamais, dans ses sermons, la 'miséricorde de Dieu de sa justice, persuadé que c'était là le vrai moyen de porter les ames à la pénitence sans les décourager. A l'exemple de ces deux saints si 'expérimentés dans la conduite Ides ames, on ne prendra point pour sujet unique d'un discours les vérités terribles; on y ajoutera toujours les vérités consolantes qu'on ne doit point en séparer. Il convient de terminer par les motifs qui sont propres à ramener la confiance. Ainsi on parlera de la miséricorde 'de Dieu après avoir traité de sa justice. Ce serait manquer le but que l'on doit se proposer, et bien peu connaître le cœur humain, que de finir par les motifs dcrainte.

66. ïl faut, quand on parle des vices, éviter soigneusement ce qui peut devenir un piège ou

une tentation pour l'auditeur. Il n'est pas convenable de faire la description de leurs agrémens et de leurs charmes : ce serait les faire aimer au lieu d'en détourner. « U orateur, dit Labruyère, « fait de si belles images de certains désordres , « y fait entrer des circonstances si délicates , « met tant d'esprit, de tdur et de raffinement

Ce qu'on doit éviter quand ou parle des vices.

« dans celui qui pèche, que, si je n'ai pas de « pente à vouloir ressembler à ses portraits, j'ai « besoin du moins que quelque apôtre, avec un « style plus chrétien, me dégoûte des vices dont a l'on m'avait fait une peinture si agréable. »

S'il y a des vices dont on peut faire le tableau pour en donner de l'horreur, il y en a qu'il est dangereux de représenter. Il faut bien se garder de porter l'attention sur certains objets, et d'exciter dans l'esprit des pensées ou des images inconvenantes. « Il est des matières, dit Gaichiès, « sur lesquelles on dit toujours trop : certains « crimes veulent le silence et l'oubli. Ne réveille Ions pas la cupidité, qui ose tout tenter, et « laissons croire aux ames innocentes qu'il ne « se voit nulle part de tels monstres. »

67. L'erreur doit aussi bien mesurer ses expressions. Aucune langue n'est aussi délicate

que la nôtre. Il y a des termes dont on pourrait user sans inconvénient devant certaines personnes et dans des circonstances ordinaires, mais qui peuvent être pris dans un sens trèsfâcheux dans certaines localités et dans certaines circonstances. Ces imprudences ont fait tort à plusieurs prédicateurs, d'ailleurs bien intentionnés, et leur ont ôté la confiance. Je pourrais

11 faul bien mesurer ses expressions.

citer à ce sujet plusieurs faits ; mais, en les rapportant, je tomberais moi - même dans l'inconvénient sur lequel je fais des observations (1).

68. « Il est indécent au prédicateur de paraître trop instruit des usages du monde , du détail des modes, du nom des parures, des divertissemens et des jeux. L'ennemi déclaré du monde doit en ignorer jusqu'au langage. Il ne faut peindre les amusemens mondains qu'avec les traits de la gravité évangélique. Pour peu qu'on en égaie les descriptions, on fait aimer le monde lorsqu'on prétend le décrier. » (GAICHIÈS. )

Il y a des prédicateurs qui, pour attirer la foule, remplissent leurs discours de plaisanteries et d'historiettes amusantes. Ils vont jusqu'à dire,

(1) Nous croyons à propos de rappeler ici aux prédicateurs un avis que nous avons déjà donné ailleurs.

C'est qu'en prêchant dans certains lieux contre les vices et les péchés, ils doivent en parler avec tant de prudence que les auditeurs , ou quelques-uns d'entre eux, ne puissent pas penser qu'ils se servent de la connaissance qu'ils en ont par la voie du tribunal de la pénitence , et qu'en les instruisant, ils violent le secret de la confession.

Autres défauts.

et peut-être le pensent-ils, que cela est nécessaire dans les instructions familières et les catéchismes, pour plaire au peuple et le rendre attentif.

« Pour moi, dit saint Liguori, ce que je sais, « c'est que les pères, dans leurs instructions, « ne font point rire , mais qu'ils font pleurer.

« Quand saint François-Régis prêchait ses ser« mons, les assistans ne faisaient que gémir du « commencement à la fin. Qu'on se permette « quelque innocente plaisanterie qui naît du « sujet même, je le veux bien ; mais vouloir » convertir l'instruction en scènes de comédie, « comme font quelques-uns qui sont toujours (( disposés à raconter quelque historiette, quel« que conte amusant, accompagnés de saillies u et de gestes calculés pour faire rire l'auditoire, « je ne sais en vérité comment cela peut conveK nir à la sainteté du lieu où l'on se trouve, ni « à la dignité de la chaire dans laquelle le pré« dicateur, faisant l'office d'envoyé de Jésus« Christ, explique la parole divine. Les audi« teurs riront, et ils conserveront même leur « gaîté jusqu'à la fin ; mais, quand ils auront cc, ri, ils resteront distraits, ou ils ne s'occupe« ront que de retourner dans leur mémoire le cc fait qu'on leur aura raconté, au lieu de suivre

« le gracieux orateur dans les explications sur « la moralité de l'historiette ; car, pour ne pas o avoir l'air d'un charlatan en chaire, il voudra « tirer à toute force de ce qu'il a dit des instrucu tions morales. Cela arrivera avec le vulgaire ; cc car, s'il y avait dans l'auditoire des hommes <( de sens, cela leur donnerait des nausées. Les « hommes aiment assez à voir danser; mais, si « l'on voyait un individu s'en aller dansant par « les rues de la cité, n'exciterait-il pas la pitié « de ceux qui pourraient le voir ? On aime aussi « à entendre les facéties, mais on n'aime pas à « les voir tomber du haut de la chaire, lieu « sacré d'où doit sortir seule la parole de Dieu.

« C'est une erreur de croire que les auditeurs « ne se présenteraient pas, si on les sevrait de « ces facéties. Je soutiens, au contraire, qu'ils « viendraient en plus grand nombre et qu'ils cc feraient plus d'attention, lorsqu'ils seraient « convaincus qu'ils ne doivent pas donner à la « dissipation le temps destiné à l'instruction « pour le salut de l'ame. »

69. Il est une vertu que le prédicateur doit avoir, qui fait acquérir et qui perfectionne toutes les autres. Cette vertu est la piété. Avec elle l'orateur sacré se sanctifiera, et par la sainteté

Nécessité de la piété dans l'orateur sacré.

produira des fruits abondans de salut dans le prochain (1). La piété purifiera ses intentions et l'aidera à fouler aux pieds les considérations humaines, pour ne chercher que Dieu et sa gloire. Elle lui inspirera tout à la fois le zèle et la prudence; car la piété est utile à tout (2).

Elle fait bien vivre, et la bonne vie rend sage selon Dieu, et donne de l'expérience en bien des choses (3). Elle supplée en quelque sorte aux

(1) On peut citer, entre beaucoup de faits qui viennent à l'appui de ce que nous disons , l'exemple du P. Eudes. Un seul mot sorti de sa bouche, la simple récitation de l'oraison Dominicale, de la Salutation angélique ou du Décalogue ; les coups dont il se frappait la poitrine en disant ces paroles : Priez pour nous, pauvres pécheurs, touchaient plus les fidèles que tous les sermons les plus soignés des autres prédicateurs. A la mission de Caen , il prêcha d'une manière si simple son premier sermon, dont le sujet était l'examen de conscience, que ses amis craignaient qu'il ne compromît sa réputation, et ne nuisît au succès de la mission qu'il commençait. Ils en virent bientôt avec étonnement des effets tout contraires; à peine le sermon était-il achevé, que pl usieurs pécheurs, coupables de grands désordres, vinrent demander à faire des confessions générales ; ils comprirent ainsi que l'esprit de Dieu animait le prédicateur.

(2) Pie tas ad omnia utilis est. ( I TIM., 4, 8.)

(3) Bona vita facit hominem sapientem secundutn Deum et expertum in multis. (IMIT., liv. I, chap. IV.)

moyens naturels. Saint Charles, avec une poitrine faible et une voix désagréable et presque éteinte, convertissait les peuples, parce qu'on était persuadé de sa vertu : et l'opinion de sa sainteté suppléait à ce que la nature lui avait refusé.

70. Les prédicateurs remplissent aujourd'hui les fonctions que remplissaient autrefois les pro-

phètes. Leux-ci ne parlaient au peuple qu après s'être entretenus avec Dieu. C'est Dieu qui leur disait ce qu'ils devaient annoncer. Ils étaient tenus de le consulter avant de rien dire. Ecoutons ce que dit le Seigneur au prophète Ezéchiel : Fils de l'homme, je vous ai donne pour sentinelle à la maison de Dieu ; vous écouterez la parole de ma bouche, et vous leur annoncerez ce que vous aurez appris de moi (3, 17).

Vous ne direz rien que vous ne l'ayiez entendu.

C'est pourquoi vous vous rendrez attentif à m'écouter, et fidèle à rapporter à mon peuple ce que je vous aurai dit.

Dieu, il est vrai, ne parle point aux ministres sacrés d'une manière sensible comme aux prophètes ; mais, s'ils ont soin, en préparant leurs discours, de joindre l'oraison à l'étude, ils entendront sa voix. Car ce n'est pas assez de con-

II faut prier en préparant ses discours.

sulter les livres, ni même de réfléchir sur ses lectures. La voix des livres, dit le pieux auteur de l'Imitation, est la même pour tous, mais tous ne s'y instruisent pas également (1).

C'est le Seigneur qui donne la science aux hommes (Ps. 93,10). C'est lui qui donne aux humbles une intelligence plus claire que les hommes n'en peuvent communiquer (Ps. 118, v. 99 et 130).

C'est lui qui élève celui qui ne se fie point trop à sa faible raison, au point qu'il pénètre en un moment plus de secrets de la vie éternelle qu'un autre n'en apprendrait en dix années d'étude. Il instruit sans bruit de paroles, sans mélange d'opinions, sans faste d'honneur et sans agitation d'argumens (IMITAT., liv. III, chap. XLIII).

Celui à qui Dieu parle profitera beaucoup, tandis que celui qui ne le consulte pas restera dans son aridité et dans ses ténèbres. Où trouver la lumière que dans son centre qui est Dieu, le père des lumières ( JAC., 4, 17)?

71. C'est surtout lorsqu'on lit l'ÉcritureSainte, qu'on doit prier pour en avoir l'intelligence. S'il est incontestable, comme le déclarent

(1) Una vox librorum, sed non omnes ceque informât.

(Liv. III, chap. XLIII.)

l'rier surtout en lisant l'Ëcriture-Sainte.

en mille endroits les Pères de l'Eglise, que tout ce qu'on peut désirer de plus propre à former un orateur sacré, à élever son ame, à nourrir, à orner son esprit et à toucher son cœur, se trouve avec abondance dans les livres saints, il ne l'est pas moins que, sans l'esprit d'oraison, on n'en retire pour soi et pour les autres que peu ou point de profit. On puise dans l'ÉcritureSainte tout ce qu'on peut désirer, pourvu qu'on l'étudié avec une vraie piété et une vraie dévotion ( IMITÂT., liv. I, chap. V ) ; car il n'appartient qu'au vrai sage, dit saint Bonaventure, de sonder la profondeur de ces grands fleuves, où l'esprit de Dieu a caché tant de richesses, et de produire leurs trésors au grand jour. De ce fond si vaste et si riche, un orateur, bel esprit, pourra sans doute puiser des lumières qui brilleront, mais sans échauffer, et feront admirer son talent : l'homme d'oraison en recevra un feu divin qui embrasera son ame et celles de ses auditeurs, qui occupera ceux-ci beaucoup plus des grandes vérités qu'il leur annonce, que de la manière dont elles leur sont annoncées; du Dieu qui invite, presse, menace, ou tonne par sa bouche, que du prédicateur. Son ame, selon l'expression de saint Augustin, n'est plus l'ame

d'un homme qui semble anéanti, mais celle de Dieu même : Perit in eis quodam modo humana mens, et Jitdwina. Voilà comment les Apôtres , et tant de saints évêques et prêtres du Seigneur, devenus, ajoute ce saint docteur, comme un bois allumé par le feu céleste, comme des flambeaux divins, ont éclairé toute la terre par la lumière de la vérité, et l'ont embrasée par le feu du divin amour. Quasi ligna ardentia igne divino, totam silvam mundi succensam lumine veritatis et ardore caritatis impleverunt.

72. C'est une très-bonne pratique que celle de s'appliquer à soi-même dans l'oraison ce qu'on se propose de dire aux autres (1). « Il

« n'arrive que trop, dit Gaichiès, que l'étude « du prédicateur est sèche pour lui-même : il « ne voit dans ses réflexions que les besoins « d'autrui. C'est un vase qui ne retient rien de « la liqueur qu'il épanche. Quel motif d'humi« liation, de recommander des vertus qu'on ne « pratique point soi-même, ou qu'on ne pra

(1) « J'approuve, dit saint François de Sales, que le matin on médite pour soi ce que l'on veut dire aux autres. » (Lettre à V archevêque de Bourges.)

S'appliquer à soi-même dans l'oraison ce qu'on se propose de dire aux autres.

« tique que faiblement; d'imposer des fardeaux « où l'on ne touche pas du bout du doigt ! »

Grenade donne d'excellens avis sur cet article. « Pour ce qui est, dit-il, de la prudence « que le prédicateur doit garder dans l'exercice « de son ministère, c'est ce que le sage enseigne « par ces paroles : Assistez votre prochain se« Ion le pouvoir que vous en avez; mais prenez « garde de ne pas tomber dans l'abîme, en « vous efforçant de l'en tirer (1); car l'ordre « de la charité veut qu'on rende service aux « autres, sans se nuire à soi-même ; qu'on « travaille à leur salut, sans négliger le sien, « et qu'on use tellement de libéralité et de bonté « envers le prochain, qu'on ne soit pas cepen« dant avare et cruel envers soi-même ; c'est ce « que nous enseigne l'Apôtre, lorsqu'il dit à « Timothée : Veillez sur vous et sur l'instruc« tion des autl'eSj car, en agissant de la sorte, « vous vous sauverez vous-même et ceux qui « vous écoutent (2). Il recommande donc au

(1) Recupera proximum secundum nnrtutem tuam, et attende libi ne incidas. (ECCLI., 29, 27.)

(2) Attende tibi et doctrinoe, insla in illis. Hoc enan faciens, et teipsum salvum faciès et eos qui te audiunt" (1 TIM., 4, 16.)

« prédicateur de veiller premièrement sur lui« même, et ensuite de s'appliquer à l'instruc<( tion du peuple. Il faut qu'il imite ceux qui « tirent le miel des ruches, et qui ont soin, en «• les vidant, qu'il en reste toujours suffisam« ment pour nourrir les abeilles durant l'hiver; H qu'il imite aussi les bergers qui, en tirant le « lait des brebis, ont particulièrement égard « aux agneaux qu'elles nourrissent, afin qu'ils « n'en souffrent pas. Il doit donc, en dispen(c sant aux autres la nourriture spirituelle des « vérités divines, avoir soin de s'en nourrir et cc de s'en fortifier aussi lui-même, par l'appli- « cation intérieure de son cœur et de son esprit « à Dieu; car, s'il se néglige lui-même, pour « ne penser qu'à nourrir les autres, il tombera « infailliblement dans la langueur, et mourra « de faim.

« Écoutons encore sur cet objet l'avis que « donnait saint Bernard au pape Eugène. Il lui « applique ces paroles de la Sainte-Ecriture : « Buvez de l'eau de votre citerne, et des ruis« seaux de votre fontaine : que les ruisseaux « de votre fontaine coulent dehors, et répan« dez vos eaux dans les rues (1). Vous êtes ,

(1) Bibe aquam de <i*tcrna tua, et flucnta putei lui,

et lui dit saint Bernard, une fontaine publique : « les grands et les petits, les sa vans et les igno« rans vont puiser dans vous les eaux de la « vérité; mais, lorsque vous les répandez sur « tout le monde, ne vous les refusez pas à vous« même. Que vos ruisseaux coulent dans les « rues, mais buvez-en lorsque vous en faites « boire aux autres. »

« Il faut, dit saint François de Borgia, que le prédicateur se pénètre bien lui-même des sen- timens qu'il veut faire passer dans l'ame de ceux qui l'écoutent, et c'est en vain qu'il cherchera à émouvoir les autres, s'il n'est pas luimême ému, touché, et, pour ainsi dire, tout en feu. C'est ce qui a fait dire à un ancien poète : Si vis me flere, doiendum est primum ipsi tibi. Si vous voulez que je pleure, pleurez vousmême le premier (1). » Or, c'est dans l'oraison que le prédicateur se pénètre efficacement de son sujet. C'est là qu'à l'exemple du prophète Royal, il allumera en lui-même le feu divin qu'il doit communiquer au-dehors (2).

Deriventur fontes tui foras, et in plateis aquas tuas divide. (PROV., 5, 15.)

(1) HORACE, dans l'Art poétique.

(2) In meditatione mea exardescet ignis. (Ps., 38,4.)

73. Quand le prédicateur, par le moyen de l'oraison, s'est nourri lui-même de la parole sainte qu'il doit annoncer, il est de son devoir de prier pour ses auditeurs, afin qu'ils profitent pour leur salut des instructions -qu'il va

leur donner. Il faut prier le Seigneur de leur ouvrir le sens, afin qu'ils comprennent la vérité, et de toucher leurs cœurs, afin qu'ils se convertissent. Ces choses dépendent de Dieu, * et non de nous qui ne sommes que des instrumens dont il veut bien se servir. Nous plantons,' nous arrosons, mais c'est Dieu qui donne l'accroissement (1). Il faut donc lui demander ce qui dépend de sa grâce. Il faut se prosterner devant celui qui est l'auteur et le dispensateur de la sagesse, de qui dépend tout le fruit de nos prédications, et qui rend éloquentes les bouches même des petits enfans (SAP., 10, 21 ), le priant humblement de vouloir bien conduire lui-même tout le cours de notre sermon, de le faire réussir à la gloire de son nom, et de nous donner, par sa bonté, la pureté d'intention si nécessaire pour annoncer sa parole, et

(1) Neque qui plantat est aliquid, neque qui rigat : scd qui incrementum dut Deus. (1 COR., 3, 7.)

Trier pour ses auditeurs.

à nos auditeurs un désir ardent et sincère d'en profiter. C'est Dieu qui est le vrai médecin de nos ames; le prédicateur doit donc le prier de donner à ses auditeurs le remède qui leur convient selon leurs besoins, qui lui sont parfaitement connus. Il doit le conjurer de vouloir bien multiplier le pain de la parole divine qu'il vient distribuer, de bénir cette semence de salut qu'il va jeter dans les ames, pour qu'elle produise au centuple des fruits pour la vie éternelle.

74. C'est surtout au moment où il célèbre les saints mystères, que le prédicateur pieux se recommande à Dieu, ainsi que ceux qu'il doit

évangéliser. Il se souvient alors de l'exemple de Jésus-Christ qui, pendant la Cène, a prié nonseulement pour lui-même et pour ses Apôtres, mais encore pour ceux qui devaient entendre leur prédication et celles de leurs successeurs.

Au moment où il instituait l'auguste sacrement de son amour, et sur le point de s'immoler sur l'arbre de la croix pour le salut du genre humain, ce divin Sauveur, levant les yeux au ciel, disait à son père : « Père saint, conservez mes « disciples en votre nom, par votre puissance et « pour votre gloire; je ne prie pas seulement pour « eux, mais encore pour tous ceux qui doivent

Prier surtout pendant le sacrifice de la messe et devant le Saint-Sacrement.

« croire en moi par leur prédication (4). » Ces paroles sont comme des lettres de recommandation que Jésus-Christ nous a laissées en retournant à son père; servons-nous-en, rappelons-les au Père céleste, il ne peut certainement que les accueillir avec bonté : unissons-nous donc avec confiance à Jésus-Christ, priant pour ceux auxquels nous allons adresser la divine parole.

Adressons-nous au Sauveur lui-même, nonseulement pendant le saint Sacrifice, mais encore quand nous le visitons dans ses temples.

Conjurons-le par son cœur adorable de jeter des yeux de miséricorde sur les pécheurs qui doivent nous écouter, afin qu'ils sentent leur triste état et qu'ils s'efforcent d'en sortir par la pénitence.

75. Que le prédicateur implore aussi avec instance le secours des saints anges, qu'il demande aux séraphins leur amour, aux chéru-

bins leur science et leur lumière; qu'il prie tous les autres chœurs de lui faire part des

(1) Pater sancle, serva cos in nomine tuo. Non pro eis auiem rogo tan/llln, sed proeis qui credituri sunt per verbum eoruui in Ille. (JOAN., 13, 20.)

Implorer le secours des SS.

Anges et des Saints.

dons particuliers que Dieu leur a donnés, mais surtout qu'il demande aux anges-gardiens de ses auditeurs la permission d'enseigner ceux qui sont confiés à leurs soins. Qu'il rougisse en même temps d'oser ainsi enseigner des personnes à qui Dieu a donné de tels maîtres et de tels gardiens. Ah ! si les soins de ces bons anges ont été sans fruit auprès d'eux, comment pouvezvous espérer que les vôtres leur soient profitables, vous qui êtes sans expérience et un misérable pécheur. Priez-les donc de vouloir suppléer par leurs saintes inspirations à ce qui manquera à vos instructions par votre incapacité et par votre ignorance.

Lorsque vous voudrez recommander plus spécialement la pratique de quelque vertu, implorez auparavant le secours particulier d'un saint qui y aura excellé pendant le cours de sa vie; ainsi, parlez-vous de la patience? recommandez-vous au saint homme Job ; traitez-vous de la pénitence? invoquez sainte Madeleine; s'agit-il de la chasteté? recourez à saint Joseph.

Et si la charité est le sujet de votre discours, adressez-vous au disciple que Jésus aimait; car leurs mérites et leur intercession auprès de Dieu sont très-efficaces pour obtenir les

vertus dont ils nous ont laissé de si grands exemples. Ayez donc recours à eux, pour que Dieu dans sa miséricorde fasse que le peuple qui vous écoute, non-seulement entende la divine parole, mais la mette en pratique. (Saint François de Borgia, dans son Traité sur la manière de prêcher.) ;

76. Ayez surtout recours à celle qui est le refuge des pécheurs. Priez Marie et pour vousmême et pour ceux qui doivent vous écouter.

Ayez une grande dévotion envers elle, et enga-

gez vos auditeurs à se mettre sous sa protection et à recourir souvent à sa puissante intercession, surtout dans les tentations. Imitez saint Liguori, qui invitait fréquemment les pécheurs à s'adresser à Marie pour obtenir le pardon de leurs crimes. « Au pied de la croix, disait-il, comme « dans un douloureux enfantement, elle nous a cc adoptés pour ses enfans dans la personne de « St. Jean. Par le glaive qui a percé son cœur, « elle est devenue pour nous une mère de misé(c ricorde ; qu'elle soit donc notre refuge dans « les pressans dangers de pauvres pécheurs « comme nous. » C'est sous ce rapport surtout qu'il aimait à honorer la Sainte-Vierge. Il invoquait souvent dans ses sermons la Mère des dou-

S'adresser spécialement à la sainte Viergo, et porter ses auditeurs à recourir à son intercession. Exemple de saint Liguori.

leurs. Pour inspirer la même dévotion à ceux qui F écoutaient, il faisait placer, dans les missions, une statue de Notre-Dame des douleurs à côté de la chaire. La foule allait sans cesse y prier, excitée par les paroles et l'exemple du pieux missionnaire. Il donnait toujours un sermon sur le patronage de la Sainte- Vierge.

Avant lui, ce sermon n'avait pas lieu dans les missions ; aujourd'hui c'est un usage reçu en Italie comme en France : on lui en doit l'institution. Nous ne saurions dire tout l'effet qu'il produisait en prêchant sur la Sainte-Vierge. Il parlait avec une si grande confiance et une si touchante dévotion de sa bonne Mère, que souvent des pécheurs, jusque-là endurcis et presque désespérés, vaincus en quelque sorte par l'espoir de la protection miséricordieuse de Marie, se sentaient comme renaître à des sentimens inconnus, et étonnés de se trouver ainsi changés, pleins de courage et de résolution, ils demandaient avec empressement d'être reçus à la pénitence.

77. La dévotion à la Sainte-Vierge est donc un des grands moyens que le prédicateur doit employer pour ramener les pécheurs, et même les incrédules et les sectaires. L'expérience a fait

Merveilleux effets de ce moyen pour COli vertir les pécheurs et même les hérétiques.

voir mille fois que Dieu y a attaché une bénédiction particulière. On rapporte de saint Dominique qu'il ne commençait jamais ses instructions qu'après s'être prosterné humblement devant l'image de la mère de Dieu, pour lui adresser cette prière : Dignare me laudare te 3 Virgo sacrata ; da mihi virtutem contra hostes tuos : u Permettez, Vierge sainte, que j'annonce vos « louanges ; et donnez-moi la force pour com« battre vos ennemis et pour les vaincre. » Il eut la consolation de voir un certain nombre d'hérétiques rentrer dans le sein de l'Église; mais le succès était loin de répondre à l'ardeur de son zèle. Comme il s'en plaignait humblement à celle en qui il mettait toute sa confiance après Dieu, cette Mère des miséricordes lui apparut dans la chapelle de Notre-Dame-de-la-Pouille, l'an 1202, et lui ordonna de prêcher la dévotion du saint Rosaire, lui promettant qu'il en obtiendrait les plus heureux effets pour la conversion de ce peuple obstiné. Le saint obéit ; au lieu de s'adonner à la controverse, il se mit à prêcher la pratique de cette salutaire dévotion; il en enseigna au peuple la méthode et l'esprit ; il en expliqua les mystères, et il gagna plus d'ames à Dieu par cette prière que par tout au-

tre moyen. Les fruits en furent en effet prodigieux, au rapport de tous les historiens du temps. Plus de cent mille hérétiques convertis, un nombre incroyable de pécheurs revenus de leurs désordres, furent les premiers effets de cette dévotion naissante, qui se répandit bientôt dans toute l'Europe, où elle a produit des biens incalculables , et où elle en produit encore tous les jours dans les endroits où cet exercice édifiant s'est maintenu contre la dissipation et l'indifférence du siècle. (GODESCKRD, CROISET. )

78. Le bienheureux Alain de la Roche rapporte qu'un évêque d'Espagne, ne pouvant réformer les mœurs dépravées de ses diocésains, malgré toutes les peines qu'il se donnait pour y parvenir, eut la pensée de prêcher la dévotion du saint Rosaire, à l'exemple de saint Dominique, ayant soin d'en expliquer les mystères et d'apprendre à les méditer. Les fidèles embrassèrent cette dévotion avec empressement, et il se fif en peu de temps de nombreuses conversions. L'ignorance, l'impiété, le dérèglement des mœurs et les autres vices furent remplacés par l'oraison, la pénitence, la fréquentation des sacremens et la pratique de toutes les vertus chrétiennes. Ce zélé prélatne pouvait assez louer

Autres faits.

Dieu du changement qui s'était fait dans sa ville épiscopale; il ordonna aux curés de son diocèse d'employer le même moyen, qui fut suivi du même succès; en sorte qu'en peu de temps toute la face de son diocèse fut entièrement renouvelée.

Le même bienheureux Alain nous a conservé le témoignage d'un vertueux curé dont voici les paroles : « J'ai exercé l'office de pas« teur et de prédicateur durant plusieurs « années; j'ai prêché sur toutes sortes de ma« tières, le mieux qu'il m'a été possible; je « n'ai rien négligé de tout ce qui pouvait in« struire, toucher et convertir les ames qui « m'étaient confiées : mais, voyant que je tra« vaillais en vain, et que le fruit de mes peines « ne répondait pas à mon attente, je me déter« minai à faire le sacrifice des discours étudiés « que j'avais débités jusqu'alors, pour essayer « si je réussirais mieux en prêchant simplec( ment sur la dévotion du saint Rosaire, en « expliquant les prières qui le composent et les « mystères qui en sont la base. J'avais négligé « cette excellente pratique, malgré les remords « de ma conscience et par respect humain, a craignant que le monde ne me tournât en

(t ridicule et ne regardât ce sujet comme incc digne de la chaire. Mais je proteste qu'en « moins d'un an il se fit plus de conversions « dans ma paroisse, qu'il ne s'en était opéré c( pendant les trente années précédentes, où je « ne prêchais que des discours de parade. »

Après ces exemples et une foule d'autres semblables, le bienheureux Alain conclut qu'il serait à souhaiter que les curés et les prédicateurs eussent grand soin d'exhorter les fidèles à embrasser ce pieux exercice, qui est à la portée de tout le monde, et qui est si propre à instruire sur les vérités les plus importantes de la religion, quand on médite attentivement sur les mystères qui en sont l'ame (Mois de Marie, par un prêtre du diocèse de Belley).

79. A la prière le prédicateur doit toujours joindre la mortification. C'est cette vertu qui rend l'oraison efficace (1). Nous ne pouvons nous élever vers le ciel sans nous détacher de

(1) Selon le sentiment de saint François de Sales, l'oraison sans la mortification est un corps sans ame.

Il ne voulait pas que ces deux choses fussent séparées , mais que, comme Marthe et Marie , sans se quereller, elles fussent de bon accord au service de

*

Joindre la mortification à la prière.

la terre, ni recevoir les dons célestes sans nous priver des jouissances temporelles. C'est parce qu'on ne fait pas assez attention à cette vérité,

Notre Seigneur. Il les comparait aux deux bassinets Je la balance , dont l'un s'abaisse quand l'autre s'élève.

Pour élever l'esprit par l'oraison, il faut abattre le corps par la mortification ; autrement la chair déprimera l'esprit et l'empêchera de s'élever à Dieu. Le lys et la rose de l'oraison et de la contemplation ne se conservent et nourrissent bien que parmi les épines des mortifications. On ne va à la colline de l'encens, symbole de l'oraison, que par la montagne de la myrrhe de la mortification. L'encens même, qui représente l'oraison , n'exhale son odeur que lorsqu'il est brûlé ; et l'oraison ne peut monter au ciel en odeur de sainteté, si elle ne sort d'une personne mortifiée. Lorsque nous sommes morts à nous-mêmes et à nos passions, c'est alors que nous vi vons à Dieu et qu'il nous repaît en l'oraison du pain de vie et d'intelligence, et de la manne de ses inspirations.

Le saint évêque de Genève disait sur ce sujet un mot bien remarquable. « Il faut vivre en ce monde, cc disait-il, comme si nous avions l'esprit au ciel, et « le corps au tombeau. n La première partie de cette sentence est appuyée sur ces paroles : Que votre conversation soit dans les cieux (PHILIPP., 3, 10.), et la seconde, sur celle-ci : Il faut vivre comme des blessés qui dorment dans les sépulcres, et dont on ne se souvient plus, et être dans les obscurités entre les morts du siècle. ( Ps. 87, 6 et 142, 3.) ESPRIT DE SAINT FRANÇOIS DE SALES.

ou plutôt parce qu'on n'est pas assez courageux pour la mettre en pratique, qu'on prie si souvent sans fruit. Dans notre intérêt et dans celui de nos auditeurs , ayons donc soin de nous mortifier en même temps que nous prions. C'était la pratique des saints. A l'exemple de JésusChrist, ils passaient les nuits en prières. Ils jeûnaient, ils châtiaient rudement leurs corps, ils pratiquaient toutes sortes d'austérités pour faire une sainte violence au ciel en faveur des pécheurs qu'ils voulaient convertir. C'est ce que faisaient entre autres saint Dominique, saint Vincent-Ferrier, saint François-Xavier et saint François-Régis. Ils rendirent ainsi leurs prières et leurs discours efficaces, et ramenèrent dans la voie du salut un grand nombre d'ames. Si nous ne portons pas la mortification au même point qu'eux, faisons du moins quelques œuvres de pénitence proportionnées à nos forces, et mortifions-nous surtout dans notre intérieur et dans une multitude de choses dont la privation ou la pratique ne peuvent nuire à notre santé, et nous empêcher de remplir nos fonctions.

80. Nous ne saurions mieux terminer ce chapitre qu'en citant presque tout au long la conclusion de l'ouvrage de M. l'abbé Morel. En

Aimer la solitude. Ses avantages pour le prédicateur.

exhortant le ministre de la parole sainte à l'amour de la solitude, il lui rappelle ses principaux devoirs et lui donne les avis les plus sages.

Ce sera une excellente récapitulation de ce que nous avons exposé et un complément à ce que nous avons omis. Voici cette conclusion, aussi énergique que solide : « Prêtres, prédicateurs qui me lirez, vous reconnaîtrez que ce que j'ai dit n'est pas ma doctrine, mais la doctrine de Jésus-Christ, de son Église et de ses saints. Vous êtes les docteurs , les guides, les médecins, les pères des fidèles: c'est à tous ces titres que je vous conjure devant Dieu de faire une attention sérieuse et continuelle à être des hommes d'oraison, d'étude et d'écriture. Je ne vous ai proposé rien de nouveau, rien que vous ne sachiez déjà, rien que vous n'eussiez bien mieux rédigé que moi; mais, puisque la multitude de vos travaux vous a empêchés jusqu'ici de recueillir vos idées et vos lectures sur le ministère de la prédication, d'où dépend en grande partie le bonheur public et particulier et le salut de tous, jetez, jetez un regard sur ce travail, et méditez-en les paroles dans la solitude.

« La solitude pour tous, mais surtout pour

le prêtre, est la mère de la prière, de la science, de la connaissance des hommes, de la force d'ame et de la puissance du discours. Un prêtre sans oraison est un corps sans ame. L'oraison est le fruit béni du désert ; dans l'oraison nous parlons à Dieu, et il nous parle. Or, ce n'est que dans le silence et la paix que Dieu parle au cœur, et que nous l'entendons. Ducam eum in solitudinem et loquar ad cor ejus (OSÉE, 2, 14). Ce n'est pas au milieu du pétillement de la flamme, ni des éclats du tonnerre roulant dans l'étendue du désert, qu'Élie a vu le Seigneur, mais lorsqu'un vent léger, qui ébranlait à peine les feuilles presque immobiles, se fit sentir. Le règne de Dieu est au-dedans de nous, mais Dieu n'aime pas à habiter sous des pavillons qui flottent à tout vent; il veut un siège ferme et stable; autrement, il s'en va. Or, ce repos de l'oraison ne se trouve que dans la solitude; aussi les saints en ont toujours fait leurs délices. Ils savaient, au milieu des occupations les plus multipliées, se faire, se donner des heures de recueillement, et ils disaient avec vérité que la solitude et le ciel sont frère et sœur : Cella et cœli habitatio cognatœ sunt. Que le prêtre se fasse donc des heures de silence cha-

que jour, qu'il aime la solitude s'il veut être homme de prière, et il doit l'être, surtout s'il annonce la parole de Dieu; et quel est celui d'entre nous qui n'exerce ce ministère en public ou en particulier? Et, si vous voulez l'exercer avec fruit pour les autres et pour vous, souvenez-vous de l'accompagner, de le faire précéder de la prière et de l'oraison. Considérez que saint Pierre fait marcher la prière devant la parole : Orationi et ministerio verbi instantes erimus (ACT. 6, 4). C'est Dieu qui éclaire et qui touche ; nous ne sommes que son instrument. Commençons donc toujours par prier le céleste illuminateur des esprits et le dominateur des cœurs; autrement, nos efforts ne seront jamais que le bruit inutile d'une cymbale retentissante.

« De plus, considérez qu'outre la prière particulière et la méditation qui nous fait adorer Dieu, l'aimer et étudier sa loi ; qui nous fait nous connaître avec nos misères et nos devoirs, il y a encore la prière publique dont le prêtre est le ministre, dans laquelle il parle à Dieu au nom de toute l'Église, le Bréviaire enfin. Or, pour s'en acquitter bien, il faut la solitude et l'esprit de retraite; autrement on ne remplit cet

office que comme une corvée dont on se débarrasse au plus vite, sans faire attention à la manière dont on le dit. Suffit-il donc, pour obéir à Dieu et à l'Église, de courir sur des mots dont on ne se donne pas le temps de saisir la signification , et dont on joint la prononciation accélérée à une multitude de pensées, de souvenirs et d'images volontaires qui ne rappellent rien moins que Dieu, son amour, le ciel et l'éternité ? Hélas ! les saints prêtres, qui font leurs délices de la solitude et d'une oraison quotidienne que rien au monde ne saurait faire omettre, se plaignent de la difficulté qu'ils éprouvent à captiver leur esprit et à maintenir leur imagination pendant la récitation des cantiques sacrés, qu'ils aiment pourtant avec tant de foi et de piété ! Ils ont peur que leur office soit l'un des articles les plus chargés dans leur examen au jour de la mort !

Que sera-ce donc de ces prêtres toujours répandus dans le monde, comme des eaux courantes, qui, rentrant chez eux après des courses et des visites qui ont dévoré tout le jour et toute la soirée , disent au fond de la nuit la prière de l'Église pour le lever de l'aurore, au grand péril de ne pas avoir assez de temps pour finir l'office du jour avant minuit sonnant, quoiqu'ils

soient plus expéditifs et plus prompts que l'hirondelle poursuivie qui fend les airs ! Donc, si vous voulez prier utilement, comme chrétien et comme prêtre, aimez la retraite, car la solitude est la mère de la prière.

« La solitude est la mère et la gardienne de l'étude et du savoir. Un esprit amateur du monde hait les livres, ou ne peut se résoudre à en ouvrir que de frivoles. Etre seul lui est un supplice.

Aussi n'y est-il jamais : ce sont des courses, des visites, des distractions toujours renaissantes ; le temps lui pèse horriblement, il ne sait que faire pour le tuer ; tandis que l'homme de retraite et d'étude ne se plaint que d'une chose, c'est qu'il est toujours infiniment trop court. Ce n'est pas que le prêtre qui n'aime point la retraite ne sente souvent la nécessité d'étudier ; au contraire, il en parle plus haut que les autres ; mais, parce que les travaux du ministère rompent et divisent le temps, et qu'il ne sait point mettre à profit chaque moment, ce lui est un prétexte pour ne rien faire du tout, vu qu'il ne vaut pas la peine, dit-il, de se mettre à l'ouvrage pour une heure ou deux ; ainsi il remet toujours à une autre fois les études sérieuses, et, par conséquent, n'en fait jamais. La procraJtination.,

dit énergiquement un poète anglais, est le filou du temps. En nous amusant, en nous distrayant, elle nous dérobe, elle nous vole un moment, puis un autre, et de lendemain en lendemain elle nous pousse à la mort sans que nous ayions pris le temps de rien faire. De là le vide complet, le manque absolu de solidité dans les discours de ce prêtre, s'il en fait ; vous y reconnaissez un pâle reflet de ses lectures d'amusement bien , plus que le développement des préceptes de Jésus-Christ, qu'il ne médite jamais. Pourquoi cette cruelle humiliation de la chaire catholique?

Je viens de le dire; parce qu'on renvoie toujours à plus tard l'étude des Écritures et de la théologie , sous prétexte que le temps est trop haché ; on se contente de répéter continuellement des compositions de jeunesse qui ne méritent que le feu ; ou bien, si l'on a de la facilité, on croit parler et instruire, parce qu'on ne s'arrête pas, et qu'on amuse peut-être les femmes et les désœuvrés, tandis qu'on fait souffrir les amis de Dieu et qu'on compromet les vérités saintes.

0 prêtres ! sachez mettre à profit tous les momens pour les études sérieuses. « Le prêtre, dit « Fleury, dans son livre admirable de la Con« duite des études, est un homme d'oraison et

« d'action. Quand il est fatigué, qu'il étudie « l'Écriture et l'histoire ecclésiastique, qu'il « écoute un ami savant et pieux ; voilà son « divertissement et son repos. »

« La solitude est la mère de la connaissance des hommes. Sitôt que l'on parle de solitude et de solitaires, il y en a qui se figurent les forêts vierges de l'Amérique, laissant apparaître de temps en temps, comme un spectre, un Huron ou un Illinois. Non, certainement, le prêtre ne doit pas être séparé du monde , comme un aigle dans son aire, loin des autres oiseaux que sa seule approche fait trembler. Le médecin, le docteur, le père doit se trouver avec ses malades, ses disciples et ses enfans, pour les élever, les instruire et les guérir. Mais y sont-ils toujours? Non, ils sont souvent retirés seuls, afin de méditer et de réfléchir pour préparer les leçons et les remèdes. Le médecin regarde son malade, puis il repasse dans le silence du cabinet les symptômes , et c'est là-dessus qu'il établit le traitement. De même le prêtre doit voir; car, s'il ne voit pas, comment pourrat-il avoir idée des maladies ? Mais ce n'est pas dans l'action même de voir qu'il puisera l'habileté pour guérir, seule chose que désire le pauvre

malade; c'est dans le silence de la solitude qu'il examine le caractère, les inclinations, les périls, et qu'alors, sous l'œil de Dieu, à l'aide de sages, de savans, de saints amis ( c'est de ses livres que je parle), il prépare ses moyens pour guérir et pour sauver. Si vous passez votre temps dans le monde , vous verrez toujours la même chose, beaucoup de folies et de superficies, et vous ne saurez jamais rien, car il n'y a que les gens qui réfléchissent qui savent quelque chose ; et dans l'étourdissement et l'inutilité des assemblées mondaines, on ne songe pas même à réfléchir.

A quoi peut penser un prêtre qu'on voit habituellement assis à ces tables et sillonner ces salons où le monde étale ses délicatesses, ses vains discours, ses propos légers , ses joies bruyantes ? Nous ne devons connaître le monde que pour le haïr, car l'esprit du monde est opposé à l'esprit de Jésus-Christ, et le prêtre doit être constamment, sous peine de trahison, l'expression vivante de l'esprit de son maître.

Mais, s'il aime à se trouver avec le monde, à penser, à parler comme le monde, il l'aime donc, et, s'il l'aime, il est traître à son devoir le plus sacré. En rentrant chez lui, du milieu de cette troupe de jeunes étourdis et de femmes

amollissantes, la tête pleine de ce qu'il aura vu et entendu, c'est-à-dire de causeries politiques, romantiques, artistiques, et autres bagatelles, pourra-t-il songer à étudier ou à prier ? La nuit sera trop avancée. Réfléchira-t-il? Oui, peut-être, mais pour se dire : Demain nous recommencerons. Et cela en présence de son crucifix ! Et c'est là une vie de prêtre ! Et l'on dira de ce prêtre qu'il apprend le monde, qu'il y fait du bien, parce qu'au moins il habitue le monde à ne pas s'effaroucher de notre approche ! Mais jamais ce jeune homme ou cette femme mondaine , que Dieu touche, ne songera à prendre pour guide ce prêtre flâneur et agréable qu'il voit dans les réunions du monde ; il sait bien que ce n'est pas là l'homme de Dieu. Il cherchera ce prêtre inconnu qu'on ne voit qu'à l'autel, en chaire, au confessionnal, au lit des malades, et quand il est question de consoler dans le malheur. Il sait bien que ce fainéant qui l'amuse par ses contes et son esprit ne connaît pas les paroles du cœur, ou plutôt du ciel, qui soutiennent dans des démarches généreuses, et que, quand il parlerait bien, sa vie lâche dément ses discours. De plus, de quelle connaissance utile au monde s'agit-il pour le prêtre ?

C'est surtout de la connaissance du fond de l'ame; or les salons ne la donnent pas ; c'est l'exercice réfléchi et pieux du ministère ; c'est au confessionnal que le prêtre connaît les hommes; c'est dans l'étude qu'il en fait lorsqu'ils sont à ses pieds, humiliés devant Dieu, qu'il forme et recueille dans son esprit et dans son cœur ces avis sages et divins qui éclairent, qui soutiennent, qui ramènent et qui sauvent.

Prenez deux prédicateurs à talens égaux : l'un, tout entier à la composition de ses discours, ne s'occupe pas de la direction des fidèles; l'autre, au travail de ses sermons, joint l'exercice si essentiel de la conduite des ames; écoutez-les tous les deux , vous verrez sur-lechamp la différence en chaire. Le premier fera des traités excellens, pleins de choses, de discours admirables, si vous voulez; ce sera un orateur parfait ( si l'on peut appeler ainsi celui qui manque son but principal); mais il y aura toujours dans son discours quelque chose d'exagéré ou de trop raisonneur ; souvent sa morale sera outrée ou sans application possible; tandis que l'autre, moins parfait peut-être comme orateur ( si on peut regarder comme moins parfait celui qui obtient mieux le résultat essen-

tieldela prédication), parce qu'il ne consume pas tout son temps dans la composition, sera cependant plus attachant et surtout plus utile, parce que, connaissant beaucoup mieux le cœur humain, il frappe toujours plus juste, et a généralement, dans sa manière d'écrire et de dire, quelque chose de plus paternel, parce qu'il est beaucoup plus en rapport avec les ames faibles et malheureuses.

« Si cette étude du cœur, dans l'exercice du ministère , est si essentielle pour le prédicateur, il faut de la sagesse et de la circonspection, afin de se réserver le temps de réfléchir, d'étudier et d'écrire. Évitez donc l'encombrement et la longueur. Le confessionnal n'est pas une chaire où l'on prêche, c'est le cabinet d'un médecin où l'on vient en consultation ; le malade dit son mal, le médecin son avis avec une parole courte et précise, et la place est à d'autres.

Défiez-vous donc de ces ames insatiables d'ex- hortations. Par une brièveté sévère, ou vous les éloignerez ( et tant mieux pour vous, ce sera autant de temps de gagné), ou bien elles demeureront sous votre conduite, et alors vous leur serez utile, parce que dans vos rapports il n'y aura rien de la nature, mais tout de la grâce. Je

voudrais que les prêtres fissent une attention sérieuse à cette maxime de Bossuet dans ses lettres de direction : Conduisez de telle sorte quon puisse bientôt se passer de vous. Avec ce principe, les prêtres se ménageraient bien du temps et éviteraient bien des misères ; ils connaîtraient sans péril et avec avantage les hommes, de manière à être utiles au monde tout en le haïssant et en chérissant la solitude.

« Enfin la solitude est la mère de la force de Famé et de la puissance de la parole. L'habitude et le goût d'être dans le monde donnent d'ordinaire une flexibilité qui n'est que de la mollesse. On tâche de ne blesser personne, d'être toujours de l'avis de tous pour s'attirer l'affection universelle, et se faire dire par tout le monde : ployez donc comme il est aimable ! si bien qu'on n'a plus ni pensée-ni volonté à soi. Établissant ses jugemens sur l'opinion des autres, bien plus que sur les raisons puisées dans le fond des choses, on finit par être superficiel en tout.

On n'a ni jugement ni volonté. Cette flexibilité, cette obséquiosité passent dans les manières et la physionomie. C'est toujours une parole emmiellée, un visage riant ; et rien ne me semble plus indigne et ne m'impatiente davantage, dans

un prédicateur, que cette hilarité, cette face rieuse, cette voix flûtée, ces gestes minaudiers qu'il porte du salon, où il a fait le gracieux , dans la chaire où il traite des plus grands intérêts de Dieu et des hommes. D'autres fois, et toujours par suite du goût du monde, c'est tout l'opposé ; je veux dire une pétulance, un ton et des airs cavaliers (en harmonie parfaite avec la jactance et les façons d'une foule de jeunes gens du jour), que l'on porte dans la chaire et jusqu'à l'autel. Ces prêtres, qui affligent la foi et désolent la piété, font sérieusement penser qu'ils se sont trompés en choisissant la ceinture sacerdotale, et qu'ils auraient dû prendre le ceinturon militaire.

« De plus, la solitude étant insoutenable sans règlement, le prêtre qui s'y astreint règle sévèrement son lever, son oraison et son travail.

Or, rien ne rend l'ame forte comme de s'astreindre à une règle (1 ). Salomon a dit : U homme

(1) Nous donnerons incessamment un petit ouvrage intitulé : Règle de vie pour un prêtre. Le ministre sacré y trouvera en peu de pages tous les avis nécessaires pour travailler efficacement à son salut et à sa sanctification, en s'occupant du salut et de la perfection des autres.

qui se dompte lui-même est plus fort que celui quiprend des villes (PROV., 16, 32). Ce prince a raison. Certainement, la force d'ame du soldat en un jour de bataille est admirable, et personne ne l'admire tant que moi. Toutefois, on peut dire qu'elle est mise en action et exaltée par la gloire, la voix des chefs, le hennissement des chevaux, la multitude qui entraîne, l'enivrement de la poudre et le bruit du canon ; enfin, elle n'exige que quelques heures. Mais, se vaincre tous les jours dans le silence, sous l'œil de Dieu seul, dans les choses qui paraissent peu essentielles, c'est là ce qui donne à l'ame une vigueur et une énergie incroyables. Aussi, rien n'est fort, rien n'est actif, rien n'est impétueux dans l'Église de Dieu comme une ame fortement trempée dans une solitude longue et inexorable.

Que le ciel lui ouvre la carrière pour l'action, elle paraît, elle est d'autant plus forte et plus invincible qu'elle a été plus comprimée. C'est un ressort sur lequel a pesé long-temps un poids énorme. Otez-le, le ressort se dilate et renverse tout sur son passage. Rappelez-vous ces illustres évêques que l'antiquité allait chercher dans le secret de leurs monastères. (Rappelez-vous un saint Bernard qui ne faisait que des apparitions

dans le monde). Que de travaux, que d'entreprises, que de merveilles à la gloire de Dieu!

Un homme de solitude sera ferme dans son jugement et dans sa volonté, parce qu'il n'a pas fait le sot apprentissage de n'être jamais luimême, pour avoir le plaisir d'être toujours les autres, c'est-à-dire rien du tout. Il sera infatigable dans le travail ; il y aura dans son discours quelque chose de dominateur, qui fera sentir aux auditeurs le Dieu qui l'agite et le presse.

Son visage grave et majestueux, pour peu que la nature l'ait créé pour la parole, aura acquis, par l'habitude de la retraite, quelque chose d'élevé et de sérieux qui inspirera un respect profond, et qui fera penser au ciel ; il n'aura pas encore ouvert la bouche, et déjà il sera maître de son auditoire. »

CHAPITRE V.

DES DIFFERENS OBJETS ET DES DIFFERENTES FORMES ET CIRCONSTANCES DE LA PREDICATION.

1. On peut rapporter les différens objets de la prédication à deux principaux, qui sont le dogme et la morale, ou, en d'autres termes, les

vérités et les devoirs de la religion. Les autres objets y sont renfermés. Les sacremens, par exemple, comprennent des vérités à enseigner et des obligations à faire connaître. Il en est de même du texte de l'Écriture-Sainte qu'on explique. Il se rapporte au dogme ou à la morale. Les articles de discipline ecclésiastique y sont aussi compris, et toute la tradition. Les panégyriques et les oraisons funèbres sont des modèles qu'on met sous les yeux, ou de grandes leçons de morale qu'on donne.

2. Faut-il traiter le dogme dans la prédication? Cette question surprendrait s'il n'était pas ordinaire d'entendre aujourd'hui grand nombre de gens nous dire hardiment qu'il faut laisser le dogme aux écoles, et s'appliquer surtout

Tous les objets de la prédication sa rapportent au dogme ou à la morale.

Nécessité de prêcher le dogme aussi bien.

que la morale.

à prêcher la morale : maxime dangereuse, dans un temps surtout où l'on ne place la morale avant tout que pour laisser la religion de côté; maxime dont il est trop facile d'abuser, et qui n'est propre qu'à énerver la sainte vigueur et la majesté vénérable du ministère évangélique.

Les prédicateurs qui la mettent en pratique prêchent la morale ; mais ce n'est point la morale de l'Évangile. C'est une morale tout humaine, une morale qui, détachée des mystères dont elle tient sa sanction et sa consécration, n'est plus qu'une triste philanthropie sans vie comme sans autorité, plus propre à attiédir le cœur qu'à l'épurer et à le nourrir.

Or, comment être riche en beautés et en grands mouvemens avec des sujets si pauvres? Ce n'est point ainsi qu'on peut étendre l'empire de la parole et le domaine de l'élocution ; ce n'est point ainsi que pensaient les illustres fondateurs de la chaire française ; ce n'est point ainsi que pensait Bossuet, quand il disait : « On veut de « la morale dans les sermons, et on a raison, « pourvu qu'on entende que la morale chré« tienne est fondée sur les mystères du chris« tianisme (1 ). » Ils prêchaient donc la mo-

(1) Sermon sur l'unité de l'Église, 1er point.

raie, mais ils se gardaient bien de s'y borner, et de croire qu'ils pouvaient laisser le dogme, qu'on ne doit point confondre avec les discussions dogmatiques, et moins encore avec les subtilités de l'école. Ils croyaient sans doute que, si l'orateur qui s'attacherait seulement au dogme manquerait son but, celui qui s'astreindrait uniquement à la* morale ne le manquerait pas moins; que c'est, pour ainsi dire, sur ces deux pivots que doit rouler tout l'enseignement chrétien ; que dans cet heureux mélange réside tout son secret, parce qu'en même temps que la morale peut dépouiller le dogme d'une certaine sécheresse qui semble lui appartenir, le dogme communique à la morale ce nerf qu'elle n'a point par elle-même, et je ne sais quelle majesté qui la rend plus auguste, plus imposante et plus sainte.

3. Aussi, est-ce dans la région sublime des mystères que l'on a vu planer les aigles de la

chaire. C'est dans ces vastes réservoirs qu ils ont puisé les eaux abondantes de l'éloquence sacrée; c'est en entrant, comme le grand-prêtre , dans le saint des saints, qu'ils en rapportaient des oracles qui, sortis de ce sanctuaire, n'en paraissaient que plus vénérables. Jamais

Exemple de nos grands orateurs.

Bourdaloue et Massillon n'ont brillé davantage que dans ce genre de sermons ; et, si l'un n'a rien fait de mieux que sa Passion si renommée, l'autre n'a rien produit de plus éloquent que son sermon sur la Divinité de Jésus-Christ.

Bossuet n'est jamais plus admirable, même comme orateur, que quand il s'enfonce dans les profondeurs dogmatiques. Partout il ramène les vérités morales aux vérités mystérieuses, et il sait les enchaîner de telle sorte, qu'elles se fortifient réciproquement et se font ressortir les unes par les autres. On admire jusque dans ses oraisons funèbres ce noble accord de la doctrine et de l'éloquence. On voit qu'il veut entrer dans les puissances du Seigneur (Ps. 70, 15), tant il était porté au grand! tant son génie, qui avait besoin de l'infini, aimait à se perdre dans l'immensité, et se trouvait trop resserré dans les limites de la morale humaine ! tant il est vrai que le champ dogmatique, où les orateurs médiocres croient ne rencontrer que des épines et des ronces, produit néanmoins, pour ceux qui savent le défricher, des fruits abondans dont s'alimente le génie !

4. C'est donc pour avoir abandonné la partie doctrinale et mystérieuse, et s'être trop attachés

C'est l'abandon du dogme qui a empèché quelques prédi-

a la partie morale et humaine, que quelques

prédicateurs modernes n ont pas moins trahi leurs propres intérêts que ceux de leurs auditeurs. Ils ont payé une espèce de tribut au genre de leur siècle, en substituant aux magnificences de la révélation les pompons de leur rhétorique : par-là ils ont manqué le vrai but de l'instruction chrétienne, celui d'enrichir la morale par le dogme, et le dogme par la morale , et, se privant ainsi de la force de leurs sujets, ils ont perdu ou affaibli celle de leurs talens.

5. Et voilà d'où vient, pour le dire en passant, l'incontestable supériorité des prédicateurs catholiques sur les prédicateurs protestans.

C'est que ceux-ci puisent presque tous leurs

discours dans une raison toute nue, qui semble s'effaroucher de tout ce qui est dogme, et repousser tout ce qui est mystère. Les sujets qu'ils traitent ordinairement, ne différant guère des traités de Sénèque et de Cicéron, paraissent plus faits pour des littérateurs que pour des prédicateurs. L'autorité des saints Pères, qu'ils affectent de mépriscr, parce qu'ils ont intérêt de la méconnaître, n'est rien pour eux ; et, rougissant de citer ces grands maîtres d'éloquence - comme de vertu, ils se privent ainsi de cette

caleurs modernes de réussir.

C'est la même cause qui rend les prédicateurs proteslans si inférieurs aux prédicateurs catholiques.

manne, véritablement nourricière, qui renferme, dit Bossuet, la première sève du christianisme. En dédaignant de creuser cette mine féconde, où les prédicateurs catholiques puisent de si grandes ressources pour leurs talens, ils se trouvent réduits à leur propre force, et sont ainsi beaucoup moins loquens, parce qu'ils emploient moins les matières propres à allumer le feu de l'éloquence et à donner, pour ainsi dire, une plus grande ampleur au génie de la parole. De-là, cette froideur continue, cette absence de toute onction et de tout pathétique, sans lesquels il n'y a point d'orateur : témoin Saurin, à qui, pour être un prédicateur du premier ordre, il n'a manqué que d'être catholique, et d'avoir été élevé à l'école de Bossuet et de Bourdaloue (M. DE BOULOGNE).

6. Il ne faut jamais avancer des propositions douteuses et sur lesquelles les théologiens sont

partagés. Ce qu'on expose au public doit être clair et certain. Les prédicateurs doivent donc bannir de leurs sermons tout ce qui n'est qu'opinion. « Souvent, dit Besplas, pour faire parade de science, par un zèle indiscret, enfin par erreur, ils confondent ce qu'il est libre de croire avec le dogme même ; ou au moins ils les avoi-

Sago réserve qu'il faut avoir sur les opinions ihéologiques.

sinent si fort, que l'auditeur le plus éclairé en voit à peine la différence. C'est nuire aux intérêts les plus chers de la religion, s'écarter de son esprit, priver de ses fonctions sacrées la raison dont les droits découlent de la sagesse, ou la raison éternelle de Dieu. Que votre foi soit raisonnable, dit saint Paul. Ainsi on ne doit jamais traiter en chaire des points trop délicats; le sort et la nature des peines des enfans morts sans baptême, les droits des souverains dans les matières mixtes, la manière dont JésusChrist, réellement présent sur nos autels, existe dans l'Eucharistie, les jugemens impénétrables de Dieu sur les infidèles, etc. Laissez ces vérités formidables dans l'abîme où Dieu les a ensevelies. Il est vrai que rien n'est plus embarrassant, pour l'homme éclairé, que de bien séparer le point de foi de la croyance même ; le certain, du probable ; le dogme précis, de ce qui est seulement révélé ; enfin les différentes sortes de traditions. Mais c'est justement ici que le prédicateur fera paraître plus de sagesse. »

7. Nous rappellerons ici aux prédicateurs qu'ils doivent, dans les choses nécessaires,

c'est-à-dire dans les articles de foi, n'avoir qu'une même manière de voir, laisser à chacun

Maxime de S.

Augustin.

sa liberté pour les simples opinions, et être animés envers tous des mêmes senti mens de charité. C'est ce qui est exprimé dans cette belle maxime de saint Augustin, que les orateurs chrétiens, aussi bien que les théologiens, devraient sans cesse avoir devant les yeux : 1h necessariis unitas, in dubiis libertas) in omnibus caritas.

8. Tout ce qu'on prêche se rapporte à la morale, même le dogme qui se rapporte à la première vertu du chrétien, qui est lafoi. On doit

tout y faire tendre. La religion ne serait qu'une spéculation stérile si l'on n'en venait pas à la pratique. Toute vérité a pour conséquence des obligations à remplir. C'est à l'accomplissement des devoirs que tout doit aboutir. La vérité est une lumière qui éclaire l'esprit. La lumière n'est donnée à l'homme que pour diriger ses pas dans la route du bien, et le faire parvenir ainsi au bonheur pour lequel il est fait. Un sermon n'est solide qu'autant qu'il a pour conséquence de régler la conduite. C'est le fruit pour la pratique qu'il faut toujours considérer. Le cœur est la plus noble partie de l'homme. Quand l'intelligence est suffisamment éclairée, que les erreurs, les illusions et les préjugés sont dissipés, il faut

De la morale.

Tout s'y rapporte et doit y tendre.

s'adresser à la volonté pour la déterminer à suivre les lumières de l'esprit et l'impulsion de la conscience. C'est la volonté qui fait l'homme bon ou méchant. Le prédicateur qui oublie ces vérités prêche ordinairement sans fruit. Ses discours n'ont souvent aucun résultat pour la conduite. Il se perd dans de vaines spéculations et s'éloigne entièrement du but qu'il doit se proposer.

9. L'orateur chrétien doit donc toujours avoir en vue la réforme des mœurs. Tous ses efforts doivent tendre à retirer les ames du vice

et à les porter a la pratique des vertus. Il ne doit rien négliger pour décider les pécheurs à changer de conduite et à mener une vie chrétienne, en observant fidèlement les commandemens et en remplissant exactement les devoirs de leur état. En un mot, quelque sujet qu'il traite, il doit le faire tendre au salut de ses auditeurs.

C'est là le fruit qu'il doit toujours se proposer, et tout ce qui n'y va point est inutile pour les autres et pour lui-même.

10. Il faut aller au principal, à ce qui est le plus pressant et le plus nécessaire. On traitera donc de préférence les grands devoirs du christianisme; et par-là nous entendons ceux qui

L'orateur chrétien doit toujours avoir en vue la réforme des mœurs et le salut de ses auditeurs.

Traiter de préférence les grands devoirs du christianisme.

obligent rigoureusement pour le salut. « On ne doit pas, dit Gaichiès, s'arrêter trop long-temps à recommander de menus devoirs : il reste à traiter tant de grandes matières qu'on ne saurait épuiser. L'esprit instruit des devoirs importans, et le cœur touché des vérités essentielles, corrigeront les petits défauts. Qu'un ver ronge le

cœur de l'arbre, les feuilles tomberont bientôt.» 11. D'après la même règle, on attaquera les

grands défauts, ceux qui perdent les ames en les

mettant dans la disgrace de Dieu. On s'élèvera ensuite plus à propos contre les fautes légères.

C'est surtout dans le combat des vices que se montre toute la force de notre ministère. Nous sommes spécialement envoyés comme les prophètes pour avertir les pécheurs et les rappeler à la justice et à la vertu. Le Seigneur nous dit, comme à eux : Criez, et ne cessez de crier; élevez votre voix comme la trompette, et faites connaître à mon peuple les crimes quil a commis contre moi, à la maison de Jacob les iniquités dont elle sest rendue coupable (1). C'est

(1) Clama, ne cesses; quasi tuba exalta vocem tuam, et annuntia populo meo scelera eorum, et domui Jacob ptccata eorum. (Is., 58, 1.)

Attaquer les grands défauts.

donc avec raison que les grands maîtres nous recommandent de les imiter. On fait ordinairement par-là beaucoup plus de fruits qu'en prêchant sur les vertus, pourvu toutefois qu'on ne s'écarte pas des règles de prudence que nous avons tracées dans le chapitre précédent. Outre que la censure des vices est plus fructueuse pour les auditeurs, elle est, en même temps, plus facile pour le prédicateur. « L'attaque, dit Besplas, est beaucoup plus aisée que la défense : il suffit d'assaillir un vice d'un côté pour en faire voir toute la difformité; mais il faut défendre la vertu par toutes les avenues pour la garantir des traits du méchant. »

12. Ces considérations suffisent pour porter le prédicateur à saisir toutes les occasions qu'il

rencontre de s'élever contre les défauts ordinaires. Il peut trouver moyen de faire cette censure dans presque tous les sujets, même en prêchant sur les vertus. Pourvu qu'il se tienne dans les termes de la discrétion et de la gravité évangéliques, il est toujours sûr d'intéresser l'auditoire. Pour ne pas le fatiguer, il évitera quelquefois les attaques directes, et lancera ses traits comme par occasion. Les coups qu'il portera n'en seront que plus sûrs. Il évitera

Saisir toutes les occasions de les combattre.

aussi d'employer la même tournure. Il y a tant de manières de s'exprimer, qu'il lui sera facile de varier ses locutions.

13. La bonne manière d'attaquer les vices et

les passions n'est pas de les décomposer à l'aide du raisonnement et d'une froide méthode. Il faut plutôt grouper, accumuler les traits difformes, et faire des tableaux frappans. Cette méthode les rend plus odieux. Une censure où se trouvent trop de raisonnemens laisse trop disputer l'auditeur avec lui-même, et peut-être avec vous. Quand l'imagination est suffisamment frappée par le tableau qu'on a mis sous les yeux, ou par les faits qu'on a cités, il faut remuer le cœur par les sentimens. C'est vers le cœur que doivent se porter les forces de l'éloquence. Un sentiment vivement exprimé l'enlève et le soumet.

14. Pour combattre les vices efficacement, il ne faut pas se contenter d'exposer les motifs qui doivent les faire éviter; il faut aller plus loin,

et les poursuivre jusque dans leurs derniers retranchemens en réfutant les prétextes qu'on allègue ordinairement pour les justifier, ou du moins pour les excuser. Rien n'intéresse davantage que cette réfutation, quand l'orateur sait la

Manière de les attaquer.

Comment il faut les poursuivre en réfutant les prétextes.

faire avec tact et discernement. « On ne doit point s'objecter de difficulté , dit Gaichiès, qu'on ne puisse résoudre jusqu'à contenter les plus difficiles, s'ils sont raisonnables. Il faut, autant qu'il est possible, que la réponse soit sans réplique. Le pécheur s'agite intérieurement, pour faire valoir ses défenses et pour s'y maintenir. Il est dangereux de le combattre faiblement. Il s'affermit dans son désordre, si l'on ne fait qu'éluder ses raisons. On doit le presser, le pousser, l'abattre, puis le relever en l'encourageant. Le pathétique, soutenu de l'interrogation et des autres figures véhémentes, trouve ici sa place : on ajoute motifs sur motifs, par une gradation serrée.

N'outrons ni raisons, ni figures ; on recule vainement après s'être trop avancé. Les correctifs qui viennent après coup ne trouvent plus créance. Très-souvent les prétextes des pécheurs sont fondés sur de bons principes, mais les conséquences sont mal tirées. L'art consiste à découvrir le sophisme. Il est avantageux de tirer de l'objection même de quoi la résoudre, et de vaincre le pécheur par ses propres armes. Alors c'est lui-même qui se condamne. »

1 15. Massillon est admirable dans la réfutation des prétextes. Parmi beaucoup d'exemples,

Exemples tirés de Massillon.

citons les sui vans, que nous trouvons dans son sermon sur Xemploi du temps. Après avoir exposé plusieurs motifs qui doivent porter les gens du monde à le bien employer, il propose ainsi deux prétextes qu'ils allèguent, et les réfute en employant l'exclamation, l'interrogation et la répétition ; ce qui donne beaucoup de vivacité à son discours.

« Venez nous dire , après cela, qu'il y a bien des momens vides dans la journée; qu'il faut savoir s'amuser et passer le temps à quelque chose.

ci Il y a des momens vides dans la journée !

Mais c'est là votre crime de les laisser dans ce vide affreux ; les jours du juste sont toujours pleins. Des momens vides dans la journée ! Mais tous vos devoirs sont-ils remplis? vos maisons sont-elles réglées, vos enfans instruits, les affligés secourus, les pauvres visités, les soins de vos places et de vos dignités acquittés, les œuvres de la piété accomplies , les prières terminées, les lectures saintes finies? Le temps est si court, vos obligations si infinies, et vous pouvez encore trouver tant de momens vides dans la journée ! Mon Dieu ! que de saints solitaires se plaignaient que les jours passaient trop rapide-

ment ! Ils reprenaient sur la nuit ce que la brièveté du jour avait ôté à leurs travaux et à leur zèle : ils trouvaient mauvais que l'aurore vînt interrom pre la ferveur de leurs oraisons et de leurs cantiques ; il ne leur restait pas assez de temps, dans le calme et le loisir de leur solitude, pour publier vos louanges et vos miséricordes éternelles : et nous, chargés d'une multiplicité pénible de soins; et nous, au milieu des sollicitudes et des engagemens du siècle qui absorbent presque tous nos jours et nos momens ; et nous, redevables à nos proches, à nos enfans, à nos amis, à nos inférieurs, à nos maîtres, à nos places, à la patrie, d'une infinité de devoirs, nous trouvons encore du vide dans notre vie, et le peu qui nous en reste nous paraît trop long pour être employé à vous servir et à bénir votre saint nom !

« Mais on est trop heureux, dites-vous, de savoir s'amuser innocemment, et passer le temps à quelque chose ; mais que savez-vous si tout votre temps n'est pas déjà passé, et si vous ne touchez point au moment fatal où l'éternité commence? Mais votre temps vous appartientil , pour en disposer à votre gré ? Mais le temps passe lui-même si rapidement ; et faut-il tant

d'amusemens pour l'aider à passer encore plus vite ? Mais le temps ne vous est-il donné pour rien de sérieux, rien de grand, rien d'éternel, rien de digne de l'élévation et de la destinée de l'homme? Et le chrétien et l'héritier du ciel n'est-il sur la terre que pour s'amuser?

« Mais n'y a-t-il pas, ajoutez-vous, des délassemens innocens dans la vie? Il y en a, j'en conviens : mais les délassemens supposent les peines et les soins qui les ont précédés; et toute votre vie n'est qu'un délassement perpétuel : mais les délassemens sont permis à ceux qui, après avoir rempli tous leurs devoirs, sont obligés d'accorder quelques momens de relâche à la faiblesse humaine; mais vous, si vous avez besoin de vous délasser, c'est de la continuité de vos plaisirs et de vos délassemens mêmes; c'est de la fureur d'un jeu outré, dont la durée, le sérieux, l'application, outre la perte du temps , vous rend inhabile, au sortir de là , à vaquer à tous les autres devoirs de votre état.

Quel délassement qu'une passion effrénée qui occupe presque toute votre vie, qui épuise votre santé, qui dérange votre fortune, qui vous rend le jouet éternel de la bizarrerie du hasard!

Et n'est-ce pas dans ces maisons où règne un

jeu continuel et public, qu'on ne voit nul ordre, nulle règle, nulle discipline, tous les devoirs sérieux oubliés, des enfans mal élevés, des domestiques déréglés, des affaires en décadence , les murmures de ceux qui ont autorité sur vous, le scandale des gens de bien, la risée du public, les soupçons , et peut-être les discours sur vos mœurs, sur votre conduite, sur une vie qui vous livre, pour ainsi dire, au public, à des inconnus comme à vos concitoyens, à des sociétés qui ne siéent ni à votre rang ni à votre sexe, à des familiarités dont la réputation souffre toujours. La passion du jeu n'est jamais seule; et, dans les personnes du sexe surtout, elle est toujours la source ou l'occasion de toutes les autres : voilà ces délassemens que vous croyez innocens et nécessaires pour remplir les momens vides de vos journées !

« Ah ! mes Frères, combien de réprouvés au milieu des flammes éternelles ne demandent à la miséricorde de Dieu qu'un seul de ces momens dont vous ne savez que faire ! et, si leur demande pouvait être exaucée, quel usage ne feraient-ils pas d'un moment si précieux? Que de larmes de componction et de pénitence ! que de prières et de supplications pour toucher le 1

Père des miséricordes, et engager ses entrailles paternelles à leur rendre sa bienveillance ! Cependant on leur refuse ce moment unique; on leur répond qu'il n'y a plus de temps pour eux : et vous, vous êtes embarrassés de celui qu'on vous laisse. Dieu vous jugera, mes Frères; et au lit de la mort, dans cette heure terrible qui vous surprendra, vous demanderez en vain du temps, vous promettrez en vain à Dieu un usage plus chrétien de celui que vous tâcherez d'obtenir ; sa justice coupera sans pitié le fil de vos jours; et ce temps qui vous pèse, qui vous embarrasse, vous sera alors refusé. »

A la fin de la seconde partie, Massillon transporte au lit de la mort le mondain qui a fait de grandes choses, selon l'opinion du siècle, mais qui a négligé les devoirs essentiels que lui imposait la religion ; qui s'est occupé de tout, excepté de son salut. Il le fait entrer en quelque sorte en jugement avec Dieu même. Rien n'est plus propre à frapper les esprits que ce moyen oratoire. La tournure qu'il emploie convient parfaitement pour présenter ce que le monde estime le plus, et pour y opposer les réponses simplement solides, qui d'un côté font sentir la vanité de ce qu'on regardait comme de gran-

des choses, et de l'autre font ressortir l'importance de ce qu'on regardait comme rien. Ecoutons l'orateur : « Et que pourrez-vous lui dire au lit de la mort, lorsqu'il entrera en jugement avec vous, et qu'il vous demandera compte d'un temps qu'il ne vous avait donné que pour l'employer à le glorifier et à le servir? Lui direz-vous : Seigneur, j'ai remporté des victoires; j'ai servi utilement et glorieusement le prince et la patrie; je me suis fait un grand nom parmi les hommes?

Hélas ! vous n'avez pas su vous vaincre vousmême ; vous avez servi utilement les rois de la terre, et vous avez méprisé le service du Roi des rois ; vous vous êtes fait un grand nom parmi les hommes, et votre nom est inconnu parmi les élus de Dieu : temps perdu pour l'éternité.

« Lui direz-vous : J'ai conduit des négociations pénibles ; j'ai conclu des traités importans; j'ai ménagé les intérêts et la fortune des princes; je suis entré dans les secrets et dans les conseils des rois? Hélas! vous avez conclu des traités et des alliances avec les hommes, et vous avez violé mille fois l'alliance sainte que vous avez faite avec Dieu ; vous avez ménagé les intérêts

des princes, et vous n'avez pas su ménager les intérêts de votre salut ; vous êtes entré dans le secret des rois, et vous n'avez pas connu les secrets du royaume des deux : temps perdu pour l'éternité. Lui direz-vous : J'ai établi mes enfans; j'ai élevé mes proches ; j'ai été utile à mes amis; j'ai augmenté le patrimoine de mes pères?

Hélas ! vous avez laissé de grands établissemens à vos enfans, et vous ne leur avez pas laissé la crainte du Seigneur, en les élevant et les établissant dans la foi et dans la piété; vous avez augmenté le patrimoine de vos pères, et vous avez dissipé les dons de la grace et le patrimoine de Jésus-Christ : temps perdu pour l'éternité.

« Lui direz-vous : J'ai fait des études profondes ; j'ai enrichi le public d'ouvrages utiles et curieux ; j'ai perfectionné les sciences par de nouvelles découvertes; j'ai fait valoir mes grands talens et lesai rendus utiles aux hommes? Hélas!

le grand talent qu'on vous avait confié était celui de la foi et de la grâce, dont vous n'avez fait aucun usage; vous vous êtes rendu habile dans les sciences des hommes, et vous avez toujours ignoré la science des saints : temps perdu pour l'éternité. Lui direz-vous enfin : J'ai passé la vie à remplir les devoirs et les bien-

séances de mon état; j'ai fait des amis; j'ai su plaire à mes maîtres? Ilélas ! vous avez eu des amis sur la terre , et vous ne vous en êtes point fait dans le ciel; vous avez tout mis en œuvre pour plaire aux hommes, et vous n'avez rien fait pour plaire à Dieu : temps perdu pour l'éternité.

? « Ah ! mes Frères, quel vide affreux la plupart de ces hommes, qui avaient gouverné les états et les empires ; qui semblaient faire mouvoir l'univers entier; qui en avaient rempli les premières places ; qui faisaient tout le sujet des entretiens, des craintes, des désirs, des espérances des hommes ; qui occupaient presque seuls les attentions de toute la terre ; qui portaient tout seuls le poids des soins et des affaires publiques : quel vide affreux trouveront-ils dans toute leur vie au lit de la mort ! tandis que les jours d'une ame sainte et retirée, qu'on regardait comme des jours obscurs et oiseux, paraîtront pleins, occupés, marqués chacun par quelque victoire de la foi, et dignes d'être célébrés par les cantiques éternels. »

16. Il faut, comme nous l'avons déjà observé ailleurs (Chap. III), prendre garde de se rendre ridicule en attaquant des défauts chiméri-

Ne pas se rendre ridicule en altaquanUles défauts chimériques ou (lui ne se trouvent pas

ques, ou qui n'existent pas dans les auditeurs.

« Il se trouve, dit l'abbé Jarry, des prédicateurs

qui font des portraits de choses qui ne subsistent guère que dans leur imagination, et dont l'application ne peut presque tomber sur personne. Je me souviens d'en avoir entendu un qui, faisant le panégyrique de saint Joseph, employa toute la force de ses poumons à crier contre ces personnes de qualité qui, étant tombées dans la misère, rougissent de découvrir leur naissance; et cela, sur ce que saint Joseph, quoique pauvre, sortait du sang royal, et fut reconnu, dans le dénombrement qu'Auguste fit faire, pour être de la famille de David. Il me semble que cette invective, qui fut longue et violente, n'était guère à propos, et que le nombre de ceux qui affectent de passer pour gens de condition, sans qu'ils le soient, est beaucoup plus grand que ceux qui s'en cachent lorsqu'ils le sont en effet. » Il est prudent que l'orateur sacré, avant de monter en chaire, se fasse à lui-même ces questions : A quoi veux-je porter mes auditeurs ? Quels sont leurs défauts sur l'article que je veux traiter ? Quy a-t-il à ré,former en eux ? La réponse à ces questions dirigera sûrement sa marche, et il prêchera avec fruit.

dans les auditeurs.

17. Il faut, à l'exemple de Jésus-Christ, de saint Jean-Baptiste et des Apôtres, prêcher sou-

vent la pénitence, et rappeler Irequemment aux pécheurs la nécessité de se convertir sans délai.

Il faut leur en exposer les motifs avec tout le zèle dont on est capable. Ces motifs ont les dernières fins de l'homme, la mort, le jugement, l'enfer et l'éternité. Ce sont là, dit saint Liguori, les choses qui font d'ordinaire le plus d'impression sur les hommes , et qui les portent à changer de conduite. Une fois qu'on leur a inculqué ces grandes vérités, ils ne tardent pas à revenir à Dieu. On peut dire avec un orateur célèbre qu'elles sont le grand ressort quifait aller toute la vie chrétienne.

18. Pour rendre les conversions plus solides, il ne faut pas se borner à l'exposition des mo-

tifs de crainte (1 ) ; il faut aussi traiter ceux qui portent à l'amour de Dieu, surtout à l'amour de Jésus-Christ. C'est ce que recommandait forte-

(1) Il ne faut pas non plus se contenter d'avoir découvert les plaies et d'en avoir sondé la profondeur; il faut les guérir en indiquant les remèdes convenables : c'est-à-dire qu'il faut faire connaître aux pécheurs les moyens de se corriger des vices contre lesquels on s'est élevé.

Prêcher souvent sur la pénitence et les motifs qui doivent y porter.

Ne pas se borner aux motifs de crainte.

ment saint Liguori, qui avait tant d'expérience dans la conduite des ames. « Je vous engage, « écrivait-il à un saint religieux, à parler soucc vent de l'amour que Jésus-Christ nous a monte tré dans sa Passion et dans l'institution du « Saint-Sacrement , de même que celui qu'à « notre tour nous devons ressentir pour notre « aimable Rédempteur. Je vous dis cela, parce u qu'en général il y a très-peu de prédicateurs « qui parlent de l'amour de Jésus-Christ. Il est « certain que tout ce qui se fait par la crainte cc des châtimens, et non par amour, a peu de « durée. Un grand serviteur de Dieu disait : Je a voudrais ne pas faire autre chose que d'al<( 1er partout préchant : Ainzez Jésus-Christ, « aimez Jésus-Christ, car il le mérite. »

19. Quoique nous ayions dit qu'on doit prêcher de préférence sur les grands devoirs de la religion , cela n'empêche pas que, dans certaines circonstances, on ne soit tenu de parler aussi des conseils et des choses qui ne sont qu'à dévotion. Le prédicateur se doit à tous, et, quoique les pécheurs fassent l'objet principal de ses soins, il ne doit pas négliger les justes. Il est de son devoir de les porter à travailler avec zèle à leur avancement spirituel. Il faut que celui qui

Il faut porter icsamesàia perfection.

est juste se justifie encore, et que celui qui est saint se sanctifie encore ; qui justus est, justificatur adhuc : et sanctus, sanctificetur adhuc. (Apoc., 22, 11.) On ne doit pas laisser ignorer aux ames généreuses, qui sont susceptibles d'une grande vertu, les principes et les degrés de la perfection.

Il est bon de leur apprendre qu'elles ont encore quelque chose à faire, si elles veulent se rendre plus agréables à Dieu et mériter un plus grand bonheur dans l'éternité. Il faut leur rappeler les divins enseignemens que donne NotreSeigneur à ceux qui veulent être parfaits, et leur remettre sous les yeux les grands modèles que leur présente la religion. Il faut enfin porter chacun à se sanctifier dans sa position et à r épondre fidèlement à la grâce.

Il ne faut souvent qu'un mot d'un sermon pour faire éclore une vocation. Saint Antoine quitta le monde après avoir entendu ces paroles de Jésus-Christ qu'on lisait à l'Église quand il y entra : Si vous voulez être parfait, allez; vendez ce que vous avez, et le donnez aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel ; puis venez, et me suivez (MATH., 19, 21). Nous ne sommes que des instrumens dont il plaît à

Dieu de se servir pour accomplir son œuvre.

C'est lui qui parle aux cœurs de ceux qui nous écoutent, tandis que notre parole frappe leurs oreilles. Ne négligeons donc rien pour répondre à ses desseins sur les ames, et faisons tous nos efforts pour augmenter sa gloire, en contribuant à la sanctification du prochain.

20. Un objet assez fréquent du discours chrétien est celui des fêtes. S'il s'agit des fêtes de Notre- Seigneur et des grands mystères de la religion, on suivra les règles que nous avons données sur le dogme. Pour ce qui regarde les fêtes des saints, nous allons faire quelques observations.

21. On appelle panégyriques les discours consacrés à la louange des saints. Pour les rendre fructueux (ce qui doit toujours être le but invariable des orateurs sacrés), il ne faut pas se borner à un simple éloge du saint. Un panégyrique ne vaut rien quand il n'y a point de morale. Il ne faut parler que pour instruire et rendre meilleurs ceux qui nous écoutent. Il ne faut louer un héros chrétien que pour apprendre ses vertus au peuple, que pour l'exciter à les imiter, que pour montrer que le vrai bonheur et la vertu sont inséparables. « Ainsi, dit

Des fêtes.

Des panégyriques. nègles sur cette matière.

(re RÈGLE. —

Ne pas se borner à un simple éloge du saint, et ne pas tomber dans des exagérations.

« Fénélon , il faut retrancher d'un panégyricc que toutes les louanges vagues, excessives, a flatteuses; il n'y faut laisser aucune de ces a pensées stériles, qui ne concluent rien pour « l'instruction de l'auditeur; il faut que tout « tende à lui faire aimer la vertu. Au contraire, « la plupart des panégyristes semblent ne louer « les vertus que pour louer les hommes qui « les ont pratiquées, et dont ils ont entrepris « l'éloge. Faut-il louer un homme? Ils élèvent « ses vertus au-dessus de toutes les autres.

« Mais chaque chose a son tour : dans une auv tre occasion, ils déprimeront les vertus qu'ils « ont élevées, en faveur de quelque autre sujet « qu'ils voudront flatter. »

« Le prédicateur, dit saint François de Bor« gia, doit s'abstenir des comparaisons odieuses « sur l'excellence de la vertu d'un saint au« dessus de celle des autres; car, outre que « ces discours ne produisent aucun fruit parmi « les fidèles, ils pourraient encore susciter des « affaires fâcheuses au prédicateur, si on les « pesait et les examinait à la rigueur. Il est « donc plus sûr et plus sage de parler des (( saints avec simplicité et avec modération.

« Ce n'est point assez de louer les saints et

« d'exalter leurs vertus; il faut indiquer aux « auditeurs les moyens" à prendre et la voie à « suivre pour les imiter, et montrer en même « temps les épines qui embarrassent et rendent « difficile le chemin qui conduit à la vie éter« nelle. Il faut indiquer plusieurs moyens dif« férens, et qu'ils soient faciles, afin que chacun « y puisse trouver celui qui lui convient da« vantage. »

22. Quelques prédicateurs ont coutume, quand ils font l'éloge d'un saint, de réduire

toutes ses actions et toutes ses vertus à un plan arbitraire ( 1 ). Cette méthode ne sert qu'à montrer de l'esprit, et n'a aucune utilité pour

(1) Il est question ici d'un plan subtil et ingénieux qui n'a aucun fondement réel dans la vie du saint, c'est-à-dire auquel on ne peut naturellement rapporter ses actions. On ne condamne donc pas la méthode des prédicateurs qui, saisissant bien le caractère particulier du saint, le font connaître tel qu'il est, en rapportant ses actions à un plan général qui les renferme réellement. Cette méthode est même nécessaire pour mettre de l'ordre dans le discours; mais il ne faut pas s'y astreindre trop scrupuleusement èt y rapporter de force tout ce que le saint a fait. Ce serait, tomber dans les défauts contre lesquels Fénélon s'élève avec raison.

2me RÈGLE. Bien faire connaître son héros.

les auditeurs. « Elle me paraît fausse, dit Fénélon, pour la plupart des sujets. C'est forcer les matières, que de vouloir les réduire toutes à un seul point. Il y a un grand nombre d'actions dans la vie d'un homme qui viennent de divers principes, et qui marquent des qualités très-différentes. C'est une subtilité scholastique, et qui marque un orateur très-éloigné de bien connaître la nature, que de vouloir rapporter tout à une seule cause. Le vrai moyen de faire un portrait bien ressemblant est de peindre un homme tout entier; il faut le mettre devant les yeux des auditeurs, parlant et agissant. En décrivant le cours de sa vie, il faut appuyer principalement sur les endroits où son naturel et sa grace paraissent davantage; mais il faut laisser un peu remarquer ces choses à l'auditeur. Le meilleur moyen de louer le saint, c est de raconter ses actions louables. Voilà ce qui donne du corps et de la force à un éloge; voilà ce qui instruit, voilà ce qui touche. Souvent les auditeurs s'en retournent sans savoir la vie du saint dont ils ont entendu parler une heure (1). Tout au

(1) « Eh! qu'est-ce donc, dit Maury, qu'un éloge qui ne peint point l'homme auquel il est consacré,

plus, ils ont entendu beaucoup de pensées sur un petit nombre de faits détachés et marqués sans suite. Il faudrait, au contraire, peindre le saint au naturel, le montrer tel qu'il a été dans tous les âges, dans toutes les conditions et dans les principales conjonctures où il a passé.

Cela n'empêcherait point qu'on ne remarquât son caractère; on le ferait même bien mieux remarquer par ses actions et par ses paroles, que par des pensées et des dessins d'imagination.

(c Vous voudriez donc, me direz-vous, faire l'histoire de la vie d'un saint, et non pas son panégyrique? Non, je ne ferais point une narration simple. Je me contenterais de faire un tissu des faits principaux; mais je voudrais que ce fut un récit concis, pressé, vif, plein de

et à la fin duquel je suis encore forcé d'aller consulter son histoire, si je veux me former une idée juste et complète de son caractère, ou seulement de sa vie? » On ne peut appeler panégyriques ces discours où il n'est question du saint que dans certains endroits. Dans un panégyrique, le saint doit faire le principal objet du discours. Les auditeurs sont ordinairement mécontens (et avec raison) quand on leur parle de tout autre chose que du saint qu'ils viennent honorer, ou qu'on ne leur en dit que quelques mots comme par occasion ou comme un simple accessoire.

mouvemens. Je voudrais que chaque mot donnât une haute idée du saint, et fût une instruction pour l'auditeur. A cela j'ajouterais toutes les réflexions morales que je croirais les plus convenables. Ne croyez-vous pas qu'un discours fait de cette manière aurait une noble et aimable simplicité ? Ne croyez-vous pas que les vies des saints en seraient mieux connues, et les peuples plus édifiés? Ne croyez-vous pas même, selon les règles de l'éloquence que nous avons posées, qu'un tel discours serait plus éloquent que tous ces panégyriques guindés qu'on voit d'ordinaire? »

23. a Lorsque le sujet d'un panégyrique est fécond en événemens, la morale, dit Maury, doit naître de la narration historique, sans l'interrompre, sans que les faits soient étouffés sous un amas de réflexions triviales qui se présentent assez d'elles-mêmes à tous les auditeurs (1 ).

(1) Il faut prendre garde de trop multiplier les réflexions et de trop les étendre. Il convient de laisser quelque chose à l'esprit de l'auditeur. L'orateur doit savoir que la perfection de son art consiste plutôt à faire beaucoup penser qu'à tout dire. On est plus sensible à ses propres réfléxions qu'à celles d'autrui.

3me Cl itÈGLES.— Éviter le trop grand nombre de réflexions morales et les réflexions prolixes; faire une distribution progressive des événemens , sans trop s'astreindre à l'ordre chronologique , et sans trop s'en écarter.

« Une méthode trop didactique serait funeste au discours, dont elle suspendrait la marche progressive. Pénétrez-vous donc profondément du caractère distinctif et des actions dominantes du héros que vous célébrez; étudiez et saisissez d'abord les traits particuliers les plus saillans de son génie, de son ame et de ses vertus; environnez-le de ses contemporains, et peignez les intérêts, l'esprit, les mœurs de son siècle ; rassemblez, rapprochez tous les détails de sa vie qui tendent au même but, pour en former vos tableaux oratoires ; classez et présentez-nous en mouvement, en action, dans des cadres tirés des livres saints, les faits analogues, les talens, les actions vertueuses, les revers , les entreprises éclatantes, les succès, les obstacles, les triomphes que l'histoire offre à vos pinceaux; et vous donnerez ainsi à vos éloges toute la rapidité d'une composition oratoire, toute la progression du raisonnement, tout l'intérêt de l'éloquence.

« A Dieu ne plaise que j'approuve la méthode assoupissante de ces froids panégyristes, dont l'ineptie confond la distribution oratoire avec l'ordre chronologique, de ces orateurs didactiques sur lesquels retombe l'anathême de Boi-

leau contre les poètes sans chaleur et sans verve, qu'on voit se traîner, comme à la tâche, sur la ligne des événemens, et qui, sacrifiant infidèlement la marche du discours au calcul des dates, glaçant leurs récits de peur de déranger la série des faits, Maigres historiens, suivront l'ordre des temps.

Ils n'osent, un moment, perdre un sujet de vue.

Pour prendre Dôle, il faut que Lille soit rendue, Et que leur vers, exact ainsi que Mézerai, Ait déjà fait tomber les remparts de Courtrai.

« Il ne faut jamais perdre de vue, dans le plan d'un panégyrique, l'ordre progressif ou la disposition oratoire des événernens, afin que l'éloge ainsi gradué, non sur la seule suite historique, mais sur les rapports intimes des actions louables qui doivent commander l'admiration , puisse monter et se soutenir à la hauteur de l'éloquence , par l'heureux et riche développement du sujet. Eh quoi ! Bossuet a su écrire en style oratoire (et de quel style!) l'histoire du genre humain; et vous, orateur de profession, qui n'avez pas assurément tant de difficulté à vaincre, vous ne sauriez appliquer ce même genre de talent à la vie publique d'un héros de la religion, dont la gloire est confiée à votre ministère ?

« Une fois lancé dans la carrière que vous avez tracée vous-même, avancez toujours sans jamais revenir sur vos pas. Dès que vous ne marchez plus en avant, l'auditoire s'arrête avec vous et s'endort au milieu de vos mouvemens rétrogrades. C'est ce qu'on éprouve quand, après avoir lu dans Mascaron ou dans Massillon toutes les cisconstances de la mort de Turenne ou du martyre d'un saint, on entend ces deux orateurs annoncer la seconde partie du même panégyrique. Cette confusion du plan bouleverse l'intérêt du sujet. »

24. Pourquoi la plupart des panégyriques ne produisent-ils aucun fruit? C'est, dit saint Li-

guori, que les orateurs remplissent leurs discours de phrases recherchées et de mots affectés, pour s'attirer des éloges, tandis qu'ils ne devraient songer qu'à porter les auditeurs à l'imitation du saint dont ils peignent la vertu. Le but du panégyrique est de conduire les auditeurs à une meilleure vie par les exemples des saints ; mais combien peu d'orateurs s'occupent de chercher ce résultat ! « En vérité, ajoute le saint évêque de Sainte-Agathe, quel profit retirer des panégyriques composés par des érudits qui les remplissent de fleurs, de pensées ingé-

SITI" ftÈGLE. S'oublier soimême.

nieuses, de descriptions, de paroles redondantes, de périodes tirées, le tout si éloigné de la commune intelligence, que- pour le comprendre il faut que le savant même prête toute son attention , chose qui convient à peine pour les discours académiques, où l'orateur n'a d'autre but que d'acquérir de la réputation.

Quelle manière, grand Dieu ! disait un homme que j'ai connu, que de voir un ministre de Jésus-Christ perdre beaucoup de temps pour arrondir des périodes et entasser ornemens sur ornemens! Et que résulte-t-il de-Ià? Y a-t-il profit pour l'orateur ou pour les auditeurs?

Pour le premier un peu de fumée; pour les autres, rien, ou à-peu-près rien, parce qu'ils ne comprennent pas, ou que, s'ils comprennent, ils perdent le temps à s'entretenir de ce vain murmure de mots qu'ils ont entendu, de ces pensées qui les ont frappés en passant. Je connais un orateur qui avait besoin de six mois pour composer un panégyrique. Des personnes dignes de foi m'ont assuré que, lorsqu'il sentit sa mort prochaine , il donna l'ordre de jeter au feu tous ses écrits. On m'a assuré de plus que, s'entendant louer un jour pour ses panégyriques, il ne put retenir cette exclamation : Hélas ! ce sont ces.

panégyriques qui me feront condamner ! Si l'on veut que le panégyrique soit profitable, qu'on le fasse avec cette éloquence populaire et intelligible, qui instruit et touche les savans, et qui, plus d'une fois, n'est pas assez connue de tel qui se figure être plus savant que les autres. Oh!

plût au ciel qu'on abolit à jamais dans l'Église les panégyriques pleins de vent, pour y substituer des discours dans le genre simple et familier! »

- 25. Un orateur qui n'a en vue que la gloire de Dieu et le salut des ames, ne craindra pas, en proposant l'exemple des saints, d'entrer dans des détails utiles. Sans tomber dans le trivial, il trouvera moyen de faire connaître les circonstances qui font ordinairement le plus d'impression, et d'entrer, pour ce qui regarde l'application à la conduite des auditeurs, dans les détails convenables. C'est ainsi qu'il rendra ses panégyriques solides et vraiment profitables.

Il faut bien se garder de se laisser aller au goût dominant et de prendre, en cette matière, les idées des littérateurs du jour qui ne visent qu au brillant. « On a tant peur dans notre nation « d'être bas, dit Fénélon, qu'on est d'ordinaire « sec et vague dans les expressions. Veut-on

rime REGLE. c pas craindre d'entrer dans d:'s détails utiles aux auditeurs.

« louer un saint ? on cherche des phrases ma« gnifiques ; on dit qu'il était admirable, que « ses vertus étaient célestes, que c'était un ange, « et non pas un homme ; ainsi , tout se passe en u exclamations sans preuve et sans peinture.

« Les Grecs se servaient peu de tous ces termes « généraux qui ne prouvent rien; mais ils cite taient beaucoup de faits. Par exemple, Xé« nophon, dans toute la Cyropédie, ne dit pas « une fois que Cyrus était admirable; mais il « le fait partout admirer. C'est ainsi qu'il faute drait louer les saints, en montrant le détail de f< leurs senti mens et de leurs actions. »

26. Ce que nous avons dit des panégyriques peut s'appliquer en partie aux oraisons funèbres. On ne peut les admettre qu'autant que ceux qui en sont le sujet seront des modèles dignes d'être imités, à moins qu'en avouant leur faiblesse, on en tire d'utiles leçons. Les auditeurs seraient scandalisés s'ils entendaient louer ce qui est blâmable. On ne doit pas plus flatter les morts que les vivans ; ou plutôt, on est obligé de ménager les vivans , mais on ne doit que la vérité aux morts. Cependant il n'est pas défendu d'excuser ce qui est excusable.

Les louanges funèbres doivent toujours avoir

Des oraisons funèbres.

pour but d'instruire et d'édifier les vivans, en rendant hommage aux bonnes qualités des morts. Il ne faut pas se contenter de louer pour louer. « C'est par ce principe, dit Fénélon, que « je blâmerai Pline. S'il avait loué Trajan pour « former d'autres héros semblables à celui-là , « ce serait une vue digne d'un orateur. Trajan, « tout grand qu'il est, ne devrait pas être la fin « de son discours : Trajan ne devait être qu'un « exemple proposé aux hommes pour les inviter « à être vertueux. Quand un panégyriste n'a « que cette vue basse de louer un seul homme, « ce n'est plus que la flatterie qui parle à la « vanité. »

L'oraison funèbre prononcée dans l'église par un orateur sacré ne doit pas ressembler à un éloge prononcé par un académicien dans une assemblée profane. L'autorité, la science ou les talens ne sont pas des titres suffisans pour mériter les honneurs d'un panégyrique. Il faut des vertus. « Devrait-il suffire, dit Labruyère, « d'avoir été grand et puissant dans le monde « pour être, louable ou non, et devant le saint « autel et dans la chaire de vérité, loué et célé« bré à ses funérailles P N'y a-t-il point d'autre « grandeur que celle qui vient de l'autorité et

« de la naissance? Pourquoi n'est-il pas établi a de faire publiquement le panégyrique d'un « homme qui a excellé pendant sa vie dans la « bonté, dans l'équité, dans la douceur, dans « la fidélité, dans la piété ? Ce qu'on appelle « une oraison funèbre n'est aujourd'hui bien « reçue du plus grand nombre des auditeurs « qu'à mesure qu'elle s'éloigne davantage du rr discours chrétien, ou, si vous l'aimez mieux « ainsi, qu'elle approche de plus près d'un « éloge profane. »

Quand les circonstances nous obligent de louer (1) un homme qui n'est pas louable en tout, il faut se borner à louer ce qui mérite de l'être, et prendre garde, pour le reste, de blesser les convenances et la vérité. Un orateur chrétien doit se souvenir du caractère dont il est revêtu et savoir se respecter. Il doit aussi penser au lieu où il parle et au Dieu qui l'écoute (2).

(1) Il est bon de rappeler ici aux prédicateurs que, pour faire en public une oraison funèbre, ils doivent avoir l'autorisation de l'ordinaire, surtout quand il s'agit des laïques. C'est du moins une règle suivie dans plusieurs diocèses.

(2) On peut appliquer ce que nous disons ici aux compliment de réception et d'étiquette qu'on est obligé de faire dans plusieurs circonstances à des per-

27. Une matière qui a fait l'objet le plus habituel des prédications des saints Pères, est l'Ecriture- Sainte. Ils en expliquaient de suite des livres entiers. On appelait homélies ou paraphrases ces sortes de discours. Ce n'est pas l'usage aujourd'hui dans l'Église de faire ainsi l'explication suivie des livres saints. Cette explication n'a lieu que dans les séminaires (1).

On se contente d'expliquer au prône l'Évangile du jour, ou du moins quelque partie.

28. On ne peut adopter la même marche pour tous les Évangiles, parce que les sujets qui y sont renfermés sont très-différens. La bonne méthode est de ne pas embrasser pl usieurs sujets, mais de se borner à un seul, en laissant les autres pour les années suivantes , à moins que le sujet de l'évangile ne soit simple, comme, par exemple, celui de la Sexagésime, où se trouve la

sonnages vivans. Ces sortes de discours demandent beaucoup de tact et de prudence. Ils doivent ordinairement être très-courts.

.T i 1 r • ■ 1 ■ : I

(1) lous parions des séminaires uien reg ies, cai Il s'en trouve où il n'y a pas de cours spécial d'Ecriture-Sainte. On donne à apprendre aux élèves quelques versets qu'on fait réciter avant la leçon de théologie , et qu'on ne prend pas toujours la peine d'expliquer. Ce n'est pas là étudier les livres saints.

De l'explication de l'Écriturc sainte ou des homélies et des paraphrases.

Méthode à suivre.

parabole de la semence et autres semblables.

Quand on veut tout expliquer, on n'approfondit rien. On ne fait qu'effleurer les matières.

« Ajoutez à cela, dit Grenade, qu'une des principales 'fonctions du prédicateur étant de toucher et de remuer les esprits et les cœurs, et ces mouvemens salutaires ne pouvant être vivement excités qu'ensuite de la preuve et de l'amplification du sujet, il suit de là que plus le sujet est fortement prouvé et vivement amplifié, plus il peut toucher et remuer efficacement les esprits, et faire de vives impressions dans les cœurs de ceux qui l'entendent; et, comme quiconque se propose moins de points à traiter a toujours plus de temps pour prouver et étendre amplement chaque chose, on voit, par conséquent, qu'il peut inspirer de plus vifs sentimens de ce qu'il veut persuader, et y porter plus ardemment les esprits; ce qui est un avantage que n'ont pas ceux qui s'engagent à en traiter plusieurs dans un espace de temps très-court. »

Outre l'Évangile, on peut expliquer l'Épître de la même manière, ou quelques-uns des autres passages de l'Écriture qui font partie des offices publics. On peut même prendre dans les livres saints des morceaux choisis et en faire la matière

d'instructions solides. C'est une très-bonne méthode que d'expliquer les principes de la doctrine évangélique, en prenant pour base les passages de l'Écriture qui leur servent de fondement. « Représentez-vous, dit Fénélon, (( quelle autorité aurait un homme qui ne dirait « rien de sa propre invention, et qui ne ferait « que suivre et expliquer les pensées et les paro« les de Dieu même. D'ailleurs, il ferait deux « choses à la fois : en expliquant les vérités cc de l'Ecriture, il en expliquerait le texte, et « accoutumerait les chrétiens à joindre toujours « le sens et la lettre. Quel avantage pour les cc accoutumer à se nourrir de ce pain sacré ! Un « auditoire qui aurait déjà entendu expliquer a toutes les principales choses de l'ancienne loi, « serait bien autrement en état de profiter de « l'explication de la nouvelle, que ne le sont « la plupart des chrétiens d'aujourd'hui. »

Si l'on ne veut pas expliquer ainsi l'Écriture, il faut du moins ne pas négliger de la citer à propos et d'en faire voir le sens pour appuyer ce qu'on dit. On peut l'étendre et le paraphraser, pourvu qu'on reste dans les bornes convenables.

Rien ne donne plus de force au discours. On peut aussi faire des allusions heureuses qui ont le meilleur effet.

29. Soit qu'on explique l'Évangile, ou toute autre partie de l'Écriture-Sainte, il faut bien se garder de forcer le texte comme font plusieurs, qui l'altèrent et le falsifient, ou y donnent de violentes contorsions. « Il faut, dit Grenade, avoir soin de prendre toujours celui qu'elle présente d'elle-même à l'esprit, lorsqu'on s'applique à la lire avec une soigneuse attention ; préférer toujours ce qui peut le plus régler les mœurs, reprendre et corriger les vices, et renoncer à toutes les vaines subtilités d'esprit et à tout ce qui flatte la curiosité des hommes. »

30. Pour bien saisir le sens de l'ÉcritureSainte , il faut que l'étude que le prédicateur en fait soit sanctifiée par l'humilité, qu'elle soit toujours précédée de là prière, et accompagnée d'un soin proportionné à l'excellence et à la difficulté de la chose dont il s'occupe; c'est ainsi qu'il méritera que Dieu dévoile à ses yeux les vérités cachées, et lui montre à découvert celles qui sont comme couvertes de ténèbres.

Car Dieu a coutume de révéler aux petits et aux simples les choses qu'il cache aux grands et aux sages du siècle (MATH., 11, 25); et ce que les hommes orgueilleux et remplis de curiosité ne peuvent obtenir, il le donne aux humbles.

Ko pas forcer le texte.

Ce qu'il faut faire pour bien saisir le sens de J'Écriture - Sainte.

Après avoir lu avec attention les interprètes sacrés, il faut qu'il rumine soigneusement leurs explications , qu'il les considère attentivement, et qu'il mette en ordre ce qu'il aura trouvé; qu'il imprime aussi dans son cœur, par une méditation attentive et affectueuse, cette doctrine sacrée, et qu'il enrichisse son ame des trésors de Dieu et de ceux des saints Pères amis de Dieu. (SAINT FRANÇOIS DE BORGIA.) 31. « Ce serait, dit Gaichiès, une pratique utile et agréable aux fidèles de leur expliquer ce qu'ils ont le plus ordinairement à la bouche

pour louer Dieu: l'oraison Dominicale, le Symbole des Apôtres, certains psaumes. Les réflexions qu'on en tirerait se présenteraient quand ils les récitent. »

Ce serait aussi une chose bien avantageuse pour le peuple que d'être instruit sur les cérémonies qui ont lieu, soit dans les offices, soit dans l'administration des sacremens. Les fidèles profiteraient beaucoup mieux de ce qu'ils voient dans l'église , et trouveraient plus de goût à en être témoins.

32. Les formes de la prédication varient selon les sujets qu'on traite. On distingue, comme nous l'avons vu, les discours dogmatiques et

De l'explication des prières et des cérémo- nies tlu culte publie.

Des différentes formes de la prédication.

moraux, les panégyriques et les oraisons funèbres, les homélies ou paraphrases de l'ÉcritureSainte, et les explications des prières et des cérémonies de l'Église. Ces formes peuvent se diviser plus exactement, en distinguant, selon l'usage, les sermons, les prônes, les gloses, les avis, les exhortations et les conférences.

33. On appelle sermons les discours réguliers qui sont composés selon les règles oratoires. Ils ont lieu dans toutes les occasions solennelles, et lorsque les circonstances permettent de développer convenablement les matières. Nous traiterons des différentes parties du sermon dans le chapitre suivant.

34. Les prônes ne doivent différer des sermons que par la forme, qui est moins régulière, ou plutôt moins complète ( car il faut toujours' qu'il y ait de l'ordre) , et par la durée, qui est plus courte. Les sermons sont ordinairement de trois quarts d'heure, une heure au plus, et les prônes d'une demi-heure seulement. Les prônes proprement dits ont lieu à la messe paroissiale , pendant laquelle on ne peut faire des instructions étendues.

35. On appelle gloses les instructions qui ont pour objet d'expliquer ou de développer un

Des sermons.

Des prônes.

Des gloses.

texte ou une formule. La glose prend le nom d'homélie quand le texte qu'on explique est tiré de l'Ecriture-Sainte, comme les épîtres et les évangiles, les psaumes, etc. On peut faire des gloses sur le Symbole, les Commandemens, l'oraison Dominicale et les autres prières de l'Église, l'examen de conscience, et en général sur tout le catéchisme. Les gloses sont ce qui instruit le mieux les fidèles, parce qu'on y entre dans des détails plus familiers, et qu'on y explique la religion d'une manière plus complète et plus suivie.

36. Les avis sont des avertissemens qu'on donne aux fidèles dans différentes circonstances.

Ils sont plus courts que les prônes. Les exhortations ont pour but de faire entrer les auditeurs dans les sentimens et les dispositions convenables, soit pour approcher d'un sacrement ou célébrer une fête, soit pour bien remplir un des autres devoirs que leur imposent la religion et la piété.

Les avis s'adressent à l'esprit et rappellent ce qu'on a besoin de ne pas oublier dans la circonstance. Les exhortations s'adressent au cœur.

Elles sont ordinairement jointes aux avis, et comme eux durent peu. Quand les avis et les exhortations viennent à propos, ils produisent

Des avis et des exhortations.

quelquefois plus d'effet que les grands discours.

Il faut dire peu et bien , ce qui demande beaucoup de tact et d'expérience.

37. Les conférences proprement dites sont des discours en forme de dialogue. Elles sont faites par un prédicateur et un interlocuteur sur des matières sujettes à discussion, ou sur des points de morale où l'on a à réfuter différens prétextes. Ce genre d'instruction intéresse vivement les auditeurs (1). Il n'a ordinairement lieu que pendant les missions. Pour faire ces conférences sans danger, il faut, dans celui qui fait les objections, une grande discrétion et une grande prudence. Il doit se souvenir qu'il y a

(1) Surtout si l'interlocuteur qui les représente sait si bien amener les objections les plus ordinaires, que chacun soit satisfait intérieurement, en lui entendant objecter ce qu'il a lui-même dans l'esprit. Alors on est dans la plus vive attente de la réponse, et les paroles du prédicateur sont saisies avec une sorte d'avidité.

Pour donner plus d'intérêt au dialogue, il faut ( lorsque le prédicateur a fait son introduction et établi ses principales preuves ) que, d'une part, l'interlocuteur ne fasse pas des demandes trop courtes et trop sèches, et que, d'autre part, le prédicateur ait soin de reprendre les demandes avant d'y répondre,

Des conférences proprement dites , ou des dialogues.

des difficultés plus faciles à saisir par le peuple que les réponses qu'on y fait. Ces réponses peuvent être solides et bien saisies par les gens éclairés; mais le peuple, n'ayant pas assez d'instruction pour les comprendre, ne retiendra que l'objection. Alors on produira un effet tout contraire à celui qu'on voulait obtenir. On fera naître des doutes dans ceux qui n'en avaient peut-être pas, et on laissera dans leurs préjugés ceux qui se faisaient illusion. Pour éviter cet inconvénient, le prédicateur et l'interlocuteur auront soin de bien s'entendre. Celui qui devra faire les difficultés veillera beaucoup sur luimême , pour ne pas sortir des bornes prescrites et convenues. Il faut que les réponses soient bien choisies , aisées à saisir par le plus grand

et qu'il évite de parler trop long-temps. Il ne faut pas qu'on s'aperçoive trop que l'interlocuteur joue un rôle, et qu'on puisse lui reprocher de se rendre trop facilement. Les meilleures conférences sont celles où il y a le plus de naturel et de simplicité.

On aura soin aussi de disposer tellement les matières, que l'intérêt aille toujours croissant. En un mot, on prendra toutes ses mesures pour que les auditeurs s'en retournent satisfaits et qu'ils reviennent aux instructions avec un nouvel empressement, non par pure curiosité, mais avec un vrai désir de s'instruire et de profiter.

nombre, et, par conséquent, claires, frappantes et sans réplique. Alors la conférence aura un résultat satisfaisant et produira le plus grand bien, surtout si l'on évite un autre inconvénient dont nous allons parler.

II faut prendre garde de perdre la sainte gravité qui doit toujours accompagner le discours chrétien. « Le dialogue, dit Gaichiès, peut « aisément devenir puéril. Il faut éviter cet « écueil avec un soin religieux. Le caractère « de la chaire est sérieux, la plaisanterie en est « bannie. Agréable sur le théâtre, amusante « dans la conversation, elle serait ici sacrilège.

« Elle ôterait au prédicateur l'autorité et l'onc(( lion, à l'auditeur le recueillement et la com« ponction. Les mœurs chrétiennes proposent « un modèle qui a pleuré et qui n'a jamais ri. »

38. Il y a des conférences sur lesquelles il est bon de faire quelques observations. Ces conférences sont celles que les sectaires désirent quelquefois avoir avec les prêtres catholiques.

S'il s'agit de conférences publiques, on né doit jamais permettre qu'elles se fassent dans le lieu saint, où la vérité seule doit retentir. Il ne faut pas souffrir qu'une bouche impie vienne vomir le mensonge et le blasphême en présence du Saint

Des conférences avcc les sectaires.

des Saints et du Dieu de vérité. La chaire catholique est réservée aux seuls ministres légitimes. Eux seuls ont mission pour porter officiellement la parole devant le peuple chrétien.

Ce n'est pas d'ailleurs l'usage de l'Église de disputer (1 COR., 11 , 16). Le ministère sacré est trop sublime par son origine céleste pour s'abaisser à des contestations comme celles qui ont lieu entre les philosophes ; il est trop fort par son autorité divine et par la possession assurée de la vérité et de l'infaillibilité pour craindre les vains discours des hommes. L'Évangile du Dieu de paix doit être annoncé paisiblement.

Jésus-Christ est venu plein de douceur et de mansuétude (MATH., 21, 5). Il n'a point contesté, il n'a point crié, on n'a pas entendu sa voix dans les places publiques (Ib.) 12, 19). Il a prêché avec calme et simplicité sa doctrine céleste. Imitons sa conduite.

Les conférences particulières peuvent sans doute avoir lieu avec les sectaires, dans l'intérêt du satiut des ames égarées de bonne foi ; mais il ne faut pas que ce soit dans l'église, ni en présence des fidèles. Cela tournerait, comme l'observe saint Paul, à la subversion des auditeurs (2 Tim. , 2, 14), par la grande raison que la

multitude saisit toujours mieux les objections que les réponses, surtout quand le cœur est intéressé au triomphe de l'erreur. Et dans quel temps la corruption, fille du mensonge, fut-elle plus grande que dans notre malheureux siècle ?

C'est donc une prudence animée par le vrai zèle, et une sagesse que l'expérience confirme, qui empêchent d'accorder des conférences publiques aux sectaires.

Assez de triomphes ont marqué les pas de l'Église dans son passage à travers les siècles, pour n'avoir pas à craindre le reproche de faiblesse dans le refus que font les premiers pasteurs de permettre les conférences publiques sur la religion , surtout en présence des fidèles.

Il ne convient pas que la mère des chrétiens s'abaisse à disputer avec des enfans rebelles.

Ceux qui sont dans l'erreur de bonne foi ne manquent pas de moyens pour s'éclairer, et ils sont assez raisonnables pour sentir les inconvéniens graves des disputes publiques. Outre qu'elles blesseraient la dignité de l'Eglise , elles exposeraient la cause de la vérité à être compromise aux yeux de la multitude, qui manque des lumières nécessaires pour saisir certaines vérités trop relevées pour sa capacité. De plus,

ces conférences , loin de convertir, ne feraient qu'animer et indisposer de plus en plus les esprits. La passion s'en mêlerait, et, au lieu de produire de bons effets, elles auraient pour tous les plus fàcheux résultats. Je dis pour tous, parce que les uns n'arriveraient point à la vérité, et que les autres risqueraient de blesser la reine des vertus, qui est la charité. L'expérience ne l'a fait voir que trop souvent. Il faut donc se contenter des conférences particulières, soit dans des entretiens (1), soit dans des réunions choisies (2), faites ailleurs que dans le lieu saint.

(Voyez ce qui regarde les controverses dans le chapitre VII. )

39. Outre les conférences dont nous venons de parler, il en est un autre genre qui est trèsutile dans les retraites et les synodes : ce sont les conférences ecclésiastiques. Nous appelons

(1) Il faut avoir soin de nommer, pour diriger les discussions et empêcher le désordre et les abus , des arbitres sages et exempts de passions. On choisit pour cela des hommes qui ont le suffrage de l'opinion dans les deux parties. Quand tout est bien réglé d'avance, les conférences peuvent avoir lieu sans inconvénient ; mais il faut toujours que ce soit hors de l'Eglise.

(2) Voyez ce qui regarde ces entretiens, chap. VII, n° 1, note 1, 28 alinéa.

Des conférences ecclésiastiques et religieuses.

ainsi, non pas ces réunions dont l'étude est le seul objet, mais ces entretiens familiers où l'on s'occupe aussi de l'accomplissement de ses devoirs et de son avancement spirituel. C'est dans ces conférences que les supérieurs ecclésiastiques , ou ceux qui parlent en leur place, traitent d'une multitude de choses pratiques concernant les fonctions du saint ministère, qui ne pourraient devenir la matière des discours réguliers, parce qu'on y entre dans des détails qui font déroger du ton ordinaire de la chaire. Ces sortes d'instructions intimes sont infiniment profitables quand elles se font avec ordre et que toutes les convenances y sont observées. Il faut prendre garde qu'elles ne dégénèrent en disputes, parce que le fruit des retraites serait perdu.

C'est alors, plus que jamais, qu'on doit se rappeler la maxime de saint Augustin, que nous avons déjà citée : In necessariis unitas, in dubiis libertas, in omnibus charitas.

Les conférences religieuses sont celles qui ont lieu dans les communautés. Elles ont pour but d'instruire à fond des devoirs particuliers.

Nous n'avons rien de mieux sur cet article que ce qui a été recueilli des conférences de saint Vincent de Paul à ses prêtres et à ses dignes

filles, les sœurs de la charité. Il serait à souhaiter qu'elles fussent plus connues. Elles pourraient servir de modèles et produiraient un grand bien dans les ames. Il faut espérer qu'on se décidera à les laisser circuler dans le public.

40. Il nous reste à parler des différentes circonstances de la prédication. Elles sont de deux sortes : les ordinaires et les extraordinaires. Les prédications ordinaires ont lieu pendant les saints offices, et surtout pendant la célébration de la messe paroissiale. Nous avons parlé ailleurs ( chap. IV) des inconvéniens qui doivent empêcher de faire des instructions isolées de tout exercice religieux. Ils sont assez graves pour mériter toute l'attention des pasteurs. On donne pour raison qu'on craint d'alonger les offices, et qu'on veut donner aux personnes qui ne sont pas de la paroisse la facilité d'assister aux sermons. Ces raisons ne nous paraissent pas assez solides pour compenser les inconvéniens dont nous avons parlé.

41. Les prédications extraordinaires ont lieu principalement pendant les stations, les retraites et les missions. Il n'est plus si fréquent aujourd'hui qu'autrefois de prêcher des octaves; mais on a encore conservé, surtout dans les grandes

Des différentes circonstances de la prédication. - Des prédications ordinaires.

Des prédications extraordiinaires. - Des stations.

villes, les deux stations de l'avent et du carême.

Nous ne pouvons nous empêcher de blâmer ici un usage qui commence à s'établir dans plusieurs paroisses. Il consiste à ne plus prêcher les jours de fête. Il nous paraît, au contraire, qu'on ne peut choisir un temps plus favorable 1 que ces jours solennels pour parler au peuple qui, à ces époques, se rend ordinairement en foule à l'église. Il y a des paroissiens qui n'y viennent que ce jour-la , il faut donc se hâter de profiter de leur présence pour leur faire entendre des paroles de salut. La longueur de l'office n'est pas une raison suffisante pour s'en dispenser. On ne craint pas, ces jours, de rester un peu plus long-temps à l'église que les simples dimanches. Qui empêche, d'ailleurs, de faire une instruction courte? Les petits sermons ne sont pas les moins efficaces. On peut dire beaucoup de choses dans une demi-heure.

42. S'il est des circonstances où l'orateur chrétien doit déployer tout son zèle, c'est surtout dans les retraites et les missions. Les retraites, pour être profitables, doivent être spéciales , c'est-à-dire faites particulièrement pour une certaine classe de personnes, et dirigées vers une fin unique. Elles ont pour but de con-

Des retraites.

vertir ceux qui les suivent, s'ils sont dans le péché, et de ranimer leur ferveur, s'ils sont dans la justice. Il y en a qui ont lieu pour préparer à quelque grande action, à des démarches et à des entreprises importantes. C'est ce qu'il ne faut point perdre de vue.

Une retraite n'est pas une station où l'on se contente de faire des instructions, c'est une suite d'exercices qui se prêtent un mutuel appui pour arriver au même résultat. Pour qu'elle soit bien faite, il faut que ceux qui la suivent s'isolent, autant que possible, de tout ce qui peut les distraire, et qu'ils rentrent en euxmêmes pour sonder leur cœur et mettre ordre à leur conscience. Les confessions doivent succéder aux exhortations et aux réflexions. Le temps doit être tellement réglé, que tout se fasse avec ordre. Il faut tenir surtout à ce que le silence soit rigoureusement observé. Rien ne nuit plus au fruit d'une retraite que les entretiens particuliers, surtout dans les temps qui ne sont point destinés aux récréations. Les meilleures retraites sont celles où l'on ne parle pas même après le repas.

Il y a des prédicateurs qui se chargent de toutes les instructions, et même des méditations.

Ceci passe les forces ordinaires et fatigue les auditeurs. On n'aime pas entendre toujours la même voix. Quand il y a plusieurs prédicateurs, il convient qu'ils se partagent la besogne, pour n'en prendre que selon leurs forces et pour varier. Cet arrangement est facile, quand il s'agit d'une retraite ecclésiastique. On peut alors trouver des confrères pour se faire aider.

Il convient que la conférence soit faite par le prélat, ou, en son absence, par l'un des vicaires-généraux. La raison est que, la conférence ayant pour but le détail des devoirs et des obligations du saint ministère, personne n'est plus à même que le premier pasteur de donner les avis convenables aux temps, aux lieux et aux personnes dont il est chargé. Les rapports continuels qu'il a avec ses prêtres, les connaissances spéciales qu'il acquiert par ses relations habituelles touchant les besoins des paroisses, les difficultés qui viennent des localités ou des individus le rendent plus capable qu'un étranger d'être utile à son clergé. C'est dans les conférences qu'il donne les avis généraux qui regardent tous ces pasteurs, et que ceux-ci entrent en rapport intime avec leur chef. Il est donc non-seulement convenable, mais nécessaire, que

l'évêque ou son grand-vicaire fasse les conférences pendant les retraites ecclésiastiques.

Quand, dans les retraites, on se contente de faire une instruction principale, il faut prendre les moyens de se faire suppléer pour le reste, de manière à ce que tout concoure au but qu'on veut atteindre. Pour cela, il faut se concerter et s'entendre, soit avec des confrères, soit avec les supérieurs des communautés. Parlons maintenant des missions.

A3. Une mission n'est qu'une grande retcaite.

C'est dans les missions que le ministère apostolique se montre dans toute sa force, et qu'il produit des fruits abondans de salut. Aussi les plus saints évêques se sont-ils montrés trèszélés pour procurer des missions à leurs peuples, persuadés que c'était un des moyens les plus efficaces pour ramener à Dieu les pécheurs et sanctifier les ames.

44. Nous avons vu avec quel zèle saint Liguori en procurait à ses diocésains (chap. iv, n° 54), et avec quel soin il formait des sujets pour cette œuvre (1). Nous allons mettre sous les yeux du

(1) Il entrait dans les plus grands détails pour enseigner à ses missionnaires la bonne manière de prêcher dans ces circonstances, pour être utile au salut

Des missions.

Lettre de saint Liguori sur les missions.

lecteur la lettre que ce saint évêque écrivit à un nouveau prélat qui, voulant procurer des missions à ses diocésains, éprouvait des obstacles de la part d'un curé. Quoique cette lettre soit un peu longue, nous la donnerons presque entière, parce que les vérités qu'elle renferme sont de la plus haute importance, et qu'elle répond à des

des ames : « La manière d'annoncer la parole de Dieu dans les missions, disait-il, doit être assurément la plus simple possible , afin que le petit peuple l'entende bien et qu'il puisse être touché convenablement. La diction doit être rapide et les périodes concises, de sorte que celui qui n'aurait pas entendu les premiers mots du sermon puisse comprendre les autres ; et que, par exemple , celui qui n'arriverait qu'à la moitié puisse saisir à l'instant les paroles du prédicateur. Pour obtenir du peuple une attention continuelle, il faut lui parler souvent en employant la figure qui consiste à faire soi-même la demande et la réponse. En outre, il est essentiel d'éviter le ton monotone et emphatique des panégyriques, et le ton véhément et déclamatoire de certains missionnaires qui , sans parler du danger qu'ils courent de s'enrouer ou de se rompre quelques veines dans la poitrine, produisent l'ennui et la fatigue dans les auditeurs. Ce qui touche le peuple et fixe son attention , c'est de savoir varier à propos ses intonations, accompagner la voix du geste, sans excès, sans efforts ; s'arrêter ou reprendre à temps. Cette méthode , par sa variété , tient l'auditoire toujours attentif. »

difficultés qui ne sont que trop souvent répétées par les ennemis des missions.

« J'ai reçu la lettre de Votre Seigneurie, par laquelle vous m'apprenez que votre louable intention est d'envoyer la mission dans tous les lieux de votre diocèse au commencement de votre épiscopat; j'apprends aussi les difficultés que vous éprouvez de la part d'un curé. Pour obéir aux ordres de Votre Seigneurie, je vais exposer d'abord ce que je crois juste et convenable sur cette matière ; je répondrai aussi aux frivoles objections du curé.

« Il est certain, Monseigneur, que la conversion des peuples est le plus grand bien que Dieu fasse aux hommes Or, voilà précisément le but des missions : la conversion des pécheurs. Or, par les missions les pécheurs apprennent à connaître la malice du péché, l'importance du salut et la bonté de Dieu; ainsi leurs cœurs changent ; ils se dégagent des liens de l'habitude et ils commencent à vivre en chrétiens.

« Dans l'ancienne comme dans la nouvelle loi, le Seigneur a voulu que le monde se sauvât par les missions. La foi, dit l'Apôtre , s'est propagée par la prédication ; mais cette prédication

n'aurait pas eu son effet si les prédicateurs n'avaient pas été envoyés par Dieu. Quomodo credent ei quem non audierunt? Quomodo autem audient sine prœdicante? Quomodo vero prœdl'cabunt" nisimittantur? (Rom., 11, 14 et 15.) Cela fait dire à saint Grégoire que l'exercice des missions a commencé aux premiers siècles du monde, le Seigneur n'a yant jamais cessé d'opérer pour cultiver sa vigne. Ad erudiendam ergo Dominus plebem suant, quasi ad excolendam vineam, nullo tempore destitit operarios mittere. (HoM. XIX in Evang.) Pendant le premier Testament, il envoya les prophètes pour prêcher sa loi ; dans le nouveau , il a envoyé son propre Fils pour nous enseigner sa loi nouvelle de grace, qui a servi de complément à l'ancienne. Tovissime diebus istis locutus est nobis in Filio. (H.EBR., I, 1 et 2.) « Mais, comme Jésus -Christ fut envoyé seulement en Judée, il a voulu qu'après sa mort les apôtres allassent prêcher l'Evangile chez les Gentils. Euntes inmundum universum, prcedtcate Evangelium omni créatures. (MARC, 16, 15.) Ce fut par la mission des apôtres que l'Évangile commença de fructifier sur la terre.

In unwerso mundo est, et fructificat et crescit.

(COLOSS., 1, 3.) Ensuite les apôtres ont envoyé leurs disciples aux lieux où ils n'avaient pu pénétrer eux-mêmes. De même, de temps en temps, le souverain Pontife et d'autres évêques ont envoyé de saints ouvriers prêcher l'Évangile en diverses contrées, ainsi que nous l'apprend l'Histoire ecclésiastique. Au quatrième siècle, saint Irénée fut envoyé dans les Gaules. Au siècle suivant, Célestin 1 envoya saint Pallade en Ecosse, saint Patrice en Irlande. Au sixième, saint Grégoire envoya le bénédictin Augustin dans la Grande-Bretagne. Saint Élige fut envoyé au septième siècle en Flandre , saint Chirien en Franconie, saint Suibert et saint Wolfrand en Hollande. Au huitième siècle, Grégoire II fit partir saint Boniface pour la Germanie , saint Willibrand pour la Frise, saint Hubert pour le Brabant. Le neuvième siècle vit saint Ascagne en Danemarck et en. Suède, saint Méthode en Bohême, en Moravie et en Bulgarie. Le douzième siècle vit saint Maynard dans la Livonie, saint Othon dans la Poméranie. Le treizième siècle enfin, les religieux de saint Dominique et de saint François dans la Grèce, l' Arménie, l'Éthiopie, la Tartarie et la Norwége 'Y'',

« Nous n'ignorons pas que dans les temps plus modernes saint François-Xavier a opéré des conversions nombreuses dans l'Inde et dans le Japon; saint Louis-Bertrand dans rInde occidentale. Je ne nomme par toutes les provinces qui, chez les infidèles ou chez les hérétiques, ont vu des missionnaires ; mais nous savons que saint Vincent de Paul a institué, avec l'approbation du Saint-Siège apostolique, une congrégation de prêtres qui s'emploient à faire des missions partout où ils sont appelés ; ce qui les a fait nommer les Pères de la mission. En un mot, partout où la foi chrétienne a été implantée, partout où quelque réforme dans les mœurs s'est opérée, le bien a presque toujours été opéré par des missionnaires. Là où les fléaux de Dieu , les tremblemens de terre, la guerre , la famine, la peste, n'ont pu convertir les peuples , les missions ont réussi ; et ce que n'ont pu faire les lois les plus rigoureuses contre le meurtre, le vol, l'adultère et le blasphême, les missions l'ont opéré. C'est à cause de cela sans doute que, lorsqu'on doit envoyer une mission quelque part, il est aisé de voir toutes les manœuvres de l'enfer pour l'empêcher. On trouve malheureusement en tout pavs

des ames perdues, qui, pour ne pas se voir contrariées par les missions, font tout ce qu'elles peuvent pour les éloigner. Et plût au ciel que l'opposition ne vînt pas plus d'une fois de quelque curé qui, remplissant mal ses devoirs, craint qu'on ne découvre les torts de sa conduite ! Mais c'est à l'évêque, en ce cas, à envoyer la mission précisément dans les lieux où le curé manque de zèle ou forme une opposition directe, souvent malgré le vœu de ses paroissiens.

« Si les missions ont une grande utilité, dans les villes, on peut dire que dans les campagnes elles sont nécessaires, tant à cause des sermons que pour la confession. Il est vrai qu'en tout pays catholique, en général, il y a des sermons de carême ; mais on retire bien plus de fruit des sermons de missions, parce qu'assez souvent ces prédicateurs de carême prêchent, même au village, d'un style qui est bien au-dessus de l'intelligence des pauvres habitans de la campagne. Ils portent leurs discours dans la mémoire, et, qu'ils parlent à des gens instruits ou à des hommes tout-à-fait ignorans, il n'y changent jamais un mot. Le cardinal François Pignatelli, archevêque de Naples, recommanda aux prédicateurs qui, avant de partir pour la campa-

gne , étaient venus recevoir sa bénédiction, de parler d'une manière d'autant plus simple et populaire, qu'ils allaient en des lieux où ils ne trouveraient que des gens très-grossiers ; ajoutant que tout sermon était inutile, s'il n'était pas à la portée de ceux qui devaient l'entendre.

Vous me direz, ajouta-t-il, que la recette est faite; en ce cas je répondrai : Pauvres malades !

Ce prélat avait grandement raison; car quel bien peut tirer un malade d'une recette que le médecin aura faite au hasard , et sans connaître la maladie qu'il s'est chargé de guérir?

« De là vient que, lorsqu'on demande à ces pauvres gens quel fruit ils ont retiré du sermon qu'ils ont entendu, ils répondent que, pour ce qui est du sermon, ils n'ont pu le comprendre, parce que le prédicateur a toujours parlé en latin; en effet, la langue qu'ils parlent est tout-à fait étrangère à ce pauvre peuple qui les écoute : pour lui c'est du latin. Pour moi, je soutiens, et je ne crois pas trop m'avancer, qu'il vaudrait mieux pour ces villageois ne point aller à de tels sermons; car, après avoir passé une heure à écouter sans rien comprendre, ils finissent par prendre le sermon en aversion, et non-seulement ils n'y reviennent pas, mais encore ils.

sont pires qu'auparavant; et l'on ne manque pas de voir après le carême les mêmes vices, les mêmes coutumes, les mêmes inimitiés qu'on avait remarquées, et d'entendre les mêmes blasphèmes. Voilà le mal, dit Contenson, des pauvres habitans de la campagne ; ils n'ont personne qui aille leur expliquer la parole de Dieu de la manière qu'ils peuvent la recevoir. Malheur aux prélats, ajoute-t-il, qui négligent d'envoyer la mission chez eux ! Tot parvuli in oppidulis petunt panem, et non est qui frangat eis. Vas, vœ prælatis dormitantibus ! presbyteris otiosis! (THEOL., 1. III, diss. 6.) « Mais, dira-t-on, est-ce que ces villages n'ont pas des curés qui prêchent tous les dimanches? Oui, ils ont des curés qui prêchent; mais reste à savoir si ces curés savent distribuer la parole divine comme le concile de Trente le prescrit à tous les pasteurs d'ames : Ut plebes sibi eommisscis pro ecirurn capacitate pascant.

salutaribus vei bis : docendo quce scire onznibas necessarium est ad salutem, annunÚalldoque eis, cun rbrevitate et facilitcite sermonis, vitia quæ eos declincire, et vir tûtes quas sectari oporteat. (SESS. 5, cap. 2 de Reform.) Aussi, il arrive souvent que le peuple ne tire aucun

avantage du sermon de son curé, soit parce que celui-ci ne sait point prêcher convenablement, soit parce qu'il ne parle que de ses propres intérêts, se lamentant du tort que lui font ses paroissiens; soit parce qu'il emploie un style trop élevé. Non-seulement alors ils ne vont pas au sermon ; mais souvent même, pour n'être pas obligés de rester au sermon, ils ne vont pas à la messe. On connaît d'ailleurs le proverbe cité par Jésus-Christ lui-même : Nemo propheta acceptus est in patria sua ( Luc, 4 , 14 ). Le sermon fait peu d'impression lorsqu'on l'entend toujours de la même bouche.

or Dans les missions, les sermons sont plus appropriés aux besoins des campagnes ; ils sont bien faits et surtout adaptés à l'intelligence de ceux pour qui on les destine. Là, comme dans les instructions familières, on distribue la parole de Dieu, de manière que les plus ignorans puissent s'instruire et connaître les mystères de la foi, les préceptes du décalogue, la manière de recevoir avec fruit les sacremens, les moyens de persévérer dans la grâce de Dieu , et d'apprendre en même temps à répondre à l'amour divin. C'est pour cela qu'on voit aux missions un si grand concours; le peuple y entend des

voix toutes nouvelles, et on lui parle son langage. Il y a, d'ailleurs, une sorte d'unité dans les sermons de la mission ; c'est un système complet des vérités éternelles : l'importance du salut, la malice du péché, la mort, le jugement, l'enfer, l'éternité. Comme toutes ces matières sont exposées en un seul faisceau, il serait plus extraordinaire qu'un pécheur ne se convertit pas, que de le voir se convertir. On voit plus d'une fois des pécheurs qui, à la seule nouvelle de la prochaine arrivée de la mission, renoncent à leurs pratiques vicieuses, restituent les choses qu'ils ont prises, réparent le dommage causé; on en voit qui abandonnent pour toujours de vieilles haines et se réconcilient sincèrement, parce qu'ils arrachent de leur cœur le germe du mal. Quelquefois des ennemis se rapprochent par respect humain , pour complaire à un homme puissant qui l'exige ; mais, comme le germe n'a pas été détruit, l'inimitié ne fait que se cacher; elle est toujours subsistante. Il n'en est pas ainsi des inimitiés éteintes par les missions. D'autres, qui ne se sont pas confessés depuis plusieurs années, ne résistent pas à l'influence de la mission.

« Voici un autre avantage des missions. Sui-

vant votre curé, on donne l'absolution à des pécheurs d'habitude qui auraient besoin de plusieurs mois d'épreuves; avec la mission, c'est l'a ffaire de quelques jours. Que valent de telles absolutions? Je réponds et je dis : Plût au ciel que toutes les confessions se fissent avec d'aussi bonnes dispositions que celles que reçoivent les missionnaires ! je crois que peu d'ames se perdraient; mais allons plus loin : est-ce par hasard du temps seul qu'on peut obtenir la preuve des bonnes dispositions du pénitent? La preuve fournie par le temps peut être trompeuse. Combien en voit-on qui, à l'approche du temps pascal, afin d'avoir l'absolution, s'abstiennent pendant un mois ou deux de leurs mauvaises habitudes , qu'ils reprennent aussitôt après. Je pense donc qu'on peut présumer avec plus de certitude la bonne disposition d'un pénitent, d'après l'influence que paraît avoir eue sur son esprit le sermon qu'il a entendu, d'après le repentir qu'il montre , la résolution qu'il prend, les moyens qu'il emploie pour éviter les rechutes, que d'après le seul laps de temps; c'est moins avec la longueur du temps qu'avec la vigueur de la grâce, dit saint Cyprien, que la charité se perfectionne. Quand le Seigneur en-

voie le repentir au coupable, dit saint Thomas, le cœur peut à l'instant acquérir la sainteté : Quandoque tanta commotione convertit cor hominis, ut subito perfecte consequatur sanctitatem spiritualem (3 p. q. 8, art. 5). Dans une assemblée d'évêques tenue à Bruxelles, on fit pour les confesseurs la déclaration suivante : Confessarius a quibusvis peccatoribus gravioribus) etiam recidivis, stata lege non exigat) ut per notabile tempus prœvia exercuerint opera pœnitentiœ,. sed cum SS. Patribus expendat Deum in corwersiofle peccatoris non tam considerare mensuram temporis quam doloris. Du reste, quoique le confesseur, en donnant l'absolution, doive s'assurer de la disposition du pénitent, toutefois dans le sacrement de pénitence, comme tout est moral, on ne peut ni avoir ni exiger autre chose qu'une certitude morale, qui n'est pas autre chose, dit 1 Instructeur des confesseurs nouveaux, qu'un jugement probable de la bonne disposition du pénitent, sans qu'il y ait doute probable contraire. Quand on a d'ailleurs un peu de pratique, il est aisé de connaître quelle différence il y a entre une confession faite à l'occasion de la mission, et une confession ordinaire; on peut bien voir dans la pre-

mière que le pécheur se confesse avec une vraie douleur et un ferme propos de changer de conduite.

(c Quand les missions n'offriraient pas d'autre avantage que de remédier à tant de confessions sacrilèges qui ont lieu par l'habitude qu'ont beaucoup de pécheurs de taire une partie de leurs péchés par mauvaise honte, surtout de la part des femmes, ce serait assez pour rendre les missions désirables. Cet inconvénient des mauvaises confessions a lieu surtout dans les petits pays, soit parce qu'il y a peu de confesseurs, soit parce qu'ils sont parens ou amis, qu'on voit chaque jour et qu'on rougit de mettre dans la confidence de certaines faiblesses ; de sorte que le pécheur, après avoir commis le péché, devient sacrilège et reste tel toute sa vie.

Il y en a qui, même en cas de mort, n'osent pas rompre le silence. Or, l'un des fruits les plus essentiels des missions, c'est de réparer tant de confessions mal faites ; car les pécheurs savent bien que les missionnaires sont des étrangers qui ne les connaissent pas, et qui partiront dans peu de jours sans qu'ils les revoient; et, tout frappés qu'ils sont par les sermons, ils n'hésitent pas à s'aller purger par la péni-

tence de tous les péchés qu'ils tenaient cachés.

« Je suis donc convaincu que les évêques doivent faire en sorte de faire durer la mission jusqu'à ce que tous les habitans aient pu se confesser aux missionnaires. Si la mission était trop courte, beaucoup d'individus, qui n'auraient pu avoir leur tour, se trouveraient dans le même cas qu'auparavant. Les sermons font naître les scrupules ; mais ils n'instruisent pas assez pour qu'un pécheur sache ce qu'il doit faire pour mettre ordre à sa conscience. Avec la confession tout s'arrange ; on sait comment on fera une restitution , une réparation ; comment on évitera les occasions du péché. Autrement le pénitent restera irrésolu, inquiet, et, faute de confession, son embarras sera plus grand encore qu'il n'était. Si le pécheur a fait autrefois une confession sacrilège, et qu'il ne puisse se confesser aux missionnaires, obligé de revenir à un prêtre du pays, il fera de nouveau ce qu'il avait fait : une confession semblable à la première. Dans le même cas de mission trop courte , il peut arriver aussi que des individus , vivant de bonne foi dans le péché par ignorance, avertis par le sermon et n'ayant pas le temps de se confesser aux missionnaires, fas-

sent par fausse honte une confession sacrilège, et se perdent ainsi.

« Du reste, personne n'ignore le bien que font et qu'ont toujours fait les missions. Il serait beaucoup trop long de dire dans une lettre tous les innombrables cas de conversions d'individus et de peuples, opérées par les missions. Le célèbre Louis Muratori, parlant des missions du P. Segneri jeune, au chapitre IX de sa Vie, dit que les peuplades entières abandonnaient leurs intérêts pour assister à ses sermons ; qu'on pouvait remarquer sur les traits de chaque individu l'expression de sa haine contre le péché, et celle de la componction ; qu'on voyait fouler aux pieds tout respect humain ; que les pécheurs les plus endurcis se convertissaient, et qu'ils obligeaient les confesseurs à les entendre la nuit

comme le jour. Il ajoute que, la mission finie, tout le pays paraissait changé ; on n'y voyait plus ni abus, ni scandale , ni division ; on n'entendait plus ni paroles obscènes, ni juremens, ni blasphèmes. Les mêmes choses se trouvent à peu près dans la relation des missions du capucin Joseph de Carabantes. On raconte plus spécialement que, la mission se trouvant dans une cité, les habitans furent si frappés, qu'ils

s'en allaient par les rues vêtus de sacs de pénitens , se flagellant et demandant pardon à Dieu, tout fondant en larmes. On lit dans la vie de saint Vincent de Paul, que, pendant la mission que fit sa congrégation de prêtres, dans le diocèse de Palestrine, un jeune homme, à qui un de ses ennemis avait coupé un bras , l'ayant rencontré sur la place publique après le sermon, se jeta à ses pieds et lui demanda pardon de la haine qu'il lui avait portée ; non content de cela, il se releva et l'embrassa i étroitement et avec tant de marques d'anection, que tous ceux qui étaient présens en pleuraient de joie, et que beaucoup d'entre eux , suivant ce bel exemple, allèrent se réconcilier avec leurs ennemis. Dans le même diocèse il y avait deux veuves qui n'avaient jamais voulu pardonner aux meurtriers de leurs maris, quelques instances qu'on leur eût faites ; elles cédèrent à l'empire de la mission, et firent taire tous leurs ressentimens.

Le fait suivant est plus admirable encore. Dans une contrée que nous croyons ne pas devoir nommer, l'esprit de vengeance régnait si généralement, que les pères apprenaient à leurs enfans la manière de se venger de la moindre offense.

Cet usage pervers s'était si fort enraciné, qu'il

n'était pas possible d'obtenir d'eux le pardon de la plus légère injure. Ils venaient, à la mission l'épée au côté, l'arquebuse sur l'épaule, et avec d'autres armes à la ceinture. Les sermons ne gagnaient rien sur ces esprits intraitables; mais un jour le prédicateur, inspiré de Dieu, présenta un crucifix à ses auditeurs en disant : Allons, que celui qui porte de la haine à son ennemi vienneembrasser Jésus-Christ en preuve qu'il veut pardonner. Aussitôt il se présenta un curé dont on avait tué le neveu ; il baisa le crucifix, appela le meurtrier, qui était présent, et l'embrassa cordialement. A l'exemple de ce prêtre, et à l'aide des paroles du prédicateur, toute cette population fut tellement - émue que, durant une bonne heure et demie, on ne fit que s'embrasser, se réconcilier, se pardonner; et, comme il était déjà tard , la même scène se répéta le lendemain. On vit des pères pardonner la mort de leurs fils, des femmes celle de leurs époux, des enfans celle de leurs pères et de leurs frères ; et tous ensemble ne cessaient de reme rcier Dieu pour la grâce qu'il venait d'accorder au pays. On ajoute que beaucoup d'assassins et de bandits de grande route, touchés de ce qui venait de se passer, abandonnèrent leur métier

infàme et commencèrent à mener une vie chrétienne. Environ quarante se convertirent durant cette seule mission.

« On lit pareillement des choses merveilleuses des missions du P. Léonard de Port-Maurice, franciscain réformé. Envoyé en mission dans un lieu de la Corse appelé Mariana, connu par les fréquens homicides qui s'y commettaient par esprit de haine et de vengeance, il laissa ce lieu entièrement pacifié et toutes les haines éteintes. Dans un autre lieu nommé Casaccone, il rétablit l'harmonie entre deux familles depuis long-temps irréconciliables. Un jeune homme qui avait entendu parler de la mission, sachant qu'il y trouverait un de ses mortels ennemis, vint de fort loin dans l'intention de le tuer; mais, après avoir entendu le sermon, déposant tous ses ressentimens, il courut faire une confession générale. Dans une autre place, appelée Castel-d' Acqua, trois partis divisaient la population; ils étaient tous en armes dans l'église ; on craignait une scène de carnage ; mais le même jour tous se réconcilièrent. La vie de ce Père contient beaucoup d'autres faits de ce genre ; et ils ne doivent pas nous paraître extraordinaires ; car on en voit fréquemment arriver

de semblables partout où il se fait des missions; et c'est pour cela que je ne m'étendrai pas davantage sur cet article.

« Venons-en maintenant aux objections de votre curé ; car, si je n'y répondais pas, il conserverait la mauvaise opinion qu'il a des missions. Les fruits de la mission, dit-il, ressemblent le plus souvent à un feu de paille qui est grand, mais ne dure pas ; la mission finie, les méchans font pis qu'auparavant. Je réponds : Il serait bien à désirer que tous ceux qui se convertissent persévérassent jusqu'à la mort.

Mais c'est là une de nos grandes misères humaines : il y a des hommes qui recouvrent la grace de Dieu et qui la perdent de nouveau. Mais, lors même que la mission ne produirait pas d'autre bien, il est certain que, pendant tout le temps au moins que la mission dure , on ne voit (dans ceux qui la suivent) ni mauvaises habitudes, ni objets de scandale ; que les blasphèmes cessent ; qu'il se fait beaucoup de restitutions, et que des confessions mal faites s'amendent. Il n'est point vrai qu'après la mission tous les mêmes désordres renaissent, et que même ils soient pires ; beaucoup persévèrent dans la grâce de Dieu ; si d'autres retombent, il

n'en est pas moins vrai qu'ail moins pendant quelques mois ils n'ont pas commis de péchés mortels. D'un autre côté, les sermons qu'ils ont entendus leur donnent une plus grande connaissance de leur Dieu ; ils y puisent plus d'horreur du péché, et ils tâchent de s'en délivrer avant le temps pascal. Je tiens pour assuré que, de tous ceux qui sont allés régulièrement au sermon, ceux qui meurent dans l'année de la mission sont presque tous sauvés. Le fruit de la mission se prolongera un an ou deux ; s'il ne dure pas davantage, ce sera la faute des prêtres du pays, qui n'appelleront pas le peuple à la méditation et à la visite du Saint-Sacrement, et ne se tiendront pas au confessionnal. Vœ prœlatis dormitantibus! vœ presbyteris otiosis!

Quand la terre devient trop aride par le laps du temps, il faut la rafraîchir et la travailler de nouveau, c'est-à-dire y envoyer une autre mission.

« Les missions, dit encore votre curé, inquiètent les consciences en faisant naître des scrupules. Oh ! la grande objection ! Il vaudra donc mieux, pour ne pas inquiéter les consciences, laisser dormir les pécheurs dans la léthargie du péché, au sein de cette paix trompeuse et mau-

dite, signe de leur damnation ! C'est là précisément ce que veut le démon; il veut qu'on ne trouble pas la funeste sécurité de ces malheureux qu'il a rendus ses esclaves ; mais le soin du pasteur doit être d'inquiéter, pour les réveiller, celles de ses brebis qui dorment dans la disgrace de Dieu ; et, pour les réveiller, le meilleur moyen, ce sont les missions.

« Aussi je prétends qu'il serait bon que les évêques fissent tenir la mission dans chaque village de leur diocèse, quelque petit qu'il fût.

Je dis cela parce que, là où se trouvent plusieurs petits cantons, les missionnaires font faire la mission dans quelque lieu du centre ; mais là ne se rendent pas ceux qui sont le plus chargés de péchés, les plus aveugles, les plus indifférens sur leur salut. Ces derniers , si la mission ne se fait pas dans leur propre pays, ne s'approchent pas de l'église où elle a lieu, sous prétexte qu'ils demeurent trop loin, que le sermon finit trop tard, qu'il fait mauvais temps. Je parle par expérience. Quand la mission s'est tenue dans un lieu du centre , j'ai toujours vu les gens des environs aussi insoucians que s'il n'y avait pas eu de mission. C'est pourquoi, si notre congrégation se rend dans quelque diocèse, elle fait

la mission dans chaque lieu du diocèse, quelque petit qu'il soit ; et elle y reste au moins huit jours. Dans les lieux plus considérables, elle passe jusqu'à vingt et trente jours, selon que cela est nécessaire pour entendre toutes les confessions.

« Votre curé se plaint de ce que les missions finissent de nuit, ce qui donne lieu à dés scènes scandaleuses; et c'est sa troisième objection.

On répond que ce sont là des causeries sans fondement. Au sortir du sermon, les gens sont trop frappés pour penser à mal faire. Mais supposons que la chose arrive, que quelque jeune étourdi cherche à faire le mal ; faudra-t-il, pour cela, laisser la mission parce qu'elle finit tard ?

Non sunt facienda mala, dit-il, ut ne niant bona, cela est vrai; mais autre chose est de faire le mal et autre chose de le permettre ( ou de le laisser arriver sans qu'il y ait de sa faute).

Si, pour éviter tout danger possible de mal, il fallait supprimer les bonnes choses, il n'y aurait plus ni fêtes de saints, ni processions, ni pèlerinages aux saints lieux; parce qu'il y a toujours quelque désordre inséparable des grandes réunions. Il faudrait pareillement défendre la confession, la communion, la messe, parce que

plus d'une fois le scandale et le sacrilège s'y trouvent; et cependant non-seulement l'Église ne les défend pas, mais encore elle les approuve et les ordonne. On prêche le soir dans les missions parce qu'il y a beaucoup de gens qui, étant obligés de se livrer au travail pendant la journée , ne peuvent venir aux instructions que le soir. On invite bien les maîtres à laisser du temps à leurs domestiques et à leurs ouvriers pour venir aux exercices, mais ils ne se rendent pas toujours aux invitations qu'on leur fait, parce qu'ils ne voient que leurs intérêts matériels. De leur côté, les ouvriers, s'ils ne font pas leur journée, ne sont point payés ; et s'ils ne sont point payés, ils manquent de pain.

(r Votre curé dit enfin que la mission a été dans le pays il y a trois ans, et qu'on retire peu de profit des missions lorsqu'elles sont très-fréquentes , parce que le peuple s'y accoutume. Je réponds que régulièrement la mission ne doit pas se répéter au bout de peu de temps dans le même lieu. Mais trois ans ne sont pas peu de temps ; et l'on peut croire que beaucoup de ceux qui ont assisté à la dernière mission ont oublié le sujet des sermons, que d'autres sont retombés dans leurs péchés, qu'un plus grand nombre

ont laissé leur zèle se refroidir, et ceux-ci pourront se relever. Il n'est point vrai, au surplus, que des missions très-fréquentes ne produisent pas de fruit. Quand on fait dans un pays une seconde mission, on ne voit pas , il est vrai, la même componction qu'on a trouvée la première fois ; cependant il y a toujours du profit, parce que ceux qui sont retombés dans le péché peuvent en être retirés; que d'autres , qui s'étaient attiédis, se réchauffent de nouveau ; que d'autres se raffermissent dans la bonne voie ; et c'est pour cela que , dans notre congrégation, on est dans l'usage de retourner au bout de quelques mois au lieu où s'est faite la première mission , dans l'intention de remonter, en quelque sorte, l'esprit des habitans ; et nous avons toujours reconnu , par notre propre expérience, que cette méthode produit de grands biens.

« Je m'arrête. J'engage Votre Seigneurie à persévérer, avec le même zèle qu'elle m'a fait voir, dans l'intention d'avoir tous les trois ans la mission dans tous les lieux de son diocèse , et à ne point prêter l'oreille aux difficultés que font certains hommes qui parlent pour ménager quelque intérêt privé, ou qui ignorent tout-àfait le bien qui résulte des missions. Je vous

préviens de plus sur la nécessité de veiller, après la mission, sur les curés et les prêtres du pays, pour qu'ils conservent le résultat obtenu, en continuant les exercices recommandés par les missionnaires. Car, si quelquefois les fruits de la mission se perdent, c'est par leur faute. »

45. M. de la Motte, évêque d'Amiens, avai t aussi pour les missions le plus grand zèle. Il ne se contentait pas de les favoriser, il se mettait lui-même au nombre de ses missionnaires.

Voici ce que rapporte l'abbé Proyart, qui a écrit sa vie :

a A certaines époques de l'année, les plus favorables, M. de la Motte s'associait un nombre d'ecclésiastiques recommandables par leur savoir et leur zèle, et se portait dans les différens endroits de son diocèse où le besoin d'instruction était le plus grand ; il s'y établissait et y donnait une mission. Il avait tellement à cœur cette bonne œuvre, et il en recueillit toujours des fruits si consolans, que, jusque dans la caducité de l'âge , ni l'éloignement des lieux, ni la rigueur des saisons ne l'empêchèrent jamais de s'y livrer. Il s'en faisait, en toute occasion, l'apologiste contre l'ignorance et la mauvaise foi. « Bien des gens, disait-il, n'aiment point

Zèle de M. de la Molle, évêque d'Amiens, pour les missions.

« les missions. Les libertins les craignent et les « calomnient, parce qu'elles troublent la fausse « sécurité de leur conscience, qu'elles suspen« dent leurs fausses joies, qu'elles font souvent cc des vides dans leurs sociétés. Des gens du « monde, estimables d'ailleurs, quelquefois les « personnes de piété, des ecclésiastiques même, « se laissent prévenir contre les missions, qu'ils « ne connaissent que sur de faux rapports.

u Pour moi , je sais par expérience que les mis« sions sont de la plus grande utilité pour le k salut des ames. Ce n'est guère que dans les « missions ou dans les retraites que Les pécheurs u exécutent leurs projets de conversion, que les « honnêtes gens du monde embrassent un train « de vie plus chrétien, et que les personnes « pieuses se renouvellent dans la ferveur. J'ai « toujours vu que les missions étaient une occa« sion de réconciliation entre les ennemis et les « plaideurs, un temps de réflexions utiles pour « les ames les plus dissipées, de sobriété pour « les intempérans, d'interruption de débauches « pour les plus libertins. Je sais que plusieurs cc des pécheurs qui se sont convertis retom« heront ; mais tous ne retomberont pas. Quel« ques-uns mourront peu de temps après leur

« réconciliation, et, parmi ceux même qui re« tomberont, il en est qui se relèveront; comme « parmi ceux qui continueront de se livrer au « désordre il en est qui ne le feront plus sans « quelques remords, que d'heureuses circon« stances pourront rendre efficaces. Enfin une « mission, n'opérât-elle que le salut d'une seule « ame rachetée du sang de Jésus - Christ, « n'empêehât-elle qu'un seul péché, je dis plus, u ne servit-elle qu'à exercer notre patience, « n'en serait-ce pas assez pour exciter et sou« tenir notre zèle, s'il est selon la foi? » Ainsi pensaient les François de Sales, les Bossuet, les F»Jon (1); ainsi pensent encore aujourd'hui nos prélats les plus t'eeommandables par le savoir et la piété; et leur douleur, en sentant tout le besoin qu'auraient leurs peuples de ces secours extraordinaires de la religion, c'est de ne plus trouver d'ouvriers propres à les leur administrer (2).

(l) On a vu dans le n° précédent ce que pensait saint Liguori sur les missions. Son sentiment est celui de tous les saints.

(2) C'est bien plutôt de rencontrer des obstacles qui viennent des circonstances et de l'esprit du siècle. On a tant crié contre .ces pieux exercices , que le seul nom

« Mais si jamais l'œuvre des missions porta avec elle sa recommandation, ce fut sans doute lorsqu'elle fut dirigée par l'évêque d'Amiens.

« Nous devons prier beaucoup, disait-il à ses cc coopérateurs, parce que le succès dépend de « Dieu, et travailler comme s'il ne dépendait a que de nous ; mais nous aurons toujours « réussi, lorsque nous aurons accompli la vo« lonté de Dieu. » Il craignait, dans les missions plus que partout ailleurs, les orateurs qui se prêchent eux-mêmes ; et il préféra toujours, pour cette œuvre, le zèle humble et éclairé aux

de mission effraie. Il excite la fureur des impies.

L'ennemi du genre humain, qui n'ignore pas combien les missions sauvent d'ames, met tout en œuvre pour les empêcher. Il trouve malheureusement beaucoup d'auxiliaires. On est obligé aujourd'hui de déguiser les missions sous les noms de retraite et de station. Encore éprouve-t-on des difficultés dans beaucoup de localités. On est forcé, du moins , de supprimer un grand nombre de pratiques édifiantes qui exciteraient la piété des fidèles, et de se contenter de prêcher. Aussi" les missions ainsi réduites sontelles loin de produire des fruits abondans de salut comme auparavant. Il faut espérer qu'il viendra des temps plus heureux, et que, la Providence écoutant les prières des bonnes ames, les hommes apostoliques pourront enfin travailler avec plus de liberté au bonheur de leurs frères. Que Dieu le veuille!

plus brillans talens. Il était cependant ordinairement accompagné de quelque prédicateur de réputation. « Ces prédicateurs, disait-il, attirent u les pécheurs aux instructions ; les saints pré« dicateurs ensuite les touchent et font le bien a solide au confessionnal. » C'était chez les Jésuites qu'il prenait ses missionnaires; et l'on se rappelle encore à Amiens, avec un souvenir de vénération, les noms des pères Perrin, Roissard, d'Irlande , Corret et Duplessis.

« Arrivé dans une ville où il devait donner la mission, M. de la Motte faisait, avec ses coopérateurs, une visite aux personnes les plus distinguées ; il les invitait à diner avec tous les ecclésiastiques qui travaillaient dans le ministère. Pendant le repas, il parlait beaucoup de la bonne œuvre, et de manière à inspirer à chacun le désir de contribuer pour sa part à la faire réussir. Tout le temps que durait la mission, il vivait avec ses missionnaires comme un père au milieu de ses enfans, occupé de leurs besoins et attentif à ce que rien ne leur manquât. Sa table n'offrait rien de recherché ; mais elle était bien servie. « Vos travaux, disait« il, demandent que vous soyiez bien nourris : u et un peu mieux avec un évêque que chez

« vous. Chacun sera libre de suivre son attrait « pour la mortification; mais ce n'est pas de « moi que doit venir le soin de la lui faire pra« tiquer. » Pendant les momens de récréation qu'il passait avec eux, il se livrait à tout l'enjouement de son humeur, interdisait les propos trop sérieux, et ne voulait point qu'on songeât à autre chose qu'à se préparer, par le délassement, à de nouvelles fatigues.

« Il entrait dans le plan des travaux apostoliques du saint évêque de donner tous les ans une mission dans une des villes de son diocèse, et c'était une vraie peine pour lui lorsque des obstacles insurmontables ne lui permettaient pas de le faire. Jl donnait toujours ses missions dans les villes, par la raison que les prêtres de la Congrégation de saint Lazare étaient en possession d'en donner dans les campagnes, suivant l'esprit de leur saint fondateur, qui fit les premiers essais de son zèle apostolique dans le diocèse d'Amiens. Il n'avait pas d'époque déterminée pour ces saints exercices.

Il trouvait un avantage à les donner dans les longs jours de l'été; il en trouvait un autre à les donner au temps des plus grands froids de l'hiver , où le peuple est moins occupé : il

se décidait suivant les circonstances locales. Le jour de son départ une fois arrêté, aucune intempérie de la saison n'aurait pu le retenir. Un jour qu'il devait se mettre en marche pour une ville située à l'extrémité de son diocèse, on lui représenta que les neiges et les frimas avaient rendu les chemins impraticables ; et les missionnaires eux-mêmes paraissaient effrayés du danger : « Pour tnoi, répondit le prélat, « avec sa gaîté ordinaire, je parierais bien « que si le Roi me faisait appeler, et que je « fusse décidé à partir pour redevoir ce que le « monde appelle une faveur, on jugerait que ce <( temps serait encore supportable ; et l'on vou« drait que tout fût danger pour nous lors« que nous suivrons la voix de Dieu, qui nous (( appelle pour faire sa volonté ! » Et, comme quelqu'un insistait encore sur la grandeur du péril : « Eh bien! ajouta-t-il, vous aurez rai« son et j'aurai tort, si nous nous trouvons « seuls sur notre route, et si nous ne rencon« trons pas bientôt des gens qui affronteront « les mêmes périls que nous pour des intérêts « temporels. » En effet, à peu de distance d'A" miens, un ecclésiastique se présenta à la portière de sà voiture pour lui annoncer la vacant

d'une cure, et le prier de la lui donner. « Je « vous la donne , lui dit M. de la Motte, qui « d'ailleurs connaissait le sujet; mais c'est dans « la confiance que le même courage que vous « avez eu pour vous mettre en route, par la « rigueur de la saison, vous l'aurez toute votre « vie, lorsqu'il s'agira de voler au secours d'un « malade pendant une nuit orageuse, ou de « vous exposer à d'autres dangers pour le salut « de vos paroissiens. » Un peu plus loin, un cavalier fit de nouveau arrêter sa voiture, pour lui présenter des lettres de la part de son maître, qui demandait quelque permission dont il avait besoin pour se marier. « Eh bien! dit ce saint (( évêque à ses compagnons de voyage, ne vous « l'avais-je pas annoncé, que nous rencon« trerions des gens dont le courage confondrait « notre lâcheté ? Le temps est bon pour celui « qui désire une cure , et pour celui qui veut « se marier; et il serait trop rigoureux pour « ceux qui vont gagner des ames à Dieu! »

« La seule présence de M. de la Motte dans les missions eût été un éloquent prédicateur; mais, en même temps qu'il en suivait les exercices, il en partageait les travaux. Il prêchait pour le moins les dimanches et les fêtes. Il s'é-

tait chargé seul de donner la communion ; ce qui , à certains jours , devenait pour lui un exercice si accablant, qu'on l'a vu tomber de fatigue. Il faisait tous les jours le salut du SaintSacrement; il confessait toutes les personnes qui s'adressaient à lui ; et, dès la pointe du jour, il était dans son confessionnal, prêt à les entendre. Des pécheurs scandaleux, touchés de la sainteté de sa vie, et de ce que la charité lui faisait faire pour eux, venaient se jeter à ses pieds ; il les recevait avec toute la tendresse d'un père, et son extrême douceur achevait d'ouvrir leur cœur à la confiance. Il n'était rien que ne lui fit entreprendre son zèle ardent et ingénieux pour le salut des plus grands pécheurs. Il chargeait des personnes de piété de faire en sorte de les lui amener ; et c'était quelquefois au milieu de la nuit que l'on conduisait aux pieds de ce bon pasteur ces brebis depuis long-temps égarées, confuses de paraître en sa présence, et courbées sous le poids de leur misère. Plus touché de l'état de ces pécheurs qu'ils ne l'étaient eux-mêmes, il leur cachait une partie de sa tristesse, pour ne leur laisser apercevoir que la joie. de leur retour; et, en leur supposant des dispositions qu'ils n'avaient

pas encore, il les faisait passer peu à peu dans leur cœur par l'onction de ses paroles. Dieu , dans ces occasions, accordait à son zèle une grace comme miraculeuse. En un instant il éclairait, il touchait, il changeait en un homme nouveau le pécheur le plus désespéré, celui même qui avait déjà dit dans son cœur, comme Caïn : Mes crimes sont au-dessus de toute misêticotdé (GEN., 4, 13). Plusieurs de ces conversions, sincères et durables, faisaient sa consolation ; et, si toutes ses tentatives n'eurent pas le même succès pour les autres, elles n'en eurent pas sans doute moins de mérite pour lui devant Dieu.

« Jusque dans l'âge de la décrépitude, le saint évêque se livra toujours, avec la même ardeur, à l'cfeuvre des missions ; et ce fut dans sa quatre-vingt-onzième année qu'il donna la dernière dans sa ville épiscopale. Il adressa une lettre pastorale à son peuple pour l'inviter à en profiter. Il en fit l'ouverture, suivant son usage, par une processiou solennelle, à laquelle assistèrent son coadjuteur, l'évêque de Beauvais et celui de Cassel en Irlande, qu'il avait sacré le même jour dans la matinée. Je me reprocherais ici dé priver mes lecteurs d'un plaisir que j'ai

ressenti, si je ne rapportais quelques fragmens du discours qu'il prononça dans cette circonstance , au milieu d'un peuple immense qui remplissait sa cathédrale. On y voit un bon père qui parle à des enfans qu'il aime le langage affectueux du sentiment, le seul qui subjugue infailliblement les cœurs. Il parla sur ce texte du psaume trente-troisième : « Venez, mes enfans , « écoutez-moi j je vous apprendrai à craindre « le Seignèur..» Fenitefilii, audite me: timorem Domini docebo vos.

« Je vous appelle mes enfans, parce que je « suis votre père en la foi, par la dignité dont « je suis revêtu; et vous devez m'écouter, parce « que c'est de la part de Dieu que je vous parle.

a Je suis aussi votre père par mon âge, parce « qu'il n'y a personne dans cet auditoire qui « soit plus âgé que moi; mais je suis surtout « votre père par mon amour, mon affection et « mon zèle pour votre salut : car, je puis bien « en prendre Dieu à témoin, je donnerais, je « ne dis pas mon bien, mais ma vie et tout mon « sang, à l'exemple de mon divin maître, pour « vous mettre tous dans le Paradis, vous rendre « heureux pour toute l'éternité : car, n'être « heureux que pour un temps, c'est ne pas

« l'être. Venez donc tous, mes enfans, écou« tez-moï : je vous apprendrai à craindre « Dieu; non pas à le craindre d'une crainte « d'esclave, mais à craindre de l'offenser et de « lui déplaire, et à l'aimer comme un bon « père.

« Venez tous, mes chers enfans; oui, je vous « invite tous (à assister à la mission) sans « exception de personne. J'invite premièrement « mon respectable clergé, pour édifier et don« ner l'exemple, comme Notre Seigneur qui se « trouvait dans le temple, qui écoutait les doc« teurs et les interrogeait ; j'invite les juges et « les magistrats, pour apprendre à rendre la « justice et à bien remplir leurs devoirs; j'invite « les justes et les pécheurs. J'invite les justes : « hélas î combien y en a-t-il qui croient l'être « et qui ne le sont pas ! et qui oserai t se flatter « de l'être?. J'invite les pécheurs, car c'est « principalement pour eux que nous venons, à « l'exemple de Jésus-Christ, qui disait qu'il n'é« tait pas tant venu pour les justes que pour les « pécheurs. Venez donc, vous tous qui êtes u pécheurs; profitez des miséricordes du Sei* gneur. Cette ville passe pour avoir de la piété, u et, par la grace de Dieu, il y en a; mais que

« de pécheurs! que de personnes qui n'a pu prochent pas des Sacremens même à Pâques !

« Ceux qui font leurs pâques conservent encore « quelque marque du christianisme , mais « ceux qui ne les font pas n'en ont plus.

« Les personnes d'un certain rang disent : « Nous n'avons pas besoin de missions ; nous ( saons notre devoir ; cela est bon pour le « petit peuple. Vous savez , il est vrai , mes (t chers enfans, les modes, les usages et les bien« séances du monde; mais, en fait de religion, « vous êtes du très-petit peuple ; vous ne con« naissez pas même Jésus-Christ; et l'on peut u bien vous dire ce que ce divin Sauveur disait « aux Juifs : Voilà tant de temps que je suis « avec vous , et vous ne me connaissez pas « encore ! (JOAN., 14 , 9.) Voilà tant d'années « que vous êtes chrétiens , et vous ne connais« sez ni Jésus-Christ, ni sa religion.

« On dit : C'est trop matin, il fait trop « froid, il fait trop chaud. Hélas ! si on « venait vous apprendre l'art de vous enrichir, « de vivre long-temps , d'arriver aux honneurs « et aux premières places, toutes les heures u seraient les vôtres, vous surmonteriez tous « les obstacles, vous ne trouveriez aucune

« difficulté. Il n'y a que lorsqu'il s'agit des biens « de l'éternité que tout vous devient difficile.

« Enfin, l'un dit : Je suis négociant, je suis « occupé à mon commerce ; l'autre : je suis « ouvrier, j'ai ma vie à gagner. Et moi je vous « dis , comme Notre Seigneur : Cherchez « d'abord le royaume des deux, et Dieu fera le reste ; il ne vous laissera manquer de rien « (MATH., 6, 33); il bénira votre commerce, « votre travail ; il vous donnera la santé et tout « ce qui vous est nécessaire. Les exercices de la « religion n'ont jamais appauvri personne, et « Dieu a toujours un soin particulier de ceux « qui le servent.

« Venez donc, mes chers enfans, et avec les « dispositions nécessaires : car les uns viennent « par curiosité, les autres par respect humain, a quelques-uns même par malice, pour criti« quer. Mais venez toujours ; la grâce, qui est « forte et abondante en ces saints jours, ne « laissera pas de toucher vos coeurs. Plusieurs « n'assistèrent à la mort du Fils de Dieu que « comme on assiste au supplice d'un criminel, « et s'en retournèrent en frappant leur poiH tri ne.

« Oui, venez , mes chers enfans, et conver-

u tissez-vous ; donnez-moi la consolation, à la « fin de ma vie, de vous voir servir Dieu mieux « que vous n'avez fait jusqu'à présent. Aimez « votre Dieu, et vous serez remplis de joie; car « le joug du Seigneur est doux, et son fardeau « est léger. Aimez votre Dieu et vous ne crain« drez point tant la mort.

« Je ne vous en dis pas davantage, car je ne « le puis pas, et je vous ennuierais peut-être en « épuisant mes forces; profitez des graces et « des moyens de salut que Dieu vous offre. »

« Il est aisé d'imaginer l'impression que devait faire en chaire un vieillard nonagénaire , bien plus vénérable encore par l'ardeur de son zèle et la sainteté de sa vie que par le nombre de ses années. Aussi, quoique la faiblesse de sa voix ne lui permît plus alors de se faire entendre que de la moindre partie de ses auditeurs , son auditoire était toujours également nombreux ; et l'on pouvait dire de lui, avec vérité, que le voir en chaire était un sermon pour le peuple. C'est ce qu'exprimait bien naïvement un pauvre artisan à qui un autre demandait, après un discours prononcé par le saint évêque, s'il l'avait entendu : Non, dit-il, mais je l'ai vu; riest-ce pas la même chose ? Tel est l'em-

pire d'une sainteté reconnue : sa seule présence parle au cœur et remue les consciences.

« M. de la Motte, dans les dernières missions qu'il donna, dispensé, par la surdité, de suivre les instructions que faisaient les missionnaires, portait son zèle vers les objets les plus dignes de sa sollicitude pastorale. Tantôt il faisait la visite des communautés religieuses; tantôt il donnait des retraites, prêchant jusqu'à deux et trois fois chaque jour. A certains momens, il assemblait chez lui les personnes les plus considérables et les mieux intentionnées de la ville , pour concerter avec elles les moyens de donner la plus grande extension possible au bien qu'il désirait procurer à son peuple. Les missions, dirigées par ce charitable pasteur, ne se bornaient pas seulement au bien moral ; elles embrassaient tous les genres de bonnes œuvres et y donnaient lieu. C'est alors, et sous ses auspices , que les besoins des pauvres étaient approfondis, et que les projets utiles se réalisaient, que les fonds se trouvaient pour divers établissemens avantageux à la religion et à l'humanité. »

CHAPITRE VI.

DU DISCOURS SACRÉ ET DE SES DIFFERENTES PARTIES.

1. On appelle discours en général ce qu'on écrit ou ce qu'on débite sur un sujet déterminé.

Le discours sacré est ce que les ministres de la religion disent aux fidèles pendant les saints offices pour les instruire et les porter au bien.

Quand il a une certaine étendue et qu'il est solennel, on l'appelle sermon. Il prend le nom de prône quand il s'agit de l'instruction courte et familière qui a lieu à la messe paroissiale.

Le sermon dure ordinairement trois quarts d'heure, une heure au plus. Le prône n'est que de vingt minutes ou d'une demi-heure.

2. Le discours doit être fait avec ordre. Cet ordre est indispensable. En effet, comme il ne suffit pas, pour bâtir un édifice, de faire un grand amas de pierres et d'autres sortes de matériaux , à moins que l'adresse et la main des ouvriers ne les ajustent et les disposent chacun dans leur rang; et comme des troupes, quel-

Du discours en général. I)u sermon et du prône.

Nécessité de l'ordre dans le discours.

que fortes et braves qu'elles soient , sont incapables de bien servir dans la guerre et de combattre heureusement et à propos, si elles ne sont, pour cela, conduites et rangées en ordre par un chef adroit et expérimenté; de même un grand nombre d'argumens et de preuves ne produit qu'un bruit confus de paroles sans effet, et ne sert de rien pour la fin qu'on s'est proposée, si le tout n'est soigneusement arrangé et disposé pour la persuasion (GRENADE).

Tout orateur qui ne met point d'ordre dans son discours montre clairement qu'il ne possède pas sa matière, ou qu'il est incapable de la mettre en œuvre. L'ordre est ce qu'il y a de plus rare dans les ouvrages de l'esprit. Il faut avoir tout vu, tout pénétré et tout embrassé, pour savoir la place précise de chaque chose. C'est ce qu'un déclamateur livré à son imagination et sans science ne peut discerner.

L'expérience prouve qu'il y a des orateurs qui bornent leurs soins à bien former chaque partie de leur ouvrage, sans penser au tout.

Ils ne s'occupent qu'à faire de beaux morceaux ornés et relevés par des traits brillans et par des figures éclatantes. Ils cousent ensemble, comme

dit Horace, deux ou trois bandes de pourpre, et leur discours est fait. Ils ne laissent pas que d'avoir d'abord quelque succès : ils éblouissent la multitude. Mais les connaisseurs ne s'y trompent point, et ils ne voient, dans ces beautés disparates et sans liaison , qu'une harangue froide et insipide. Ces orateurs rappellent tantôt ce peintre bizarre qui rassemble sur la toile les membres de difFérens animaux et en forme une figure monstrueuse ; tantôt ce potier malhabile qui, ayant commencé un vase majestueux, ne donne ensuite qu'une chétive burette ; tantôt enfin ce statuaire borné qui réussit dans les détails et manque l'ensemble ( Art poétique d' Horace).

« On ne doit pas dire que plus les parties sont belles, plus le discours est beau ; mais plus elles conviennent au tout, plus elles y ont de rapport, plus elles tendent au but qu'on se propose. La beauté d'un discours ne vient donc pas de quelques endroits où l'orateur aura épuisé tout son art et tout son feu, mais de l'ensemble de toutes les parties elles-mêmes qui le composent. En un mot, un beau discours est un corps d'ouvrage où tout se tient, parce que tout y est lié et bien assorti. » (GAICHIÈS.)

3. La première règle de l'ordre est Xunité.

Cette qualité est essentielle au discours (1). Le véritable orateur, dit Fénélon, remonte d'abord au principe. Il le considère dans son vrai -point de vue, et le montre clairement a ses auditeurs.

Il en tire les conséquences par un enchaînement court et sensible. Chaque vérité est mise en sa place par rapport au tout. Elle prépare , elle amène, elle appuie une autre vérité qui a besoin de son secours. Cet arrangement sert à éviter les répétitions qu'on peut épargner au lecteur; mais il ne retranche aucune des répétitions par lesquelles il est essentiel de ramener souvent l'auditeur au point qui décide lui seul de tout. Il faut lui montrer souvent la conclusion dans le principe. De ce principe , comme du centre , se répand la lumière sur toutes les parties du discours , de même qu'un peintre place dans son tableau le jour en sorte que, d'un seul

(1) Rien n'est beau que ce qui est dans l'ordre, en physique, en morale, en politique, dans les arts, etc., car tout ce qui est beau émane d'un seul et même principe, et ce principe c'est Y unité, qui ne peut subsister sans l'ordre , comme l'ordre ne peut subsister sans elle ; nmnis pulchrÙlldinÙ forma imitas est. (ST. AUG., Eprs'x. 18).

De l'unité du discours.

endroit, il distribue à chaque objet son degré de lumière. Tout le discours est un; il se réduit à une seule proposition mise au plus grand jour par des tours variés. Cette unité de dessin fait qu'on voit d'un seul coup d'œil tout le sujet, comme on voit de la place publique d'une ville toutes les rues et toutes les portes, quand toutes les rues sont droites, égales et en symétrie. Le discours est la proposition développée. La proposition est le discours en abrégé.

4. Quiconque, dit encore Fénélon, ne sent pas la beauté et la force de cette unité et de cet ordre n'a encore rien vu au grand jour; il n'a vu que des ombres dans la caverne de Platon. Que dirait-on d'un architecte qui ne sentirait aucune différence entre un grand palais dont tous les bâtimens seraient proportionnés, pour former un tout dans le même dessin , en un amas confus de petits édifices qui ne serait point un vrai tout, quoiqu'ils fussent les uns auprès des autres? Quelle comparaison entre le Colisée et une multitude confuse de maisons irréguliéres d'une ville? Un ouvrage n'a une véritable unité que quand on ne peut en rien ôter sans couper dans le vif. Il n'a un véritable ordre que quand on ne peut en déplacer aucune partie, sans affai-

Sa beauté et sa force.

blir, sans obscurcir, sans déranger le tout.

C'est ce qu'Horace explique parfaitement.

Denique sit quodvis sÙnplex, duntaxat et unum.

Ordinis hæc virtus erit, et venus, aut ego fallor, Ut jam nunc dicat jam nunc debentia diciy Pleraque differ at, et præsens in tempus omittat.

(ART POÉTIQUE.)

a La marche d'un discours fait avec une savante méthode est admirable ; d'abord mesuré, ensuite s'élevant par un progrès insensible, répandant sa chaleur dans le moment de l'action la plus vive ; enfin rappelant à lui dans la péroraison tous ses feux pour em braser son auditoire (1). » (BEsPLAs).

5. L'unité n'empêche point la variété, ou, si l'on veut, la variété n'est point contraire à l'unité. « Ce sont, dit M. Pérennès, deux conditions du beau qui n'ont de valeur qu'autant qu'elles se trouvent unies ; car, si l'unité sans la variété est monotonie, la variété sans l'unité est désordre et confusion. » On peut, sans sortir de

(1) Nous indiquerons dans le chapitre X, qui traite de la Composition, les moyens de mettre de l'unité dans le discours.

L'unité n'empêche point la variété.

son sujet, varier ses preuves et surtout ses formes et sa marche comme son style, de manière à intéresser toujours son auditoire. Je dis plus ; non-seulement on peut, mais on doit éviter d'ennuyer par trop d'uniformité. Tout ne doit pas avoir la même grandeur dans un discours.

Le voisinage de l'humble hysopefait paraître le cèdre plus majestueux. Il faut, pour faire un tableau parfait, qu'il y ait des ombres pour faire mieux ressortir les objets principaux.

6. Cette variété doit naître des matières mêmes qu'on traite. Il faut qu'il y ait diversité dans les objets qu'on présente, sans sortir du même genre et sans quitter le fond qui ne doit jamais varier. Il n'y a pas de variété quand les objets sont analogues et rentrent les uns dans les autres , ou quand les formes et les tournures sont toujours les mêmes. Que dirait-on d'un tableau où les visages de tous les personnages se ressembleraient, soit en totalité, ou seulement dans quelques parties qui seraient uniformes, comme les yeux, les nez ou les bouches ? Il en est d'un discours comme d'un tableau ; c'est la variété unie à l'unité qui en fait la beauté.

7. Avant de parler des parties accessoires du discours, il convient de nous occuper de la di-

Cette variété doit naître des matières mêmes qu'on traite.

Du plan ou des parties principales du discours. Nécessite

vision générale ou du plan qui renferme ses parties principales (1). « Laissons blâmer, dit

(1) TABLEAU DES PARTIES DU DISCOURS.

EXORDE.

1. Texte.

2. Introduction générale.

3. Annonce du sujet.

4. Division (ordinairement deux membres).

5. Invitation et invocation.

CORPS DU DISCOURS OU PARTIES.

lre PARTIE.

1. Introduction particulière.

2. Subdivion (3 ou 4 idées principales). - lre preuve.

3. Conclusion particulière. — Sentimens et transition.

4. 2e Subdivision 5. 3e Subdivision

même méthode.

6. Conclusion de la pe partie.—Mouvement oratoire.

7. Transition à la 2e partie.

2e PARTIE.

(Suivre la même marche que pour la première partie.) CONCLUSION GÉNÉRALE OU PÉRORAISON.

1. Récapitulation.

2. Fruit principal pour la pratique.

3. Exhortation et mouvement pathétique.

4. Invocation.

5. Fin propre au sujet.

NOTA. Cet ordre est le plus ordinaire, mais il n'est pas l'unique. Il y a des sujets pour lesquels il faut y déroger. On le fait alors sans sortir de l'ordre. C'est a l'orateur à distinguer ce qui convient le mieux à son but.

de faire et d'annoncer des divisions.

Maury, la méthode des divisions comme une contrainte funeste à l'éloquence, et adoptons-la néanmoins sans craindre qu'elle ralentisse la rapidité des mouvemens oratoires, en les dirigeant avec plus de régularité. Le génie a besoin d'être guidé dans sa route, ou de se guider luimême, en nous disant d'où il vient et où il va ; et la règle qui lui épargne des écarts le contraint pour le mieux servir., quand elle lui donne de salutaires entraves ; car le génie n'en est que plus ferme et plus grand, lorsqu'il marche avec ordre, éclairé par la raison et dirigé par le goût. L'auditeur qui ne sait où l'on veut le conduire est bientôt distrait; et le plan est tellement nécessaire pour fixer son attention, qu'il ne faut plus délibérer si l'orateur doit l'indiquer. »

8. « Il faut, dit saint François de Sales, tenir méthode sur toutes choses. Il n'y a rien qui aide plus le prédicateur, qui rende sa prédication plus utile, et qui agrée tant à l'auditeur. J'approuve que la méthode soit claire et manifeste, et nullement cachée, comme font plusieurs qui pensent que ce soit un grand coup de maître de faire que nul ne connaisse leur méthode. De quoi, je vous prie, sert la méthode, si on ne la

Sentiment de saint François de Sales sur les divisions.

voit pas, et que l'auditeur ne la connaisse pas » (Lettre à l'archevêque de Bourges.)

: 9. On dit que Fénélon n'approuvait pas les divisions. Nous répondons qu'il ne blâmait que les divisions qui ne mettent dans le discours qu'un ordre arbitraire, mais qu'il était loin de désapprouver celles qui y mettent un ordre naturel. En disant que les anciens et les saints Pères ne divisaient pas leurs discours comme aujourd'hui, il reconnaît cependant qu'il y avait de l'ordre. « On ne divisait pas, ditil, un discours anciennement, mais on y distinguait soigneusement toutes les choses qui avaient besoin d'être distinguées. On assignait à chacune sa place, et on examinait attentivement en quel endroit il fallait placer chaque chose pour la rendre plus propre à faire impression. » Fénélon montre clairement qu'il veut de l'ordre dans le discours. En cela, il est d'accord avec les anciens comme avec les modernes. On ne peut mieux exposer son opinion sur ce sujet qu'en citant le passage suivant de ses Dialogues sur r Éloquence. Il y indique parfaitement la marche d'un discours. « Il doit y avoir partout, « dit-il, un enchaînement de preuves; il faut

Sur l'opinion de Fénélon à ce Mijet.

« que la première prépare à la seconde, et que « la seconde soutienne la première. On doit « d'abord montrer en gros tout un sujet, et pré« venir favorablement l'auditeur par un début « modeste et insinuant, par un air de probité « et de candeur ; ensuite on établit les princi« pes, puis on pose les faits d'une manière sim« pie, claire et sensible, appuyant sur les cir« constances dont on devra se servir bientôt (c après. Des principes, des faits on tire les (c conséquences, et il faut disposer le raisonne« ment de manière que toutes les preuves s'en« tr'aident pour être facilement retenues. On « doit faire en sorte que le discours aille tou« jours croissant, et que l'auditeur sente de « plus en plus le poids de la vérité. Alors il faut « déployer les images vives et les mouvemens « propres à exciter les passions. Pour cela, il « faut connaître la liaison que les passions ont « entre elles, celles qu'on peut exciter d'abord « plus facilement, et qui peuvent servir à « émouvoir les autres; celles enfin qui peuvent « produire les plus grands effets, et par les« quelles il faut terminer le discours. Il est (c souvent à propos de faire à la fin une ré« capitulation qui recueille en peu de mots

« toute la force de l'orateur, et qui remette « devant les yeux tout ce qu'il y a de plus per(f suasif. »

10. Fénélon ne s'écarte de l'opinion commune qu'en ce qu'il ne veut pas qu'on annonce la division. « Il faut un ordre, dit-il, mais un « ordre qui ne soit point promis et découvert « dès le commencement du discours. » Malgré l'autorité de son nom, on n'est pas généralement de son avis (1). Nous avons vu ce que pensait St. François de Sales sur ce sujet (N. 8).

Son opinion est celle du grand nombre ; elle est fondée en raison, il faut la suivre. L'ordre,

pour être annoncé, n'en est pas moins efficace.

La méthode moderne est plus parfaite que celle d'autrefois. Pourvu qu'on suive les règles tracées par les grands maîtres pour faire des divisions naturelles, il n'y a pas d'inconvénient de les annoncer. Si- l'art doit être caché, il le sera suffisamment dans les détails secondaires;

(1) On a dû remarquer dans la citation du n° précédent ces mots du passage tiré des Dialogues sur f éloquence : On doit d'abord montrer en gros tout un sujet. Ne pourrait-on pas dire que Fénélon se contredit? Montrer en gros un sujet, n'est-ce pas l'équivalent d'un plan annoncé ?

En quoi Fénélon s'écarle de l'opinion commune.

mais il faut toujours annoncer son dessein général (1).

11. Les parties accessoires du discours sont l'exorde, les transitions et la péroraison. Nous allons en parler successivement. Commençons par l'exorde. On appelle ainsi l'introduction générale au discours. II y en a de deux sortes: l'exorde direct, et l'exorde indirect. Le premier est celui qui est propre au sujet ; le second n'est qu'une introduction de circonstance. Ils sont quelquefois tous deux réunis. Alors cel ui de circonstance est mis le premier (2).

12. « Le début d'un discours, dit Maury, doit être simple pour concilier au prédicateur la bienveillance de l'auditoire. L'exorde mérite cependant d'être travaillé avec beaucoup de soin. La doctrine et l'exemple des maîtres de l'art avertissent de s'y restreindre au développement d'une seule idée principale, qui découvre et qui fixe toute l'étendue de l'argument oratoire, ou de la matière qu'on veut traiter.

(1) On trouvera dans le chapitre X les règles concernant les plans ou divisions et les subdivisions.

(2) Il nous a paru inutile de parler des autres espèces d'exordes. Nous nous bornons au nécessaire et au solide.

Des parties accessoires du discours.— De l'exorde et de ses espèces.

Des qualités de l'exorde.

C'est là qu'au moment même où elle est annoncée, les points de vue de l'orateur sont indiqués sans occuper trop d'espace, et que les germes du plan se hâtent de paraître comme l'explication naturelle et nécessaire du sujet; qu'une logique, de raison plutôt que de raisonnement, règle le choix des rapports auxquels le ministre de la parole préfère de se borner, en mettant à l'écart tous ceux qui seraient arbitraires, vagues, abstraits, ou stériles, et en circonscrivant le discours avec autant de discernement et d'exactitude que de clarté et de précision ; et qu'enfin des principes lumineux annoncent, par d'importans résultats, les méditations profondes d'un orateur qui a beaueoup réfléchi, et qui ajoute l'empire du talent à l'autorité de son ministère, pour captiver l'attention d'une assemblée nombreuse qu'il associe à toutes ses pensées, en lui présentant un si grand intérêt. Tel est l'art de Bossuet, quand, pour frapper vivement les esprits, il dit en commençant l'oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre, « qu'il veut dans un « seul malheur déplorer toutes les calamités du « genre humain, et dans une seule mort, faire « voir la mort et le néant de toutes les gran« deurs humaines. »

« Tout ce qui ne prépare point aux principaux faits d'un discours est inutile dans un exorde. Écartons donc de cette partition oratoire les réflexions subtiles , les citations, les dissertations, les lieux communs, et même les images et les métaphores ambitieuses; car il ne faut, dit l'orateur romain, employer alors les mots que dans leur sens le plus usité, de peutque le discours ne paraisse travaillé avec trop d'apprêt (1). Marchons au but par le plus court chemin : tout doit être approprié au sujet, puisque, selon l'expression de Cicéron, l'exorde n'est que l'avenue du sujet, aditus ad causam.

N'imitons point ces prolixes rhéteurs qui, au lieu d'entrer d'abord en matière, se tournent et se retournent dans tous les sens, comme un voyageur qui ne connaît pas sa route, et laissent l'auditoire incertain sur la matière qu'ils vont traiter. »

Abelly dévoppe les mêmes principes d'une manière moins élégante, mais aussi solide.

(1) Il faut prendre garde de faire attendre plus qu'on ne doit donner. Cela rappellerait la montagne en travail qui n'enfante qu'une souris , et produirait un mauvais effet.

Écoutons-le : « Il faut prendre garde, dit-il, à quatre défauts qui rendent l'exorde désagréable.

Le premier, c'est lorsqu'il est trop vague, et qu'on le peut appliquer à toutes sortes de matières ; car alors il est faible , et il ne conduit pas l'esprit où il doit aller. Le second est la trop grande affectation de mots choisis , et de pensées délicates ; car alors l'esprit de l'auditeur se contente trop tôt, il se distrait, et il se rend, par le plaisir qu'il prend à ces agrémens, incapable de goûter les raisons solides lorsqu'il n'y trouve plus ce qui le divertissait. Le troisième défaut est la longueur, lorsqu'on tire un exorde de si loin, et qu'on suppose des principes si élevés, qu'il faut bien du discours pour en faire la liaison avec ce que l'on doit dire. Cela est ennuyeux , et cette grande abondance qui accable avant le temps fait croire que tout est dit, et on ne songe plus à ce qui vient après.

Mais le quatrième et principal défaut, c'est lorsqu'un exorde n'est pas pris du fond même du sujet que l'on traite; car alors il est toujours languissant, vulgaire et badin. C'est pourquoi plusieurs excellens orateurs réservent ordinairement à composer leur exorde après tout le reste, pour avoir l'esprit tellement rempli de

leur matière, qu'ils ne puissent avoir aucune pensée qui n'ait du rapport avec ce qu'ils doivent dire dans la suite.

« Et, tout au contraire, il semble que certains jeunes prédicateurs soient persuadés que l'exorde n'est qu'un discours perdu en attendant la division, et qu'on ne le met que comme un prélude sur un instrument de musique , lequel n'est pas nécessairement attaché à la pièce qui suit après. Ceux-là perdent bien du temps et des paroles. Pour qu'un exorde soit bon, il faut ne jamais perdre de vue son principal dessein, et y aller si droit que tous les mots en avançant toujours servent à l'éclaircir de plus en plus, et que l'esprit de l'auditeur ne trouve rien qui l'arrête, jusqu'à ce qu'il soit arrivé à comprendre de quoi on veut lui parler, et qu'il se sente disposé à l'écouter favorablement. La beauté d'un exorde ne consiste pas à entasser de belles pensées, à bien choisir les mots nouveaux, et à ranger des antithèses finement imaginées , mais à faire qu'un discours judicieux conduise bien aux preuves, et à disposer lee auditeurs à se rendre fort attentifs à des vérités très-importantes qu'on va leur apprendre par le zèle que l'on a de leur salut. Car il n'y a rien qui attire

tant l'attention que lorsqu'on voit un homme de bien qui nous aime, et qui promet de nous donner des avis très-nécessaires. Je ne prétends pas bannir tous les agrémens d'un exorde; mais je dis qu'il n'en faut mettre qu'avec discrétion , et se souvenir que si la conclusion (le résultat) d'un sermon doit toujours être trèssérieuse et très-importante, on y prépare mal les esprits avec des bagatelles, et que le vrai moyen pour se faire écouter, c'est de parler avec gravité. »

13. L'exorde a différentes parties, qui sont le texte, l'introduction générale, l'annonce du sujet et de ses parties principales, l'invitation et l'invocation. Nous allons traiter brièvement de chacune de ces parties. Parlons d'abord du texte.

« Les textes, dit Fénélon, viennent de ce que les pasteurs ne parlaient jamais autrefois au peuple de leur propre fond. Ils ne faisaient qu'expliquer les paroles du texte de l'Écriture.

Insensiblement, on a pris la coutume de ne plus suivre toutes les paroles de l'Evangile ; on n'en explique plus qu'un seul endroit, qu'on nomme le texte du sermon. » Souvent même on ne fait plus le sermon d'après le texte, mais on cherche le texte après avoir fait le sermon. C'est une

Des parties dn l'exorde. — Du texte.

très-bonne méthode, pourvu qu'on traite un sujet solide, et que le texte y vienne naturellement.

On distingue deux sortes de textes, comme deux sortes d'exordes. Celui qui est propre et direct, et celui qui est indirect et de circonstance.

Ce dernier ne doit jamais être pris dans un sens forcé. « Les textes forcés, dit Fénélon, m'ont toujours déplu. N'avez-vous pas remarqué qu'un prédicateur tire d'un texte tous les sermons qu'il lui plaît? Il détourne insensiblement la matière pour ajuster son texte avec le sermon qu'il a besoin de débiter; cela se fait surtout dans le carême. Je ne puis l'approuver. » Il aurait pu ajouter que cela se fait presque habituellement dans les prônes. C'est un abus.

Il faut, autant que possible, que le texte renferme Vidée principale et dominante du discours, de sorte qu'après l'avoir entendu, on puisse déjà prévoir, jusqu'à un certain point, quel sera le sujet que l'orateur traitera. FénéIon blâme avec raison le texte suivant, qu'un prédicateur avait pris pour un discours qu'il devait prononcer le jour des Cendres : Cinerem tanquam panem manducabam ; je mangeais la cendre comme mon pain (Ps. 101 ). « Quand le

prédicateur a choisi ce texte, dit-il, devait-il se contenter de trouver un rapport de mots entre ce texte et la cérémonie du jour? Ne devaitil pas commencer par entendre le vrai sens de son texte avant que de l'appliquer au sujet?

N'était-il pas juste d'examiner si l'interprétation dont il s'agissait était contraire au sens véritable, avant que de la donner au peuple comme la parole de Dieu ? Le psalmiste parle de ses malheurs en cet endroit. Il dit que ses ennemis lui insultaient cruellement, le voyant dans la poussière, abattu à leurs pieds, réduit (c'est ici une expression poétique) à se nourrir d'un pain de cendre et d'une eau mêlée de larmes. Quel rapport des plaintes de David, renversé de son trône, et persécuté par son fils Absalon, avec l'humiliation d'un chrétien qui met des cendres sur son front pour penser à la mort, et pour se détacher des plaisirs du monde?

« N'y avait-il point d'autre texte à prendre dans l'Écriture? Jésus-Christ, les apôtres, les prophètes n'ont-ils jamais parlé de la mort et de la cendre du tombeau à laquelle Dieu réduit notre vanité? Les Écritures ne sont-elles pas pleines de mille ligures touchantes sur cette

vérité? Les paroles mêmes de la Genèse, si propres, si naturelles à cette cérémonie, et choisies par l'Église même, ne seront-elles donc pas dignes du choix d'un prédicateur? Appréhendera-t-il, par une fausse délicatesse, de redire souvent un texte que le Saint-Esprit et l'Église ont voulu répéter sans cesse tous les ans?

Pourquoi donc laisser cet endroit et tant d'autres de l'Écriture qui conviennent, pour en chercher un qui ne convient pas? C'est un goût dépravé, une passion aveugle de dire quelque chose de nouveau (1). ); 14. C'est à l'introduction générale proprement dite qu'on doit appliquer spécialement ce que nous avons dit plus haut des qualités de l'exorde. Cette partie est celle qui demande le plus de soin. Elle varie à l'infini. C'est à la

(1) C'est une règle générale qu'il ne faut jamais prendre un texte dans un sens qu'il n'a évidemment pas dans l'Ecriture. Ainsi un prédicateur serait trèsblâmable si, en prêchant sur le danger des mauvaises compagnies, il se servait de ce texte du psaume 17, cum perverso pervcrteris. (V. 27). Ces paroles s'adressent à Dieu, et non à l'homme. Elles signifient que le Seigneur traitera celui qui ne va pas sincèrement avec lui selon sa perversité et sa malice. Il l'aveuglera pour le punir.

De l'introduction générale proprement dite.

sagesse et à la prudence de l'orateur qu'il appartient de distinguer ce qui convient le mieux dans les circonstances où il se trouvé.

15. « C'est une faute très-grande, dit Abelly, de prononcer un mot de l'Écriture et de parler jusqu'à ce qu'on dise XAve Maria, sans que l'auditeur puisse concevoir sur quelle matière on parlera dans la suite. Cela arrive, ou parce qu'on ne sait pas à quoi ce préambule est destiné, ou parce qu'à force d'y vouloir mettre de jolies choses, on oublie celles qui sont nécessaires, ou parce qu'on veut donner à l'auditeur le plaisir de les deviner, et qu'à force de les vouloir dire finement, on les dit si imperceptiblement, qu'on n'y entend rien du tout. Ce n'est donc pas une bassesse) mais une nécessité de dire :* Voilà mon idée, voilà à quoi je réduis tout ce que je veux vous montrer ; voilà ce qui mefait monter en chaire. C'est un grand abus de vouloir tout dire avec délicatesse. Le plaisir que l'on fait à son auditeur de lui proposer clairement le sujet du discours le satisfait plus que toutes les gentillesses imaginables. Je me suis souvent étonné de la différence surprenante d'un discours où l'on a dit d'abord de quoi il était question , d'avec un autre où l'on ne va que par

De l'annonce du sujet.

détours; et j'ai remarqué que celui qui s'explique d'abord a dès-là beaucoup avancé, en ce que l'auditeur sait quelle sera la conclusion sans avoir la peine de la chercher, ce qui lui est une distraction. Vous croyez faire plaisir à ceux qui vous écoutent, de leur donner des phrases qui enveloppent votre pensée, et vous les embarrassez. Vous vous imaginez que votre dessein leur sera facile et familier, parce que vous y avez beaucoup rêvé. Mais ces gens qui n'y ont jamais pensé le trouveront obscur, et vous ne leur donnez pas autant de temps que vous en avez pris pour l'étudier. Cette proposition que vous méprisez toute nue est ce qu'on estime le plus, et ce sera peut-être la seule chose que l'on emportera de votre sermon. Ne faites donc point de difficulté de la dire simplement. » Après l'annonce du sujet, vient celle de la division dont nous avons parlé suffisamment. Il faut la faire sans façon et éviter les mêmes défauts dont Abelly vient de parler (1).

(1) On peut se rappeler ici ce que La Bruyère reprochait , d'une manière si piquante, aux prédicateurs de son temps relativement à leur manière bizarre et ridicule d'annoncer leur plan. Voyez les passages que nous avons cités de cet auteur, sur ce sujet, chapitre II, n° 5.

1 16. On invite ensuite les auditeurs à l'attention, en leur montrant l'importance de la matière qu'on va traiter, ce qui se fait sans développement. On vient après cela à l'invocation.

« C'est une coutume digne du christianisme, dit l'auteur que nous venons de citer, de commencer tous les discours, non-seulement par le signe de la Croix , qui nous fait souvenir que tout ce que nous espérons de graces ne nous est accordé que par les mérites de Jésus-Christ crucifié; mais encore par une reconnaissance du pouvoir et de la piété de sa sainte Mère, dont nous interposons les mérites pour obtenir les lumières qui sont nécessaires au prédicateur pour parler, et aux auditeurs pour croire. Si les historiens et les poètes commencent ordinairement leurs ouvrages par une invocation de la divinité, à combien plus forte raison un envoyé de Dieu est obligé de demander un secours sans lequel tout son travail serait inutile! C'est pourquoi on engage tous les assistans à y joindre leurs suffrages, afin que, la prière étant commune , elle soit plus efficace, et que l'humilité des plus simples obtienne ce qui ne serait peut-être pas donné aux ames plus élevées.

De toutes les prières, l'Église a choisi de-

De l'invitation et de l'invocation.

puis un temps immémorial la Salutation Angelique) comme plus propre à ce dessein, pour plusieurs raisons. C'est Notre-Dame qui a écrasé la tête du serpent, et l'on ne peut mieux faire que de lui demander son assistance lorsqu'on entreprend de détruire le péché et de terrasser le démon. De plus, l'Église donne à cette Vierge incomparable la gloire d'avoir éteint toutes les hérésies, et il semble que ce soit par ses intercessions que Dieu nous accorde l'éclaircissement des plus importans mystères. En troisième lieu, un regard qu'on jette sur les vertus de la Mère de Dieu nous découvre un modèle de tout ce que l'on peut prêcher de perfection, et son exemple fortifie l'espérance de lui devenir semblable. Enfin, on se sert de ces paroles qu'un ange apporta du ciel, parce qu'elles furent le commencement de notre salut, et que tout ce que nous croyons, ce que nous faisons et ce que nous espérons de surnaturel, n'est qu'une suite de cette divine salutation, et l'accomplissement des promesses qui nous furent faites en la personne de la SainteVierge. Voilà pourquoi tous les prédicateurs véritablement évangéliques ont établi et fortifié cette louable coutume, à mesure qu'ils ont recom-

mandé la dévotion et le culte de la très-digne Mère du Sauveur. » Il faut venir à X Ave Maria simplement et sans faire de l'esprit. Dans le temps pascal on le remplace par le Regina cœliy qu'on chante. Quand on prêche sur la Croix ou sur la Passion, on lui substitue la strophe 0 crux, ave, qu'on chante aussi.

17. Les différentes parties du discours doivent être liées entre elles par des transitions naturelles. « Celles qui ne sont fondées que sur

le mécanisme du style, et qui consistent uniquement dans une liaison apparente entre le dernier mot du paragraphe qui finit et le premier mot du paragraphe qui commence, ne sont point, à proprement parler, des transitions naturelles, mais des rapprochemens forcés. Les véritables transitions oratoires sont celles qui suivent le cours du raisonnement ou du sentiment sans contrainte, avec assez d'art pour ne montrer aucun effort, et dont l'auditeur n'aperçoit point la liaison; celles qui unissent les masses, au lieu de suspendre seulement quelques phrases les unes aux autres ; celles qui enchaînent tout le discours, et dispensent le prédicateur de faire un nouvel exorde à chaque nouvelle sous-division que lui présente son

Des transitions.

plan ; celles que le développement des idées fournit et place, pour ainsi dire à l'insu de l'orateur, avec ordre et méthode; celles qui s'appellent et se correspondent par une connexion naturelle, et non par une rencontre imprévue ; celles enfin que la méditation engendre en inspirant de suite, et presque à la fois, plusieurs grandes pensées, et non pas celles que la plume fait coïncider en saisissant des rapports combinés. Des idées nettes et précises se prêtent mutuellement à des transitions faciles et heureuses. Les pierres bien taillées, dit Cicéron, s'unissent d'elles-mêmes, sans le secours du

ciment. » (MAURY.) 18. La dernière partie du discours est la péroraison. C'est la conclusion générale de tout ce qui a été dit. Elle a plusieurs parties, qui sont la récapitulation, le fruit ou la conséquence pratique, et l'exhortation. On y ajoute quelquefois une invocation. Elle se termine ordinairement par la vie éternelle, c'est-à-dire qu'on en vient à la conséquence finale de tous les discours, qui est le bonheur du ciel ou le salut. La péroraison n'a pas toujours toutes ses parties , et on n'y suit pas toujours la même marche. C'est la partie du discours qui demande le plus de tact

De la péroraison.

dans l'orateur, et celle où il doit déployer toutes les ressources de l'éloquence..

19. La récapitulation doit se faire brièvement et presque sans que l'auditeur s'en aperçoive. On manquerait donc à cette règle en l'annonçant. On y manquerait encore davantage si on allait jusqu'à rappeler les principales preuves et à présenter une sorte d'analyse. Il faut se borner, en concluant la seconde partie, à rappeler, pour ainsi dire, à l'insu de ceux qui écoutent, l'idée générale de la première. Si l'on en disait trop , cette répétition rendrait le discours languissant, en ramenant l'esprit de l'auditeur vers des idées dont il ne peut plus être vivement frappé, quand il en a déjà éprouvé et, pour ainsi dire, épuisé l'intérêt. Cicéron compare un orateur qu'on voit revenir ainsi sur ses pas aux circuits d'un serpent qui achève ses circonvolutions en mordant sa queue. Cette maladresse de l'orateur préparerait fort mal l'auditoire aux mouvemens pathétiques qui doivent terminer la péroraison.

20. Après avoir mis sous les yeux de l'auditeur, par quelques mots rapides, le gros du discours, on en vient au fruit qu'il doit en retirer pour sa conduite et pour son salut. C'est là le

De la récapitulation.

Du fruit.

principal. Observons ici avec Maury que les résultats d'un discours vraiment oratoire ne se bornent point à de simples conséquences spéculatives. « Vous n'avez encore rien fait, dit-il, « ou du moins rien gagné, quand vous avez « établi vos preuves ; c'est de ce point qu'il faut « partir pour triompher des passions, afin qu'il « ne reste plus au pécheur aucune excuse, et cc que la conviction excite en lui l'émotion qui « doit amener le repentir (1). »

21. A la conclusion pratique doit donc succéder l'exhortation, pour déterminer l'auditeur à ce que demande son salut ou son intérêt éternel. Elle doit être pathétique et véhémente.

L'orateur doit y mettre en jeu tous les ressorts de la sensibilité, et frapper les plus grands coups de l'éloquence. C'est pour cette raison qu'il faut réserver pour cette partie de la péroraison les plus vives émotions du sentiment. C'est ici ou

(1) Les sentimens qui doivent être exprimés le plus souvent dans la conclusion sont ceux du repentir.

C'est la méthode des prédicateurs d'Italie de terminer leurs discours (surtout dans les missions) par un acte de contrition, Cette méthode est excellente , car c'est à la conversion des auditeurs que doivent tendre tous les discours. Saint Liguori la recommandait fortement à ses prêtres.

De l'exhortation

jamais qu'il nous est permis d'ouvrir toutes les sources de l'éloquence, et de déployer toutes ses voiles.

22. La péroraison de l'oraison funèbre de Condé par Bossuet est une des plus frappantes que nous connaissions sous le rapport des sentimens. Il n'est pas possible de la lire sans être vivement ému, et l'on doit la regarder comme un des morceaux les plus sublimes, les plus magnifiques, les plus touchans qui soient jamais sortis de la plume d'un orateur. Bossuet vient de raconter la mort de son héros, et il continue : M Venez , peuples , venez maintenant ; mais « venez plutôt, princes et seigneurs ; et vous « qui jugez la terre; et vous qui ouvrez aux « hommes les portes du ciel ; et vous plus que « tous les autres , princes et princesses , nobles « rejetons de tant de rois, lumières de la France, u mais aujourd'hui obscurcies et couvertes de « votre douleur comme d'un nuage; venez voir « le peu qui nous reste d'une si auguste naissan« ce, de tant de grandeur, de tant de gloire : « jetez les yeux de toutes parts ; voilà tout ce « qu'a pu faire la magnificence et la piété (1)

(1) Il y a des éditions où se trouve le mot pitié au lieu de piété. Nous croyons que ce dernier est le

Péroraison de l'oraison funèbre de Condé , par Bossuet.

h pour honorer un héros ! Des titres, des in« scriptions, vaines marques de ce qui n'est « plus; des figures qui semblent pleurer autour « d'un tombeau, et de (1) fragiles images d'une a douleur que le temps emporte avec tout le « reste ; des colonnes qui semblent vouloir porte ter jusqu'au ciel le magnifique témoignage « de notre néant ; et rien enfin ne manque dans « tous ces honneurs que celui à qui on les rend.

(( Pleurez donc sur ces faibles restes de la vie « humaine, pleurez sur cette triste immortalité a que nous donnons aux héros. Mais approchez (( en particulier, ô vous qui courez avec tant « d'ardeup dans la carrière de la gloire , aines « guerrières et intrépides ; quel autre fut plus « digne de vous commander ? Mais dans quel a autre avez-vous trouvé le commandement « plus honnête ? Pleurez donc ce grand capi* taine, et dites en gémissant ; Voilà celui qui « nous menait dans les hasards; sous lui se sont « formés tant de renommés capitaines que ses

correct. Il n'est question ici que des choses extérieures. Les détails qui suivent l'indiquent assez.

(1) Dans quelques éditions il y a des fragiles Images, c'est une faute. Il faut de fragiles images.

« exemples ont élevés aux premiers honneurs « de la guerre ; son ombre eût pu encore gagner « des batailles ; et voilà que, dans son silence , « son nom même nous anime, et ensemble il « nous avertit que, pour trouver à la mort « quelque reste de nos travaux , et n'arriver (( pas sans ressource à notre éternelle demeure, (( avec le roi de la terre il faut encore servir le « roi du ciel. Servez donc ce roi immortel et si « plein de miséricorde, qui vous comptera un « soupir et un verre d'eau donnés en son nom « plus que tous les autres ne feront jamais tout « votre sang répandu ; et commencez à compter « le temps de vos utiles services du jour que (( vous vous serez donnés à un maître si bienu faisant !

« Et vous, ne viendrez-vous pas à ce triste H monument, vous, dis-je, qu'il a bien voulu « mettre au rang de ses amis ? Tous ensemble , « en quelque degré de sa confiance qu'il vous « ait reçus, environnez ce tombeau ; versez des « larmes avec des prières, et, admirant dans un « si grand prince une amitié si commode et un « commerce si doux, conservez le souvenir c( d'un héros dont la bonté avait égalé le cou« rage. Ainsi puisse-t-il toujours vous être un

n cher entretien! Ainsi puissiez-vous profiter « de ses vertus; et que sa mort, que vous déplo« rez, vous serve à la fois de consolation et « d'exemple !

« Pour moi, s'il m'est permis, après tous les « autres , de venir rendre les derniers devoirs à « ce tombeau, ô prince, le digne sujet de nos « louanges et de nos regrets, vous vivrez éter« nellement dans ma mémoire; votre image y « sera tracée, non point avec cette audace qui « promettait la victoire; non, je ne veux rien « voir en vous de ce que la mort y efface; vous « aurez dans cette image des traits immortels ; « je vous y verrai tel que vous étiez à ce dernier « jour, sous la main de Dieu, lorsque sa gloire « sembla commencer à vous apparaître. C'est là « que je vous verrai plus triomphant qu'à Fri« bourg et à Rocroi ; et, ravi d'un si beau « triomphe, je dirai en actions de graces ces « belles paroles du bien-aimé disciple : Et hcec cc est victoria quœ vincit mundum).fides nostra.

« La véritable victoire, celle qui met sous nos « pieds le monde entier, c'est notre foi. Jouissez, cc prince, de cette victoire; jouissez-en éter« nellement par l'immortelle vertu de ce sacri« fice; agréez ces derniers efforts d'une voix qui

(c vous fut connue; vous mettrez fin à tous ces dis« cours. Au lieu de déplorer la mort des autres, « je veux apprendre de vous à rendre la mienne « sainte : heureux si, averti par ces cheveux (( blancs du compte que je dois rendre de mon « administration, je réserve au troupeau que je « dois nourrir de la parole de vie les restes d'une u voix qui tombe et d'une ardeur qui s'éteint!» 23. Il est bon de terminer quelquefois la péroraison par une prière touchante. « C'est, dit Maury, le plus puissant moyen d'éveiller le remords, ce ver rongeur du crime, qui réconcilie le pécheur avec Dieu, en armant sa conscience contre lui-même. Massillon, incomparable en ce genre, nous présente les plus beaux modèles - de cette componction oratoire, ainsi que de la manière suppliante de parler pieusement à Dieu, quand il va terminer ses instructions. L'éloquence et la foi rendent alors le juge suprême présent à tous les esprits, et demandent grace au tribunal de la Croix pour tous les coupables. Dites à Dieu avec confiance, au nom du pécheur attendri, tout ce que pourra vous suggérer votre zèle : le pécheur est ému, il ne vous démentira point. Eh! quel moyen de résister à l'orateur qui fait si bien

Do I invocation ou de la prière.

partager ses senti mens, et souscrire à toutes ses promesses ? »

24. Voici la péroraison par laquelle Massillon termine son sermon sur le petit nombre des Élus. On y verra avec quel talent il met en pratique les règles que nous venons d'exposer. On y remarquera surtout une prière touchante qu'il tire des développemens de ces paroles que lui fournit le prophète Jërémie (1) : C'est vous seul, ô mon Dieu ! qu'il faut adorer. Te oportet adorari, Domine.

« Grand Dieu! que l'on connait peu dans le « monde les terreurs de votre loi! Les justes « de tous les siècles ont séché de frayeur en « méditant la sévérité et la profondeur de vos « jugemens sur la destinée des hommes : on a « vu des saints solitaires, après une vie entière « de pénitence, frappés de la vérité que je « prêche, entrer au lit de la mort dans des « terreurs qu'on ne pouvait presque calmer, « faire trembler d'effroi leur couche pauvre et « austère, demander sans cesse d'une voix mou« rante à leurs frères : Croyez-vous que le « Seigneur me fasse miséricorde ? et être pres« que sur le point de tomber dans le désespoir,

(1) Cité dans Baruch, chap. 6.

Péroraison par laquelle MassilIon termine son sermon sur le petit nombre des Élus.

« si votre présence, ô mon Dieu ! n'eût à l'ins« tant apaisé l'orage, et commandé encore une « fois aux vents et à la mer de se calmer : et « aujourd'hui, après une vie commune, mon« daine, sensuelle, profane, chacun meurt (c tranquille ; et le ministre de Jésus-Christ ap« pelé est obligé de nourrir la fausse paix du « mourant, de ne lui parler que des trésors in« finis des miséricordes divines, et de l'aider, « pour ainsi dire, à se séduire lui-même (1). 0 (c Dieu! que prépare donc aux enfans d'Adam cc la sévérité de votre justice?

« Mais que conclure de ces grandes vérités?

« qu'il faut désespérer de son salut? A Dieu ne cc plaise! Il n'y a que l'impie qui, pour se (c calmer sur ses désordres, tâche ici de con« dure en secret que tous les hommes périront a comme lui : ce ne doit pas être là le fruit de « ce discours; mais de vous détromper de cette « erreur si universelle, qu'on peut faire ce que « tous les autres font, et que l'usage est une « voie sûre; mais de vous convaincre que, pour « se sauver, il faut se distinguer des autres, être a singulier, et ne pas ressembler à la foule.

« Lorsque les Juifs, emmenés en servitude,

(1) Voy. chap. IV, n° 62 et suiv.

« furent sur le point de quitter la Judée et de » partir pour Babylone le prophète Jérémie , « à qui le Seigneur avait ordonné de ne pas « abandonner Jérusalem, leur parla de la sorte : « Enfans d'Israël, lorsque vous serez arrivés à * « Babylone, vous verrez les habitans de ce pays« là qui porteront sur leurs épaules des dieux « d'or et d'argent ; tout le peuple se prosternera « devant eux pour les adorer; mais pour vous, « alors, loin de vous laisser entraîner à l'im« piété de ces exemples, dites en secret : C'est « vous seul, Seigneur, qu'il faut adorer. Te « oportet adorari , Domine.

« Souffrez que je finisse en vous adressant « les mêmes paroles. Au sortir de ce temple et « de cette sainte Sion, vous allez rentrer dans « Babylone ; vous allez revoir les idoles d'or et « d'argent devant lesquelles tous les hommes se « prosternent; vous allez retrouver les vains « objets des passions humaines ; les biens, la « gloire, les plaisirs qui sont les dieux de ce « monde, et que presque tous les hommes ado« rent; vous verrez ces abus que tout le monde cc se permet, ces erreurs que l'usage autorise; « ces désordres dont une coutume impie a pres« que fait des lois. Alors, mon cher auditeur,

« si vous voulez être du petit nombre des vrais IC Israélites, dites dans le secret de votre cœur : « C'est vous seul, ô mon Dieu ! qu'il faut ado« rer : Te oportet adorart Donzine. Je ne veux « point avoir de part avec un peuple qui ne vous « connaît pas; je n'aurai jamais d'autre loi que « votre loi sainte : les dieux que cette multitude « insensée adore ne sont pas des dieux; ils « sont l'ouvrage de la main des hommes; ils « périront avec eux : vous seul êtes l'immortel, « ô mon Dieu ! et vous seul méritez qu'on vous « adore: Te oportet a dorari, Domine. Les <( coutumes de Babylone n'ont rien de commun « avec les saintes lois de Jérusalem; je vous « adorerai avec ce petit nombre d'enfans d'A« braham, qui composent encore votre peuple « au milieu d'une nation infidèle; je tournerai « avec eux tous mes désirs vers la sainte Sion.

« On traitera de faiblesse la singularité de mes « mœurs; mais heureuse faiblesse, Seigneur, <( qui me donnera la force de résister au torrent « et à la séduction des exemples ! et vous serez « mon Dieu, au milieu de Babylone, comme « vous le serez un jour dans la sainte Jérusa« lem : Te oportet adorari, Domine, Ah ! le « temps de la captivité finira enfin; vous vous

« souviendrez d'Abraham et de David, vous (c délivrerez votre peuple, vous nous transporta terez dans la sainte cité ; et alors vous régnerez « seul sur Israël et sur les nations qui ne vous cc connaissent pas : alors, tout étant détruit, tous « les empires, tous les sceptres, tous les mo« numens de l'orgueil humain étant anéantis, « et vous seul demeurant éternellement, on u connaîtra que vous seul devez être adoré : Te cc oportet adorariy Domine.

« Voilà le fruit que vous devez tirer de ce « discours : vivez à part; pensez sans cesse que (f le grand nombre se damne; ne comptez pour « rien les usages, si la loi de Dieu ne les au« torise ; et souvenez-vous que les saints ont été a dans tous les siècles des hommes singuliers.

« C'est ainsi qu'après vous être distingués des c pécheurs sur la terre, vous en serez séparés k glorieusement dans l'éternité. Ainsi soit-il. »

25. On peut prendre, pour faire le fond de l'invocation par laquelle on termine souvent un discours, un psaume, une hymne, une prière de l'Église, ou du moins quelques versets ou quelques strophes qu'on paraphrase. « Le psaume 23, Domini est terra, offrirait, dit Maury, le cadre le plus heureux aux derniers

DC l'usage des paraphrases dans les Péioraisons.

mouvemens oratoires d'une instruction chrétienne sur l'amour des richesses, matière dans laquelle Bourdaloue déploie éminemment tout le courage de son zèle et toute la véhémence de son génie (1). Le psaume 112, Laudate, pueri, Dominum, pourrait animer, en la rendant attendrissante et sublime, une péroraison qui remuerait profondément tous les cœurs dans l'un des sujets les plus favorables à l'éloquence de la chaire : je veux dire à la fin d'un discours d'appareil pour la solennité d'une première communion, où il serait si glorieux et si doux à notre ministère d'exalter au plus haut degré la piété filiale des en fans, en interprétant avec vérité, au nom de la religion, leur commune mère, la sainte joie et les déchirantes inquiétudes des auteurs de leurs jours. Le psaume 115, Credidi, propterquodlocutus sum, semble coupé à dessein pour exposer, avec beaucoup de propriété et d'intérêt, les senti mens les plus tendres et les plus héroïques de la ferveur chrétienne, à l'occasion d'une véture ou d'une profession religieuse. Le psaume 30, In te,

(1) Sermon sur les richesses pour le jeudi de la seconde semaine du carême, à l'occasion de l'Evangile du mauvais riche.

DOllzlne) speravi, et mieux encore, le psaume 90, Qui habitat in adjutorio altissimi, quoiqu'un peu trop long pour être paraphrasé en entier, offrirait un canevas admirable pour ranimer, avec la progression la plus intéressante de chaleur, d'élévation et d'éclat, la conclusion d'un discours sur la confiance en Dieu.

« Mais, pour produire un grand effet de ces paraphrases oratoires d'un psaume ou d'une hymne adaptés à la matière qu'on traite, il faut que chaque verset ou strophe présente un nouvel intérêt, avec une heureuse diversité de couleurs et de mouvemens; il faut qu'une continuelle variété d'idées, de tours, d'images et de sentimens, en écartent l'uniformité et la monotonie ; il faut enfin que la terreur et la piété, l'espérance et la crainte, la force et la douceur, l'onction et la magnificence, l'admiration et l'amour, s'y succèdent tour à tour avec une véhémente rapidité. C'est un dialogue de l'ame avec Dieu : chaque auditeur doit y retrouver sa conscience, ses contradictions, sa faiblesse, ses misères les plus intimes, son langage le plus secret, et savoir gré au ministre de la parole de l'avoir peint avec autant de vérité que de charité, en servant à la fois d'interlocuteur

éloquent et de fidèle interprète à tous les cœurs. »

26. Pour que les paraphrases ne déplaisent point, il faut éviter un défaut qui n'est que trop ordinaire. Ce défaut consiste à tomber dans des longueurs interminables. Il vaut mieux faire un choix des versets ou des strophes que de vouloir tout paraphraser. Il convient en général de se borner aux trois ou quatre passages les plus frappans de l'Ecriture ou des prières de l'Église, et de laisser le reste. Il faut éviter également de s'étendre trop en paraphrasant. Les mouvemens seront plus soutenus et l'on ne fatiguera point les auditeurs. Comme il y a de l'esprit et du tact à bien faire une paraphrase, les orateurs qui ne sont pas sur leurs gardes se laissent facilement aller à la tentation de faire voir leur talent. Il faut, dans l'intérêt des ames, savoir s'oublier. Le résultat sera plus satisfaisant pour le bien du prochain, et aussi pour celui du prédicateur sous le rapport même de sa réputation.27. Pour aider les jeunes candidats de la chaire, citons quelques exemples. Voici comment Massillon paraphrase le De profundis à la fin de son Homélie sur Lazare.

« Grand Dieu! souffrez donc que, pour finir

Éviter les longueurs en ne prenant pas trop de textes et en ne s'étendant pas au-delà des justes bornes.

1

Paraphrase de Massillon.

<

« enfui les égaremens d'une vie toute crimit( nelle , j'élève aujourdhui ma voix vers vous, « du fond de l'abîme où je languis depuis tant « d'années: les chaînes impures dont je suis lié « m'attachent par tant de nœuds à la profon- « deur du gouffre où je traîne mes tristes jours, « que, malgré tous mes bons désirs, je demeure « toujours immobile, et ne saurais presque « plus faire d'efforts pour me dégager, et retour« ner à vous, ô mon Dieu! que j'ai abandonné.

I( Mais, Seigneur, du fond de ce gouffre où vous (c me voyez lié et enseveli, comme un autre La« zare,j'ai encore du moins la voix du cœur libre c( pour porter jusqu'au pied de votre trône « mes regrets, mes soupirs et mes larmes : « De profundis clamcivi ad te, Domine (Ps.

( 129)..

« La voix d'un pécheur qui revient à vous, (c Seigneur, est toujours pour vous une voix « agréable : c'est cette voix de Jacob qui récc veille toute votre tendresse, lors même qu'elle « ne vous présente que des mains d'Ésaü, et « toutes pleines encore de sang et de crimes : « Domine, exaudi vocem meam.

« Ah! vous avez assez jusqu'ici, Seigneur, « détourné vos oreilles saintes de mes discours

« de licence et de blasphème : rendez-les au« jourd'hui attentives aux plus tristes expresa sions de ma douleur; et que la nouveauté du « langage que je vous tiens, ô mon Dieu ! attire à « ma prière une attention plus favorable : Fiant « aures tuœ intendentes in vocem deprecationis (c meæ.

« Je ne viens pas ici, grand Dieu ! excuser « devant vous mes désordres, en vous alléguant « les occasions qui m'ont séduit, les exemples « qui m'ont entraîné, le malheur de mes en« gagemens, et le caractère de mon cœur et de « ma faiblesse : cachez-vous, Seigneur, les « horreurs de ma vie passée : le seul moyen de « les excuser, c'est de ne vouloir pas les regar« der et les connaître. Hélas ! si je n'en puis « soutenir moi-même le seul spectacle ; si mes « crimes fuient et craignent mes propres yeux; v et s'il faut que j'en détourne la vue pour « ménager mes terreurs et ma faiblesse, eom« ment pourraient-ils, Seigneur, soutenir la « sainteté de vos regards, si vous les examiniez « avec cet œil de sévérité qui trouve des taches « dans la vie la plus pure et la plus louable?

« Si iniquitates obçervaperis, Domine, Do« mine, quis sustinebit?

« Mais vous n êtes pas , Seigneur, un Dieu « semblable à l'homme, à qui il en coûte tou« jours de pardonner et d'oublier les outrages « d'un ennemi : la bonté et la miséricorde sont « nées dans votre sein éternel ; la clémence est « le premier caractère de votre être suprême; « et vous n'avez point d'ennemis, que ceux qui « ne veulent pas mettre leur confiance dans les « richesses abondantes de vos miséricordes : « Quia apud Donzinum misericordia, et co(( piosa apud eurn redemptio.

« Oui, Seigneur, à quelque heure qu'une ame (f criminelle revienne à vous; dés le matin de la « vie, ou sur le déclin de l'âge; après les égare(( mens des premières années, ou après une vie « entière de dissolution et de licence, vous vou« lez, ô mon Dieu ! qu'on espère encore en vous ; (c et vous nous assurez que le plus haut point « de nos crimes n'est encore que le premier « degré de vos miséricordes : A custodia ma« tutina usque ad noctem speret Israël in Do« mino.

« Mais aussi, grand Dieu ! si vous exaucez « mes désirs, si vous me rendez une fois la vie (c et la lumière que j'ai perdue ; si vous brisez « ces chaînes de la mort qui me lient encore; si

« vous me tendez la main pour me retirer de « l'abîme où je suis plongé, ah ! je ne cesserai, « Seigneur, de publier vos miséricordes éter« nelles : j'oublierai le monde entier, pour ne « plus m'occuper que des merveilles de votre « grace sur mon ame : je rendrai gloire, tous a les momens de ma vie, au Dieu qui m'aura a délivré; ma bouche, fermée pour jamais à la « vanité, ne pourra plus suffire aux transports « de mon amour et de ma reconnaissance ; et c( votre créature, qui gémit encore sous l'em« pire du monde et du péché, rendue à son Sei« gneur véritable, bénira son libérateur dans « les siècles des siècles. Ainsi soit-il. >> 28. L'abbé Poulle a imité Massillon en paraphrasant ainsi le psaume Lœtatus sum, dans son sermon sur le Ciel: (c Cité de Dieu, on m'a raconté de toi des « choses ineffables, et mon cœur en a tressailli « d'allégresse. Si le récit imparfait de tes mer« veilles me comble de tant de joie , combien le « sentiment en sera-t-il délicieux? Si l'idée « grossière que je m'en forme me ravit et me « transporte, quels effets ne produira pas sur « moi la réalité ? Lœtatus sum in his quœ dicta « sunt mihi. (Ps. 121.)

Autre de l'abbc Poulie.

« Il est donc vrai que nous irons à la maison « du Seigneur ? Il est donc vrai que nous ne se« rons pas toujours errans et étrangers? Nous « campons à présent sous des tentes plus sim« pies ou plus magnifiques : voilà l'unique dis<( tinction. Qu'importe? ce ne sont a près tout « que des tentes qu'on dresse le soir et qu'on « enlève le matin ; mais nous avons une demeure H permanente, et cette demeure c'est la maison « du Seigneur ; et la maison du Seigneur c'est « le Seigneur lui-même : In domum Domini « ibimus.

« Que les enfans du siècle se livrent à la fu-« reur de leurs passions; laissons aux morts le (c soin d'ensevelir les morts. Pour nous, enfans « de lumière, hommes de désirs, nous demeu« rerons immobiles sur le seuil de la porte du « temple de Jérusalem; nous gémirons sur la « longueur de notre captivité; nous soupirerons « après la patrie; nos désirs y voleront; nous y u enverrons nos œuvres avant nous ; nous n'auu rons de conversation et de commerce que « dans le ciel ; notre cœur sera tout entier là où « est notre véritable trésor : Stantes erunt pe« des nos tri in atriis luis, Jerusalem.

« Jérusalem, que je ne puis me lasser dr

« nommer, parce que ton souvenir est toujours « présent à mon esprit, et que ton image est « imprimée bien avant dans mon ame ; Jérusa« lem, qui s'élève comme une ville, oh! que tu « te formes lentement ! Jerusalem quœ ædifia catur ut civitas.

« Serons-nous encore long-temps exilés de ton « séjour ! Quand est-ce que nous assisterons à « tes pompeuses solennités? Quand est-çe que « nous nous réunirons à cette pierre angulaire, cc qui est le fondement, la force, le lien et la « beauté de ton édifice? Quand est-ce que nous « nous joindrons de plus près à notre divin « chef, pour ne vivre que de lui? Cujus particiu patio ejus in idipsum.

« Déjà une foule innombrable de justes, cette a portion chérie d'Israël, a été introduite dans « ton enceinte ; ils sont délivrés des tentations, « des embarras et des misères de cette vie : Illuc « enim ascenderunt tribus, tribus Domini, tes<( timonzum Israél. Que leur sort est désirable !

a Nous sommes au vestibule, et ils ont péné« tré jusqu'au saint des saints ; nous craignons, « et ils sont dans l'assurance ; nous combattons, a et ils triomphent; nous souffrons, et ils sont « énivrés d'un torrent de voluptés pures ; nous

« croyons, et ils voient; nous espérons, et ils « possèdent; nous gémissons, et ils louent; nous « prions, et ils rendent grâce : Ad confiten« dum nomini Donzini.

« Voilà la seule ambition qui nous soit per« mise. Tout ce qui n'est pas la céleste Jérusa« lem est indigne de nous : ne souhaitons , ne « demandons que les biens et la paix qu'elle « renferme : Rogate quœ ad pacem sunt Je« rusalem. Ne songeons qu'au ciel, ne cherit chons que le ciel, n'amassons que pour le « ciel, ne vivons que dans le ciel : Propter (( domum Domini Dei nostri, quoesivi bona « tibi.

<( Encore quelques instans, et tout ce qui « doit finir ne sera plus pour nous ; encore quelc( ques efforts, et nous arriverons au terme; « encore quelques combats, et nous touchons « à la couronne ; encore quelques sacrifices , et « nous sommes dans cette Jérusalem nouvelle, où « l'on ne connaît d'autre sacrifice que celui des u louanges. Puissions-nous y chanter tous ente semble ce cantique de joie que l'amour rend cc toujours nouveau. C'est ce que je vous sou-

« haite, etc. »

29. On trouve de belles paraphrases dans le

Autre du P. de Mac-Carlhy.

P. de Mac-Carthy. Il en fait un fréquent usage.

En voici une qui nous tombe sous les yeux en ouvrant le premier volume de ses sermons. Elle termine celui qui a pour sujet la grandeur des Saints.

« Oh! que j'aime à contempler cette longue « chaîne, cette suite non interrompue de Saints « qui ont honoré la vraie religion, et pratiqué a les plus sublimes vertus, depuis le juste Abel « et les plus anciens patriarches, jusqu'à ce « petit nombre d'ames pures et ferventes que « l'œil de Dieu discerne encore au milieu de la c( corruption de ce siècle ! Voilà tout ce que les <( générations humaines ont produit de person« nages véritablement grands. Eux seuls l'ont k été par une élévation surnaturelle de vues et « de pensées, par une hauteur de courage toute « divine, par les œuvres merveilleuses et vrai« ment immortelles qu'ils ont faites. Mais sur« tout, mes Frères, eux seuls paraîtront grands, « lorsque, toute grandeur mortelle étant enfin « détruite , la figure de ce monde ayant passé (c sans retour, la terre entière étant consumée « par les flammes, le juste juge viendra reviser a solennellement tous les jugemens des hommes, « rétablir la vérité et la justice dans tous leurs

« droits, rendre au vice et à la vertu, à l'irré(e Jigion et à la piété ce qui leur est dû. Alors, « dit l'Écriture, les Saints paraîtront avec une « noble assurance : Tunc stabunt jusîi in cc magna constantia. (SAP., 5.) <( Élevés dans les airs, et assis sur des trônes •« pour juger avec Dieu même , ils prononce« ront les arrêts de ceux qui les ont persécutés « et opprimés durant la vie : Adversus eos qui « se angustiaverunt (ib). Leurs ennemis , au« trefois si arrogans et si superbes, trainés « maintenant comme des criminels à leurs « pieds, ne pouvant soutenir ni le feu de leurs cc regards, ni l'éclat de leur gloire, seront saisis, « continue le texte sacré , d'un trouble et d'un « effroi plein d'horreur : Vz"dentes turbabun« tur timoré horribili (ib). Comme ils n'ont « jamais ajouté foi à ce qu'on leur disait du « triomphe futur des justes, et du salut que « Dieu leur préparait, leur surprise , à la vue « d'un spectacle si inattendu, égalera leur dou« leur : Mirabuntur in subitatione imperatœ « salutis (ib). Eh quoi! s'écrieront-ils en pousc( sant de profonds soupirs, et se livrant à un « affreux désespoir, sont-ce là ces hommes dont « nous faisions l'objet de toutes nos dérisions ,

« que nous ne regardions qu'avec dédain, dont « nous ne parlions qu'avec outrage : Hi sunt « quos habuimus aliquando in derisum (ib)?

« Ah! insensés que nous étions! leur vie encc tière nous semblait une folie ; cette fuite du « monde, cet éloignement de nos assemblées et « de nos plaisirs, cette pudeur qu'un mot alar-' « mait, ces humbles pratiques de la piété chréa tienne, cette abstinence des viandes défen« dues, cette fréquentation des temples du « Seigneur; tout cela n'était à nos yeux que pe« titesse d'esprit, vain scrupule, bizarrerie et « délire : Nos insensati, vilain illorum æsti« mabamus insaniam (ib). Les voyant mépri(( sés et rebutés de ce monde brillant, dont les « opinions étaient pour nous la suprême loi, « nous ne doutions point qu'ils ne fussent voués « pour toujours à l'oubli et à l'opprobre ; parce « qu'ils étaient humbles, nous les croyions vils, « et leur mort nous parut sans honneur, parce « qu'elle fut sans bruit et sans pompe : Etfinem « illorum sine honore (ib). Et les voilà au rang « des enfans de Dieu , en possession de l'héri« tage des Saints, élevés au-dessus des astres « du ciel, dont ils effacent l'éclat par leur gloire: « Ecce quomodo complltati sunt inter fihos

« Dei (ib). Toutes nos pensées n'étaient donc « qu'erreur; toutes nos maximes qu'illusion et cc mensonge : Ergo erravimus (ib) 1 « 0 fatale et irrémédiable erreur, dont les u suites seront éternelles! Afin de n'y pas tomi< ber nous-mêmes, mes Frères, de n'être pas « condamnés à voir un jour avec dépit et dé« sespoir la grandeur et la félicité des Saints , « contemplons-la aujourd'hui avec joie et avec a amour; louons dans des transports d'admira« tion ces grandes ames ; applaudissons avec « l'Église au triomphe de ces véritables héros; « imitons ces parfaits modèles de la vertu ; in« voquons le secours de ces puissans interces« seurs, et n'ayons plus désormais d'autre « ambition ni d'autre désir que de nous rendre « dignes, par une vie vraiment chrétienne,

« d'être associés à leur gloire et à leur bonheur « dans l'éternité. Ainsi soit-il. »

30. On ne doit pas terminer le discours d'une manière brusque, ni le finir par des sentimens de crainte ou par des considérations qui attristent les ames. Il faut que les auditeurs voient arriver la fin naturellement, et puissent même la prévoir (1), et que la dernière pensée qu'ils

(1) Il y a des prédicateurs qui ont un défaut tout

De la fin du discours.

emportent soit une pensée de consolation et de paix, et non d'abattement et de découragement.

« Il me semble, dit Abelly, plus conforme à (( l'esprit de Jésus-Christ et à l'usage de l'É« glise, de tellement conduire l'auditeur, qu'on « lui laisse toujours l'espérance, aussi bien que « le souhait de la vie éternelle ; tout ce que cc nous pouvons dire , soit en reprenant le vice, « soit en exhortant à la vertu, se termine là ; « et je trouve que c'est pécher par excès d'arti« fice, lorsque des prédicateurs pathétiques « finissent d'une manière brusque et emportée, « sans vouloir donner de bénédiction, et sans « aucun désir de retirer de l'enfer ceux que « leur discours y a supposé bien enfoncés; or« dinairement les auditeurs sont plus surpris a que touchés d'un tel procédé, à quoi ils ne <( s'attendaient point. Ils l'expliquent tout au« trement qu'on ne pense, ils croient que le « prédicateur ne fait qu'une feinte; ils s'entreK regardent, et se mettent à rire et à demander « si le sermon est fini. »

opposé. Ils paraissent à chaque instant finir, puis ils se reprennent et recommencent de nouvelles conclusions qu'ils ne peuvent terminer. Ce défaut fatigue infiniment l'auditoire.

La vie éternelle, ou, ce qui est la même chose, le bonheur du ciel et le salut doivent donc terminer tous les discours sacrés, mais pas de la même manière. Ce serait un défaut que d'avoir toujours la même formule. Il faut savoir varier, et pour cela saisir ce qui est propre au sujet qu'on traite. On ne peut pas donner des règles précises à cet égard. L'expérience, et surtout la lecture des bons modèles, en apprendront plus à l'orateur sur cet article que tous les préceptes.

FIN DU TOME PREMIER.

TABLE DES CHAPITRES ET ARTICLES

CONTENUS DANS LE TOME PREMIER.

DÉDICACE. v AVERT-ISSEMENT. XI PLAN GÉNÉRAL DE L'OuVRAGE. XV CHAPITRE PREMIER. - De tEloquence en gênéral. 1 1. But de la parole. ib.

2. Il y a deux sortes de discours : l'inculte et le cultivé. ib.

3. Ce que c'est que l'éloquence. 2 4. Marques de l'éloquence. ib.

5. H y a deux sortes d'éloquence. 4 6. Exemples de l'éloquence incuhe ou naturelle. ib.

7. De l'éloquence cultivée. ib.

8. Des effets de l'éloquence (Périclès). 5 9. Démosthènes. 6 10. Cicéron. ib.

11. L'évêque Flavien. 7

12. IVIassilloii H 13. L'éloquence est dans les choses plutôt que dans le style. 9 14. But de l'éloquence ib.

15. Des déclamateurs. — L'éloquence n'est pas un art frivole. 10 16. Parallèle d'Isocrate et de Démosthènes. Il 17. Origine des règles. * 14 18. Leur usage ib.

19. Elles sont la voix du bon sens. 15 20. Bornes de l'usage des règles. 16 21. Les règles arrêtent les écarts du génie et le dirigent. 18 22. Les règles, sans le talent, ne suffisent pas pour être éloquent. 19 23. La connaissance des règles est utile à tous. 20 24. Nécessité de se bien former le goût. ib.

25. On dispute des goûts avec fondement. ib.

26. Définition du goût littéraire. 21 27. Du goût dépravé. 22 28. La conformité aux principes communs du vrai et du beau est la règle du goût. 23 29. Causes de la dépravation du goût 24 30. lre Cause. — L'instabilité des choses humaines. ib.

31. Le goût peut se gâter chez une nation. 25 32. 2e Cause. — L'esprit philosophique. ib.

33. 3e Cause. — La satiété. 26 34. 4" Cause. — L'incrédulité et la dépravation des luœurs. 27

35. Réflexions de M. de Boulogne sur le même sujet. 29 36. Le défaut de principes fixes est la cause de l'état actuel de la littérature. 30 37. Histoire de la littérature moderne depuis Louis XIV jusqu'à la Révolution. 32 38. Première époque de la décadence de la littérature en France. ib.

39. Domination de l'esprit académique. 33 40. Sous prétexte d'émancipeT le talent, il proscrit l'imitation comme une servitude. ib.

41. Justification de l'imitation. 34 42. Du néologisme et des autres défauts analogues. 36 43. Influence de l'esprit révolutionnaire sur la littérature. — Du l'omantique. 37 44. Idée du romantique. 38 45. Couleur commune des écrivains romantiques. 39 46. Leur genre est ordinairement sombre. 40 47. Ils imitent les écrivains du nord. ib.

48. Délire de la littérature actuelle. 42 49. Folie de s'écarter des règles. 43 50. Les règles n'ont pas été inventées. 44 51. Il faut espérer qu'on reviendra au bon goût. 4:) 52. L'éducation bien dirigée est le moyen de ramener le bon goût en France. 46 CHAPITRE II. — De l'Éloquence de la Chaire. 47 1. Grandeur du ministère de la chaire. ib.

2. Il donne le droit de parler aux rois de leurs devoirs. 51

3. Histoire de l'éloquence de la chaire en France. 52 4. Avant La Bruyère.. , 53 5. De son temps. 54 6. Autres abus, , , , 56 7. Ce que dit Fénélon des mêmes abus. 57 8. Époque où brilla l'éloquence de la chaire parmi nous 58 9. Causes de sa décadence. - lre Cause. — La décadence des mœurs.. ,., <. 59 10. 2° Cause. — L'esprit académique. 60 11. Mauvaise justification des prédicateurs académiques.. , , , , ,. 63 12. 38 Cause. — La manie des sujets philosophiques. , , , , 65 13. Ces sujets ne se prêtent point à l'éloquence. 67 14. Ce que dit Maury des sermons de cette époque 70 15. Des sermons démocrates du même temps.. 72 16. Il y eut des exceptions honorables, mais le plus grand nombre des orateurs sacrés céda au goût dominant. 73 17. Témoignage que 3VJ. de Boulogne rend aux prédicateurs courageux qui résistèrent alors à la contagion du mauvais goût 76 18. De l'éloquence de la chaire après la Révolution et dans ces derniers temps. , , ,. 78 19. Des prédicateurs romantiques. 79 20. Cause de la propagation du romantique dans la chaire. 83 21. Difficulté du genre classique. ,. 84

22. Facilité du genre romantique. 85 23. La difficulté du genre classique n'est pas invincible. 86 24. Réponses aux prétextes des prédicateurs romantiques. 88 25. Moyens d'arrêter la contagion du romantique parmi le clergé. 90 26. Exhortation aux jeunes orateurs chrétiens.. 91

CHAPITRE III. — De la Science nécessaire à l'orateur sacre. 94 1. Nécessité de la science pour l'orateur sacré. ib.

2. Regrets de M. de Boulogne. 95 3. Ce qu'il dit de M. de Beauvais et de plusieurs prédicateurs ib.

4. Sentimens de saint Bernard et de saint Grégoire-le-Grand sur la nécessité de la science pour le prédicateur 96 5. Objets des études de l'orateur sacré. 97 6. Du dogme 98 7. De la morale. 99 8. Imiter saint François de Sales dans son application à l'étude de la morale. ib.

9. Sagesse de ses principes de direction. 100 10. Il recommande souvent une sage condescendance. 101 11. Le ministre du Seigneur ne saurait trop se pénétrer de sa doctrine ib.

12. De l'Ecriture-Sainte. — Son excellence. 103 13. De la simplicité du Nouveau-Testament. 105

14. Comment il faut faire usage de l'ÉcritureSainte. 106 15. La Bible est une source féconde de sublime pour les orateurs sacrés. 107 16. Exemple de Bossuet. 108 17. Exemple de Brydayne. ib.

18. Contre les prédicateurs qui ne citent point l'Ecriture-Sainte. 111 19. Empire des paroles de l'Ecriture-Sainte sur les consciences. 112 20. Contre ceux qui abusent de l'Ecriture-Sainte. 114 21. Des saints Pères. — Ils sont les interprètes de l'Écriture-Sainte. 116 22. Quand est-ce qu'il faut suivre leur doctrine, dans l'interprétation des livres saints. 119 23. Nécessité d'étudier les saints Pères. ib.

24. Observations sur le style des saints Pères.. 120 25. Jugement sur Tertulien. 121 26. Sur saint Cyprien., ih.

27. Sur saint Augustin. 123 28. Jugement sur d'autres Pères. 124 29. Conclusion des observations sur les saints Pères. — Il faut les respecter malgré leurs défauts de style. 125 30. Les saints Pères n'ignoraient pas les bonnes règles 126 31. Ils ont néanmoins payé le tribut à l'opinion par suite de la faiblesse humaine et de l'éducation. 128 32. Services rendus aux lettres par les saints Pères. 130

33. Justification des saints Pères sur leurs interprétations allégoriques de l'ÉcritureSainte. 130 34. Il faut se borner dans la lecture des saints Pères. 138 35. Nécessité pour le prédicateur de connaître l'histoire. 139 36. Il doit bien savoir la langue en laquelle il prêche. 140 37. Difficulté de la langue française. 142 38. Chefs-d'œuvre quelle a produits. 143 39. Moyens de s'y perfectionner. 144 40. L'orateur sacré doit connaître les règles de la saine littérature., ib.

41. Il doit s'être familiarisé avec les bons modèles. — Comment il faut les lire. 145 42. De l'usage des analyses. — Leur utilité. 146 43. Avantage des observations sur les auteurs.. 147 44. Nécessité de l'exercice et de l'expérience pour l'orateur chrétien. — Zèle de saint Liguori pour former de bons prédicateurs. 148 45. Associations qu'il établit pour cet effet. 149 46. Il faut exercer au séminaire les jeunes clercs à la prédication. — Avantages qu'ils retirent de cet exercice. 150 47. Commencer par des catéchismes et des conférences. — Exemple de Brydayne. 152 48. Ses succès à Saint-Quentin. 153 49. Paroles que lui adresse son évêque à son retour. 157

50. Avantage d'avoir un ami judicieux pour se former à la prédication. 158 51. Avantage des communautés de prêtres pour se perfectionner dans le ministère de la parole. : 159 52. L'exercice du saint ministère sert beaucoup à la prédication. 160 53. Abus à éviter. 161 54. Avantage de connaître les mœurs et les coutumes de ceux à qui l'on prêche. 162 55. Nécessité de rédiger des cahiers. 163 56. Quels sont les recueils qu'on doit faire 166 57. Cours de prônes et d'instructions familières, de conférences et d'exhortations. — Serinons 167 58. Répert.oire de prédication. ib.

CHAPITRE IV. — Des Vertus dit, Prédicateur. 171 1. Nécessité du bon exemple de la part du prédicateur ib.

2. Effets du mauvais exemple. 173 3. Force que le bon exemple donne aux discours. — Exemple de saint François de Borgia '!'■ A. Conversion remarquable d'une dame de la Cour.,. 176 5. Méthode du saint pour persuader 177 6. De la pureté d'intention. — En quoi elle consiste 178 7. Crime des prédicateurs qui cherchent leur propre gloire.. ». /9

8. Ils arrêtent les grâces de Dieu. 179 9. Combien sont coupables les prédicateurs qui cherchent à plaire par un style mondain. 181 10. Il ne faut chercher qu'à plaire à Dieu et à convertir. 182 11. Nécessité du zèle et de la prudence dans le prédicateur. 184 12. Difficultés de l'éloquence de la chaire. ib.

13. Autres causes de dégoût pour l'orateur sacré. 185 14. Motifs pour les surmonter. 186 15. Motifs d'encouragement pour les orateurs chrétiens qui n'ont qu'un talent médiocre.. 188 16. Celui-là prêche bien qui convertit. 189 17. Ce ne sont pas les prédicateurs à talent qui ont sauvé le plus d'ames. 190 18. Succès du P. Eudes, et vains efforts de M. Camus , ancien évêque de Belley, pour l'ilni tel' 191 19. En cherchant uniquement à plaire à Dieu, il ne faut pas négliger les ressources de l'art. 196 20. Le zèle est un grand maître dans l'art oratoire 197 21. L'homme apostolique est naturellement éloquent 198 22. Motifs du zèle apostolique. 199 23. Exemple de Dieu et de Jésus-Christ son Fils. ih.

24. Exemple de saint Paul. 201 25. Exemples des hommes apostoliques .202 26. Services que peut rendre à l'Église un piètre zélé. — Exemple de saint François-Xavier. 203

27. Ses sentimens sur les prêtres qui manquent de zèle. 209 28. Exemple de saint Vincent de Paul. 212 29. Exemple de saint François de Sales. 215 30. Exemple des simples fidèles. 217 31. Obligation des pasteurs d'instruire leurs peuples. 218 32. Heureux effets de l'instruction religieuse pour les fidèles et pour le pasteur lui-même. 221 33. Il faut prêcher souvent. — Sentimens et exemples des saints. 223 34. Sentiment et exemple de saint Liguori. 226 35. Il faut prêcher brièvement selon la méthode des saints Pères. — Sentiment de saint François de Sales 229 36. Sentiment de Grenade. 230 37. Sentiment de Fénélon. 231 38. Règle qu'il convient de suivre pour la durée des discours. 232 39. Temps convenable pour prêcher. 234 40 Ii ne faut pas se rebuter d'un auditoire peu nombreux. - Sentiment et exemple de saint François de Sales 235 41. Ne pas se plaindre des absens. 238 42. Aimer à instruire les gens simples et les pauvres. 239 43. Sentiment de saint Vincent de Paul à ce sujet. 240 44. Sentiment du P. Eudes. 242 45. Devoir des prédicateurs envers les riches et

les grands. — Ne pas craindre de leur dire la vérité., 244 46. Ménagemens à prendre en leur disant la vérité. 247 47. Témérité condamnable., 251 48. Règles pour les complimens d'usage. 253 49. Sentimens de saint Grégoire et de saint François de Sales sur les louanges dans les sermons i 255 50. Sur les louanges des religieuses. 258 51. Il faut rarement parler de soi en chaire. 264 52. Comment le prédicateur doit occuper les auditeurs de lui-même, ou vrai moyen d'avoir du succès dans la prédication. 265 53. Le prédicateur doit penser à lui-même quand il parle aux pécheurs. — Motifs pour travailler à leur conversion. 267 54. Employer la douceur à l'exemple de saint François de Sales. 269 55. Eviter les reproches amers et les personnalités. 270 56. Manière de faire les réprimandes. 271 57. Ne point blâmer spécialement les autorités et certaines classes de la société. 275 58. Pour convertir les pécheurs, il faut prêcher souvent sur les grandes vérités de la religion 280 59. Avis de saint François-Xavier. ib.

60. Contre les prédicateurs pusillanimes qui n'osent prêcher sur les grandes vérités et les devoirs essentiels du christianisme. 282

61. Ce que dit M. de Boulogne de la modération qu'on recommande tant aujourd'hui aux orateurs et aux écrivains. 284 62. Eviter les exagérations en prêchant sur la justice divine et autres sujets analogues. 296 63. Tl'ait. , , , 297 64. Vérité que les ministres sacrés doivent bien retenir. 299 65. Prêcher sur la miséricorde de Dieu après avoir parlé de sa justice, à l'exemple de saint François de Sales et de saint Liguori. 300 66. Ce qu'on doit éviter quand on parle des vices. 301 67. Il faut bien mesurer ses expressions. 302 68. Autres défauts 303 69. Nécessité de la piété dans l'orateur sacré.. 305 70. Il faut prier en préparant ses discours. 307 71. Prier surtout en lisant l'Ecriture-Sainte. 308 72. S'appliquer à soi-même dans l'oraison ce qu'on se propose de dire aux autres. 310 73. Prier pour ses auditeurs 314 74. Prier surtout pendant le sacrifice de la Messe et devant le Saint-Sacrement., 315 75. Implorer le secours des saints anges et des aints. , ., 316 76. S'adresser spécialement à la Sainte-Vierge et porter ses auditeurs à recourir à son intercession. — Exemple de saint Liguori. 318 77. Merveilleux effets de ce moyen pour convertir les pécheurs et même les hérétiques. 319 78. Autres faits 321

79. Joindre la mortification à la prière. 323 80. Aimer la solitude. — Ses avantages pour le prédicateur. 325

CHAPITRE V. - Des différens Objets et des différentes Formes et Circonstances de la Prédication 341 1. Tous les objets de la prédication se rapportent au dogme ou à la morale. ib.

2. Nécessité de prêcher le dogme aussi bien que la morale. ib.

3. Exemple de nos grands orateurs. 343 4. C'est l'abandon du dogme qui a empêché quelques prédicateurs modernes de réussir.. 344 5. C'est la même cause qui rend les prédicateurs protestans si inférieurs aux prédicateurs catholiques. 345 6. Sage réserve qu'il faut avoir sur les opinions théologiques 346 7. Maxime de saint Augustin. 347 8. De la morale. — Tout s'y rapporte et doit y tendre 348 9. L'orateur chrétien doit toujours avoir en vue la réforme des mœurs et le salut de ses auditeurs 3 49 10. Traiter de préférence les grands devoirs du christianisme. ib.

11. Attaquer les grands défauts 350 12. Saisir toutes les occasions de les combattre. 351 13. Manière de les attaquer 352 ., I

14. Comment il faut les poursuivre en réfutant les prétextes. 352 15. Exemples tirés de Massillon. 353 16. Ne pas se rendre ridicule en attaquant des défauts chimériques ou qui ne se trouvent pas dans les auditeurs. 361 17. Prêcher souvent sur la pénitence et les motifs qui doivent y porter. 363 18. Ne pas se borner aux motifs de crainte. ib.

19. Il faut porter les ames à la perfection. 364 20. Des fêtes. 366 21. Des panégyriques. — Règles sur cette matière.

— lre Règle. — Ne pas se borner à un simple éloge du saint, et ne pas tomber dans des exagérations. ib.

22. 2e Règle. — Bien faire connaître son héros. 368 23. 3e et 4e Règles. —Eviter le trop grand nombre de réflexions morales et les réflexions prolixes ; faire une distribution progressive des événemens, sans trop s'astreindre à l'ordre chronologique et sans trop s'en écarter. 371 24. 5e Règle. — S'oublier soi-même., 374 25. 6e Règle. — Ne pas craindre d'entrer dans des détails utiles aux auditeurs. 376 26. Des oraisons funèbres. 377 27. De l'explication de l'Ecriture-Sainte ou des homélies et des paraphrases. 380 28. Méthode à suivre. il).

29. Ne pas forcer le texte. 383

30. Ce qu'il faut faire pour bien saisir le sens de l'Écriture-Sainte. 383 31. De l'explication des prières et des cérémonies du culte public. 384 32. Des différentes formes de la prédication. ib.

33. Des sermons. 385 34. Des prônes. 0 ib.

35. Des gloses. ib.

36. Des avis et des exhortations. o. 386 37. Des conférences proprement dites ou des dialogues. 38/ 38. Des conférences avec les sectaires., 389 39. Des conférences ecclésiastiques et religieuses. 392 40. Des différentes circonstances de la prédication. — Des prédications ordinaires 0 394 41. Des prédications extraordinaires. — Des stations ib.

42. Des retraites. 0 395 43. Des missions. 398 44. Lettre de saint Liguori sur les missions. ib.

45. Zèle de M. de la Motte, évêque d'Amiens, pour les missions 0 423

CHAPITRE VI. — Du Discours sacré et de ses différentes Parties. 439 1. Du discours en général. — Du sermon et du prône. ib.

2. Nécessité de l'ordre dans le discours ib.

3. De l'unité du discours. 442 4. Sa beauté et sa force. 443

5. L'unité n'empêche point la variété. 444 6. Cette variété doit naître des matières mêmes qu'on trai. 445 7. Du plan ou des parties principales du discours. - Nécessité de faire et d'annoncer des divisions. ib.

8. Sentiment de saint François de Sales sur les divisions. 447 9. Sur l'opinion de Fénélon à ce sujet. 448 10. En quoi Fénélon s'écarte de l'opinion commune. 450 11. Des parties accessoires du discours. — De l'exorde et de ses espèces. 451 12. Des qualités de l'exorde. ib.

13. Des parties de l'exorde. — Du texte. 456 14. De l'introduction générale proprement dite. 459 15. De l'annonce du sujet 460 16. De l'invitation et de l'invocation. 462 17. Des transitions. , 464 18. De la péroraison. : 465 19. De la récapitulatiou. 466 20. Du fruit. ib.

21. De l'exhortation. 467 22. Péroraison de l'oraison funèbre de Condé, par Bossuet. 468 23. De l'invocation ou de la prière. 472 24. Péroraison par laquelle Massillon termine son sermon sur le petit nombre des élus. 473 25. De l'usage des paraphrases dans les péroraisons 477

26. Eviter les longueurs, en ne prenant - par trop de textes et en ne s'étendant pas au-delà des justes bornes., 480 27. Paraphrase de Massillon. ib.

28. Autre de l'abbé Poulie. 484 29. Autre du P. de Mac-Carthy. 487 30. De la fin du discours. 491

FIN DE LA TABLE DU TOME PREMIER,

Les vrais principes sur la prédication, ou Manière d'annoncer avec fruit la parole de Dieu. Tome 1 / par M. l'abbé J.-X. Vêtu,... (2025)
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